République et canton de Genève

Grand Conseil

R 293
18. Proposition de résolution de Mmes et MM. René Longet, Luc Gilly, Martine Roset et Fabienne Bugnon concernant l'initiative populaire "Pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix". ( )R293

EXPOSÉ DES MOTIFS

En date du 22 mars 1995, le Conseil des Etats décidait de déclarer irrecevable l'initiative populaire «Pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix». Cette décision manifeste un brusque changement de pratique s'agissant des critères appliqués à l'étude de l'unité de la matière d'initiatives populaires, c'est-à-dire à la qualité du lien entre les diverses propositions d'un texte constitutionnel donné.

En l'occurrence, avant de lancer leur initiative, les initiants avaient pris soin de consulter, s'agissant des aspects formels, des experts, ainsi les professeurs Kälin et Saladin, de l'université de Berne. Tous deux ont certifié que le critère de l'unité de la matière, dans son acception courante, était respecté.

Au moment du lancement, la chancellerie fédérale, contactée, rendit la même appréciation.

Cette position se trouve également dans le message du Conseil fédéral relatif à l'initiative.

Ce n'est qu'au niveau du débat au sein du Conseil des Etats que l'idée de changer de pratique en matière d'appréciation de l'unité de la matière est apparue.

Ce changement pose de nombreux problèmes.

Tout d'abord, il est choquant de changer les règles et de les appliquer séance tenante à un texte conçu sous l'empire des règles précédemment en vigueur.

Ensuite, on ne peut que relever que le parlement lui-même n'hésite pas à proposer aux électrices et aux électeurs des textes qui sont en contradiction directe avec les exigences appliquées à l'initiative, que l'on pense aux multipacks nombreux en matière d'assurance-maladie, d'AVS, ou encore à la disposition sur la TVA prévoyant une affectation partielle à l'AVS. On aurait pu parfaitement estimer, à l'instar du raisonnement qu'applique le Conseil des Etats à l'initiative, que l'on peut vouloir la TVA mais pas son affectation, ou encore que l'on voudrait financer l'AVS mais pas par la TVA... pourtant les Chambres ont estimé que le lien qu'elles ont établi entre ces points avait sa logique.

Sur le fond, le lien matériel est donné par une démarche qui ne souffre pas d'être disjointe: les initiants proposent bien une seule idée, à savoir un meilleur équilibre entre le pilier militaire et le pilier non militaire de la sécurité. Cette idée a sa raison d'être et sa cohérence interne indiscutable, et le peuple doit pouvoir se prononcer sur un tel concept. Dans le cas contraire, toute idée politique un peu globale ne pourrait plus faire l'objet d'une proposition d'article constitutionnel !

De nombreux juristes éminents désapprouvent la décision du Conseil des Etats. Ainsi le professeur Fleiner, dans un avis de droit du 22 octobre 1994, le professeur Aubert, qui s'est notamment exprimé longuement dans le «Nouveau Quotidien» du 11 avril 1995, ou encore le professeur Peter Haenni.

Nous estimons par ailleurs que le canton de Genève ne doit pas consentir au changement de pratique voulu par le Conseil des Etats, et par la présente résolution notre canton demande le respect des règles de base de la démocratie qui, encore une fois, ne sauraient être modifiée à l'occasion d'une décision circonstancielle et avec effet rétroactif...

Sachant que la décision du Conseil des Etats n'entre en vigueur que si le Conseil national s'y rallie, il convient de demander au Conseil national de réparer la décision du Conseil des Etats.

Signalons encore que la décision des Chambres ne souffre, contrairement à une décision analogue qui serait prise par notre Conseil en matière cantonale, d'aucun recours, le parlement n'étant pas soumis au juge constitutionnel.

Au bénéfice de ces explications, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.

Débat

M. Luc Gilly (AdG). Le sens de la démarche de cette résolution, vous l'avez compris Mesdames et Messieurs, est la défense des droits populaires, un des piliers de notre démocratie. C'est pour cette raison que je m'étonne déjà que cette résolution figure au département militaire, alors qu'elle aurait davantage eu sa place à la commission des droits politiques, dans le département de M. Haegi.

Il ne s'agit pas de discuter ce soir du contenu de cette initiative mais bien de corriger la dérive du Conseil des Etats et de deux commissions à Berne. Cette initiative, déposée en 1992, avec plus de cent dix mille signatures, avait reçu, avant son lancement, l'aval de deux experts, les professeurs Kälin et Saladin de l'université de Berne; de même, la Chancellerie de Berne donnait le même avis : l'unité de la matière était respectée. Plus tard, le Conseil fédéral confirme cette appréciation dans son message. Or, surprise ! Cette année, en mars 1995, le Conseil des Etats décide que l'unité de la matière n'est pas respectée et prend la décision d'invalider cette initiative. A la mi-mai, la commission des institutions politiques du Conseil national reprend les mêmes critères. Le 29 mai, la commission politique de sécurité du Conseil national va dans le même sens. Le même jour, nous déposions, auprès du président de la commission, quinze mille signatures, recueillies en quelques semaines pour demander l'annulation de cette décision d'invalidation.

Je rappellerai encore que cinq experts reconnus ont été entendus dans le cadre de la commission des institutions politiques et non des moindres : Jean-François Aubert de Neuchâtel, Thomas Fleiner de Fribourg, Walter Haller de Zurich, et enfin le directeur de l'Office fédéral de justice, M. Henrich Kohler. Tous ont estimé que l'unité de la matière était respectée et que cette initiative pouvait être soumise au vote populaire. Seul, M. Paul Richli, mandaté par le DMF s'y est opposé : seul contre quatre, M. Richli emporte la décision en commission.

Ce qui est grave dans cette affaire, Mesdames et Messieurs les députés, c'est de changer les règles concernant l'appréciation de l'unité de la matière d'une initiative et de les appliquer séance tenante. Dans notre résolution, nous faisons part de diverses dispositions analogues que le parlement propose aux électrices et électeurs, sans qu'on y voie une trace d'invalidation, que ce soient les textes au sujet de l'AVS que nous voterons le 25 juin, ceux concernant les affectations de la TVA, ou de l'impôt sur les bénéfices des casinos.

Cela veut dire que, même s'il y a cohérence entre ces différentes dispositions, on décide d'une façon peu élégante et un peu cavalière, d'invalider cette initiative très rapidement. Faudra-t-il désormais lancer deux, voire trois, initiatives parallèles, pour qu'elles aient une unité de matière minimum ? En tout cas, je pense que, démocratiquement, ce n'est pas possible.

Les juristes, experts de la Confédération, ont donné l'aval à cette initiative. Donc, la décision du Conseil des Etat est pour le moins surprenante. C'est bien pour défendre ces droits démocratiques de base que nous proposons cette résolution. Genève doit donner un signe explicite à Berne, puisque, le 20 juin, le Conseil national prendra sa décision, qui ne pourra être sujette à aucun recours, en cas d'invalidation de l'initiative. Je demande, ce soir, à notre parlement d'exprimer sans faille sa volonté de défendre les droits démocratiques. Par son soutien, il estimera donc que c'est au peuple de décider et non au parlement. C'est pourquoi je vous prie d'accepter cette résolution.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Permettez-moi de m'étonner également de la place réservée à notre résolution dans l'ordre du jour. Il ne s'agit pas du tout d'une affaire militaire - c'est important de le relever - mais bien d'une affaire de droits politiques. Finalement, ce n'est pas si important, puisque c'est une résolution et qu'elle ne transitera pas par une commission, mais c'est nécessaire de le signaler pour situer le débat à sa juste place.

Le but de cette résolution, Mesdames et Messieurs, est d'éviter à tout prix une réduction des droits populaires, qui sont dangereusement attaqués de part et d'autre, ces derniers temps. Le Conseil des Etats a donc décidé, à notre grand étonnement mais à une grande majorité, de déclarer irrecevable l'initiative populaire fédérale intitulée «Pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix», déposée par le parti socialiste, le 24 septembre 1992, avec plus de cent cinq mille signatures valables.

Après le Conseil des Etats, la commission de politique de sécurité du Conseil national a également décidé de déclarer l'initiative nulle, pour la même raison, celle du non-respect du principe de l'unité de la matière. Le 20 juin, le Conseil national devra, à son tour, prendre la décision de suivre, ou non, sa commission. A cette occasion, un signe positif de notre canton aurait une valeur considérable.

Il est peut-être utile de rappeler très brièvement ce que demande cette initiative. Elle exige la réduction des crédits alloués en faveur de la défense nationale de 10% par année, jusqu'à ce qu'ils soient réduits de moitié par rapport à l'année précédant la première réduction. Les montants économisés seront principalement affectés à des efforts supplémentaires en matière de politique de paix sur le plan international, et à la sécurité sociale en Suisse.

Il est peut-être également utile de rappeler ou de signaler qu'en juin 1994 le message que le Conseil fédéral délivrait au parlement concluait à la validité de l'initiative, bien que, estimait-il : «le rapport de connexité entre le transfert de dépenses en faveur de la sécurité sociale et la défense nationale est problématique».

La décision du Conseil fédéral est essentiellement fondée sur le principe selon lequel l'exercice des droits populaires ne doit être restreint que si une telle mesure s'impose indiscutablement. La majorité de la commission du Conseil national a, elle aussi, reconnu que «le fait d'invalider une initiative, à laquelle plus de cent mille personnes ont souscrit et qui demande une révision partielle de la constitution, est une décision grave, d'autant plus que notre pays ne connaît pas de cour constitutionnelle et que le parlement se prononce, par conséquent, en dernière instance». Elle conclut enfin ses travaux en disant : «Par sa décision, la majorité de la commission souhaite opérer un changement de pratique qui devra être appliquée à l'avenir, non seulement aux initiatives populaires mais également aux révisions partielles de la Constitution émanant du parlement. La minorité de la commission, elle, considère cette décision comme une atteinte aux droits populaires et un changement de règles en cours de jeu. Elle craint également que la crédibilité du parlement ne soit ainsi remise en question».

Au vu de ces éléments, Mesdames et Messieurs les députés, nous ne pouvons plus avoir de doute. Il existe une volonté de restreindre les droits populaires. Les auteurs de cette résolution, avec vous je l'espère, souhaitent transmettre aux autorités fédérales leur attachement aux droits populaires. C'est le sens de cette résolution et je vous remercie de la soutenir.

M. René Longet (S). Tous les partis ici représentés ont fait au moins une fois l'exercice de l'usage des droits populaires. Nous savons tous combien peut être difficile cet exercice. Nous savons aussi, puisque nous en parlons à l'occasion, au sein de ce Grand Conseil, que l'annulation d'une initiative n'est pas un acte anodin.

Dans notre Grand Conseil, notre règle est : «dans le doute, pour le peuple». Nous savons aussi, et nous l'approuvons, que l'exercice des droits populaires est lié à des exigences de recevabilité, parmi lesquelles il y a l'unité de la matière, dont il vaut la peine de rappeler le sens : c'est un principe qui veut éviter de soumettre au peuple des questions n'ayant pas de lien intrinsèque entre elles, et de le placer ainsi devant des cartes forcées. Mais ce genre de principes ne peut pas être étendu jusqu'à l'absurde, car, sinon, Mesdames et Messieurs, aucune politique un peu globale ne pourrait plus être proposée au peuple.

L'article constitutionnel sur les médias, celui sur la politique coordonnée des transports, un certain nombre de lois sur la sécurité sociale ou sur l'assurance-maladie auraient pu poser problème, si on avait appliqué une définition très restrictive de l'unité de la matière. Dans chacun de ces cas, le lien intrinsèque entre tous les éléments de ces paquets aurait fort bien pu être contesté. Il nous faut trouver une interprétation entre la carte forcée et l'atomisation politique. Cette voie existe : c'est celle qui est habituellement appliquée pour la recevabilité quant à l'unité de la matière.

Mme Bugnon ayant rappelé le contenu de l'initiative, vous pouvez constater qu'elle est bel et bien un tout cohérent. La volonté qu'elle suppose est une volonté qui ne saurait être divisée, parce qu'elle propose au peuple suisse - quelle que soit votre opinion, il faut voir cela sous l'angle juridique - une orientation nouvelle de la politique de sécurité qui ne serait plus fondée sur le seul volet militaire, mais également sur le développement de la sécurité sociale et des actions préventives.

C'est une idée avec laquelle vous pouvez être d'accord ou pas, mais là n'est pas l'objet. Par contre, cette idée a une valeur en tant que telle et ne souffre pas d'être coupée en tranches, car elle suppose que ce qu'on aurait économisé dans le volet traditionnel soit investi dans un volet nouveau, et non pas simplement supprimé. Il y a donc une cohérence et unité de la matière. Comme M. Gilly l'a dit, tout ceux qui ont examiné de près l'initiative, que ce soit la chancellerie fédérale, un certain nombre de professeurs ou le Conseil fédéral, l'ont admis, mais il a fallu le Conseil des Etats pour être d'un autre avis.

Comment peut-on changer les règles en plein milieu du jeu ? Cela n'est pas acceptable ! C'est pourtant ce que veut faire le Conseil des Etats ! Or, le même parlement, qui veut soudainement annuler une initiative, au titre de modification de la définition de l'unité de la matière, est prêt à plonger le pays dans le désarroi au sujet de la dixième révision de l'AVS, puisque beaucoup de gens - nous-mêmes au parlement avons voté une motion dans ce sens - auraient souhaité que les questions qui divisent l'opinion soient posées de manière séparée. Le même parlement, qui applique de manière rétroactive une nouvelle définition de l'unité de la matière, veut interdire à l'avenir les initiatives avec effet rétroactif. En quelque sorte, on peut traduire cette façon d'agir par : «Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais !». M. Gilly a parlé de «dérive», et je crois que la manière de procéder du Conseil des Etats démontre une grande incohérence.

Le 20 juin prochain se déroulera le débat décisif, puisqu'il n'y a aucun recours possible, et il nous appartient de clamer haut et fort notre attachement à la démocratie. Nous devons dire ce soir que nous ne sommes pas d'accord que l'on fasse joujou avec la démocratie. Les droits populaires sont le fondement de notre système politique, comme on nous le rappelle au début de chaque séance. Il faut donc être conséquents et rester fermes sur ce qui fonde les règles du jeu.

Pour terminer, je souhaite que les députés genevois au Conseil des Etats soient unis lors de ce débat. Je rappelle à nos collègues du parti radical que le conseiller des Etats de leur parti a voté en faveur de la recevabilité : soyez donc à l'aise avec la résolution que nous proposons.

M. Jean-François Courvoisier (S). En automne 1989, la majorité des citoyens de notre canton s'est prononcée pour une Suisse sans armée. Cette majorité s'est aussi prononcée contre l'achat des FA-18, malgré les espoirs fallacieux donnés par les partisans de l'acquisition de ces avions qui prétendaient que cet achat créerait des emplois en Suisse. Nous en voyons aujourd'hui le résultat, puisque même le très sérieux «Journal de Genève» a osé écrire, il y a quelques semaines, que ces espoirs n'étaient qu'un miroir aux alouettes.

Quelle que soit notre opinion concernant notre défense nationale, notre parlement doit tout mettre en oeuvre pour permettre à notre population de s'exprimer sur cette initiative. Lorsque le Conseil des Etats déclare cette initiative irrecevable, en s'appuyant sur des arguments juridiques contestables, il attaque notre démocratie en empêchant le peuple suisse d'exprimer sa volonté. J'ose espérer que, dans notre parlement, les plus farouches partisans de notre armée croient encore assez à la démocratie pour se joindre à ceux qui demandent au Conseil national de se prononcer contre la décision du Conseil des Etats, car, si l'on ne défend la liberté de s'exprimer que pour soi-même, c'est que l'on a cessé de croire à la liberté.

M. Pierre Kunz (R). Lorsqu'il fut question des FA-18, il n'y avait pas beaucoup de gens parmi les représentants de la majorité pour défendre l'initiative. Ce fut pourtant mon cas. Aujourd'hui je maintiens que l'ampleur du budget militaire de notre pays constitue un gaspillage inacceptable mais, s'agissant de cette résolution, je ne peux que dire : NON ! Décidément non ! (Rires.)

L'initiative dite «Pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix» est vraiment trop démagogique et incohérente pour que je puisse soutenir une résolution visant, en quelque sorte, à la réhabiliter. N'en déplaise à M. Longet, cette initiative n'est pas conforme à l'esprit des droits populaires, comme d'ailleurs beaucoup d'autres en cette matière. Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs les députés, à rejeter cette résolution.

M. Michel Halpérin (L). Cette proposition de résolution ne porte pas véritablement sur le budget militaire, ni sur celui de la Confédération, ni sur la politique de paix, mais sur un problème juridique qui est de savoir si les initiatives - et à quelles conditions - doivent être déclarées recevables ou irrecevables. Vous vous souvenez que c'est un débat que nous avons parfois commencé à entamer, au sein même de ce Grand Conseil.

Je suis frappé du fait qu'un certain nombre d'entre nous, pour ne pas dire la totalité, soyons prêts à voter sur une proposition de résolution concernant le texte d'une initiative que nous n'avons pas lu, comme c'est mon cas. Je ne connais pas cette initiative, et je n'ai pas l'intention de m'ériger aujourd'hui en censeur du Conseil des Etats, ni de procéder à une lecture juridique a posteriori sur un texte que je ne connais pas.

Par conséquent, ces deux raisons suffisent, en ce qui me concerne, pour que je ne puisse pas me joindre à la proposition de MM. Longet, Gilly et Mmes Roset et Bugnon. Je voterai donc contre cette résolution.

Mme Claire Chalut (AdG). On constate de plus en plus qu'on s'achemine lentement, mais en tout cas sûrement, vers la suppression par petits pans de ce qui a toujours été la fierté helvétique, c'est-à-dire notre démocratie directe. L'originalité de celle-ci voulait que la population suisse puisse exprimer, via des initiatives, sa volonté d'une politique ou d'une autre. Actuellement, on veut effectivement mettre un terme à cette expression populaire, puisque les projets de modification vont dans le sens d'une augmentation du nombre des signatures nécessaires de 100%, et de même pour les référendums.

A notre point de vue, cette résolution nous semble fondamentale. Il est indispensable de ne pas favoriser davantage l'armement et l'esprit militaire, dans le futur, car ce n'est pas ainsi qu'on arrivera à trouver les moyens de construire la paix en ce monde. Je ne peux ici que vous encourager à soutenir cette résolution et à charger le Conseil d'Etat de rappeler que Genève a voté majoritairement en 1989 pour la suppression de l'armée et qu'elle souhaite suivre cette direction.

M. Luc Gilly (AdG). Je m'étonne que M. Halpérin mette en doute 99% des avis des juristes fédéraux. On a bien expliqué, Monsieur Halpérin, qu'il ne s'agissait pas de discuter du contenu de l'initiative mais bien d'un principe démocratique bafoué.

Pas plus tard que mardi, dans cette salle, M. Lescaze, dans ses nouvelles fonctions, nous a rappelé...

Une voix. Il n'est pas là ce soir...

M. Luc Gilly. Tant pis pour lui ! Il est étonnant qu'on fasse si peu de cas des droits démocratiques dans ce parlement ! C'est une catastrophe ! Je vous rappelle que M. Lescaze nous a dit que nous avions été élus pour défendre les droits de nos citoyens et, en priorité, les règles de la démocratie. Ce soir, je constate qu'une partie de ce parlement méprise la volonté de cent dix mille citoyens et citoyennes, qui attendent que soit soumise au peuple et que soit discutée publiquement cette initiative. En refusant cette possibilité de vote, vous vous réfugiez dans les analyses pour le moins fallacieuses du Conseil des Etats et des commissions contre l'avis de tous les experts reconnus par la Confédération. Craignez-vous peut-être déjà le résultat d'un vote, alors que le débat public n'est même pas engagé ?

J'ai entendu, sur les bancs d'en face, que vous vouliez une Europe démocratique. Ce soir, vous empêchez ce processus démocratique dans notre pays. Vous avez peur d'un débat public traitant de l'enjeu entre dépenses militaires, dépenses sociales et, éventuellement, politique de paix. Je constate que vous n'êtes pas prêts à changer d'un iota la vision militaire de votre pays et du monde.

L'ensemble de ces dépenses liées à la défense nationale nous permettrait de réaliser treize traversées de la rade chaque année, puisque ce sont treize milliards que nous gaspillons chaque année pour la défense nationale. Dans dix ans, nous pourrions nous en payer cent trente ! Qui dit mieux ? Plus que de la mauvaise foi... (Protestations.)

La présidente. Monsieur Gilly, attendez que le calme revienne !

M. Luc Gilly. ...ce refus est la manifestation de l'arrogance d'une poignée d'élus. Le respect d'une volonté manifestée par cent dix mille signatures devient une entité négligeable devant le caractère sacré et intouchable de l'armée. Déjà méprisé sous l'uniforme, le citoyen - et la citoyenne - a l'impression de l'être davantage, lorsque ses chefs militaires troquent la tenue de combat contre la toge du sénateur.

Evidemment l'argument sur l'unité de la matière est spécieux. (Chahut.) Cette décision formelle vise aussi à éviter le débat, car elle empêche l'ouverture d'une discussion publique sur le programme d'armement de 1995, alors qu'on nous propose d'économiser 800 millions par an sur le dos des femmes en les obligeant à travailler jusqu'à l'âge de 64 ans. Ce nouveau programme n'est pas seulement un scandale, mais une provocation ! Provocation également pour les deux cent mille chômeurs dont on a progressivement réduit les indemnités ! Provocation encore pour toutes les femmes, qui depuis 50 ans attendent une véritable assurance-maternité jugée trop coûteuse !

La présidente. Monsieur Gilly, vous sortez du cadre de nos débats. Je suis navrée de devoir vous rappeler à l'ordre ! Il ne s'agit pas de se prononcer sur l'initiative concernant l'AVS. Revenons à notre proposition de résolution. (Chahut.) Mesdames et Messieurs les députés, vous avez voté dans l'enthousiasme la prolongation de nos travaux, alors maintenant, faites preuve d'un peu de courtoisie vis-à-vis de M. Gilly !

M. Luc Gilly. Il ne s'agit pas de courtoisie mais de prendre une décision et de soutenir un droit démocratique. Je reprendrai la parole tout à l'heure, si nécessaire !

Des voix. Non !

M. Pierre Vanek (AdG). Notre débat de ce soir ne porte pas... (M. Dupraz interrompt l'orateur.)

M. Pierre Vanek. Merci, Monsieur Dupraz de vos contributions utiles !

La présidente. Monsieur Dupraz, je vais vous envoyer à la pêche ! (Rires et applaudissements.)

Des voix. Du-praz-à-la-pêche ! Du-praz-à-la-pêche ! Du-praz-à-la-pêche ! (Applaudissements en rythme.)

La présidente. Monsieur Vanek, vous avez la parole !

M. Pierre Vanek. Désolé, Monsieur Dupraz, pour l'inconfort que je vous cause en ayant les manches retroussées, mais je crois que nous avons des choses plus sérieuses à discuter ce soir. J'aimerais y revenir.

L'essentiel des arguments a été avancé. Nous ne discutons pas ici du fond de l'initiative, s'il faut être pour l'état actuel des dépenses militaires, ou si, comme M. Kunz, il faut considérer que c'est un gaspillage scandaleux. Nous ne discutons pas de cela mais d'une question essentielle par rapport aux droits populaires dans ce pays.

A mon sens, une décision d'invalidation de cette initiative relève plus de la logique du coup d'Etat que d'une logique du fonctionnement normal des institutions. C'est une démarche particulièrement lâche de la part de ceux qui sont en désaccord avec le contenu de cette initiative, mais qui n'osent apparemment pas aller devant le peuple et combattre avec des arguments sur le fond pouvant être écoutés par la population, et qui se cachent derrière des arguties juridiques parfaitement inacceptables.

A l'évidence, il y a UNE idée dans cette initiative : dépenser moins pour l'armée et plus pour la sécurité sociale. Les deux tiers des économies réalisées devraient être consacrés à cela et le reste à une politique de paix. Il ne s'agit pas, ce soir, de savoir si l'on est d'accord avec cette idée ou pas, mais si on accepte que plus de cent mille citoyens puissent soumettre une idée unique, claire, simple, au peuple ou non. L'argument le plus scandaleux que nous ayons entendu, ce soir, est celui de Me Halpérin, qui nous a certes habitués à un certain nombre d'arguments tirés par les cheveux. (Applaudissements.)

Il n'a pas lu l'initiative; il ne sait pas de quoi elle parle; en conséquence, le brave homme ne peut pas se prononcer ! Cela signifie que, pendant un certain nombre de mois ou de semaines, il a évité de lire les journaux, de s'informer un minimum. Bref, on peut considérer que c'est une conception un peu particulière de l'exercice du mandat de député, qui règne parfois dans ce parlement. (Protestations.)

Pour rassurer Me Halpérin sur la question, cette initiative est toute simple : il s'agit de couper 50% des dépenses militaires... (Rires.) ...et de les affecter au social. Il y a un certain nombre de paliers prévus. Je ne rentrerai pas dans le détail de l'initiative. (Brouhaha.)

Mais il a eu le culot de dire qu'il n'avait pas lu le texte, qu'il ne pouvait donc pas se prononcer, et devait alors refuser cette résolution ! Je dirais même que si vous étiez tous dans cette situation sur les bancs d'en face...

Une voix. C'est même pas vrai !

M. Pierre Vanek. Evidemment que ce n'est pas vrai ! Comme dit M. Balestra...

La présidente. On va requérir la force publique dans un moment !

M. Pierre Vanek. Comme le dit M. Balestra, ce n'est pas vrai, bien sûr ! Mais si vous étiez tous dans cette situation, ne sachant pas ce que contenait cette initiative, je crois que, par défaut de connaissances, il vous fallait interpréter une telle décision sur les droits démocratiques dans le sens - comme nous l'a rappelé Mme la présidente sur le fonctionnement de ce Grand Conseil - de l'interprétation la plus extensive possible et, en conséquence, soutenir cette résolution.

La présidente. Ce n'était pas sur le même sujet, Monsieur Vanek !

M. Pierre Vanek. Non, c'était moins grave !

Mme Martine Roset (PDC). Je ne veux pas rentrer dans ce débat qui dérape, mais j'aimerais vous dire, Monsieur Halpérin, que, dans la suite logique de votre non-connaissance de cette initiative, j'aurais compris votre abstention. Or, en votant non, vous prenez position ! (Rires.)

Je répète que le débat de ce soir concerne uniquement la recevabilité de l'initiative et non son contenu. (Applaudissements.)

La proposition de résolution est mise aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cette résolution est adoptée par 40 oui contre 38 non.

Elle est ainsi conçue :

rÉsolution

concernant l'initiative populaire «Pour moins de dépenses militaireset davantage de politique de paix»

LE GRAND CONSEIL,

- considérant la décision du Conseil des Etats du 22 mars 1995 de déclarer irrecevable l'initiative populaire «Pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix»;

- considérant que Genève doit défendre le droit de vote et se prononcer démocratiquement sur les initiatives proposées, selon les règles usuelles en vigueur,

invite le Conseil national

à ne pas suivre le prononcé d'irrecevabilité du Conseil des Etats et de permettre ainsi au débat d'avoir lieu sur le fond.

 

La séance est levée à 20 h 20.