République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du mercredi 22 mars 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 5e session - 9e séance -autres séances de la session
No 9
Séance extraordinaire
Mercredi 22 mars 1995,
soir
Présidence :
Mme Françoise Saudan,présidente
La séance est ouverte à 17 h.
Assistent à la séance : MM. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat, Jean-Philippe Maitre, Claude Haegi, Gérard Ramseyer et Mme Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat.
1. Exhortation.
La présidente donne lecture de l'exhortation.
2. Personnes excusées.
La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance : MM. Guy-Olivier Segond et Philippe Joye, conseillers d'Etat, ainsi que Mme et MM. Fabienne Bugnon, Hervé Dessimoz, René Ecuyer, Luc Gilly, David Hiler, Armand Lombard, René Longet et Alain-Dominique Mauris, députés.
RAPPORT DE MAJORITÉ
La commission fiscale a étudié lors de 8 séances qui se sont tenues entre le 30 septembre 1994 et le 14 février 1995 l'initiative populaire intitulée «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques» lancée par la «Coordination de solidaritéS».
Notre commission fut présidée durant ces travaux par M. Jean-Luc Ducret, puis par M. Daniel Ducommun. Nous avons bénéficié de l'assistance de M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat, président du département des finances (DF), M. Daniel Brauen, administrateur général de l'administration fiscale (DF) et M. Pietro Sansonetti, directeur des affaires fiscales de l'administration fiscale (DF).
1. Rappel des propositions de l'initiative 101 et simulation financière
L'initiative 101 institue un fonds pour l'emploi, affecté à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie, de la production d'énergies renouvelables.
Un impôt supplémentaire serait prélevé sur le capital et le bénéfice net des personnes morales. Pour le capital, il s'agirait d'un taux de contribution de 0,15% de la part du capital imposable supérieure à 10 millions de francs. Pour le bénéfice net, concrètement, il s'agirait d'augmenter le taux minimum de 2%. Pour les sociétés holdings, il s'agirait de prélever 0,01% du capital imposable.
Ces impôts seraient soumis aux centimes additionnels cantonaux et, semble-t-il, communaux. L'évaluation faite par le département montre que, pour le canton, cela rapporterait 42 millions de francs pour l'impôt sur le capital et 30 millions pour l'impôt sur le bénéfice la première année, sur la base de la situation actuelle.
2. Auditions
a) Audition de Coordination solidaritéS
Coordination solidaritéS est représentée par M. Batou, Mme Filipowski et M. Godinat. Ces derniers précisent que leur comité a cherché une solution au déficit des finances publiques à partir de la constatation que les revenus des personnes morales ont crû plus vite pendant les années 80 que ceux des salariés. Ils estiment, dès lors, que les personnes morales doivent participer à la relève des finances publiques. Cette augmentation de la fiscalité n'aurait pas, selon eux, de répercussions négatives sur l'économie. D'autre part, ils déclarent que cette initiative touche le point central de la crise économique en associant les préoccupations des chômeurs et celles de l'Etat. Enfin, ils expliquent que les lois du marché ne peuvent résoudre une situation de chômage structurel.
b) Audition de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève
La Chambre de commerce et d'industrie est représentée par M. Jean-Rémi Roulet et M. Pierre Cogne. Ces derniers estiment que le redressement des finances publiques ne peut intervenir que par des efforts portant sur les dépenses et les recettes. L'effort sur les dépenses doit se faire prioritairement par une diminution de la masse salariale. En ce qui concerne les recettes, ils estiment qu'il ne s'agit pas d'augmenter les impôts, ce qui ne manquerait pas de provoquer un exode de gros contribuables (personnes physiques ou personnes morales), et en particulier de sociétés holdings. A l'opposé, ils estiment qu'en conservant ou en retrouvant des taux fiscaux incitatifs, on pourrait augmenter le nombre des contribuables qui pourvoient le plus aux recettes de l'Etat.
Les représentants de la Chambre rappellent que le Grand Conseil vient de faire passer le taux minimum d'imposition du bénéfice des personnes morales de 4% à 6%. Dès lors, accepter cette initiative aboutirait à monter ce taux de 6% à 8%, soit une augmentation de 100% par rapport au taux en vigueur jusqu'à fin 1994, ce qui leur semble inacceptable.
Les initiants semblent viser les sociétés à forte capitalisation, en fait, ils vont toucher toutes les sociétés avec des faibles bénéfices, ce qui n'est manifestement pas équitable.
Enfin, la Chambre relève son incompréhension quant au fait de savoir si ces impôts complémentaires seront soumis aux centimes additionnels communaux ou non.
c) Audition de la Fédération des syndicats patronaux
La Fédération des syndicats patronaux est représentée par MM. Barde, Mathey et Roduit. La Fédération constate que, pour l'essentiel, l'initiative 101 vise à la création de postes de travail d'utilité publique. Il y aurait lieu de rappeler que la loi sur l'assurance-chômage actuellement en discussion aux Chambres fédérales, et le revenu minimum d'aide sociale que le Grand Conseil vient de voter, prévoient notamment des tâches de ce type. L'initiative 101 viendrait donc se superposer à tous ces dispositifs, sans que les questions d'organisation, d'encadrement et de financement soient, quant à elles, réglées le moins du monde. Il est rappelé que le canton de Genève (Etat, communes, entreprises, salariés et contribuables) contribue déjà à l'heure actuelle pour plus de 600 millions de francs par an au traitement du chômage. L'augmentation du taux de 2% à 3% accroîtra ce montant de quelque 130 millions de francs.
Quant aux moyens, ils consistent une fois de plus à ponctionner les entreprises alors même qu'il conviendrait de préserver leur substance afin qu'elles puissent créer des emplois. Il est constaté que Genève a globalement une fiscalité très lourde en comparaisons intercantonales, sans compter la taxe professionnelle qui est prélevée dans notre seul canton.
d) Audition de M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat, président du département de l'économie publique
M. Maitre a longuement expliqué la révision partielle de la loi fédérale sur l'assurance-chômage qui est actuellement en discussion au niveau des Chambres fédérales. Il existe toujours des divergences entre le Conseil national et le Conseil aux Etats. Dès lors, les travaux ne seront pas bouclés avant le mois de juin, ce qui est bien évidemment gênant pour le traitement de l'initiative 101. En effet, les travaux fédéraux auront de toute façon des répercussions sur la possibilité de financer des emplois d'utilité publique.
Les principes essentiels sur lesquels se base la révision en cours sont les suivants:
- privilégier les mesures actives telles que des cours ou des occupations temporaires;
- obligation pour les cantons de mettre en place ces cours et occupations temporaires, faute de quoi ils auraient des charges financières importantes;
- délai de carence de 12 mois pour les bacheliers au terme de leur formation académique, à moins qu'ils ne participent à des mesures actives;
- délai de carence de 5 jours appliqué à toute personne au début de sa période de chômage (mesure inappropriée pour M. Maitre).
M. Maitre a ensuite donné quelques informations sur les emplois temporaires à Genève. Ce système est prévu dans la loi cantonale sur le chômage pour chaque chômeur arrivant en fin de droit. Il occupe alors un emploi dans une administration cantonale, communale ou dans une institution d'utilité publique. En 1994, 3200 emplois temporaires ont été mis en place pour des périodes allant de 3 à 12 mois. Ce programme a coûté en 1994 64 millions de francs. Il s'agit donc d'un effort énorme mais justifié, selon le Conseil d'Etat, si l'on prend en compte l'aspect qualifiant de ces programmes.
Il constate que la révision fédérale va dans le sens du programme cantonal existant. En tout état de cause, le canton ne diminuera pas son effort dans ce domaine. Quelle que soit la variante adoptée par les Chambres fédérales, il est vraisemblable que Genève dépensera moins en financement propre, car la Confédération participera au coût. Par conséquent, l'initiative 101 risque de ne plus être actuelle face à la révision de la LACI.
Enfin, M. Maitre estime que l'initiative 101 est floue quant à la notion d'emplois d'utilité publique et écologiques. Il conviendrait de définir ce que pourraient être ces emplois face à ce qui se fait déjà. De plus, il faut être attentif à la concurrence avec les entreprises privées.
3. Position de la majorité de la commission
La majorité de la commission estime qu'il n'est ni légitime ni judicieux d'envisager une augmentation de la fiscalité pour les personnes morales. En effet, la très mauvaise situation économique qui prévaut actuellement à Genève doit pousser les autorités à multiplier les mesures incitatives pour les entreprises. Il s'agit de favoriser l'implantation ou la création de sociétés ainsi que le développement des entreprises déjà établies. C'est donc dire que l'initiative va fondamentalement dans le sens inverse de la solution la plus appropriée pour créer de nouveaux postes de travail. Nous voyons donc que ce fonds, bien mal nommé, pour l'emploi amènerait sans doute une détérioration de la situation des entreprises et donc une aggravation du chômage. De plus, le canton de Genève, grâce à son programme d'occupation temporaire et au revenu minimum d'aide sociale, est l'un des plus généreux et actifs de toute la Suisse quant à l'assistance des chômeurs. Il ne s'agit pas, dès lors, de lancer de nouvelles aides qui feraient double usage et qui provoqueraient des problèmes d'organisation, d'encadrement et de financement.
L'étude plus technique de cette initiative montre les faiblesses suivantes:
- Une augmentation de l'impôt sur le capital pour les sociétés ayant des fonds propres de plus de 10 millions de francs toucherait les quelque 450 sociétés concernées (voir tableau annexé) quel que soit leur niveau de rentabilité. C'est donc dire que nous aurions des grandes sociétés subissant des pertes et luttant pour leur survie qui devraient assumer une charge fiscale plus importante. De plus, de nombreuses sociétés ayant augmenté année après année leurs fonds propres dans un souci de sécurité et de saine gestion seraient pénalisées par cette augmentation fiscale, alors que la loi genevoise sur les contributions publiques, au contraire, encourageait la capitalisation. Enfin, Genève a la particularité d'avoir de nombreuses sociétés liées à des activités de service et qui peuvent donc relativement facilement déménager sous des cieux bien plus cléments en matière fiscale. Nous pensons, en particulier, aux sociétés bancaires ou financières, sans oublier les entreprises actives dans d'autres domaines comme le négoce, l'informatique, l'assurance, etc. Il s'agit aussi de ne pas oublier les sociétés holdings qui ont, par définition, une mobilité totale. Le taux proposé par l'initiative pour ces sociétés holdings correspondrait au triple de celui en vigueur actuellement. Les sociétés holdings ayant bien évidemment, en raison de leur but, soit la détention de participations, des fonds propres élevés, cela amènerait une aggravation très importante de leur fiscalité. Cela provoquerait inévitablement un exode de ces sociétés vers d'autres cantons.
- L'augmentation de la fiscalité sur les bénéfices des personnes morales aurait l'immense désavantage de toucher toutes les sociétés, y compris les PME, qui ont un rendement inférieur à 10,66% En effet, actuellement ces entreprises paient un impôt de base (sans les centimes additionnels cantonaux et communaux) de 6% pour les sociétés ayant un rendement inférieur à 8% et un impôt allant de 6% à 8% pour les sociétés ayant un rendement compris entre 8% et 10,66%. Avec la proposition de l'initiative 101, toutes ces entreprises avec des faibles rendements verraient leurs taux de base passé à 8%. Est-ce normal de taxer plus lourdement les sociétés avec des faibles rendements? Cette proposition est choquante surtout si l'on considère que le taux minimum vient de passer de 4% à 6% alors que le taux maximum, lui, baissait de 15% à 14%. Autrement dit, avec cette initiative le taux doublerait (de 4% à 8%) en quelques mois. Les initiants n'ont pas estimé nécessaire de tenir compte de la modification législative antérieure qui allait totalement dans le sens de leur proposition sur cet aspect-là de leur projet.
- L'initiative 101 déroge à l'article 8 de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat qui prescrit que «les impôts ne peuvent pas en règle générale être attribués à la couverture d'un type particulier de tâches». L'initiative est, de plus, extrêmement peu précise sur la manière dont seraient utilisées les ressources du fonds. De plus, pourquoi limiter ce fonds à la création de postes de travail d'utilité publique dans le domaine social ou écologique et notamment pour l'économie d'énergie et la production d'énergies renouvelables? Les autres occupations seraient-elles incompatibles avec l'éthique des initiants ou bien veulent-ils influencer par ce biais la politique des autorités en la matière ? Quelle que soit la véritable intention des initiants, cela nous semble réducteur pour les chômeurs que de voir limités à des domaines aussi stricts leurs postes de travail.
Ces éléments politiques et techniques ont conduit la majorité de la commission à estimer qu'il était impossible de rentrer en matière sur cette initiative 101.
4. L'hypothétique contreprojet du Parti Socialiste
Lors de l'avant-dernière séance, soit le 7 février 1995, les commissaires socialistes ont proposé un contreprojet à cette initiative. Celui-ci instituerait un taux unique d'impôt sur le bénéfice net. Celui-ci se monterait à 12%. L'idée d'un taux unique, à défaut d'être innovatrice (nous en avions parlé lors d'un précédent débat lié au «fameux amendement Sayegh») est séduisante. En effet, cela correspond à une conception de la fiscalité plus moderne et plus proche des normes européennes. Pourtant, nous avons dû formuler un certain nombre d'objections, bien que nous ne soyons pas opposés au principe du taux unique:
- Le taux de 12% est sans doute beaucoup trop élevé. En effet, même si les simulations nécessaires n'ont pas pu être faites, faute de temps, il est évident que ce taux amènerait une ponction fiscale globale sur les entreprises beaucoup plus importante qu'actuellement. Cela correspondrait à une majoration de 100% (sans même tenir compte de l'augmentation de 4% à 6% qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1995) de l'impôt pour toutes les sociétés qui ont de faibles rendements. Ce taux de base unique de 12% amènerait à un taux d'environ 28% avec les centimes additionnels cantonaux et communaux pour toutes les entreprises. Or le bénéfice net distribué est encore, bien évidemment, taxé chez l'actionnaire par le biais de l'impôt sur le revenu (phénomène de la double imposition économique: l'entreprise et l'actionnaire). Cela amènerait une charge fiscale beaucoup trop lourde en comparaisons intercantonales et internationales. Existerait-il encore des motivations suffisantes pour les entrepreneurs? Nous en doutons.
- Il s'agirait d'étudier, en parallèle du taux unique, l'éventuelle suppression de l'impôt sur le capital. En effet, l'aspect incitatif pour une forte capitalisation de la législation actuelle serait totalement abandonné par l'instauration d'un taux unique. Il ne resterait que l'aspect pénalisant par le biais de l'impôt sur le capital, ce qui n'est pas acceptable.
- La nouvelle législation en vigueur sur le traitement des initiatives nous imposait de stricts délais de traitement, il était dès lors impossible de trouver de bonnes solutions à ces multiples interrogations et divergences en deux séances.
En une phrase, le groupe socialiste a visé trop vite et trop haut et c'est pourquoi par 5 députés (3 L, 2 DC) contre 5 (2 S, 2 ADG, 1 E) et 2 abstentions (2 R), la commission a refusé d'opposer un contreprojet à l'initiative 101.
5. Conclusion et votes
La relance de l'économie à Genève est un objectif ambitieux mais incontournable pour que Genève retrouve une certaine sérénité et puisse continuer à financer des programmes sociaux aussi importants et généreux que ceux que nous avons actuellement. Il s'agit donc de ne pas détériorer les conditions cadres pour les entreprises, au nombre desquelles figure la fiscalité.
Cette raison fondamentale, ainsi que les problèmes techniques évoqués ci-dessus, ont conduit la majorité de la commission par 7 voix (3 L, 2 R, 2 DC) contre 5 voix (2 S, 2 ADG, 1 E) à refuser l'initiative 101.
INITIATIVE POPULAIRE
«Pour des emplois d'utilité publique et écologiques»
Les soussignés, électeurs et électrices dans la République et canton de Genève, en application des articles 64 et 65 de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, et des articles 86 à 93 dela loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, appuyent la présente initiative rédigée, instituant un fonds cantonal affecté aux dépenses pour l'emploi.
LOI
instituant un fonds pour l'emploi
(D 3 19)
Article 1
But
1 La présente loi institue un fonds cantonal pour l'emploi, affecté à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie, de la production d'énergies renouvelables.
2 Les ressources du fonds s'ajoutent à celles que l'Etat affecte déjà à ces domaines.
Art. 2
Objet
Le fonds cantonal est alimenté par une contribution prélevée sur le capital et le bénéfice net des personnes morales.
Art. 3
Assujettisse-ment
Sont astreintes au paiement de la contribution les personnes morales assujetties à l'impôt cantonal en application de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887.
Art. 4
Base
d'imposition
Le capital et le bénéfice net imposables sont déterminés conformément aux dispositions de la loi générale sur les contributions publiques.
Art. 5
Exécution
La contribution due par les personnes morales n'est pas perçue sur les sociétés coopératives, les associations et les fondations.
Art. 6
Exception
La contribution due par les personnes morales mentionnées à l'article 65 de la loi générale sur les contributions publiques, notamment, les holdings, équivaut à 0,1% du capital imposable.
Art. 7
Taux de la
contribution
due par les
personnes
morales
1 La contribution des autres personnes morales est constituée par un impôt supplémentaire prélevé sur le capital et le bénéfice net.
2 Le taux de la contribution sur le capital équivaut à 1,5% de la part du capital imposable supérieure à 10 millions de francs.
3 La contribution sur le bénéfice net est uniquement perçue auprès des personnes morales dont l'impôt sur le bénéfice net, calculé en application de l'article 73 de la loi générale sur les contributions publiques, est inférieur au taux minimum légal augmenté de 2%. Le taux de cette contribution équivaut à la différence entre le taux de l'impôt sur le bénéfice net et le taux minimum légal augmenté de 2%.
Art. 8
Centimes
additionnels
Les centimes additionnels prévus par la loi annuelle sur les dépenses et les recettes du canton de Genève sont perçus sur la contribution due par les personnes morales et sont affectés au fonds cantonal pour l'emploi.
Art. 9
Application
de la loi
générale sur
les contri-
butions
publiques
1 Les dispositions de loi générale sur les contributions publiques s'appliquent en tant que la présente loi n'y déroge pas.
2 Sont notamment applicables par analogie les dispositions de la loi générale sur les contributions publiques concernant les exemptions, les procédures de taxation, de réclamation et de recours, la perception, ainsi que les pénalités.
Art. 10
Entrée en
vigueur
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier de l'année qui suit son acceptation en votation populaire.
RAPPORT DE PREMIÈRE MINORITÉDE L'ALLIANCE DE GAUCHE
Le 6 décembre 1993, lors de sa prestation de serment, le Conseil d'Etat déclarait: «Notre première priorité sera l'emploi». L'initiative qui nous est proposée s'intitule « Pour des emplois d'utilité publique et écologiques ». Et pourtant elle n'a trouvé grâce ni devant le Conseil d'Etat, ni devant la majorité de la commission fiscale.
La lutte pour l'emploi
Dans son rapport relatif à cette initiative, le Conseil d'Etat ne craint pas d'affirmer: «Certes, dans le cas d'espèce, la destination des fonds collectés a priori sans limite, encore qu'il y a toutes les raisons d'escompter la disparition à terme de la tâche d'utilité publique que constitue l'embauche des chômeurs en fin de droit, au gré de la reprise économique attendue». Que voilà un bel optimisme! De fait l'analyse du Conseil d'Etat est erronée: il continu à croire - et en l'espèce il s'agit bien de croyance - que la reprise économique s'accompagne automatiquement d'une demande suffisante en matière d'emploi pour permettre une baisse significative du chômage.
La réalité est tout autre. Depuis le début de l'année 1994, nous constatons une certaine progression du PIB et pourtant, le chômage a continué à progresser comme l'indique le graphique ci-après relatif à l'évolution depuis 1990, en moyenne annuelle, du nombre de chômeurs:
La crise économique que nous connaissons est une crise de longue durée. Elle comporte un volet structurel important qui n'a pas fini de développer ses effets. Ainsi, nombreux sont les investissements de rationalisation qui conduisent à des destructions de postes de travail et qui ne sont pas compensés par les créations d'emplois. Le secteur bancaire et celui des assurances notamment prévoient des pertes de postes de travail importantes dans les années à venir.
Dans ces conditions, affirmer, comme le fait le Conseil d'Etat, qu'il n'est pas nécessaire d'engager de nouveaux moyens pour lutter contre le chômage c'est refuser de voir la réalité en face et ce d'autant que le chômage de longue durée ne fait que s'aggraver. La réalité est, qu'aujourd'hui, l'économie privée n'est pas en mesure de répondre aux besoins en matière de travail. La majorité de la commission considère qu'il faut pratiquer la politique du « laisser faire » sans se soucier des dégâts considérables que cela entraîne dans la vie quotidienne des milliers de sans-emploi de notre canton. Si tel n'était pas le cas, cette même majorité aurait reconnu que l'objectif de l'initiative valait la peine d'être soutenu et, pour le moins, aurait proposé un contreprojet.
La fiscalité
L'initiative prévoit la création d'un fonds cantonal pour l'emploi, affecté à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables. Le financement de ce fonds doit être assuré par de nouvelles recettes fiscales - évaluées à environ 50 millions de francs par an - prélevées auprès des sociétés dont le capital imposable est supérieur à 10 millions. L'initiative prévoit un relèvement de 0,1% de l'imposition des holdings, une contribution sur la part du capital imposable supérieure à 10 millions de 1,5%, ainsi qu'une augmentation du taux minimum légal d'imposition du bénéfice net le portant ainsi à 8%.
Lors de l'examen du budget 1995, nous avions déjà signalé la volonté affichée de la majorité, non seulement de ne s'attaquer qu'aux seules dépenses, mais encore de refuser toute augmentation des recettes fiscales, voire de les supprimer dans un certain nombre de cas comme dans celui de l'impôt sur les gains immobiliers après 25 ans de possession. Les auteurs de l'initiative prennent le contre-pied de cette politique. Partant d'une nécessité, la lutte contre le chômage qui, d'une manière ou d'une autre, alourdit les charges de l'Etat, ils proposent une modeste hausse de la fiscalité pour les sociétés les mieux loties.
De manière générale, et contrairement aux idées reçues, il convient de rappeler ici que la part des recettes fiscales rapportées au revenu cantonal a diminué:1
1 Source: Recettes, dépenses et endettement du canton de Genève, université de Genève, département d'économie politique.
Ces données, qui expliquent en partie les raisons du déficit des finances publiques, montrent aussi que le «poids» de l'Etat dans l'économie n'est pas aussi élevé que certains voudraient le faire croire. Face à des besoins aussi essentiels que la création d'emploi dont le bénéfice, notamment sur les plans social et écologique, profiteront à toute la société, il existe une marge de manoeuvre.
Les auteurs de l'étude précédemment citée ont montré qu'entre 1987 et 1992, la part de l'impôt sur les personnes morales en pourcentage du total des recettes fiscales a diminué, passant de 12,5% à 11,5%. Les partisans de l'initiative, en prévoyant une augmentation modeste de la taxation des plus grandes sociétés, ne mettent nullement en cause l'existence de celles-ci sur le territoire de notre canton. Chacun sait que la présence, à Genève, de ces sociétés dépend de bien d'autres facteurs que la seule question de la fiscalité à commencer par l'environnement général dont elles bénéficient tant en matière d'infrastructure que de conditions de vie pour leur personnel. Le département de l'économie publique, dans sa brochure à l'intention des investisseurs intitulée «Comparaisons internationales», montre que Genève est très attractive en regard de sept grandes villes européennes, qu'il s'agisse de la fiscalité sur les sociétés, de la durée du travail, de l'absentéisme ou des coûts immobiliers.
L'initiative prévoit une contribution supplémentaire pour les sociétés dont le capital imposable est supérieur à 10 millions de francs. Le nombre de ces sociétés a évolué de la manière suivante depuis 1985:
Au nombre de 307 en 1985, ces sociétés fortement capitalisées sont 466 en 1993, soit une progression de 52%. Pendant la même période le nombre de personnes morales est passé de 19 142 à 21 633, soit une augmentation de 13%. A l'évidence nous assistons à une progression relative des sociétés fortement capitalisées quatre fois plus importante que celle de l'ensemble des personnes morales. Par ailleurs, en 1993, le 40% de ces sociétés au capital de plus de 10 millions de francs provenait du secteur bancaire et financier dont on connaît l'excellente tenue en matière de bénéfice. Or, là encore, le mode de calcul de l'impôt sur le bénéfice, basé sur l'intensité de rendement, favorise les sociétés fortement capitalisées alors que les petites et moyennes entreprises dont les capitaux propres sont généralement peu importants paient proportionnellement plus d'impôts. Dans ces conditions, la contribution prévue par l'initiative sur le bénéfice net vise à corriger quelque peu cette inégalité.
L'évolution depuis 1985 du capital imposé, en francs courants et en francs constants, se présente de la manière suivante:
En passant en francs courants, de 25,7 milliards en 1985 à 39,3 milliards en 1993, le capital imposé dans notre canton a progressé de 53%. En francs constants, pendant la même période, l'augmentation est de 11%. On le voit, les personnes morales peuvent participer davantage qu'elles ne le font aux recettes fiscales et, dans le cas qui nous occupe, surtout celles fortement capitalisées.
Une des objections de la majorité consiste à parler de la concurrence fiscale intercantonale. Outre le fait déjà mentionné que l'aspect fiscal n'est qu'un élément de la décision pour une société de s'implanter à Genève ou de quitter notre canton, il convient de souligner que notre canton est fort bien placé en matière d'imposition sur le capital des sociétés anonymes. En 1992, sur la liste des 27 chefs-lieux des cantons et par ordre croissant d'imposition, Genève se trouve au 11e rang pour l'imposition d'un capital imposable de 100 000 F et 1 million de francs et au 10e rang pour un capital imposable de 10 et 100 millions.
Conclusion
La crise structurelle de longue durée que nous traversons est destructrice d'emplois. Dans ces conditions, la politique du laisser faire n'est plus de mise si l'on prétend lutter pour la création de postes de travail. L'initiative «Pour des emplois d'utilité publique et écologique» constitue un instrument permettant à la fois de créer des postes de travail et de répondre à des besoins aussi importants que les économies d'énergie par exemple.
Le mode de financement de ces mesures est tout à fait adapté à la réalité économique et fiscale des sociétés qui seront appelées à y participer et qui ont bénéficié, pour la plupart d'entre elles, de gains de productivité importants, notamment en supprimant des postes de travail.
Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à abandonner l'illusion qui consiste à croire que le problème de l'emploi se résoudra par le seul jeu du marché et à adopter cette initiative.
RAPPORT DE DEUXIÈME MINORITÉ
L'initiative 101 se propose d'instituer un fonds cantonal pour créer des emplois d'utilité publique.
Le Conseil d'Etat, suivi par 7 des 14 membres de la commission fiscale, recommande le rejet de cette initiative. Le Conseil d'Etat admet que les conditions de recevabilité de cette initiative sont réalisées et ne la rejette que sous l'angle de l'opportunité.
On peut alors se poser la question de savoir si ce rejet n'est pas motivé par le fait que le Conseil d'Etat entend rester seul maître dans ce domaine et définir lui seul la politique sociale du canton.
Or, nul ne devrait être surpris par l'affirmation qu'aujourd'hui l'évolution de l'économie privée ne génère plus d'emploi et que la politique du Conseil d'Etat va dans le même sens en gelant systématiquement les postes libérés par l'effet du PLEND.
Aussi, la présente initiative qui soulève des questions pertinentes, comme le relève d'ailleurs le Conseil d'Etat dans son rapport (IN 101 A, lettre B, page 3, chiffre II), invite à l'action et non plus seulement à la réflexion pour trouver une solution pour les personnes sans emploi.
Si l'on en croit la nouvelle philosophie du Conseil national dans le cadre de la révision de la loi sur l'assurance-chômage, philosophie exposée par M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat, devant la commission fiscale, il y a lieu de privilégier les mesures actives pour retrouver un emploi au détriment des indemnités. Ainsi, les cantons sont responsables de l'organisation de ces mesures actives, ce qui signifiera pour Genève la mise sur pied de 6 500 cours.
Dans l'hypothèse où le canton ne satisfait pas à cette exigence, les subsides fédéraux prévus ne seront pas versés.
Ces mesures actives, permettant un complément de formation, devraient être destinées en priorité aux personnes âgées de moins de 25 ans, ce qui démontre à l'évidence qu'aujourd'hui une population toujours plus jeune reste sans emploi.
L'initiative 101 est donc d'une malheureuse actualité flagrante, ce qui ne semble pas vraiment contesté.
Autre est le débat sur le mode de financement.
Les initiants proposent que le fonds cantonal pour l'emploi affecté à la création de postes de travail d'utilité publique soit alimenté par une accentuation de la charge fiscale des entreprises, à savoir 0,1% du capital imposable des sociétés holdings, dont le taux actuel est 0,3%.
Les autres personnes morales dont le capital imposable est supérieur à 10 millions de francs verraient leur taux d'imposition passé de 2% à 3,5% et le taux minimal du bénéfice net de 6% à 8%.
Sur le principe, il est juste d'augmenter la charge fiscale des sociétés car elles ne remplissent plus leur rôle de créatrices d'emplois, l'informatique supprimant progressivement les postes de travail.
Ainsi, la contribution sociale des entreprises en est d'autant diminuée.
Le groupe socialiste a saisi l'occasion de cette initiative pour soumettre à la commission un projet de loi, lequel aurait pu être présenté en qualité de contreprojet en ce qui concerne le mode de financement prévu par les initiants.
En effet, les personnes morales sont actuellement imposées sur le capital et sur l'intensité de rendement.
Nous avons déjà eu l'occasion de critiquer ce système en relevant que le calcul de l'impôt sur le bénéfice des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives, d'après l'intensité du rendement, a pour conséquence qu'une entreprise dont les fonds propres sont importants acquitte moins d'impôts sur le bénéfice qu'une entreprise obtenant le même bénéfice net imposable mais qui dispose de moins de fonds propres.
Si ce mode encourage les entreprises à s'autofinancer, il désavantage, par contre, les nouvelles entreprises par rapport à celles, plus anciennes, qui disposent de capitaux.
Pour reprendre les termes du Conseil fédéral dans son message sur l'harmonisation fiscale, le système d'impôts d'après l'intensité de rendement enfreint le principe de la neutralité de l'impôt sur le plan de la concurrence.
Le groupe socialiste a donc proposé de modifier le système en introduisant le barème proportionnel qui impose le bénéfice net selon un taux fixe.
Cette proposition a été rejetée de justesse par 5 voix «contre» (3 L et 2 DC) contre 5 voix «pour» (2 S, 2 ADG et 1 E) et 2 abstentions (R).
Le projet de loi a donc été déposé indépendamment de l'initiative 101 et propose de taxer le bénéfice net des sociétés de capitaux et coopératives au taux fixe de 12%.
Le refus d'entrer en matière sur ce contreprojet potentiel a été motivé, principalement, par une opposition catégorique à toute augmentation des impôts.
Or, la situation de l'emploi se détériore de jour en jour et les personnes qui en sont victimes ont toujours plus de difficultés à retrouver une activité lucrative.
Ce ne sont souvent pas les compétences mais le nombre de postes offerts sur le marché qui manque.
Il y a lieu d'être conscient qu'avec les autoroutes de l'information, la notion de travail est en train de se modifier, le temps de travail est en train de diminuer et le problème social qui en résulte est en train de s'aggraver.
Le groupe socialiste déplore l'absence d'un contreprojet à cette initiative, lequel aurait permis de déterminer le mode de financement, d'autant plus que le Conseil d'Etat y était favorable sur le principe si l'on en croit le dernier alinéa de ses conclusions dans lesquelles il se réservait la possibilité de saisir le Grand Conseil d'un contreprojet, après l'examen de recevabilité par la commission législative.
L'opposition pure et simple à l'initiative 101 n'est pas raisonnable et c'est pourquoi, faute d'un contreprojet, nous la soutiendrons.
Au bénéfice de ces explications, nous vous invitons, Mesdames, Messieurs les députés, à soutenir cette initiative.
Débat
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Le débat que nous allons avoir sur cette initiative 101 dépasse largement une problématique purement fiscale ou technique. Il s'agit en fait de deux conceptions différentes afin d'essayer de résoudre ou de diminuer le problème du chômage. Peut-être même pouvons-nous dire que c'est un des points essentiels de divergence entre la droite et la gauche de ce parlement.
Pour les partis de gauche, il s'agit de prélever des moyens supplémentaires sur le dos des entreprises pour tenter d'améliorer la situation des chômeurs.
Pour les partis de l'Entente, il est impératif de donner le maximum de chances de développement aux entreprises, afin qu'elles puissent augmenter leur potentiel humain et ainsi décharger l'Etat, le plus vite possible, de certaines prestations d'assistance. Augmenter à Genève la fiscalité des entreprises n'est manifestement pas pour nous une incitation à la création de postes.
En sus de cette opposition fondamentale, nous voyons deux grandes faiblesses à cette initiative.
- Tout d'abord, les initiants croient être très précis dans leur objectif fiscal qui vise à taxer plus les sociétés fortement capitalisées. Pourtant, ils se trompent en grande partie de cible dans la mesure où l'application de ce texte toucherait toutes les sociétés ayant de faibles rendements, y compris les petites et moyennes entreprises qui ont des fonds propres modestes. Taxer plus fortement les sociétés qui ont de faibles bénéfices, peut-être après des années de déficits, quel magistral autogoal !
- En second lieu, en ce qui concerne l'utilisation des fonds, les initiants sont malheureusement extrêmement flous en suggérant la création d'un fonds cantonal pour l'emploi dans les domaines sociaux et écologiques. Quelle belle profession de foi, quel bel idéal ! Mais pourquoi limiter ce fonds à la création de postes dans le domaine social ou écologique exclusivement ? D'autres activités seraient-elles incompatibles avec l'éthique des initiants ou bien veulent-ils, par ce biais, influencer la politique des autorités en la matière ? En tout état de cause, pensez-vous que seuls des emplois dans ces domaines sont capables de résoudre le problème du chômage ? Cela nous semble un peu trop simple et surtout assez démagogique. De plus, d'importants programmes d'occupation temporaire et de formation existent déjà ou sont prévus au niveau cantonal et fédéral. Dès lors, comment articuler et développer ce programme supplémentaire ? Tous ces points d'interrogation subsistent et l'audition des initiants n'a pas permis d'élucider ces questions, leur initiative étant plus une profession de foi, un cri du coeur qu'une réponse intelligente à un grave problème.
Dans la situation budgétaire actuelle, les emplois seront créés prioritairement par les entreprises; nous devons dès lors leur offrir les meilleures conditions-cadres parmi lesquelles figure en priorité la fiscalité. Il s'agit donc de s'opposer à cette initiative.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Le rapport de majorité ne dit pas un mot de l'évolution inquiétante du chômage, et pour cause. Elue sur une prétendue priorité à l'emploi, la majorité n'est pas parvenue à enrayer le chômage. Plus grave encore, elle s'oppose aujourd'hui à une mesure qui vise la création de postes de travail.
Vous préférez, Monsieur Brunschwig, assister les chômeurs, et encore avec beaucoup de réticences, plutôt que d'engager des mesures pour leur fournir de véritables emplois. La seule méthode que vous préconisez c'est laisser faire et voir venir, les choses finiront bien par s'arranger ! Le problème, c'est qu'elles ne s'arrangent pas.
La majorité, semble-t-il, n'a pas bien lu ou n'a pas voulu lire l'article 1 de l'initiative. Celui-ci parle très clairement de création de postes de travail et non pas, comme le dit le rapport de majorité, d'occupation temporaire, voire de contre-prestation liée au revenu minimum pour les chômeurs en fin de droit. Les initiants ne souhaitent pas mettre un emplâtre sur une jambe de bois. Ils ne veulent pas créer des postes de travail alibis qui seraient occupés alternativement par des chômeurs en situation précaire. Ce qu'ils préconisent, c'est la création de cinq cents postes de travail stables, conçus pour durer tant que la situation l'exigera et répondant aux besoins existants sur le plan social et sur celui de l'écologie. Dans ce sens cela ne fait aucunement double emploi, comme vous le prétendez, avec les mesures existantes d'aide temporaire aux chômeurs.
Lors de son audition devant la commission, la Fédération des syndicats patronaux a évalué à 730 millions le coût du chômage à Genève. Encore ne s'agit-il là que des coûts directs. Cela signifie qu'en moyenne la dépense pour un chômeur s'élève à 46 000 F par an. La mise en oeuvre de l'initiative permettra une économie immédiate de 23 millions correspondant au 46% de la somme investie, sans compter les coûts indirects, qu'ils soient monétaires ou sociaux. Par ailleurs, la création d'emplois dans un domaine comme celui des économies d'énergie permettra à l'Etat et aux institutions publiques de réaliser des économies importantes et concrétisera, au niveau public, des mesures prévues par le plan «Energie 2000».
Au niveau fiscal, le rapport de majorité ne craint pas de peindre le diable sur la muraille en utilisant des données fausses comme on peut le constater au bas de la page 5 du rapport. Je cite : «Le taux proposé par l'initiative pour ces sociétés holdings correspondrait au triple de celui en vigueur actuellement.». En fait, il ne s'agit pas d'un triplement de l'impôt, comme le prétend le rapport de majorité, mais du passage d'un taux de 0,3% à 0,4%, ce qui signifie une augmentation d'un tiers. Ainsi, une société holding au capital de 10 millions verra son imposition passer de 3 000 F à 4 000 F. Voilà, à coup sûr, un effort insurmontable. Vous n'avez pas de tels états d'âme quand vous acceptez que le revenu d'un salarié diminue de 30% lorsqu'il se trouve au chômage. C'est l'occasion de rappeler ici que la part de l'impôt sur les personnes morales, en pourcentage du total des recettes fiscales, a diminué ces dernières années, puisqu'elle est passée de 12,5 à 11,5%. Les sociétés au capital de plus de 10 millions ont augmenté de 52%, passant de 307, en 1985, à 466, en 1993. La progression du nombre de ces sociétés est quatre fois plus importante que celle de l'ensemble des personnes morales. Pendant cette même période le capital imposé a augmenté de 53% en francs courants et de 11% en francs constants. Qui peut continuer à prétendre que la fiscalité genevoise n'est pas attractive pour les personnes morales ? Sur un plan global, la ressource fiscale supplémentaire de 50 millions représentera une augmentation de 1,5% des rentrées fiscales.
Mesdames et Messieurs de la majorité, certains d'entre vous croient, et d'autres feignent de croire, qu'en maintenant, voire en diminuant, l'imposition des entreprises, cela permettrait de favoriser la création d'emplois. Si cela marchait, on le saurait. Hélas, il n'en est rien ! Les expériences faites ailleurs montrent que les faveurs consenties aux entreprises ont bénéficié principalement aux détenteurs de capitaux et n'ont pas créé un seul emploi. En France, M. Balladur lui-même le reconnaît. Ne soyez pas plus bornés que lui. Pour une fois, pensez à moyen et long terme et dites-vous que le plus grand danger ne réside pas dans quelques millions de rentrées fiscales supplémentaires mais bien dans le développement du chômage.
Un jour ou l'autre, que vous le vouliez ou non, il faudra bien, sous une forme ou sous une autre, en payer le prix.
Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse de deuxième minorité. Au-delà des chiffres, c'est un choix de société que nous propose cette initiative, un choix solidaire motivé par une réalité qui perdure : la crise. Cette crise, dont la connotation structurelle est non seulement évidente mais encore marque un changement profond dans l'organisation du travail, ne se résoudra pas avec le temps au gré de l'offre et de la demande. Vous le savez bien, l'offre et la demande d'emploi sont en train de prendre des chemins contraires. Les moyens classiques dont se targuent les partis de l'Entente pour résoudre cette crise sont inefficaces et surtout dépassés, pour ne pas dire surannés. Les bénéfices des sociétés fortement capitalisées ont augmenté, en 1994, entre 8 et 10% en tout cas, alors que le chômage n'a même pas été stabilisé. C'est donc un leurre de croire, et de faire croire, que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes.
Les progrès informatiques rendent la plupart des entreprises plus performantes, c'est bien. Mais l'achat d'ordinateurs ou le leasing de ces derniers dispense les entreprises d'engager du personnel supplémentaire, de payer des salaires supplémentaires et, par voie de conséquence, les dispense de participer aux charges sociales par le biais de cotisations. Ainsi, l'initiative 101 vise juste, tant sur la création d'emplois d'utilité publique que sur les bailleurs de fonds. Les sociétés de capitaux doivent maintenir leur participation financière à la politique sociale et une légère augmentation de la fiscalité - il n'y a pas lieu, en l'espèce, de peindre le diable sur la muraille - pour les sociétés fortement capitalisées ne fera que rétablir leurs contributions sociales qui diminuent de manière constante.
Il n'y a pas lieu d'aller à l'encontre du progrès, notamment du progrès technique, il y a lieu de s'y adapter, d'en mesurer les effets positifs et négatifs, et plus particulièrement en matière d'emploi. Nous avons proposé un projet de loi qui est annexé - je pense par erreur - à l'initiative 102 en contreprojet de cette initiative. Il propose une taxation des sociétés sur leur bénéfice net et non plus sur l'intensité du rendement. Ce système est plus équitable et les sociétés ne sont plus tentées de capitaliser pour payer moins d'impôts; elles capitaliseront en fonction de leur but social. Toutefois, ce projet de loi sera discuté ultérieurement. Ainsi, sans contreprojet, l'initiative 101 ira donc en votation et le verdict populaire ne sera, je l'espère, pas celui de la majorité qui s'est dégagée en commission.
M. Daniel Ducommun (R). Estimant les deux initiatives qui nous occupent ce soir proches l'une de l'autre, je me propose de faire une intervention commune aux deux objets pour vous informer que notre groupe s'oppose à l'initiative 101 et s'opposera tout à l'heure à la 102, sans contreprojet, rejoignant en cela les deux rapports de majorité.
Il ne faut pas s'étonner de l'action des initiants. A chaque année électorale, et depuis des décennies, on ressort des fonds de tiroir la même volonté de taxer les hauts revenus et les sociétés fortement capitalisées au profit de l'action sociale. En d'autres termes, l'adage de ponctionner les riches pour donner aux pauvres est toujours un cliché d'actualité. Nous considérons que, si mal il y a, il n'est pas soigné avec le bon remède.
Nous ne sommes pas les seuls à penser cela, puisque, suite au vote très net des Zurichois sur ces mêmes sujets, M. Rudolph Strahm - la référence du parti socialiste suisse en matière d'économie - juge l'idée de taxer les grosses fortunes comme étant un dogme vieillot des années 30. M. Strahm demande par ailleurs à ses militants de tempérer leur ardeur dans les autres cantons, dont Genève, et d'éviter tout combat d'arrière-garde, parce que ces initiatives sont déposées dans la plupart des cantons suisses.
M. Francis Matthey, un autre sage du parti socialiste, voit plutôt une action dans une meilleure solidarité intercantonale, afin d'éviter des disparités mais surtout la mobilité des contribuables aisés. MM. Strahm et Matthey sont si proches de notre centre que nous partageons en tous points leurs points de vue. Si les actions des initiants sont maladroites, il n'en reste pas moins que les conditions sociales se sont dégradées ces dernières années. Chômage et vieillissement de la population affectent comme jamais cette fin de siècle dans notre pays, à Genève en particulier. Nous ne pouvons donc pas rester indifférents devant cela, Monsieur Clerc, il faut agir.
En ce qui nous concerne, nous préconisons quatre pistes afin de tenter de remplir les mêmes objectifs que les initiants. Deux sont en relation avec la fiscalité. D'une part, je reviens sur la solidarité intercantonale, plus précisément sur le fait d'exercer une pression continuelle sur le canton de Vaud dont chaque jour environ trente mille de ses ressortissants utilisent nos infrastructures. D'autre part, nous ne restons pas figés sur les recettes fiscales cantonales, puisque nous jugeons la proposition d'un taux d'impôt fixe sur le bénéfice net digne d'intérêt et sommes prêts à en discuter en commission sur une base toutefois mieux étudiée et adaptée que la proposition socialiste qui se promène, on l'a vu tout à l'heure, en page 17 de l'initiative 102. Cette façon de taxer par le biais du taux fixe nous paraît plus moderne et, par ailleurs, eurocompatible.
Pour conclure, je suggère deux autres axes de réflexion. Le premier sur l'amélioration permanente des conditions-cadres en faveur d'entreprises nationales ou étrangères qui souhaitent s'établir dans notre cité. A notre avis, c'est la meilleure action pour combattre le chômage. De source officieuse, nous savons, et M. Jean-Philippe Maitre pourra peut-être nous fournir quelques renseignements tout à l'heure, que plusieurs entreprises souhaitent venir s'installer dans notre canton, notamment une importante organisation de télécommunication, qui n'est pas Reuters mais encore une autre. Eh bien, cette importante organisation hésite entre Genève et Amsterdam. Aux dernières nouvelles, elle s'installerait plutôt en Hollande pour des raisons essentiellement fiscales. Je ne crois donc pas que les initiatives de ce soir soient de nature à enthousiasmer ce type d'entreprise.
Enfin, nous jugeons que la poursuite des efforts de l'Etat sur les dépenses de fonctionnement, qui se situent tout de même à 5 milliards, vous le savez, doit être accélérée conformément au plan de redressement des finances publiques à l'appui de réformes structurelles importantes et non marginales telles que nous les avons vécues lors de récentes votations. Nous ne sommes de loin pas négatifs, mais, pour suivre les mêmes préoccupations que les initiants sur l'angoisse des besoins sociaux grandissants, nous proposons des remèdes pragmatiques au lieu de dogmatiques, et c'est là que se situe notre différence.
M. Gilles Godinat (AdG). Les estimations concernant la disparition des postes de travail depuis le début de la récession évaluent la perte à vingt mille postes pour le canton de Genève. Une part importante de cette perte résulte de restructurations, principalement dans le secteur des services financiers, banques et assurances, comme le soulignait le rapport de M. Bernard Clerc.
Ainsi, la part du chômage structurel tend donc à augmenter à plus d'un tiers du total. Ce constat peut être fait, pour le moins, à l'échelle européenne. Pour rentabiliser le capital, le valoriser et le reproduire, ces propriétaires n'ont besoin que d'une fraction toujours plus réduite de la population active disponible au moindre coût salarial. Voilà l'inexorable loi des marchands du travail. Sans une volonté affirmée d'orienter différemment ce cours des choses, la situation de l'emploi ne changera pas. Nos réponses à la diminution des postes de travail sont articulées autour de quatre axes principaux.
Premièrement, la diminution générale du temps de travail avec une nouvelle répartition des postes assurant ainsi le maintien voire la mise à disposition de nouvelles places de travail.
Deuxièmement, le recyclage professionnel.
Troisièmement, la création de nouveaux emplois dans le domaine de l'utilité sociale, appelés également nouveaux emplois de service. Enfin, la réinsertion par paliers des marginaux délaissés et des exclus.
J'aimerais donner ici quelques pistes à la réflexion de notre Grand Conseil dans le domaine des emplois d'utilité publique. D'abord dans les services publics classiques, à savoir l'enseignement, la santé et les transports. Dans l'enseignement, plusieurs élèves nécessitent des formes d'appui et d'encadrement spécifique et des emplois d'utilité publique d'aide à la formation et à l'apprentissage seraient indispensables pour le perfectionnement de ces élèves en difficulté. Par extension, on pourrait imaginer des structures d'appui semblables pour les adultes handicapés ou professionnellement en difficulté. Dans le domaine de l'enseignement encore, tout le secteur du parascolaire, dont on a largement débattu, est un secteur où des activités d'utilité publique peuvent également être développées.
Dans le domaine de la santé, développer les centres de promotion de santé communautaires dans les quartiers permettrait d'améliorer les conditions de santé de la population et favoriserait le développement d'emplois stables dans un domaine utile socialement. Enfin, un travail lié au domaine de la toxicomanie, comme nous en avons débattu en commission, peut s'avérer également très utile.
Dans le domaine des transports, il y a différentes pistes envisageables. On pourrait imaginer des ateliers de réparation de minibus et de voitures de service pour un système de «véhicules-vacances» afin de développer de nouveaux modes d'utilisation des voitures dans ce canton.
Dans le domaine plus précis de l'utilité sociale, il s'agit, d'une part, des activités correspondant aux trois mille deux cents emplois temporaires mis en place en 1994 dans le canton, dont une part non négligeable pourrait être stabilisée à plus long terme. Il s'agit de stimuler les prestations d'associations à but non lucratif venant collaborer avec les services publics dans des prestations de proximité dans le domaine de la solidarité sociale, de l'aide aux personnes âgées, de l'animation, de la solidarité dans les quartiers, qui représentent à nos yeux un développement concret de la nouvelle citoyenneté.
J'aimerais donner un exemple extrêmement précis. Il y a, dans ce canton, plus d'une centaine de patients psychiatrisés qui vivent isolés dans des pensions. Il y a plusieurs centaines de patients souffrant de troubles psychiques qui vivent isolés en appartement. Il est tout à fait possible de développer des structures d'accompagnement qui permettraient à ces personnes exclues du monde social, vivant dans une misère affective et sociale tragique, de pouvoir réintégrer progressivement une vie sociale et affective décente.
Enfin, dans le domaine de la communication et de la solidarité internationale, il y a des secteurs à développer dans le domaine de la mise en valeur des différents savoirs. Il faut favoriser les expériences professionnelles dans le domaine de la Fédération genevoise de coopération, dans l'accueil et l'intégration des requérants d'asile, par exemple. Voilà quelques pistes concrètes non exhaustives dont plusieurs modèles ont été expérimentés ici ou ailleurs.
Pour conclure, j'aimerais insister sur un argument du président de la commission sociale du CNPF, syndicat patronal de nos voisins français, qui contredit le programme de relance de l'Entente. En effet, M. Demange déclarait dans le journal «Le Monde», du 20 octobre 1994 : «La baisse des charges des entreprises ne crée pas directement d'emplois.». Les mesures fiscales incitatives ne créeront jamais d'emplois. C'est un des vôtres qui le dit ! Par conséquent, demander une contribution solidaire aux secteurs économiques qui ont le plus profité de la dernière période pour assurer leur bénéfice et rationaliser leur service au détriment des salariés transformés du jour au lendemain en chômeurs est une oeuvre légitime et nécessaire au vu du coût économique, social et psychologique désastreux du chômage.
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Si je me permets d'intervenir, c'est pour mentionner quelque chose qui me semble assez flou dans la loi par rapport à la remarque de M. Clerc. En effet, à l'article 6 de l'initiative, il est dit :
«La contribution due par les personnes morales mentionnées à l'article 65 de la loi générale sur les contributions publiques, notamment les holdings, équivaut à 0,1% du capital imposable.».
Cette référence à l'article 65 qui, depuis, est devenu l'article 34, puisque la loi a changé comme vous le savez, mentionne cela :
«Les sociétés holdings sont soumises à l'impôt annuel de 0,3% sur leur capital propre.».
J'en déduis, dès lors, comme M. Clerc ne parle pas d'un impôt supplémentaire alors qu'il en est question à l'article 7, que l'on va passer d'un taux de 0,3% à un taux de 0,1% pour les sociétés holdings. Il me semble qu'il y a un problème majeur au niveau de la technique, car il n'est mentionné nulle part un impôt supplémentaire en tant que tel. Je crois que, de toute manière, que ce soit l'un ou l'autre des chiffres, c'est le principe qui va être débattu aujourd'hui.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Décidément, Monsieur Brunschwig, vous avez de la peine à lire les textes des initiatives, surtout si elles ne correspondent pas à vos perspectives ! Vous avez oublié l'article 2 qui dit que le fonds est alimenté par une contribution prélevée sur le capital et le bénéfice net des personnes morales, et ensuite on indique les taux.
M. Nicolas Brunschwig, rapporteur de majorité. Lisez l'article 5, Monsieur Clerc !
M. Bernard Clerc, rapporteur de première minorité. L'initiative dit clairement que le taux pour les sociétés holdings passe de 0,3% à 0,4%. Par contre, je suis d'accord avec vous sur le fait que ces initiatives posent des questions essentielles et deux conceptions sur la manière d'aborder la question de l'emploi. L'une, effectivement, propose du laisser-faire, du laisser-aller et les lois du marché par elles-mêmes résoudront les problèmes, et l'autre, qui est la nôtre, consiste à dire que c'est à l'Etat d'intervenir à partir d'un certain niveau de développement du chômage, parce que, autrement, on accepte de manière quasi définitive qu'un certain nombre de nos concitoyens sont exclus du marché du travail.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Cette initiative pose certains problèmes généraux que l'on ne peut pas nier, comme, par exemple, l'affectation des impôts, principe que nous avons combattu à maintes reprises, car il limite le pouvoir d'action du Grand Conseil ou de la population. Elle met également en évidence la fragilité du système fiscal genevois qui ne repose principalement que sur une faible partie de la population; il y a donc un risque que la tour fiscale s'écroule. Enfin, elle ne respecte malheureusement pas tout à fait l'article 8 de la nouvelle loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat qui dit que toute demande de dépense nouvelle doit prévoir une couverture financière, mais, en principe, pas par une hausse d'impôts.
De plus, il faut reconnaître qu'en commission tout le monde est parti avec des a priori très marqués qui ont fait que la montagne de statistiques que nous avons obtenue n'a pas beaucoup influencé les idées de départ. Malgré une lecture attentive de celles-ci, il est très difficile de démontrer clairement l'accroissement réel du fossé entre les plus riches et les plus pauvres ou même de déterminer quelles sont les conséquences exactes pour les plus concernés par les modifications éventuelles.
On constate également que la fiscalité genevoise relève souvent plus d'analyses pragmatiques que scientifiques. En fait, il manque un outil statistique performant pour établir des scénarios résultant de modifications de la loi fiscale. C'est certainement une des raisons qui ont fait que l'amendement socialiste visant à ramener le taux d'imposition à 12% plutôt que d'avoir une échelle de valeurs selon le taux de rendement n'a pas été rejeté sur le principe par le Conseil d'Etat. Cela prouve bien qu'il faut revoir cette fiscalité des sociétés.
Mais, si nous admettons des difficultés dans l'application de cette initiative, elle présente un avantage certain qui fera que nous la soutiendrons. Elle ouvre les yeux à ceux qui ont eu la chance de savoir utiliser leur potentiel de gestion, de création, de production dans des conditions conjoncturelles excellentes qui ont favorisé leur enrichissement et qui, aujourd'hui, ont souvent procédé à des licenciements pour restructurer leurs entreprises, notamment dans les banques et les assurances. Elle ouvre les yeux de ces gens sur le fait qu'elle partage le prix à payer maintenant avec les plus défavorisés en acceptant une légère hausse d'impôts, car, à long terme, les coûts sociaux du chômage seront forcément plus lourds. Cette hausse doit servir au financement de la réinsertion professionnelle, à la création de nouveaux emplois ou au partage du travail.
D'autre part, si Genève attire autant de grosses fortunes et d'entreprises de pointe, c'est que notre ville offre une sécurité, une qualité de vie exceptionnelle, et cela a aujourd'hui un prix plus élevé qu'hier, vu la diminution des emplois ici et dans les autres pays. Enfin, par ce biais, on contribue également, même dans une infime mesure, à lutter contre le déséquilibre Nord-Sud, car si, effectivement, tous les pays occidentaux taxaient beaucoup plus les sociétés surcapitalisées ou les grosses fortunes, ils contribueraient à freiner la fuite des capitaux vers les pays déjà riches et participeraient à un équilibre plus sain entre le Nord et le Sud.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). M. Ducommun fustige nos conceptions, parce qu'elles datent des années 30, nous dit-il. Je me permettrai de lui faire remarquer que les vôtres, Mesdames et Messieurs de l'Entente bourgeoise, viennent d'encore plus loin, puisqu'elles remontent, d'après vous-mêmes, à Adam Smith, que vous citez avec beaucoup d'enthousiasme et à réitérées reprises sur vos bancs. Monsieur Ducommun, vous n'avez même pas pris la peine d'enrober ces conceptions d'Adam Smith d'un peu de modernité, mais seulement d'un peu de bla-bla.
Ce que je voudrais vous dire, c'est que nous vivons aujourd'hui dans une situation où les inégalités sociales croissent. Vous voulez encore augmenter ces inégalités sociales en privilégiant fiscalement les plus privilégiés et en agissant quasi exclusivement sur les dépenses de l'Etat pour rééquilibrer les finances publiques. Or, de plus en plus de femmes, de familles monoparentales ont besoin d'aide de l'Etat pour pouvoir vivre, et ce phénomène va perdurer. Le nombre de personnes âgées va continuer de croître et un chômage structurel s'installe dans notre canton, tout comme il s'est installé dans les cantons et les pays voisins.
Ajouté à cela le ralentissement des recettes d'impôts depuis 1987, les allégements fiscaux consentis depuis cette date, la suppression de la progression à froid et la modification de la structure du revenu cantonal, on comprend qu'il existe un sérieux problème de financement des prestations publiques. D'ailleurs, les gens les plus lucides dans vos rangs sont conscients de ce phénomène et y réfléchissent. Ainsi, le département de l'action sociale le reconnaît implicitement et, en partant des mêmes prémices que celles que je viens d'exposer, il soumet aux différents partis politiques un projet de financement des prestations d'aide aux personnes âgées sous la forme d'une taxe de solidarité. Pour ce qui nous concerne, partis, syndicats et mouvements de gauche, nous proposons un réajustement de la charge fiscale des personnes morales et un impôt de solidarité sur les grandes fortunes; c'est l'objet des initiatives 101 et 102.
Deux arguments à l'appui de l'initiative 101. Une première série d'arguments porte sur l'intérêt de modifier le poids de la charge fiscale sur le bénéfice des personnes morales. L'impôt sur le bénéfice net est, pour un bénéfice donné, inversement proportionnel au capital versé augmenté des réserves avec des valeurs plafond à 14% et des valeurs plancher à 6%. L'impôt sur le capital est, lui, proportionnel au capital. Il résulte de ces dispositions un impôt total sur le bénéfice et le capital qui décroît, puis croît à nouveau, en fonction du rapport capital sur bénéfice avec un minimum autour de 15% et un maximum autour de 35%.
Or la loi actuelle joue un rôle extrêmement conservateur. D'un côté, elle met à l'abri d'un trop fort impôt des sociétés qui sont, le plus souvent, solidement en place et largement dotées en capital, mieux à même de palier les effets de la conjoncture et, de l'autre, elle taxe plus lourdement des sociétés nouvelles à fort taux de croissance et peu capitalisées. Et si la loi a pour avantage d'encourager les entreprises à s'autofinancer, elle défavorise celles qui font appel à beaucoup de main-d'oeuvre par rapport à celles qui nécessitent de gros investissements en capitaux.
Il y a donc un intérêt légitime à vouloir modifier le poids de la charge fiscale sur les personnes morales pour imposer plus lourdement les sociétés fortement capitalisées. D'après les chiffres que la commission a obtenus auprès de l'administration fiscale cantonale, le taux moyen d'imposition des sociétés au capital de plus de 10 millions de francs se situe aux alentours de 10%, centimes additionnels compris, ce qui signifie qu'elles sont imposées au taux de base minimum. Il est donc justifié de vouloir répartir autrement la charge fiscale en faveur des petites et moyennes entreprises, notamment de celles qui utilisent plus de main-d'oeuvre en regard de celles qui sont fortement capitalisées.
Il y a aussi une deuxième série d'arguments, à l'appui de cette initiative 101, qui propose d'augmenter les recettes fiscales provenant des sociétés. Le revenu de la propriété et des entreprises contribue de plus en plus à la formation du revenu cantonal au détriment de la rémunération des salariés et des indépendants.
Si les impôts frappant les entreprises étaient comparables aux impôts frappant les ménages, les recettes totales des impôts sur les revenus suivraient le revenu cantonal. On observerait simplement un glissement vers les impôts des entreprises. Or ce n'est pas le cas. Les impôts des personnes physiques font entrer, grosso modo, 2 milliards de francs dans les caisses publiques et les impôts des personnes morales aux alentours de 500 millions de francs. La distorsion est évidente. Elle légitime une augmentation de l'imposition des personnes morales.
Le groupe socialiste avait proposé, en commission, plutôt que de procéder à des réajustements successifs, un changement du système d'imposition du bénéfice des sociétés pour un impôt proportionnel que nous avions situé à 12%. Cette proposition a été refusée en commission par manque de données sûres et sérieuses provenant de l'administration fiscale concernant les effets d'un tel taux proportionnel fixe, et surtout d'un taux fixé à 12%. Le projet a dès lors été déposé pour lui-même et figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance. Je souhaite que vous acceptiez de voter son entrée en matière.
Mais, pour l'heure, nous nous rallions à l'initiative 101.
Mme Anne Chevalley (L). Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse !
C'est exactement ce à quoi vont finalement mener les initiatives qui se succèdent dans le but, certes louable mais combien peu réaliste, d'améliorer les possibilités d'aide aux chômeurs et de création d'emplois.
Mon propos n'est pas d'entrer dans des détails techniques qui ont déjà été donnés et commentés, mais de rappeler, comme l'a fait notre collègue Nicolas Brunschwig dans son excellent rapport et dans son intervention préliminaire, les efforts très importants qui ont déjà été consentis par notre canton et dont, faute de recul et de prévisions réalistes, nous ne savons pas encore jusqu'où ils nous mèneront en termes de prestations financières, notamment en ce qui concerne le revenu minimum d'aide sociale en faveur des chômeurs en fin de droit.
L'imposition des personnes morales qui a été modifiée par le projet de loi 7090, adopté par notre Grand Conseil en septembre dernier, augmente la charge fiscale des sociétés dans une mesure qui, compte tenu de la situation des finances cantonales, nous a paru supportable. Aller au-delà serait suicidaire.
De plus, il serait indécent d'exiger, six mois à peine après une augmentation, une nouvelle aggravation de cette charge. Soyons réalistes et mettons-nous quelques instants seulement à la place des sociétés qui n'hésiteront pas, à l'instar des personnes physiques qui emportent armes et bagages pour s'installer dans un canton voisin, à transférer leur siège sous des cieux plus cléments.
Or, Genève ne peut se permettre de perdre des contribuables, qu'ils soient fortement capitalisés ou plus modestes, mais cependant fournisseurs d'emplois, dans une période où, au contraire, des mesures incitatives doivent être prises, notamment sur le plan fiscal, pour stimuler la relance et attirer de nouvelles sociétés commerciales ou industrielles.
Rétablir la santé de notre économie est le moyen le plus sûr pour répondre aux objectifs de cette initiative.
Cessons de croire que Genève est si merveilleuse qu'il ne viendrait à l'esprit de personne de la quitter pour de seules raisons fiscales, alors que, comme il l'a été dit et redit, de nombreuses sociétés disposent d'une grande mobilité et n'hésiteraient pas à faire le pas, excédées qu'elles seraient par une nouvelle ponction qui pourrait en précéder d'autres.
Cela étant, le groupe libéral est disposé à étudier un nouveau système d'imposition des personnes morales selon le principe dit du taux unique. Cependant, cette modification nécessite une étude approfondie des conséquences de ce nouveau système sur les rentrées fiscales et du taux qu'il y aura lieu d'appliquer.
Imaginons donc que nous arrivions, dans un délai relativement proche, à une conclusion favorable - notre parlement acceptant aujourd'hui l'IN 101 - nous procéderions à trois modifications successives de l'imposition des personnes morales !
Cessons de scier la branche sur laquelle nous sommes assis !
L'initiative est dangereuse et, par conséquent, inacceptable, et le groupe libéral vous invite à lui opposer un refus massif.
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Depuis que je suis sur les bancs de la députation, c'est bien la première fois que nous sommes tous d'accord sur un point, à savoir que l'emploi est une priorité absolue.
Toutefois, je ne comprends pas cette initiative prétendant vouloir créer des emplois en pénalisant davantage les entreprises par un impôt supplémentaire sur le capital et sur le bénéfice des personnes morales. C'est d'autant plus illogique que l'on se base sur des constats des années 80 en disant que les revenus des personnes morales ont crû plus vite que ceux des salariés, alors même que nous sommes, en 1995, dans une situation totalement différente. Le Grand Conseil a mis en application, et cela dès le 1er janvier 1995, le taux minimum d'imposition du bénéfice des personnes morales de 4 à 6%.
Nos entreprises, pour rester compétitives, doivent absolument investir et se moderniser. Cela est d'autant plus vrai et urgent que nous traversons une période particulièrement difficile. Il faudrait, par conséquent, alléger davantage l'imposition plutôt que le contraire, afin de préserver ce qui paraît essentiel dans une entreprise, cette substance, ce fruit de ce travail qui va permettre à l'entreprise de redevenir créatrice d'emplois. En fait, pour ceux qui soutiennent ces PME et ces PMI, sachez que si vous pénalisez davantage encore et en cette période des entreprises fortement capitalisées, non seulement nous devrons assumer le risque de les voir peut-être quitter notre canton, mais surtout de les voir pénaliser à leur tour des PME et des PMI qui sont des sous-traitants.
Il n'y a effectivement pas de miracle. Je prendrai l'exemple d'un gros donneur d'ordres dans le domaine de la mécanique. Cette société fortement capitalisée est certainement celle qui distribue le plus grand volume de travail à des sous-traitants. Elle sous-traite - c'est une estimation toute personnelle - entre 30 et 50 millions à plus d'une vingtaine d'entreprises de mécanique, et cette entreprise, simplement pour rester compétitive sur le marché mondial, a dû négocier avec tous leurs sous-traitants une baisse généralisée d'environ 10%. Cela montre que les premières priorités pour ces entreprises sont le coût et la performance. Aujourd'hui, il faut savoir que le marché économique est mondial.
Nous ne pouvons pas, dès lors, aller à l'encontre du progrès. Quand certains nous disent qu'il est juste d'augmenter la charge fiscale des sociétés, car elles ne remplissent plus leur rôle de créatrices d'emplois - l'informatique, entre autre - supprimant progressivement des postes de travail, je m'inscris en faux contre cela. Si nous devions revenir vingt ans en arrière, non seulement nous devrions fermer purement et simplement les portes de nos entreprises, mais nous irions à l'encontre de la nature même de l'être humain qui est de progresser. Pour que nos entreprises ne soient pas la proie d'une fiscalité pénalisante, le groupe démocrate-chrétien refusera l'initiative 101.
M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Le débat d'aujourd'hui - permettez-moi de le dire - est tout à fait normal en période de crise; il a lieu dans la plupart de nos cantons, mais aussi dans la plupart des pays industrialisés d'Europe occidentale. Il oppose, bien entendu, au-delà des anathèmes lancés de part et d'autre, des doctrines et des théories économiques différentes. Compte tenu de la volonté de développement qui est la nôtre et des problèmes sociaux générés par la crise économique, il est bien naturel que notre parlement en débatte.
Cette période de difficultés économiques persistantes est aggravée à Genève, comme dans le reste de la Suisse romande et en Suisse en général, par deux facteurs importants. Je les rappelle :
Premièrement, la concurrence toujours plus vive, qui contraint un certain nombre d'industriels à se délocaliser.
Hier encore, la délocalisation se faisait vers d'autres pays européens, comme le Portugal dans le domaine textile. Aujourd'hui, elles se fait beaucoup plus loin, notamment vers l'Extrême-Orient.
Deuxièmement, l'effritement du dollar - pour ne pas dire davantage. Ce phénomène qui dure depuis plus d'une semaine est très inquiétant. Cela pénalise extrêmement lourdement notre économie et tout particulièrement notre économie d'exportation. Je ne vous cache pas que le gouvernement est très préoccupé; il souhaiterait des interventions des autorités fédérales pour que la Banque nationale prenne des mesures, sans relancer l'inflation de manière majeure mais en regard du renchérissement considérable du franc suisse, afin de permettre à notre économie de faire face en lui donnant un ballon d'oxygène en relâchant quelque peu notre monnaie. En effet, malheureusement, aujourd'hui, rien ne nous dit que le dollar va se raffermir sérieusement et durablement. Par conséquent, les efforts fournis par nos industriels sont fortement battus en brèche par ce très fort affaiblissement du dollar.
Face à ces difficultés, notre économie ne saurait supporter encore une aggravation de ses charges. La charge fiscale n'est d'ailleurs pas la seule charge de notre économie qui rend difficile cette lutte contre la concurrence.
Comment donc, à Genève, concilier la compétitivité de notre économie, la création d'emplois et la solidarité, par rapport aux nombreuses victimes de cette situation ?
Le gouvernement ne pense pas que cela puisse se faire en augmentant la fiscalité de nos sociétés, ce d'autant - comme d'aucuns l'ont rappelé - que votre Grand Conseil, en septembre de l'année dernière, dans le cadre de l'application cantonale de la loi d'harmonisation fiscale en matière de personnes morales, a déjà accepté l'augmentation du taux minimum à 6% avec une réduction du taux maximum de 15 à 14%, cela dès le 1er janvier de cette année. Je vous le dis clairement, c'est un taux de base auquel il convient, bien entendu, d'ajouter les centimes additionnels cantonaux et communaux, qu'il ne faut plus toucher. Le coefficient de multiplication admis est dès lors de 2,34, portant ainsi le taux minimum effectif à 18,7%.
Où se situe Genève par rapport à l'impôt sur les sociétés dans le cadre de notre compétitivité nationale ? Comme le montre le document de charge fiscale suisse, année 1993, Genève se situe à un indice de 111 pour une moyenne suisse de 100. Elle occupe le dix-septième rang des cantons; mais ce qui est important est qu'elle se trouve après Zurich, dont le taux est de 105, après Berne, dont le taux est de 94, après Fribourg, dont le taux est de 100, et après Vaud, dont le taux est de 106. Elle a, grosso modo, le même taux que Bâle-Ville et Bâle-Campagne confondus.
Face à notre lutte contre la concurrence, tant nationale qu'internationale, est-il vraiment raisonnable, au-delà du taux déjà augmenté au 1er janvier 1995, d'augmenter à nouveau ce taux par le biais de cette initiative ? Le gouvernement ne le pense pas.
En revanche - et je le confirme ici - le gouvernement et l'administration fiscale - les membres de l'administration fiscale le savent bien - sont favorables à un taux fixe. D'ailleurs, à la suite des travaux sur l'harmonisation fiscale des personnes morales, à propos desquelles nous avions déjà débattu de la problématique du taux fixe, un groupe de travail réunissant l'administration fiscale, le service cantonal de statistique et notre université travaillent sur l'analyse des effets de l'introduction d'un taux fixe. Il nous faut un peu de temps pour nous permettre de mesurer l'impact d'une nouvelle forme d'imposition des sociétés plus moderne et eurocompatible - comme d'aucuns l'ont rappelé - qui pourrait entrer en vigueur à Genève.
En l'état, il me paraît donc totalement déraisonnable, par rapport à la hausse du 1er janvier 1995 à laquelle j'ai fait allusion et par rapport à ces réformes, d'engendrer, par le biais de l'acceptation de cette initiative, une nouvelle aggravation de notre fiscalité.
Enfin, s'agissant de la nature fiscale et avant que mon collègue Jean-Philippe Maitre aborde le problème de l'emploi, j'aimerais vous rappeler - et je sais bien que nous sommes divisés sur ce point également - que le département des finances est opposé à l'affectation de l'impôt. En effet, philosophiquement, cette affectation dénature le rôle de l'Etat, en particulier en lui retirant la fixation des priorités au travers du budget voté annuellement et, notamment, de l'affectation des recettes générales de l'Etat à travers le budget. C'est la raison pour laquelle, au demeurant mais à titre subsidiaire, le gouvernement ne pouvait se rallier à cette initiative qui vise à une affectation de l'augmentation fiscale pour des travaux d'utilité publique afin de lutter contre le chômage.
Voilà pourquoi le Conseil d'Etat est opposé au premier aspect de cette initiative, comme nous l'avons écrit dans le cadre du premier rapport. Nous souhaitons, par conséquent, que vous-mêmes, d'abord, puis le peuple, ensuite, la rejettent.
M. Pierre Vanek (AdG). Je me permets d'intervenir sur un objet qui a été peu évoqué jusqu'à maintenant. Pourtant, c'est le centre même de l'initiative en matière de création d'emplois. M. Nicolas Brunschwig l'a évoqué dans son intervention préliminaire à ce débat. Il a même cru bon d'ironiser pour savoir si les emplois d'utilité publique et les emplois d'utilité écologique - j'insiste sur cet aspect qui n'a pas été repris par M. Vodoz - étaient compatibles avec l'éthique des initiants. Evidemment, tous les emplois - ou la plupart - le sont !
Il est vrai, M. Brunschwig a eu raison de le dire, que nous sommes particulièrement attachés à la création d'emplois d'utilité publique. Mon collègue Gilles Godinat a fait des propositions qu'il serait judicieux d'étudier plus à fond. Il est nécessaire, en outre, de créer des emplois à dimension écologique, particulièrement pour Genève, dans le domaine des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables.
Ce sont des priorités éthiques, mais aussi des priorités politiques de ce canton. L'article 160 C de notre constitution nous fixe des objectifs ambitieux en matière de politique énergétique et exige que les collectivités publiques appliquent une politique d'investissements dans le but de permettre à ce canton de se passer du nucléaire.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'une série d'études ont été effectuées sur ce sujet, à la demande de M. Joye, président du département des travaux publics et de l'énergie. Il est absent ce soir et c'est dommage, car un volet de ce débat concerne précisément la politique énergétique.
Ces rapports ont été rendu publics, ou semi-publics, dans des conditions un peu surprenantes. Les députés de la commission de l'énergie de votre Grand Conseil n'en ont pas encore tous eu connaissance et si certains en ont eu connaissance c'est par des chemins peu orthodoxes ! La commission se réunit pour savoir ce que fait McDonald's à Balexert, mais elle laisse de côté le sujet autrement plus important qui nous occupe ce soir !
Ces rapports - il faudrait revenir sur ce point - comportent de bonnes et de moins bonnes choses, mais ils indiquent de façon évidente la possibilité d'appliquer une politique énergétique qui se passerait du nucléaire. Cela demanderait évidemment des investissements importants dépassant ceux effectués aujourd'hui dans ce domaine, mais ils seraient créateurs d'emplois durables de haute technologie dans notre République. Les deux études soulignent ce fait.
Je voudrais citer rapidement quelques extraits de ces rapports qui ne vous sont pas connus.
L'un provient de la CERA : Cambridge Energy Research Associates. Il évoque un scénario de décrochage par rapport au nucléaire, lié, notamment, à la mise en place d'une production à l'aide du gaz. Il indique que les investissements dans ce scénario auraient toute une série d'effets positifs sur l'emploi, je cite : «Il convient d'ajouter à ces effets l'effet du multiplicateur keynésien, qui joue pour les scénarios d'option gazière. En effet, ceux-ci impliquent des investissements sur le canton et la création directe d'emplois pour exploiter les installations construites. L'effet d'investissement est donc durable. En outre, la capacité technologique acquise dans le cycle combiné peut être de nature à donner à des entreprises genevoises des références internationales.».
Cela devrait faire partie de notre débat. Quant à savoir s'il faut affecter ce type de ressources, parce que cela ôterait une certaine liberté, comme l'a dit M. Vodoz, à notre législatif, je crois qu'en matière de politique énergétique ce parlement a pris trop de libertés en n'affectant pas, précisément, de ressources dans ce domaine où elles sont absolument indispensables !
L'autre étude de l'équipe de Logilab à Genève évoque un scénario moyen de décrochage du nucléaire, je cite : «Le total annuel d'investissements par rapport à ce scénario est de 149,91 millions de francs, dont seulement 23,97 s'adresseraient à des entreprises hors du canton. La création d'une valeur ajoutée de 194 millions de francs par an, un montant qui représente un accroissement du produit intérieur brut du canton de l'ordre de 0,9%, un accroissement...
La présidente. Monsieur Vanek, revenez au coeur du sujet !
M. Pierre Vanek. Je suis au coeur du sujet, Madame !
La présidente. Non, Monsieur Vanek ! Car, à ce moment-là, on peut étendre ce débat à tous les secteurs de l'économie !
M. Pierre Vanek. Absolument pas ! Je vous signale, Madame la présidente, avec tout le respect que je vous dois, que «la présente loi - je cite le texte de l'initiative - institue un fonds - et on nous a justement reproché cette affectation - destiné à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables.
»En termes d'emplois, avec l'hypothèse d'une valeur ajoutée par tête de 100 000 F, cet accroissement en valeur ajoutée créerait mille neuf cent quarante emplois durables.».
Bizarrement, il n'en a pas été fait état lors de la conférence de presse de M. Joye !
Il y a donc un besoin crucial de ressources pour investir dans un certain nombre d'emplois dans le secteur énergétique, emplois qui couvrent un très large éventail de la haute technologie, avec les ouvertures que cela implique à des emplois de terrain moins qualifiés et plus immédiats. Dans le cadre de la promotion des économies d'énergie, il n'y a aucun problème à employer ces ressources, qui seraient prises pour créer des emplois dans un secteur qui correspond à une orientation prioritaire de notre canton en matière de politique énergétique et de politique écologique.
Le rapport cite la Coordination solidaritéS comme initiants, ainsi que l'Association de défense des chômeurs, qui avait soutenu cette initiative à l'époque en récoltant des signatures, et les milieux antinucléaires genevois, Contratom en tout cas. La cohérence est parfaite. Il faut des ressources et il est parfaitement logique d'opérer les modestes ponctions qui sont proposées pour permettre de lancer la dynamique nécessaire dans ce secteur.
Mme Claire Chalut (AdG). J'ai entendu évoquer la solidarité envers les victimes, mais je ne vois malheureusement pas très bien comment celle-ci pourrait se concrétiser si on persiste dans le refus de toucher à la fiscalité ! Pourtant, il faut la réviser, et les propositions de cette initiative vont dans ce sens.
D'autre part, je constate que les discours et les actes de ceux des bancs d'en face divergent. Leurs discours sont souvent flamboyants, surtout à l'occasion des élections et des votations, mais, lorsqu'il est question de passer aux actes en acceptant des propositions concrètes, alors, il n'y a plus personne !
Vous refusez obstinément de toucher à la fiscalité qui pourrait dégager des fonds pour créer des emplois durables. Vous avez l'attitude du hérisson qui se recroqueville sur lui-même. Vous vous réfugiez dans l'égoïsme, ce qui est d'autant plus intolérable que vous prétendez vouloir donner la priorité à l'emploi ! Vous feriez mieux de faire connaître franchement vos objectifs et dire que les lois ne servent à rien, puisque la seule loi qui compte pour vous est la loi de l'économie de marché débridée ! Pour vous, il n'y a qu'à laisser faire pour que tout aille bien. Vous parlez de technique, de stimulation économique, mais, jusqu'ici, vous ne faites aucune démonstration concrète. J'aimerais pourtant bien en voir une !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. En entendant les arguments des uns et des autres, on a franchement l'impression d'assister à deux débats complètement différents qui prétendent en réalité être réunis sous un seul et même chapeau : la politique de l'emploi. On entend, par exemple, M. Godinat développer une argumentation qui ne manque pas de pertinence mais qui s'inscrit dans une politique sociale prise au sens large, à l'intérieur de laquelle on loge, notamment, ce que l'on a tendance à appeler aujourd'hui «les emplois de proximité». Le but de cette initiative est la création de certains types d'emplois. A cet égard, la seule question que l'on doit vraiment se poser, c'est de savoir ce que l'on attend de l'Etat pour favoriser la création d'emplois.
Or, vous le savez bien, pour favoriser la création d'emplois, une collectivité doit, tout d'abord, de manière concrète et répétée, avoir dans la durée une attitude généralement favorable à l'économie et qui, par conséquent, chaque fois que cela est possible, évite d'opposer à des projets de création d'entreprises et à des initiatives nouvelles des entraves ou des blocages qui s'avèrent pénalisants.
Indépendamment de cette attitude plus psychologique mais ayant une très grande importance pour la création d'emplois et le développement des entreprises, il y a des mesures pour lesquelles l'Etat, de toute évidence, est un acteur engagé. Ces mesures concernent un certain nombre de conditions-cadres, que ce soit dans le domaine de la mise à disposition de terrains, de la main-d'oeuvre - et c'est tout le problème de la formation qui est en cause - des permis pour la main-d'oeuvre étrangère là où elle n'est pas disponible, là où les qualifications ne sont pas disponibles sur le marché local de l'emploi; c'est également tout le problème des infrastructures, en particulier en matière de transports et c'est, bien entendu, le problème de la fiscalité.
Alors, venons-en à la question de la fiscalité s'agissant de la création d'emplois nouveaux. J'aimerais vous dire que, dans le domaine de la promotion économique, toute mesure ayant pour effet d'aggraver la charge fiscale est une mesure dissuasive de la création d'entreprises nouvelles ou du développement d'entreprises existantes. C'est une constatation que nous faisons constamment dans le cadre de la promotion économique. Vous savez bien que, lorsqu'il s'agit de créer des entreprises nouvelles ou de permettre le développement d'entreprises existantes, l'Etat est engagé de manière assez régulière mais dans un sens inverse à celui proposé par l'initiative, c'est-à-dire dans des mesures d'accompagnement fiscal qui sont, en réalité, un allégement programmé pendant une certaine durée de la fiscalité normalement exigible, et cela de manière parfaitement compatible, d'une part, avec les exigences légales et, d'autre part, avec le concordat.
Vous voyez donc bien que, s'agissant de création, de développement d'entreprises, de création d'emplois nouveaux, par conséquent, les seules mesures utiles tendent à tirer la fiscalité vers le bas et non pas à lui faire prendre l'ascenseur. C'est d'ailleurs assez intéressant de constater qu'au travers d'un certain nombre de débats que nous avons eus dans cette salle, et notamment à la suite d'un certain nombre de motions qui émanaient des partis de gauche, on nous demandait si nous en faisions réellement assez en matière de mesures d'accompagnement fiscales. C'est pour nous un travail et un levier extrêmement importants.
J'aimerais dire à cet égard à M. Vanek, qui est intervenu dans le domaine spécifique du développement des entreprises qui sont aptes, par leurs qualifications et la nature de leurs travaux ou des produits qu'elles mettent sur le marché, à jouer un rôle utile dans les créneaux de l'écologie, prise au sens large, que, par l'intermédiaire de la promotion économique, nous avons eu le privilège d'accompagner la création d'un certain nombre d'entreprises jouant un rôle significatif dans le domaine écologique. M. Vaudroz, directeur de l'OPI, le sait bien, parce que ce sont des entreprises qui, généralement, sont des membres très actifs de notre Office pour la promotion de l'industrie. J'aimerais vous dire que toutes ces entreprises ont pu voir le jour par des mesures d'accompagnement fiscales qui sont des allégements de leur fiscalité, condition sine qua non pour qu'elles puissent effectivement créer des emplois intéressants dans les domaines technologiques que vous avez évoqués.
J'ai l'impression que, par cette initiative, on assiste à une sorte de grand malentendu. Cette initiative, qui réclame la création d'emplois, occulte en réalité totalement un partenaire indispensable à la création des emplois, à savoir les entreprises. Les emplois ne sont pas une abstraction. Les emplois sont le fruit du travail et du développement des entreprises. J'ai le sentiment que, par votre initiative, vous vous intéressez au fruit, ce qui est légitime, mais vous ignorez totalement l'arbre, et par vos mesures vous êtes en train, en réalité, de stériliser l'arbre. Notre travail à nous, gouvernement, c'est au contraire de favoriser la croissance de ces arbres que sont les entreprises de façon à ce qu'ils puissent désormais produire davantage de fruits, parce que ces emplois sont capitaux pour notre collectivité.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Je sais que ce n'est pas la tradition de prendre la parole après un conseiller d'Etat, mais, puisque M. Jean-Philippe Maitre se fait le chantre des entreprises nouvelles et de la création d'emplois, je tenais tout de même à lui faire remarquer que le système fiscal actuel prétérite les petites et moyennes entreprises créatrices d'emplois au profit des entreprises fortement capitalisées.
L'initiative 101 demande une augmentation du taux de base d'imposition minimum du bénéfice des personnes morales, en d'autres termes elle vise à augmenter la fiscalité des sociétés fortement capitalisées, c'est-à-dire des banques, des compagnies d'assurances, des sociétés immobilières. Ces entreprises - notamment les banques - font des bénéfices et licencient massivement. Si c'est cela la politique de l'emploi que soutient le Conseil d'Etat, alors je dois dire à mon tour que vous n'avez rien compris !
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Je regrette de devoir intervenir, mais les propos de Mme Calmy-Rey sont partiellement faux et simplificateurs. En effet, une société faiblement capitalisée n'est pas forcément une nouvelle société, et une société fortement capitalisée n'est pas forcément une ancienne société.
Vous avez dit que les sociétés faiblement capitalisées ont forcément de la main-d'oeuvre, alors que les sociétés fortement capitalisées travaillent forcément avec des systèmes d'automatisation du travail en tant que tels. C'est une fois de plus un raccourci saisissant.
Je vous rappelle, en outre, que des sociétés faiblement capitalisées peuvent avoir des taux de rendement faibles et seraient, dès lors, touchées par le projet de loi qui naîtrait de votre initiative. Vous faussez le débat, vous n'en donnez qu'une partie, et l'on ne peut pas accepter cela ! L'initiative toucherait également toutes les PME ayant des taux de rentabilité inférieurs à 10,60%, comme vous avez pu le voir dans le rapport de majorité.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Je ne sais pas s'il est dans la coutume d'intervenir après les conseillers d'Etat...
La présidente. Je vous en prie, Monsieur le rapporteur !
M. Bernard Clerc, rapporteur de première minorité. Je trouve cette coutume un peu curieuse, d'autant plus lorsque le Conseil d'Etat s'engage si fortement contre ces initiatives. Il faut être clair ! (Rires et quolibets.)
J'aimerais relever plusieurs éléments au terme de ce débat. Tout d'abord, on nous parle de la concurrence. Mais, que je sache, la concurrence est liée au principe de base de l'économie de marché. On ne peut pas, d'un côté, louer la concurrence et, ensuite, se plaindre qu'il y a des délocalisations, parce que cela fait partie du jeu. La concurrence poussée à l'extrême consiste toujours à s'aligner sur celui qui a les coûts les plus bas. A ce jeu-là, évidemment, on sait toujours où l'on commence, on ne sait pas où l'on s'arrête, que ce soit en matière salariale, fiscale ou autre.
En ce qui concerne les délocalisations, il convient de rétablir un certain nombre de vérités, parce que l'on confond souvent des achats d'entreprises à l'étranger par des entreprises suisses avec des délocalisations. Or ce n'est pas tout à fait la même chose. Le fait que des investisseurs suisses rachètent ou créent des entreprises à l'étranger ne signifie pas forcément que l'entreprise est délocalisée de Suisse.
Par rapport aux chômeurs, le débat que nous avons entendu est essentiellement un débat de solidarité. Nous ne concevons pas la solidarité comme de la charité, comme une aide aux «pauvres chômeurs». Notre conception, c'est d'intervenir sur un certain nombre de conditions-cadres pour la création d'emplois. Les chômeurs n'en ont rien à faire de toucher des indemnités de chômage. Ce qu'ils veulent prioritairement, c'est un travail. Demandez aux chômeurs, ils vous le diront eux-mêmes !
Je terminerai sur la question des conditions-cadres. On a parlé, lors d'un précédent débat, des allégements fiscaux consentis aux entreprises. Nous avons eu un rapport du Conseil d'Etat qui montrait que ces allégements fiscaux étaient extrêmement restreints, tant en termes de nombre d'entreprises que de nombre de salariés concernés à travers ces entreprises. Cela signifie bien que ce n'est pas l'aspect essentiel des conditions d'implantation d'une entreprise à Genève, ni même de son maintien. Il y a bien d'autres conditions, vous le savez.
Il y a la question de la durée du travail. Vous savez que dans notre pays la durée du travail est bien supérieure à tout ce que l'on trouve dans les autres pays européens. Il y a des éléments comme l'absentéisme, qui est beaucoup plus faible, ou celui du coût immobilier de manière générale. Ces conditions-cadres, et je m'étonne d'entendre le président du département de l'économie publique dire le contraire, sont celles qui sont vantées dans les brochures que vous publiez à l'intention des futures entreprises. Alors vous ne pouvez pas dire, d'un côté, que les conditions-cadres à Genève sont excellentes, et venir nous dire, de l'autre, qu'avec notre projet vous allez «foutre en l'air» la seule condition-cadre qui compte, à savoir la fiscalité. Ce n'est pas sérieux !
M. Jean-philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je n'ai jamais dit ça, c'est de la mauvaise foi ! (La présidente passe la parole à M. Maitre.)
Non, je renonce. Je ne tiens pas à prolonger dans des débats qui relèvent de la mauvaise foi !
Mise aux voix, l'initiative est rejetée.
RAPPORT DE MAJORITÉ
La commission fiscale, sous la présidence de M. Jean-Luc Ducret, rapporteur, s'est réunie à trois reprises les 30 septembre, 14 octobre et 11 novembre 1994, puis, sous la présidence de M. Daniel Ducommun, à cinq reprises, les 25 novembre et 13 décembre 1994, les 17 janvier, 24 janvier et 7 février 1995, pour examiner l'initiative 102 en présence de MM. Olivier Vodoz, chef du département des finances et contributions, Pietro Sansonetti, directeur des affaires fiscales, Daniel Brauen, administrateur général, et Flurin Könz, chef du service juridique.
1. Audition des initiants
Dans sa séance du 14 octobre 1994, la commission fiscale a auditionné les auteurs de l'initiative regroupés au sein du Comité Solidarité fiscale (Mmes Butschi et Bollay Cruz, MM. Ecuyer, Matthey et Fioux).
Le Comité Solidarité fiscale a tenu à placer cette initiative dans le contexte particulier de la crise des finances publiques qui sévit, à Genève en particulier, depuis plusieurs années.
Alors que les dépenses continuent de s'accroître, les recettes ont connu un brusque ralentissement depuis 1987.
Les efforts de l'Etat en vue d'assurer le redressement de ses finances s'orientent essentiellement vers le tassement des dépenses. Le Comité Solidarité fiscale estime, quant à lui, indispensable d'agir sur les recettes, dans le but non seulement d'accroître le revenu global de l'Etat, mais également de corriger une inégalité qui fait que les détenteurs de gros capitaux ne sont que peu touchés par la crise actuelle.
Le fonds cantonal de 80 millions de francs par an affecté à des tâches de solidarité proposé par l'initiative ne constitue en fait que la correction d'une injustice, d'une part, et la contribution élémentaire des «épargnés de la crise» aux dépenses sociales à charge de l'Etat, d'autre part.
2. Audition des représentants de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève
MM. Jean-René Roulet et Pierre Cogne - séance du 11 novembre 1994
Outre le fait que d'associer les usagers du fonds à sa gestion ne paraît pas réaliste et raisonnable, le principal reproche fait par les représentants de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève tient au fait que l'effort de l'Etat ne peut porter exclusivement sur les recettes. L'action sur les dépenses, et essentiellement sur les salaires, doit compléter efficacement l'effort sur les recettes qui, contrairement aux propositions contenues dans l'initiative, devrait porter sur des taux d'impôts plus incitatifs, de manière à augmenter le nombre de contribuables pourvoyant le plus aux recettes de l'Etat.
Dans l'exposé des motifs à l'appui du dépôt de l'initiative, il est relevé que, dans notre canton, 4 500 millionnaires se partagent les trois quarts du patrimoine de 27 milliards de francs déclaré par les personnes physiques.
Il faut poursuivre l'analyse afin d'en souligner l'insuffisance. Ces 20 milliards de francs (75% de 27 milliards) génèrent un impôt sur la fortune d'environ 183 millions de francs en plus d'impôts induits auprès de nombreux commerçants et entreprises.
Si l'ensemble de cette fortune était répartie équitablement entre les 192 000 contribuables, l'impôt serait d'environ 100 millions de francs.
Le rendement, selon le système actuel, est donc quasiment le double de celui, pervers et égalitaire, suggéré par l'initiative.
L'effort de l'Etat doit au contraire viser à fixer des taux d'impôts susceptibles d'attirer et de favoriser l'implantation à Genève de gros contribuables.
La fortune est actuellement soumise à plusieurs impôts:
- l'impôt général sur la fortune (article 51 LCP);
- un impôt supplémentaire sur la fortune soumis à aucun centime additionnel (article 51 A LCP);
- pour la fortune immobilière, un impôt immobilier complémentaire sur la valeur brute (article 76 LCP);
- une fois par génération, des droits de succession.
Il est donc totalement abusif d'introduire un deuxième impôt supplémentaire en complément de celui prévu à l'article 51 A.
3. Audition des représentants de la Fédération des syndicats patronaux
MM. Michel Barde, Blaise Matthey et Gérald Roduit -
séance du 11 novembre 1994
Les représentants de la Fédération des syndicats patronaux tiennent à souligner et à mettre en évidence que les personnes ne possédant qu'une villa ou un appartement comme fortune, sans posséder de fortune liquide, sont touchées par l'initiative.
Ils rappellent également que l'Alliance de gauche elle-même, dans le projet de loi 7177 déposé le 1er novembre 1994 et proposant l'introduction d'une taxe «transport et environnement», confirme, dans son «exposé des motifs», que de nombreuses personnes ont transféré leur domicile dans le canton de Vaud pour payer moins d'impôts, tout en continuant à bénéficier des avantages de notre canton
Ils concluent en soulignant que prévoir des impôts supplémentaires, qui viendraient déséquilibrer encore davantage, au détriment de Genève, la comparaison fiscale intercantonale, ne pourrait qu'accroître le risque de départ de certains contribuables dans le canton de Vaud voisin.
Afin d'illustrer leurs propos, les représentants de la Fédération des syndicats patronaux remettent à la commission fiscale un document intitulé «Réflexions sur l'initiative 102», basé sur les renseignements obtenus auprès de l'administration fiscale cantonale duquel il résulte:
1. Selon les estimations de l'administration fiscale cantonale, la contribution supplémentaire rapporterait, au mieux, 48 000 000 F et non 80 000 000 F.
2. L'augmentation de l'impôt sur la fortune oscille entre 7,45% pour une fortune nette de 800 000 F et 33,80% pour une fortune nette de 5 000 000 F et plus.
3. L'impôt sur la fortune du canton de Genève est actuellement en 17e position pour une fortune de 1 000 000 F, en 24e position pour une fortune de 2 000 000 F et le plus onéreux de Suisse pour une fortune nette supérieure à 5 000 000 F.
4. L'impôt sur la fortune du canton de Genève sera en 18e position pour une fortune de 600 000 F, en 22e position pour une fortune de 800 000 F, en 23e position pour une fortune de 1 000 000 F et le plus onéreux de Suisse pour une fortune nette supérieure à 2 000 000 F.
5. Les contribuables qui ont une fortune imposable supérieure à 2 000 000 F sont au nombre de 2 187; ils acquittent un impôt cantonal et communal sur la fortune de 149 000 000 F et sur le revenu de 363 000 000 F, soit au total un impôt cantonal et communal sur le revenu et la fortune de 512 000 000 F.
6. Si la moitié de ces contribuables quittait Genève, la perte de recettes serait de 256 000 000 F, à laquelle il faut encore ajouter la part cantonale de l'IFD de 15 000 000 F à 20 000 000 F.
4. Débat au sein de la commission
Très vite, il est apparu, au sein de la commission fiscale, une volonté majoritaire (L, R, PDC), de ne pas augmenter la fiscalité des contribuables genevois et particulièrement l'imposition de la fortune, opposée à l'objectif des initiants et de la minorité (AdG, S, E.), qui vise, d'une part, à corriger les inégalités qui ne sont plus compensées, selon elle, par le biais de la progressivité de l'impôt et, d'autre part, à répondre aux besoins sociaux croissants.
5. Argument de la majorité de la commission
Des nombreux tableaux chiffrés sur l'évolution depuis plusieurs décennies de la fiscalité à Genève, tableaux fournis à la commission par l'administration fiscale, il résulte clairement que, dans notre canton, les revenus moyens et élevés sont déjà largement imposés.
Dès lors, plutôt que d'imaginer un nouvel impôt, il serait plus judicieux, et sans doute plus efficace, d'alléger globalement la charge fiscale de manière à rendre plus attractive l'installation dans notre canton de nouveaux contribuables.
Les difficultés économiques que nous connaissons actuellement ne trouveront une solution que si les conditions cadres permettant la reprise de l'activité en général sont créées, et parmi ces conditions, il en est une, prioritaire, qui consiste à ne pas toucher pendant un certain temps à la fiscalité des personnes physiques, voire des personnes morales.
Un plan d'épargne individuel ou une décision d'investissement ne peut s'envisager valablement si, régulièrement, un nouvel impôt vient perturber la réflexion. L'instrument politique que constitue la fiscalité est à manier avec la plus grande prudence. D'une part, la mobilité des contribuables est grande et d'autre part, le placement de capitaux à l'étranger est séduisant.
L'Etat doit savoir jusqu'où aller trop loin; instituer une fiscalité confiscatoire présente un danger aussi grand que de ne plus se donner les moyens de couvrir ses besoins.
La majorité de la commission s'est déclarée opposée à l'initiative 102 et recommande au Grand Conseil de la rejeter.
6. Conclusion et vote
Sur 14 commissaires présents lors du vote:
6 commissaires acceptent l'initiative (3 AdG, 2 S et 1 E),
8 commissaires refusent l'initiative (4 L, 2 R, 2 PDC).
INITIATIVE POPULAIRE
instituant un fonds de solidarité «Solidarité fiscale»
Les soussignés, électeurs et électrices dans la République et canton de Genève, en application des articles 64 et 65 de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, et des articles 86 à 93 de la loi sur l'exercice des droit politiques, du 15 octobre 1982, appuyent la présente initiative rédigée, instituant un fonds cantonal affecté aux dépenses de solidarité.
LOI
instituant un fonds de solidarité
(D 3 18)
Article 1
But
1 La présente loi institue un fonds cantonal affecté à des dépenses de solidarité dans les domaines de l'aide aux personnes âgée, de l'aide aux chômeurs, de l'aide humanitaire, de la construction de HBM et de l'extension des transports publics
2 Les ressources du fonds s'ajoutent à celles que l'Etat affecte déjà à ces domaines.
Art. 2
Objet
Le fonds cantonal est alimenté par une contribution prélevée sur la fortune des personnes physiques.
Art. 3
Assujettisse-ment
Sont astreintes au paiement de la contribution les personnes physiques assujetties à l'impôt cantonal en application de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887.
Art. 4
Base
d'imposition
La fortune imposable est déterminée conformément aux dispositions de la loi générale sur les contributions publiques.
Art. 5
Taux de la
contribution
due par les
personnes
physiques
1 Le montant de la contribution due par les personnes physiques est calculé sur la base de la fortune imposable.
2 Cette contribution n'est pas perçue si la fortune imposable est inférieure à 500 001 F.
3 Cette contribution équivaut:
a)
au 1,0% de la fortune imposable comprise entre 500 001 et 750 000 F;
b)
au 1,5% de la fortune imposable comprise entre 750 001 et 1 000 000 F;
c)
au 2,0% de la fortune imposable comprise entre 1 000 001 et 1 500 000 F;
d)
au 2,5% de la fortune imposable supérieure à 1 500 000 F.
4 Les centimes additionnels prévus par la loi annuelle sur les dépenses et les recettes du canton de Genève sont perçus sur la contribution due par les personnes physiques et sont affectés au fonds cantonal de solidarité.
Art. 6
Application
de la loi
générale sur
les contributions
publiques
1 Les dispositions de la loi générale sur les contributions publiques s'appliquent en tant que la présente loi n'y déroge pas.
2 Sont notamment applicables par analogie les dispositions de la loi générale sur les contributions publiques concernant les exemptions, les procédures de taxation, de réclamation et de recours, la perception, ainsi que les pénalités.
Art. 7
Entrée en vigueur
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier de l'année qui suit son acceptation en votation populaire.
RAPPORT DE MINORITÉ
L'initiative 102 propose d'instituer un fonds cantonal affecté aux dépenses de solidarité, en priorité dans les domaines de l'aide aux personnes âgées et aux chômeurs, de l'aide humanitaire, de la construction de HBM et de l'extension des transports publics. Ce fonds sera alimenté par une contribution prélevée sur la fortune des personnes physiques.
Où les dépenses de solidarité explosent
De plus en plus de femmes, de familles monoparentales et de personnes sans emploi sont menacées de pauvreté et ne voient d'autre issue que de recourir aux services sociaux. De plus en plus de personnes âgées sont aidées par l'Etat. Concrétisation de ce phénomène: les dépenses de solidarité, pour reprendre l'expression utilisée par les initiants, augmentent fortement les budgets et les comptes de l'Etat.
La notion de dépenses de solidarité recouvre largement celle de dépenses prioritaires retenue par le Conseil d'Etat, de sorte que les chiffres et les classifications figurant dans les comptes et les budgets de l'Etat permettent une analyse objective. La comparaison des comptes de 1991 avec le projet de budget de 1995 donne les pourcentages suivants:
Emplois et prestations pour chômeurs
+ 308%
Part cantonale à l'AVS/AI
+ 43%
Allocation aux personnes âgées
+ 30%
Assistance médicale
+ 15%
Aide à domicile
+ 51%
Assurance-maladie
- 8%
Logement social
+ 45%
Allocations d'étude et d'apprentissage
+ 42%
Pour la même période, la progression de ces dépenses dans leur ensemble est de 38%, soit deux fois plus que l'inflation.
L'augmentation forte des dépenses de solidarité, économiquement des dépenses de transfert, est significative d'une situation de développement des inégalités sociales. Ce développement transparaît à l'examen.
1. La structure du revenu cantonal se modifie. La part du revenu du travail baisse au profit du revenu du capital. Entre 1980 et 1993, la part des salariés enregistre en termes réels une hausse de 38%, celle des entreprises et de la propriété s'accroît de 67%.
2. Le canton de Genève se caractérise par une forte inégalité dans la répartition des revenus et des fortunes. A ce jour, toutes les tentatives d'imposer davantage les contribuables les plus aisés se sont heurtées à la perspective de les voir se réfugier chez les voisins car, la crise aidant, on les croyait rares et quasiment sur le point de disparaître.
Et pourtant, il n'en est rien.
Où les richesses sont très inégalement réparties
D'après les chiffres auxquels nous avons pu avoir accès, en 1991, la moitié la plus riche des contribuables dispose de 82% du revenu imposable total, alors que la moitié la plus pauvre n'en recueille que les 18%, les 10% les plus riches ont plus du tiers du revenu imposable total et les 5% les plus riches, plus du quart. Par ailleurs, 181 ménages déclarent un revenu supérieur à 1 million de francs de revenu imposable. Ce 0,1% de la population détient 5,8% du revenu cantonal. En 1993, ce nombre augmente, on compte 216 millionnaires, soit 19% de plus en 2 ans.
Même chose pour la fortune.
La fortune n'est imposable à Genève qu'au-dessus de 50 000 F pour un célibataire et 100 000 F pour un couple. En 1993, 76,5% des contribuables n'ont pas de fortune imposée (sans compter ceux qui sont imposés à la source). 4980 sur un total de 209 754 contribuables déclarent une fortune imposable supérieure à 1 million de francs. Le canton de Genève recense dont 2,3% de millionnaires en fortune. Ces 2,3% détiennent les 72,7% de la fortune imposable.
Graphiquement, la figure des inégalités est celle d'une courbe de Lorenz du revenu et de la fortune imposables, la diagonale représentant une distribution parfaitement égalitaire et une courbe en dessous de la diagonale représentant une distribution inégale. A Genève, en 1991, cette courbe a l'allure dessinée ci-après:
Source: Administration fiscale cantonale
Ces inégalités se sont accrues au fil du temps, affirmation étayée par l'augmentation de la progressivité de l'impôt sur le revenu pendant la période de 1986 à 1991. En effet, la part du revenu imposable détenue par les catégories les plus «pauvres» a diminué, celle détenue par les plus «riches» a augmenté et les premiers paient une part moindre de l'impôt total alors que les seconds en paient une part accrue.
Evolution des parts de l'impôt total à Genève, 1986-1991
1986
1987
1988
1989
1990
1991
Part de l'impôt des 30%
1,5
1,3
1,2
1,2
1,2
1,3
les plus pauvres (%)
Part de l'impôt des 50%
10,7
10,4
9,4
9,0
8,9
9,1
les plus pauvres (%)
Part de l'impôt des 20%
62,3
62,7
64,8
66,0
66,3
65,4
les plus riches (%)
Part de l'impôt des 10%
46,8
47,4
49,1
50,6
51,3
50,0
les plus riches (%)
Part de l'impôt des 5%
35,4
36,1
37,4
38,8
39,7
38,4
les plus riches (%)
Source: Administration fiscale cantonale
Puisque le barème de l'impôt n'a pas connu de changements majeurs dans sa progression, on peut légitimement en conclure que l'accroissement de la progressivité de l'impôt est due principalement à l'augmentation des inégalités de revenus.
Quant à la fortune, le barème de l'impôt sur la fortune n'a pas été modifié depuis 1985. C'est un barème à la progressivité légère, de sorte que le maintien de la progression à froid, s'il a eu pour conséquence quelque alourdissement de la fiscalité sur la fortune, celui-ci n'est pas visible statistiquement.
Le rendement de cet impôt, c'est-à-dire le rapport entre la production de l'impôt sur la fortune et la fortune imposable ne varie que peu autour de 6,2% entre 1987 et 1993, alors que le nombre de millionnaires s'accroît de 29%, que la fortune imposée totale progresse en francs constants (+3,2%), et que la concentration des richesses s'accroît. En effet, toujours durant la même période, la part détenue par les millionnaires augmente dans le total de la fortune nette, d'une part, et, d'autre part, progresse plus vite que cette dernière.
Evolution du nombre de millionnaires entre 1987 et 1993
Années
Contribuables
Millionnaires
% de millionnaires
1987
195 680
3 842
1,96
1988
195 895
3 829
1,95
1989
196 621
4 242
2,16
1990
195 848
4 593
2,35
1991
201 448
4 426
2,20
1992
206 216
4 826
2,34
1993
209 754
4 980
2,37
Source: Administration fiscale cantonale
Concentration de la fortune 1987-1993
Années
Fortune imposée
détenue par les
millionnaires
Total de la fortune imposée
Fortune détenue
par les millionnaires
en % du total
1987
15,16
21,61
70,16
1988
15,59
22,20
70,23
1989
17,45
24,27
71,91
1990
19,39
26,43
73,36
1991
18,15
26,32
71,67
1992
19,13
26,52
72,13
1993
20,98
28,84
72,75
Source: Administration fiscale cantonale
En outre, les inégalités de fortune sont plus importantes à Genève que dans le reste de la Suisse. D'après la statistique de la fortune des personnes physiques pour l'ensemble de la Suisse publiée par l'Administration fédérale des contributions, le pourcentage des contribuables détenant une fortune de plus de 1 million de francs est de 1,94 et ils détiennent 42% de la fortune totale déclarée au fisc; à Genève, ils sont 2,3 et déclarent le 72,7% de la fortune imposable.
Où la politique libérale est socialement néfaste
Au vu des ces données, le constat est là, incontournable, à savoir que les inégalités se creusent. Il y a enrichissement des plus «riches», appauvrissement des plus «pauvres», aussi bien en ce qui concerne la distribution des revenus que des fortunes, et à Genève plus qu'ailleurs.
Il ne sert dès lors pas à grand-chose de montrer du doigt la pyramide pointue des contribuables et de fustiger la progressivité de l'impôt genevois. Les «pauvres» détiennent une part toujours moindre du revenu et de la fortune totale mais paient une part moindre des impôts, alors que les «riches» détiennent une part croissante du revenu et de la fortune totale et paient aussi une part croissante de l'impôt. C'est là le signe de l'inégalité. Limiter la progressivité des barèmes comme le souhaitent les libéraux, c'est-à-dire épargner les plus aisés, n'apporte aucune solution au constat des inégalités, bien au contraire.
La proposition est la manifestation de la démarche intellectuelle qui depuis toujours fait les beaux jours de la pensée libérale, à savoir qu'il faut privilégier fiscalement les privilégiés avec les arguments: 1. qu'ils partiront si on ne le fait pas, 2. qu'il existe a priori un niveau d'imposition supportable et 3. que ce sont eux les producteurs, les investisseurs, donc les moteurs de la prospérité.
A ces arguments, il faut bien répondre que
1. Ils ne sont pas partis et qu'ils sont même de plus en plus nombreux.
2. Il n'existe pas a priori de niveau d'imposition supportable ou au contraire insupportable. Une telle notion n'a pas de fondement objectif. En revanche, un seuil d'acceptabilité de la charge fiscale peut être approché par comparaisons. Il dépend du degré de concurrence fiscale entre les collectivités, du degré de mobilité des contribuables, du rapport objectif et subjectif entre les prestations publiques et les impôts. Il dépend aussi de l'évolution de l'ensemble des éléments de la fiscalité; à ce titre, les citoyens contribuables font face depuis 1989 à des hausses successives des prix (des biens, du logement, des services privés et publics, du crédit), et des impôts fédéraux (carburants et TVA). Or, ces hausses affectent relativement plus les revenus modestes que les hauts revenus.
3. Cette politique est une erreur économique car il n'est pas possible de séparer la production des richesses de sa distribution: plus les revenus et les fortunes sont équitablement répartis, plus la croissance d'une économie est forte. Un franc de plus pour les gens les plus modestes sert à consommer, c'est-à-dire à entretenir l'activité et l'emploi, à épargner, donc à investir, et l'effet sur la consommation est plus marqué que si ce franc est distribué aux millionnaires.
Dans la même catégorie des erreurs on peut aussi ranger sans risque de beaucoup se tromper un autre dada des libéraux qui consiste à vouloir agir fortement sur les dépenses de l'Etat pour rééquilibrer les finances publiques. Ce dada n'est pas sans conséquences sur le développement des inégalités sociales, en particulier si cette obsession en venait à toucher aux dépenses de solidarité.
Ce type de dépenses va continuer de se développer avec l'établissement d'un chômage structurel comparable à celui qui existe dans tous les pays voisins et la multiplication du travail précaire, saisonnier ou à temps partiel. De plus, la charge des personne âgées va croître encore puisque globalement le groupe des plus de 65 ans augmentera.
Ajouté à cela le ralentissement des recettes d'impôts depuis 1987, les allégements fiscaux consentis depuis cette date, la suppression de la progression à froid et la modification de la structure du revenu cantonal, on comprend qu'il existe un sérieux problème de financement des prestations publiques.
Le département de l'action sociale et de la santé partant des mêmes prémisses a récemment soumis aux différents partis politiques un projet de financement des prestations versées par l'OCPA (aide aux personnes âgées) sous la forme d'une taxe de solidarité.
Où l'initiative 102 propose un impôt de solidarité sur les millionnaires
L'impôt supplémentaire proposé par l'initiative 102 sera prélevé sur les personnes physiques dont la fortune imposable est supérieure à 500 000 F. L'initiative relève les taux maxima des tranches supérieures à ce montant, de 1% pour la tranche comprise entre 500 000 et 750 000 F, de 1,5% entre 750 000 et 1 million, de 2% entre 1 et 1,5 million et de 2,5% pour des fortunes supérieures à 1,5 million de francs.
Selon les calculs de l'administration fiscale cantonale, l'incidence sur la charge fiscale oscillerait entre 148 F d'impôt supplémentaire, soit +4,5% pour une fortune de 600 000 F et 15 340 F, soit +33,7%, pour une fortune nette de 5 millions de francs. Toujours selon les estimations de l'administration fiscale cantonale, cet impôt rapporterait une cinquantaine de millions de francs.
L'effort n'est pas négligeable, il nous paraît néanmoins qu'il peut être raisonnablement demandé. Selon les statistiques de la fortune imposée fournies par l'administration, un peu plus de 4% des contribuables seraient touchés, 4% détenant quelque 83% de la fortune imposable. Ce ne sont pas là les personnes les plus exposées socialement parlant, ni celles dont les moyens financiers sont les plus précaires.
Mesdames et Messieurs les députés, les salaires réels ont baissé dans notre pays durant ces trois dernières années. A travail égal, les salaires des femmes sont plus bas que ceux des hommes et de nombreux revenus ne garantissent pas l'existence. D'un autre côté, les bénéfices des grandes entreprises et le nombre des millionnaires en revenu et en fortune s'accroissent. Il nous paraît dès lors que les grandes fortunes peuvent payer leur contribution au rééquilibre des finances publiques.
Au bénéfice de ces explications, la minorité de la commission (socialistes, verts et Adg), vous demande de bien vouloir approuver l'initiative 102, telle qu'elle vous est proposée.
Débat
M. Jean-Luc Ducret (PDC), rapporteur de majorité. Tout d'abord, je tiens à préciser, mais vous l'aurez sans doute constaté, que ni la commission ni le Conseil d'Etat ne vous propose un contreprojet à cette initiative fiscale. La chasse est à nouveau ouverte ! La chasse aux riches, la chasse aux nantis. Toutes les décennies, dans la plupart des cantons, voire la Confédération elle-même, une initiative est lancée qui dresse les uns contre les autres dans une discrimination regrettable... (Exclamations sur les bancs de la gauche.) ...les petits et les gros contribuables.
Par crainte d'ennuyer l'éditorialiste de la «Tribune de Genève», je ne resservirai pas à votre parlement le plat indigeste de la faillite des systèmes étatiques de l'Europe de l'Est. Néanmoins, et à défaut de gastronomie indélicate et pour être un peu plus sérieux, je me dois de rappeler quelques principes fondamentaux qui ont tous été vérifiés par l'expérience.
Par un dosage délicat, basé sur des paramètres économiques, financiers, sociaux et politiques et tenant compte de la situation particulière des différentes catégories de contribuables, l'Etat organise et développe sa fiscalité en fonction de ses besoins. Dans cette subtile recherche d'équilibre, l'Etat doit nécessairement veiller à sauvegarder l'équité. Lorsque la charge fiscale imposée à une certaine catégorie de contribuables devient insupportable, l'équité n'est plus atteinte. Il y a, alors, un sentiment d'injustice. Il existe ainsi une limite au-delà de laquelle un contribuable trop écrasé par l'accroissement du fardeau fiscal voit en l'Etat un spoliateur.
Dans ces conditions, et cela est essentiel, l'assujetti qui ne recherche pas la soustraction et l'évasion fiscale va douter de l'utilité de poursuivre son effort de production, son effort de travail dans son secteur d'activité quel qu'il soit. Les difficultés économiques que nous traversons doivent au contraire stimuler le travail pour favoriser la redistribution de son produit. De nombreux pays ont tenté d'introduire ce type d'impôt. Quelles en ont été les conséquences ? Fuite de capitaux, fraude fiscale, diminution rapide du développement économique. Il faut tout de même le dire, et au besoin le rappeler, le pouvoir d'achat de ceux que l'on appelle «les riches» favorise sans aucun doute l'emploi et le financement des investissements, c'est-à-dire la création de places de travail.
Ne négligeons pas non plus le problème de l'épargne. Tout prélèvement supplémentaire sur la fortune des contribuables a pour conséquence immédiate la diminution globale de l'épargne des capitaux à long terme qui sont indispensables au financement de l'appareil de production. Une charge fiscale supportable permet la formation d'une épargne abondante, favorise le maintien de taux d'intérêts bas. Des taux bas favorisent la hausse des loyers, ralentissent la montée du franc et favorisent l'investissement dans les entreprises. Il ne faut pas oublier également que la fortune des contribuables a été constituée par l'épargne, par des revenus acquis par le travail et, comme tels, soumis à l'impôt, ou bien, alors, elle a fait l'objet d'héritage et a ainsi été frappée de droits de succession.
Parmi tous les cantons qui ont tenté d'introduire dans leur législation fiscale un impôt sur la richesse, il y a un cas révélateur de ses aspects négatifs, c'est celui de Bâle-Campagne. Ce n'est pas un cas tout récent, puisqu'il date d'une vingtaine d'années, mais significatif des effets pervers de la démarche. Bâle-Campagne avait introduit, en 1972, suite à une initiative du parti socialiste, un impôt sur la richesse. Cet impôt, certes, frappait le revenu des contribuables excédant 80 000 F par année, ce qui n'est pas l'objet de notre initiative. Les répercussions négatives furent immédiates. Coup d'arrêt brutal à l'établissement de gros contribuables, frein à la production, formes diverses d'évasion fiscale, sans parler de transferts rapides de domicile et diminution évidente des recettes fiscales. Le 9 janvier 1974, soit quasiment une année plus tard, le canton de Bâle-Campagne abolissait cet impôt. Comme vous l'avez appris récemment, le peuple zurichois a rejeté à une très forte majorité - 71% - le projet de taxer davantage les gros contribuables.
Dans le cas qui nous occupe, l'habileté des initiants est d'avoir proposé un impôt affecté à des tâches de solidarité. Mais le peuple genevois ne sera pas dupe. L'effort de solidarité des gros contribuables par la progressivité de l'impôt est déjà très important. Comme je l'ai déjà dit dans mon rapport, l'acceptation de l'initiative placerait le canton de Genève largement en tête pour l'impôt sur la fortune, et cela pour une fortune nette supérieure à 2 millions. Le risque est grand de voir partir de gros contribuables. Lisez à cet égard la «Feuille officielle suisse du commerce» du début du mois de mars. Vous pourrez constater le départ, pour le canton de Vaud voisin, d'un gros contribuable dont le montant du bordereau ne doit pas être négligeable.
Mais, surtout, il faut faire en sorte que la fiscalité genevoise soit suffisamment séduisante pour attirer ceux que Mme Calmy-Rey désigne dans son rapport par «millionnaires».
En conclusion, et je m'adresse ici plus particulièrement aux députés de l'Entente, car il est vain de convaincre - quoique l'on puisse se poser des questions à ce sujet - les députés de l'opposition, il ne faut pas fléchir et se laisser bercer par les sirènes culpabilisantes. Les classes moyennes et aisées de notre population font un gros effort fiscal et contribuent fortement au maintien des acquis sociaux. Genève, de par sa situation géographique, est très vulnérable à la mobilité, voire au tourisme fiscal. Cibler une minorité de contribuables présente un danger évident.
En conséquence, je vous invite à donner, par votre vote négatif, un préavis clair aux citoyens de notre canton.
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de minorité. S'il y a une bonne raison pour proposer un impôt sur les grandes fortunes, c'est que les inégalités augmentent. Il n'est pas question de vouloir culpabiliser la moitié de ce Grand Conseil, qui se situe d'elle-même dans la catégorie des gros contribuables, puisque M. Jean-Luc Ducret a fait appel à ce sentiment chez vous, Mesdames et Messieurs de la majorité, il est simplement question de demander aux gros contribuables, aux grosses fortunes, un effort pour aider au rétablissement des finances du canton de Genève.
Je vous prie de bien vouloir excuser les raccourcis, mais je crois que l'on peut dire les choses de la façon suivante. Les catégories les plus modestes de contribuables détiennent une part toujours moindre du revenu et de la fortune totale. Les catégories les plus aisées en détiennent une part toujours croissante. Selon les chiffres de 1991, les 50% les plus riches détiennent 82% du revenu imposable total, les 50% les plus pauvres, 18%. Pour la fortune, l'inégalité est encore plus flagrante, puisque 2,3% des contribuables détiennent 72,7% de la fortune imposable totale. En outre, ces inégalités dans la répartition des revenus et des fortunes s'accroissent au fil du temps et elles sont généralement plus grandes à Genève que dans les autres cantons.
Bien sûr, pour ce qui concerne les revenus, il y a quelques correctifs de par la progressivité du barème de l'impôt. La part de l'impôt des plus pauvres diminue tendanciellement et celle des plus riches augmente. Mais, pour les fortunes, la progression du barème est qualifiée de «légère» par une étude universitaire, de sorte que le maintien de la progression à froid n'a pas de conséquences visibles statistiquement parlant. En effet, le rendement de cet impôt ne varie pas, il est de 6,2% entre 1987 et 1993, et la concentration des richesses s'accroît durant la période, c'est-à-dire que la part de la fortune détenue par les millionnaires augmente dans le total de la fortune imposée et progresse plus vite que le total de la fortune imposée.
Loin de moi l'idée de prétendre que l'effort supplémentaire demandé aux contribuables fortunés n'est rien. L'initiative relève le taux maxima des tranches de fortune supérieure à 500 000 F de 1% et va jusqu'à 2,5% pour les fortunes supérieures à 1,5 million de francs. L'incidence sur la charge fiscale oscillerait, d'après les chiffres fournis par l'administration fiscale cantonale, entre 148 F d'impôt supplémentaire pour une fortune de 600 000 F et 15 340 F pour une fortune nette de 5 millions de francs. Ces mesures toucheraient 4% des contribuables détenant 83% du total de la fortune imposable. Vous conviendrez avec moi que ce ne sont pas les personnes les plus exposées socialement parlant, ni celles dont les moyens financiers sont les plus précaires.
Mesdames et Messieurs, à ce jour, toutes les tentatives d'imposer davantage les contribuables les plus aisés se sont heurtées à la perspective de les voir se réfugier chez les voisins. D'ailleurs, la crise aidant, on les croyait rares et quasiment sur le point de disparaître. Or, il n'en est rien. Le nombre de millionnaires en fortune augmente de 30% entre 1987 et 1993. Quant à affirmer, comme l'a fait M. Jean-Luc Ducret tout à l'heure, qu'il existe a priori un niveau d'imposition supportable et que là on atteint l'insupportable, ça n'est pas très sérieux ! Une telle notion n'a pas de fondement dans l'absolu.
En revanche, un seuil d'acceptabilité de la charge fiscale peut être approché par comparaison. Il dépend du degré de concurrence fiscale entre les collectivités publiques, il dépend du degré de mobilité des contribuables, il dépend aussi de l'évolution de l'ensemble des éléments de la fiscalité et, à ce titre, les citoyens contribuables ont vécu des hausses de prix, des hausses de loyer, des hausses du prix des biens, des services publics, et même des hausses de fiscalité confédérale, notamment la TVA. Ces hausses touchent relativement plus les catégories de contribuables modestes et moyennes que les contribuables aisés.
Enfin, financer les dépenses sociales de l'Etat en augmentant la progressivité du barème de l'impôt sur la fortune par un impôt supplémentaire sur les grandes fortunes, comme le fait l'initiative 102, est un bon geste économique qui devrait combler d'aise tous les commerçants de cette salle, et il y en a beaucoup, car plus les revenus et les fortunes sont équitablement répartis, plus la croissance d'une économie est forte. 1 F de plus pour les gens les plus modestes sert à consommer, donc à entretenir l'activité, l'emploi, à épargner et donc à investir, et l'effet sur la consommation est plus important si l'on donne ce franc aux catégories les plus modestes que s'il est distribué aux millionnaires. Par ces quelques arguments, j'espère vous avoir convaincus de bien vouloir donner un préavis positif à l'initiative 102.
M. Bernard Clerc (AdG). L'aide aux personnes âgées et aux chômeurs, la construction de logements HBM, l'extension des transports publics, autant de domaines où les besoins sont manifestes et augmentent en période de crise économique. C'est pour répondre à ces besoins que l'initiative qui nous est proposée a été lancée dans une époque où, du fait de la détérioration du marché de l'emploi, se crée progressivement une société duale dans laquelle une frange non négligeable de la population s'appauvrit, alors qu'une minorité s'enrichit. Nous avons déjà eu l'occasion de le dire, la crise n'est pas la même pour tout le monde.
Face à cette situation, deux attitudes sont possibles. La première, celle adoptée par la majorité de ce parlement, consiste à laisser jouer les mécanismes du marché en intervenant le moins possible avec l'espoir que la croissance finira par résoudre les problèmes. Cette manière de voir est en fait une attitude passéiste. Elle repose sur l'expérience de la période d'après-guerre dans laquelle les fruits de la croissance permettaient une certaine répartition des produits de cette croissance. C'est ce que d'aucuns ont appelé le «modèle fordiste». Les partisans du laisser-faire croient, ou feignent de croire, que nous sommes dans une phase de ralentissement et que tout va recommencer comme avant.
La seconde attitude, et c'est la nôtre, consiste à analyser les modifications structurelles qui se sont produites dans l'économique capitaliste et qui montrent que les rapports sociaux fondamentaux régissant ce système permettront de moins en moins de répondre aux besoins et aux aspirations de la majorité de la population. L'écart croissant entre les capacités productives, qui peuvent répondre aux besoins, et leurs réalisations effectives met encore davantage en évidence cette contradiction. Cette attitude implique d'intervenir avant que les dégâts occasionnés par la réorganisation de l'économie atteignent un seuil inacceptable. Dans ce cadre-là, le rôle joué par l'Etat est primordial pour freiner cette évolution vers une société à deux vitesses et la fiscalité est un des outils qui peut être utilisé à cette fin.
C'est cette orientation qu'ont choisie les auteurs de l'initiative et les citoyennes et citoyens qui l'ont signée. Alors que la majorité a pour seul objectif la réduction des dépenses de l'Etat, nous postulons d'agir sur les recettes pour financer les besoins sociaux évoqués, et cela sans aggraver le déficit public. Agir sur les recettes signifie prélever un impôt supplémentaire, par ailleurs bien modeste, sur ceux qui se sont largement enrichis.
L'excellent rapport de minorité de notre collègue, Mme Calmy-Rey, démontre très bien l'inégalité de la distribution de la richesse dans notre canton. Permettez-moi de l'illustrer par l'évolution survenue dans les années où la crise développe tous ses effets dans notre canton.
Il convient de rappeler ici qu'entre 1991 et 1993 le nombre des contribuables déclarant une fortune supérieure à 500 000 F est passé de 8 519 à 9 287, soit une progression de 15,3% alors que, dans le même temps, le nombre total des contribuables n'a augmenté que de 0,94%. Pendant la même période, la fortune imposable des personnes physiques a progressé de 27 milliards à 31,1 milliards, soit une hausse de 15,1%. Cette progression importante et qui contredit la thèse de la fuite des contribuables fortunés doit être mise en perspective avec l'augmentation du nombre de personnes contraintes de recourir aux prestations complémentaires fédérales et cantonales : 16 122 en 1991, 18 340 en 1993, soit une hausse de 13,7%. Je vous fais grâce de l'augmentation du nombre de personnes assistées. Toutes les données convergent cependant vers cette réalité : un nombre croissant de personnes doivent faire appel à l'aide publique pour assurer la couverture de ses besoins vitaux alors qu'à l'autre extrême un nombre restreint de contribuables fortunés voient leur capital augmenter dans de fortes proportions. Il convient de rappeler à cet égard qu'une partie de cette augmentation de la fortune - dont la totalité est loin d'être connue fiscalement - est due à des gains sur capitaux qui, en tant que tels, ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu.
Lorsqu'on examine, de 1985 à 1993, l'évolution de la fortune imposée, nous constatons que celle-ci a progressé en francs courants de 64%, alors que les revenus imposés n'ont augmenté que de 39%. En francs constants, l'augmentation est de 19% pour la fortune et de seulement 1,2% pour les revenus. A l'évidence, les fortunes ont progressé beaucoup plus fortement que les revenus.
Le rapport de majorité fait sienne la position de la Fédération des syndicats patronaux, laquelle examine le classement de l'imposition sur la fortune entre les différents cantons suisses. Ce classement omet d'indiquer qu'il est basé sur l'imposition en Ville de Genève dont les centimes additionnels ne sont pas les mêmes que ceux de Cologny ou Pregny-Chambésy, pour prendre ces deux exemples. Alors que la Ville de Genève a 45,5 centimes additionnels, Cologny en a 31 et Pregny-Chambésy 32. Les personnes fortunées domiciliées dans ces communes bénéficient donc d'une imposition bien inférieure à celle mentionnée par la Fédération des syndicats patronaux. Par ailleurs, chacun sait que nombre de contribuables fortunés ont leur domicile dans des communes qui ont vu leurs centimes additionnels diminuer ces dernières années, je cite notamment : Anières, Céligny, Chêne-Bougeries, Collonge-Bellerive, Grand-Saconnex et Vandoeuvres.
Contrairement à ce qu'affirme le rapport de majorité, la contribution demandée aux grandes fortunes ne constitue pas un impôt confiscatoire mais bien un modeste effort de solidarité.
Mesdames et Messieurs les députés de la majorité, en rejetant l'initiative «Solidarité fiscale» vous effectuez un choix politique. Ce choix, c'est celui de privilégier ceux qui s'enrichissent au travers de la crise, c'est celui d'accorder votre soutien aux contribuables fortunés, c'est enfin refuser d'apporter une légère correction au développement des inégalités.
M. Pierre Kunz (R). L'initiative 102, comme la précédente, aborde un sujet important, j'irai jusqu'à dire essentiel, celui de la solidarité sociale. Il est donc dommage que les solutions proposées à ce problème par les initiants soient fondamentalement inadéquates.
Le paquebot social est manifestement ensablé. Mais, au lieu de le délester pour lui faire reprendre le courant, les initiants persistent à l'alourdir, à le charger encore. Pourquoi le paquebot social s'est-il si gravement ensablé ? Pourquoi est-il même en train de rouiller gravement, chez nous comme partout dans le monde ? Parce que, au cours des dernières décennies, dans le domaine social comme dans d'autres secteurs, entraîné par le tourbillon d'une croissance et d'un enrichissement inégalé dans l'histoire de l'humanité, nous avons, à Genève comme ailleurs, succombé aux illusions, aux excès et aux erreurs.
La cause première de la situation de déséquilibre dans laquelle nous nous débattons aujourd'hui réside dans les excès de notre politique de redistribution des revenus. D'instrument de justice sociale, la redistribution des revenus s'est peu à peu gonflée et cristallisée dans un appareil bureaucratique monstrueux. Nous continuons à parler aujourd'hui de politique sociale, mais ce que nous faisons, en réalité, c'est de la redistribution pour elle-même, ce sont des transferts massifs dont la grande majorité des bénéficiaires n'ont pas besoin. Ceux-ci reprennent d'une main ce qu'ils ont donné de l'autre, après déduction, bien sûr, du prélèvement de l'Etat au passage.
Nous prétendons faire du social en vue de combattre les conséquences de la pauvreté, du chômage, de la vieillesse, de la maladie, mais, si nous y regardons de près, nous nous apercevons que ceux qui souffrent réellement ne représentent qu'une faible fraction des bénéficiaires des efforts de solidarité.
La deuxième erreur essentielle que nous avons commise a consisté à opposer constamment l'économie et le social. Nous nous sommes entêtés à considérer - certains plus fermement que d'autres, disons-le - que le social ne peut se développer que par emprise sur l'économie, à tel point que les processus économiques, seuls créateurs de la richesse collective, s'en trouvent fortement paralysés.
Les initiants persistent dans cette erreur en prétendant financer la lutte pour la solidarité et contre les inégalités, en accroissant encore la pression fiscale que subissent les entreprises et celle exercée sur la classe moyenne et aisée de la population. Or, sans une économie en croissance, sans entrepreneurs disposés à travailler durement pour créer des emplois, il n'y a plus d'ascension sociale possible, surtout pas pour ceux qui sont les moins bien armés d'entre nous dans notre société. Et, lorsque l'ascenseur social ne fonctionne plus, c'est un échec pour la société tout entière, car, Madame Calmy-Rey, ce n'est pas une société hiérarchisée ou inégalitaire qui est inacceptable, ce qui l'est, c'est une société figée dans les inégalités, cloisonnée, celle que nous sommes justement en train de créer, parce que nous gaspillons nos ressources au lieu d'en cibler la redistribution.
Le troisième défaut rédhibitoire de notre paquebot social est sa dépersonnalisation, son anonymat. Nous avons mis en place une organisation omniprésente, omnipotente, une pseudosolidarité sans visage, un système dans lequel plus personne ne sait quel rôle il joue vraiment. Aujourd'hui, l'action sociale n'est plus fondée sur la notion de solidarité, elle repose sur un ensemble de droits définis par un tissu extraordinairement dense de lois et de règlements qui invitent chacun à réclamer les allocations qui lui reviennent au nom de ce qui serait une justice redistributive.
Nos collectivités sont rongées par les maux sociaux et financiers qui résultent des dysfonctionnements graves de notre politique sociale. Poursuivre dans cette voie, ne pas avoir le courage d'entreprendre la reconstruction de la vraie solidarité conduirait cette société à la rupture sociale et à la faillite financière. C'est pourtant ce à quoi nous engage cette initiative qui, comme la précédente, résulte d'un entêtement parfaitement déraisonnable et terriblement dangereux qui consiste à engranger toujours davantage de recettes fiscales. Raymond Aron écrivait :
«Les nations décadentes sont celles qui refusent de s'adapter à un monde changeant.».
Si Genève entend s'adapter à notre monde changeant, elle doit rejeter cette initiative, comme la précédente. Alors, donnons l'exemple et rejetons cette initiative. C'est en tout cas ce que feront les radicaux.
M. Gilles Godinat (AdG). Je ferai deux observations. La première concerne l'évasion fiscale, la deuxième la fraude fiscale. Sur l'évasion fiscale les estimations d'études émanant de l'administration fiscale fédérale disent, par différents recoupements, qu'elle atteint probablement pour Genève annuellement 10 milliards de francs.
La libéralisation, par la Communauté européenne, en 1988, des mouvements de capitaux sans mesure de taxation commune a renforcé le chantage permanent à la fuite de l'épargne vers des places financières concurrentielles et, plus particulièrement, vers les quatre-vingts paradis fiscaux recensés sur la planète. Ce processus a favorisé l'écart croissant déjà décrit dans les précédentes interventions entre les milieux paupérisés et les milieux privilégiés accumulant des richesses. La restriction de ces privilèges s'imposera comme indispensable tant au niveau national qu'international si les différentes communautés veulent éviter les conflagrations sociales alimentées par l'écart entre les couches paupérisées et les cercles toujours plus concentrés de privilégiés.
En ce qui concerne la fraude fiscale, les différentes mesures d'amnistie fiscale dans notre pays ont régulièrement révélé des gisements de fortunes non déclarées qui ont ainsi échappé pendant des années à la contribution de manière frauduleuse; ce qui démontre que la justice fiscale restera un voeux pieux tant que le contrôle fiscal ne sera pas accentué. Le canton de Vaud, récemment, avec l'augmentation du service de contrôle fiscal, a révélé des affaires de ristourne et, par analogie, si de telles mesures ne sont pas prises dans notre canton la fortune déclarée restera une part seulement de la fortune réelle.
Pour ces deux raisons, évasion et fraude, une contribution faiblement majorée sur les grandes fortunes n'est qu'une mesure compensatoire. Enfin, j'aimerais insister sur un aspect de la politique sociale du canton. Nous savons que le placement des personnes âgées en institutions va nécessiter une participation financière des pouvoirs publics importante. Elle est estimée à plusieurs centaines de millions, raison pour laquelle le mode de financement de l'office cantonal des allocations pour personnes âgées envisage une contribution sociale généralisée devant apporter entre 60 et 80 millions par année. Je prétends que notre initiative répond de manière beaucoup plus claire à ce besoin et que ce seul argument suffit à défendre notre initiative.
M. Andreas Saurer (Ve). Tout d'abord, je ferai une remarque au sujet de l'intervention de M. Ducret. Monsieur Ducret, être riche n'est pas immoral et nous ne préconisons absolument pas la chasse aux riches et aux nantis, comme vous le laissez entendre. Si vous êtes riche, Monsieur Ducret, ne pensez pas que nous imaginons que vous ayez péché et que cette initiative vous offre un moyen de rédemption en passant par une ascèse matérielle ! (Rires.)
En revanche, c'est un fait, être riche implique des responsabilités à l'égard de la société. J'en viens maintenant au fameux paquebot rouillé de M. Kunz...
M. Pierre Kunz. C'est pas le mien !
M. Claude Blanc. Il a coulé !
M. Andreas Saurer. ...que l'on doit couler, en quelque sorte. Si l'on examine ce paquebot - on l'a déjà dit et cela figure dans le rapport de minorité de Mme Calmy-Rey - on se rend compte que la pauvreté ne tombe pas du ciel. Les nécessiteux ne sont pas des gens mal intentionnés qui, d'un jour à l'autre, parce qu'ils n'ont pas envie de travailler, deviennent pauvres ! C'est un long processus aboutissant finalement à la pauvreté.
Le nombre des personnes âgées est en augmentation constante - c'est un fait plutôt réjouissant - mais nous savons que cela coûte cher. Appeler cela un paquebot rouillé et laisser entendre qu'il faut le couler, c'est votre point de vue, Monsieur Kunz, mais nous ne pouvons absolument pas le partager. En ce qui concerne l'évolution économique, je vous rappelle que les salaires, ces quinze dernières années, ont augmenté nettement moins fortement que le revenu du capital. Nous assistons, depuis quinze ans, à un changement de dynamique.
Je reviens maintenant aux responsabilités. Il ne s'agit pas, je le répète, de punir les riches ou de les culpabiliser en quoi que ce soit, mais de savoir s'ils doivent assumer des responsabilités par rapport aux défavorisés de la société dans laquelle nous vivons. Ce qui compte, lorsque l'on paie des impôts, ce n'est pas le montant que l'on paie mais ce qu'il nous reste par la suite. Nous avons des responsabilités, nous qui appartenons aux classes moyennes et riches, à l'égard de la population défavorisée, et je crois qu'il est indispensable que nous fassions cet effort de solidarité.
Jusqu'à nouvel avis, nous n'avons pas eu de Letten à Genève, d'émeutes comme dans certaines villes américaines, de troubles sociaux comme dans d'autres pays, et, si nous avons pu éviter tout cela, c'est, entre autre, à cause du fameux paquebot rouillé de M. Kunz. Grâce à cela, tout le monde a pu tirer des bénéfices, y compris les nantis. Et si les nantis augmentent à Genève, c'est aussi parce que nous avons une société sociale qui, dans les grandes lignes et pour le moment, est sous contrôle. Mais, pour qu'elle puisse rester sous contrôle, il est indispensable que certaines personnes fassent un effort de solidarité pour que nous tous puissions continuer à vivre comme nous le faisons actuellement.
M. Michel Halpérin (L). Une des grandes conquêtes démocratiques de ce pays, et nous en sommes fiers, c'est le droit d'initiative. Aujourd'hui, nous avons une démonstration multiple de ce que l'usage, parfois un peu abusif, de l'initiative peut entraîner à long terme de conséquences pour l'institution elle-même.
Il y a une manière de se payer de mots avant d'entrer dans les chiffres qui est parfois redoutable; évidemment pas dans l'immédiat, mais à long terme. Je prendrai pour exemple les titres des textes que nous avons à examiner aujourd'hui et demain, simplement pour constater qu'ils ne sont pas aussi dépouillés qu'ils devraient l'être et qu'ils portent en eux des germes un peu inquiétants. Jugez-en ! «Pour des emplois». M. Clerc nous rappelait à quel point le chômeur est à la recherche d'un emploi, mais pas pour n'importe quel emploi : «des emplois d'utilité publique et écologiques», ou, demain, «des emplois contre l'exclusion» - deux thèmes à la fois - ou encore, demain, «pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi». On ne peut pas demander à nos concitoyens de voter par oui ou par non sur un texte de neuf pages.
Voilà le genre de travers par lesquels, petit à petit, les droits politiques les plus importants et les plus chèrement acquis, et qui font de ce pays un modèle du genre, finiront par être malmenés. Comme l'argent par l'inflation, les mots seront gangrenés eux aussi par la même maladie.
Parlons maintenant de cette initiative 102. Vous nous amenez très vite à passer des mots aux chiffres. Mais, tout d'abord, reprenons les remarques intéressantes qui ont été faites par quelques-uns aujourd'hui. Nous avons eu des images. Tout à l'heure, notre «jardinier en chef» évoquait le verger dans lequel prospèrent les entreprises, puis, M. Kunz, grand navigateur, a évoqué l'échouement d'un paquebot dont le pasteur Saurer, au terme de sa Rédemption, nous a dit qu'il était rouillé, de surcroît !
Passons et revenons aux mots. Les mots, c'est la réalité du fait qu'il y a un rapport - Mme Calmy-Rey ne le démentira pas - entre l'importance des revenus et l'importance de la fortune. Ceux qui paient beaucoup d'impôts sur la fortune sont souvent les mêmes que ceux qui paient beaucoup d'impôts sur les revenus. Je crois, jusque-là, ne pas faire une grande découverte ! Je ne pense pas vous surprendre beaucoup en vous disant que ceux qui paient ce plus d'impôts contribuent généralement à la solidarité du paquebot, ou du navire, dans lequel nous sommes embarqués les uns et les autres, par des ponctions allant, en général, de 50 à 60% des revenus, en tenant compte aussi, bien sûr, de ce qu'ils paient sur la fortune.
Alors, nous n'avons pas besoin d'évoquer longuement les expériences faites un peu plus au nord de notre pays et qui ont montré, Madame Calmy-Rey, qu'il y a, quelque part - je ne sais pas exactement où, pas plus que vous, d'ailleurs - un point à partir duquel l'effort de solidarité exigé des uns est ressenti comme trop lourd, insupportable, non proportionnel à l'effort que les autres consentiraient pour les uns. Et là commence à se nouer ce délabrement de la solidarité sociale. Et l'initiative qui s'appelle ici - ce sera ma dernière référence littérale, puis nous passerons aux chiffres - un fonds de solidarité «Solidarité fiscale» fait croire au lecteur inattentif qu'il y a des gens malheureux avec lesquels les gens heureux ne sont pas solidaires, et ce n'est pas vrai.
Monsieur Saurer, parmi les riches - s'ils existent - il y en a quelques-uns qui se sentent probablement une responsabilité à ce titre, mais reste à savoir jusqu'où, sans aller trop loin. Voici quelques chiffres qui ne contrediront en rien ceux présentés tout à l'heure par le rapporteur de minorité, mais qui ne sont pas complètement dépourvus d'intérêt s'il s'agit de se demander qui est solidaire et qui l'est moins.
Premier chiffre : 30% des contribuables les moins favorisés de ce canton paient tous ensemble 1,5% de la charge fiscale. 1,5% pour 30% de la population. 30% de la partie supérieure paient à eux tous 73% de la charge fiscale; c'est donc une première démonstration de solidarité. Affinons, si vous le voulez bien, les chiffres et nous aurons une idée plus claire de ce qu'est cette pyramide fiscale inversée. 9% de la partie riche de ce canton paient 44% de l'impôt et 17,5% en paient 57,4%. Voilà l'effort du sommet de l'iceberg. Mais le sommet du sommet, c'est que les plus riches d'entre les riches représentent 0,25% des contribuables et paient à eux seuls 13% des impôts.
Il y a donc un moment où j'ai tendance à croire que ceux qui sont au sommet du sommet sont peut-être légèrement plus mobiles que les plus malheureux, ceux qui, dans l'exemple de navigation de tout à l'heure, seraient encore à fond de cale. Ceux-là pourraient un jour considérer qu'ils ont fait preuve d'assez de solidarité et nous quitter. Si ce jour était proche, et si ce jour était directement lié à cette petite goutte d'eau qui fait déborder le vase, pour rester dans le domaine des paraboles, je pense que nous aurions tous à le regretter.
Encore quelques chiffres. En 1986, 5,2% des contribuables payaient 37% de l'impôt et 10% des contribuables en payaient 47,8%. En 1993, seulement sept ans plus tard, 9% paient 43,9% et 17,5 paient 57,4%. On voit déjà que la charge de ceux qui payaient le plus en 1986 s'est sensiblement accrue, probablement en partie par le fait que les plus riches ont dû voir une partie de leur fortune s'accroître, mais pas dans des proportions majeures, et que les revenus se sont également accrus.
Un dernier chiffre qui me paraît tout aussi décisif que les précédents est particulièrement éclairant. Le produit total de l'impôt - je parle de l'impôt 1993 sur le revenu - était, en 1986, de 1,6 milliard. Il était, en 1993, toujours sept ans après, de 2,1 milliards. Il y avait donc un produit complémentaire sur ces sept années de 500 millions. Je voudrais que vous méditiez sur ces 500 millions d'augmentation de l'impôt. 57,4% de la population, dont je vous ai dit qu'ils payaient l'essentiel de l'impôt, ont supporté cette augmentation. 400 de ces 500 millions d'augmentation de recettes sont supportés par ceux qui paient déjà le maximum de l'impôt. C'est dire qu'ils ont fait leur devoir, qu'ils l'assument, mais qu'il n'est pas utile et qu'il est même contre-productif de leur en demander davantage. (Applaudissements.)
M. Philippe Schaller (PDC). Je suis quelque peu ébranlé par la philosophie et les chiffres qui ressortent des propos de M. Halpérin. J'ai envie de dire que j'en ai assez des sempiternels et stériles débats gauche/droite. Finalement, c'est la démocratie qui est en jeu. Elle exige de nous un dialogue, une communication et l'élaboration d'un projet commun, ce que nous n'arrivons plus à faire.
La proposition qui nous est faite, par le biais de cette initiative, ne m'enthousiasme certes pas, mais je me résous quand même à plaider en sa faveur, mais, pas en fonction d'une quelconque idéologie.
Je voudrais dire à M. Brunschwig, qui me regarde avec de grands yeux effarés...
M. Nicolas Brunschwig. Mais, je n'ai rien dit ! Pour une fois que je ne dis rien !
M. Philippe Schaller. Je réagis avant que vous ne parliez !
Monsieur Brunschwig, je ne suis ni assis sur les bancs de l'Alliance de gauche - comme vous l'avez prétendu l'autre jour - ni sur les bancs des libéraux. J'ai mon séant sur un siège du parti démocrate-chrétien, celui du député Schaller, qui a un certain nombre d'idéaux socio-démocrates, partagés par beaucoup de députés de ce parlement. Malheureusement, nous nous laissons enfermer, que ce soit à gauche ou à droite, par les idéologies dominantes et bruyantes. Ces attitudes extrémistes portent un lourd discrédit autant sur notre gouvernement que sur notre législatif.
Cela étant dit, je soutiendrai l'initiative pour des raisons sociale, morale, économique et politique.
La raison sociale tout d'abord. Je pense que nous devons tous avoir la volonté de mener une politique en faveur de l'épanouissement personnel et familial de tous et non pas seulement de quelques privilégiés. Mesdames et Messieurs, le libéralisme sans contrepoids éthique, sans correctif social, produit des effets sociaux pervers. Il ne s'agit pas d'un combat gauche/droite, mais d'éthique et d'humanisme.
La raison morale. Lorsqu'on a la chance d'avoir de l'argent - et on ne l'a jamais tout seul - il faut avoir un souci incessant d'équité. Force est de constater - les chiffres sont là et le démontrent - qu'il y a un double mouvement d'enrichissement et d'exclusion.
La raison économique. J'ai le souci - comme un grand nombre d'entre vous - de gérer les finances publiques et de les redresser : c'est impératif, sous peine de pénaliser durablement notre économie et les générations futures. Cela ne pourra se faire que de deux manières. D'une part, par la rigueur budgétaire, en diminuant les dépenses publiques, mais, d'autre part, par des recettes nouvelles. Je suis convaincu de cela. Il faut que les citoyens de ce canton comprennent ce qu'on leur demande et il faut qu'ils soient également convaincus que chacun participe à cet effort.
La quatrième raison est d'ordre politique. Nous devrons demain - comme cela a été déjà dit - financer des tâches sociales importantes; je ne vais pas y revenir. Pour cela, il faut une fiscalité redistributive, et également élargie. Je pense à la contribution sociale généralisée. Je ne suis pas dupe, et je sais que nous ne pouvons pas échapper aujourd'hui, en raison de la globalisation des marchés et de l'internationalisation de l'économie, au credo libéral, faute de quoi nous affaiblirons notre compétitivité et notre économie, ce qui ne fera qu'augmenter le chômage et les autres dépenses sociales. Tout cela risque de créer un climat d'insécurité bien plus dissuasive que les quelques milliers de francs demandés par l'initiative à ceux qui le peuvent.
La marche de manoeuvre est étroite - je le sais - et l'Etat est en situation de faiblesse entre les revendications et les attentes de certains et les forces économiques en présence. La proposition qui est faite, même si elle n'est pas très novatrice, est acceptable, pour autant qu'on explique clairement - et c'est ce qui me semble important - aux personnes concernées pourquoi elles vont payer ces quelques milliers de francs supplémentaires, pour autant que, parallèlement, on mène une politique rigoureuse et de justice sociale. De toute manière, il faudra bien repenser, à un moment donné ou à un autre, notre fiscalité, prévoir des réformes plus profondes tant sur le plan cantonal, communal que fédéral. Nous devrons également bien repenser le financement de la sécurité sociale.
Pour terminer, je ne peux que regretter que ni l'exécutif ni ce parlement n'aient voulu, ou n'aient pu, présenter un contreprojet. C'est ainsi qu'il ne me reste qu'à me résigner et à soutenir cette initiative. (Vifs applaudissements de la gauche.)
Mme Christine Sayegh (S). Je tiens tout d'abord à saluer la leçon de solidarité de M. Schaller.
Je rappelle que l'initiative populaire reflète les préoccupations sociales et que le droit d'initiative doit être respecté, quel que soit le nombre des initiatives.
Dans son rapport, la majorité ne s'attarde guère sur le but de l'initiative 102 pour cibler tous ses arguments sur la protection des fortunés, voire de l'épargne individuelle qui serait perturbée par le nouvel impôt proposé par l'initiative. Or, l'initiative 102 n'a pas pour objectif de démanteler la fortune, ni d'endiguer la propension des plus nantis à thésauriser. Son objectif est de stimuler une redistribution solidaire des capitaux immobilisés. Nous ne devons pas «faire du social», pour reprendre les mots de M. Kunz, il faut «être social»; ce qui est très différent !
Les cantons sont de plus en plus sollicités pour assurer financièrement la prise en charge des personnes sans emploi, des réfugiés, des plus démunis, et l'excellente analyse de Micheline Calmy-Rey démontre de manière pertinente que la conjoncture et le barème de l'impôt sur la fortune, inchangé depuis dix ans, renforcent les inégalités. La relance économique, même timide, n'est pas susceptible d'harmoniser notre société sans cet effort de solidarité. Cet effort fiscal demandé aux fortunés contribuera directement à maintenir la qualité de vie à Genève, facteur éminemment attractif de notre cité.
Aussi, nous vous invitons à ne pas réduire votre réflexion à l'épargne individuelle, à contrarier l'égoïsme qui somnole dans la formule génétique de l'homo sapiens, et à soutenir cette initiative !
M. Bénédict Fontanet. Je tiens tout d'abord à rassurer mon collègue Schaller. Je ne me sens pas du tout enfermé dans les idéologies, et s'il estime qu'il y a discrédit sur ce parlement, moi je ne suis pas du tout de ceux qui partagent cet avis ! Naturellement, ses considérations ne sont que les siennes.
Le groupe démocrate-chrétien, dans sa très large majorité, pense qu'il faut rejeter cette initiative, non pas que nous contestions le fait qu'il faille financer les nécessaires efforts qui doivent être fournis dans le domaine de la politique sociale, non pas qu'il faille remettre en cause - comme nous le disait tout à l'heure M. Kunz - un certain nombre de prestations allouées à nos concitoyens, mais parce qu'avec la masse fiscale considérable dont nous disposons à Genève il est tout à fait possible de faire face aux obligations de notre collectivité vis-à-vis des défavorisés.
Je suis navré, mais, en matière fiscale, cette initiative procède de l'angélisme ! Pourquoi ? Parce que, si nous pensons que les plus nantis doivent payer les impôts les plus élevés et que nous sommes d'accord avec la progressivité de l'impôt, si nous ne voulons pas favoriser les plus riches d'entre nous qui doivent justement contribuer à la solidarité générale, par contre, il nous semble que cette initiative va tout à fait à contre-courant de ce qui devrait être fait, car elle méconnaît la réalité fiscale et la compétitivité, ne serait-ce qu'entre cantons suisses ou entre pays européens.
En Suisse, c'est très simple : si quelqu'un de très fortuné ou de très riche en revenus va habiter à Zug, il gagne près de 40% sur ses impôts par rapport à Genève ! La réalité fiscale de certains pays européens autour de nous est telle que la Suisse, et Genève en particulier, a de la peine à soutenir la comparaison, aussi, Genève n'est plus une place attractive pour certains cadres de multinationales dont les revenus sont importants.
Il faut donc savoir préserver la compétitivité fiscale. Ne pas vouloir en tenir compte sous prétexte que l'on n'a pas constaté - c'est bien heureux - un exode de capitaux et un exode de gens riches, c'est prendre le risque qu'à un moment donné, ayant atteint le «break point», c'est-à-dire la limite psychologique supportable que, tout comme M. Halpérin ou Mme Calmy-Rey, je serais bien incapable de fixer, les contribuables quittent notre canton, les plus riches en particulier. La fiscalité genevoise est souvent un obstacle à l'installation d'entreprises ou de personnes physiques par rapport aux autres cantons suisses.
Nous devons également tenir compte d'un autre élément important dans ce cadre, je veux parler de la grande mobilité des contribuables les plus aisés qui peuvent déménager très facilement et qui, pour les plus riches d'entre eux, peuvent déplacer leur centre de profits. Ne pas tenir compte de cet élément est faire preuve d'angélisme et revient à nier la réalité fiscale internationale telle qu'elle existe et contre laquelle le canton de Genève, malgré toute sa volonté et malgré toutes ses capacités, ne peut pas lutter.
Il ne faut pas aller au-delà de ce qui est raisonnable, il ne faut pas percevoir de nouveaux impôts avant d'être bien certains que la gestion des ressources dont nous disposons est satisfaisante. Nous sommes convaincus que ces ressources peuvent être encore mieux utilisées et que nous pouvons faire encore des économies et des efforts de rationalisation avant de décider la mise en place de nouveaux impôts pour les plus nantis, qui supportent déjà aujourd'hui la partie la plus importante des impôts genevois.
En fin de compte, il est dangereux de faire supporter à un très petit nombre de contribuables une part croissante de l'impôt, car si ces derniers se trouvent dans une moins bonne situation financière, ou s'ils s'en vont, cela se répercutera sur tous les autres contribuables !
Voilà les raisons qui, pour nous, militent en faveur du rejet de cette initiative.
M. Max Schneider (Ve). Je ne pensais pas prendre la parole ce soir, car chacun a déjà certainement son avis sur la question.
Mais je ne peux rester insensible au message de M. Schaller. C'est celui d'un être humain qui veut remettre le débat politique là où il doit être. Cette vision d'un chrétien engagé doit réveiller en nous un équilibre des intérêts que nous voulons défendre. La peur d'une évasion fiscale est en effet une réalité. Il est vrai aussi que cette initiative n'est pas parfaite, mais, pourtant, il faut peut-être opter pour la moins mauvaise des solutions ! En effet, Genève est une ville qui permet beaucoup de fraude fiscale, comme d'ailleurs l'ensemble des villes suisses. Pour vous en convaincre, Mesdames et Messieurs, il vous suffit d'aller faire un tour dans le tiers-monde et vous verrez que vous serez traités de banquiers ! Pourtant, nous ne le sommes pas tous, et tous les banquiers ne pratiquent pas tous la fraude fiscale !
Le message de l'Eglise, qu'elle soit catholique, protestante, ou autre : «Ciel, ma terre !» n'est apparemment pas connu des pratiquants, pourtant il doit bien y en avoir ici. Si l'on veut tenir compte de ce message, il n'est plus possible de devenir encore plus riche et de laisser les plus pauvres encore plus pauvres. Aujourd'hui, pour remettre l'église au milieu du village, il faut peut-être que les plus riches deviennent un petit peu moins riches et que la classe moyenne fasse également un effort pour venir en aide aux plus pauvres. Dans mon esprit, je ne fais pas de différence entre les plus pauvres de Genève et ceux du tiers-monde. A vouloir conserver nos richesses, nous risquons bien de les perdre !
Le déséquilibre Nord-Sud, qui est en augmentation, et l'exclusion qui se développe dans notre société doivent nous faire réfléchir. J'ai écouté M. Schaller avec beaucoup d'attention, car ses propos viennent du coeur. La politique de nos jours doit aussi tenir compte de cet aspect des choses, tout en étant rationnelle.
La compétitivité et la croissance sont deux mots galvaudés. En effet, la croissance qui profite à ceux qui sont déjà riches tout en continuant à piller les richesses des pauvres me semble inadmissible. C'est d'ailleurs bien le message de l'Eglise qui s'adresse à tous, et nous devons changer les choses. Nous voulons aussi cette croissance dans un monde de libre économie de marché, mais nous voulons qu'elle soit dirigée vers ceux qui en ont besoin. L'initiative antérieure était très intéressante de ce point de vue, parce que la croissance en matière écologique pour la protection de l'environnement, ou en matière de services, ne pollue ni ne pille les autres. C'est donc une croissance positive.
Par contre, une croissance unique de la consommation, ou libéralisme sauvage, conduit justement à ce pillage et à ce déséquilibre Nord-Sud et, donc, à celui de notre propre société. Voilà pourquoi il faut s'opposer à un tel développement. Cette initiative n'est pas parfaite, mais elle a au moins le mérite de soulever des réflexions intéressantes. C'est la raison pour laquelle je la soutiendrai.
M. Christian Grobet (AdG). L'initiative qui nous est soumise pose un problème fondamental, celui de la solidarité dans notre société, solidarité qui en est l'essence même. Nous constatons que cette solidarité, depuis un certain nombre d'années, s'effrite de plus en plus, au profit de «nouvelles valeurs», notamment la réussite personnelle, la course au «fric» ! Ces fausses valeurs, hélas, sont en train de remplacer la solidarité.
M. Halpérin, qui est un débatteur redoutable, avec son implacable logique, arrive à nous démontrer que cette initiative est fondamentalement injuste et qu'elle poursuit le but contraire de ce qu'elle demande. Pensez donc, quelle grave injustice, 0,25% de la population paye 13% des impôts et on voudrait encore lui demander davantage !
En entendant votre discours plein de logique, et si on oublie les intérêts que vous défendez, cher collègue, avec votre sourire habituel, on se prend à être convaincu et à penser : «Mais il a raison, sacrebleu !». (Rires.) Puis, tout d'un coup, on se réveille en se disant que ce n'est pas possible en regardant autour de soi.
L'autre jour, j'ai lu la lettre d'un ressortissant indien publiée dans la «Tribune de Genève», sous la libre opinion. Il disait qu'il était incroyable qu'il y ait des mendiants en Suisse. Eh bien, oui, il y a des mendiants et la pauvreté est une réalité à Genève ! La société est en train de déraper dans le sens évoqué tout à l'heure par M. Saurer, c'est-à-dire dans le sens d'une société à deux vitesses dans laquelle des gens sont privilégiés - dont nous faisons partie - pendant que d'autres se trouvent dans une pauvreté croissante, les sans-emploi provisoires devenant permanents ! L'autre jour, des spécialistes en économie - certainement de l'école de M. Kunz - disaient à la radio qu'il faudrait s'habituer au pourcentage de 20% de chômeurs ! J'espère, Monsieur Kunz, que vous et vos amis ne ferez pas partie de ces 20% de chômeurs permanents que l'on nous annonce dans les milieux économiques qui vous sont proches !
Tout à l'heure, M. Ducret a parlé du fiasco des pays de l'Est ! Les pays de l'Est, figurez-vous, cher Monsieur, n'étaient pas mon modèle ! En tout cas, ce qui s'y passe aujourd'hui sur le plan économique est encore bien pire ! Mais regardons peut-être chez nous avant de regarder ailleurs.
M. John Dupraz. Ça t'arrange !
M. Christian Grobet. Ça ne m'arrange pas du tout, mais, ce qui me préoccupe, c'est ce qui se passe chez nous ! La réalité est que notre modèle économique occidental court également à l'échec, parce que le nombre des chômeurs et des sans-emploi ne fait qu'augmenter et qu'effectivement la solution consistant à augmenter la production assurant le plein-emploi, hélas, n'est pas possible. Il faudra donc bien arriver à la solution du partage de l'emploi, mais, comme chacun s'accroche à ses privilèges, cela sera très difficile. Toujours est-il qu'aujourd'hui notre société, Monsieur Ducret, je suis navré de le dire, se porte mal. Par conséquent, il faut envisager rapidement une profonde réforme de notre société économique.
L'implacable logique de M. Halpérin nous a presque fait oublier l'essentiel ! En nous répétant que 0,25% de la population payait 13% des ressources fiscales, ou que 17% de celle-ci en payait 50%, vous évoquez forcément l'impôt sur le revenu. Or l'initiative ne parle pas de cela ! Elle parle de l'impôt sur la fortune. Certaines fortunes colossales se sont créées en Suisse, pendant les années de prospérité. Est-il illogique, non d'imposer davantage les revenus - comme vous avez essayé de nous le faire croire, Monsieur Halpérin, et comme vous l'avez timidement laissé entendre, Monsieur Fontanet - mais de demander une légère augmentation de l'impôt sur la fortune à ceux qui ont amassé un capital considérable pendant les années d'euphorie ? Trouvez-vous cela antisocial ?
D'ailleurs, certains multimillionnaires nous laissent songeurs, car nous nous demandons comment ils ont pu amasser de telles fortunes en si peu de temps ! (M. John Dupraz invective l'orateur et perturbe la séance.) C'est un autre débat et nous aurons l'occasion d'y revenir, mais cela laisse à penser que le système fiscal ne fonctionne pas et que des gens ont tous les moyens pour réussir à mettre de l'argent de côté. Bien sûr, ils distribuent de l'argent lors des kermesses, mais on apprend qu'ils sont contribuables à Monte-Carlo ou ailleurs !
C'est vrai que le risque de fuite fiscale existe, mais que fait le Conseil d'Etat, concrètement, au niveau fiscal, pour tenter d'imposer les revenus sur le lieu de travail ou sur le lieu d'où sont tirés ces revenus ? Je suis persuadé qu'il y a des moyens de le faire, et il est inutile de secouer la tête, Monsieur Vodoz ! Je pense que non seulement le Conseil d'Etat manque d'imagination mais il manque singulièrement de volonté politique, alors même qu'on vous propose un moyen d'imposition très simple !
La présidente. Monsieur Dupraz, c'est la troisième fois que vous interrompez l'orateur, alors, cette fois, ça suffit !
M. John Dupraz. Mais y dit des âneries !
La présidente. Monsieur Dupraz, je vous en prie ! Levez la main, vous aurez la parole à votre tour !
M. Christian Grobet. Monsieur Dupraz, vous pourrez dire vos âneries tout à l'heure, et on se rejoindra ! (M. Dupraz continue à invectiver l'orateur.)
La présidente. Ah, mais c'est pas vrai ! (La présidente fait sonner sa cloche, mais en vain, car M. Dupraz veut avoir le mot de la fin.) Monsieur Dupraz, s'il vous plaît ! Si les nonante-neuf autres députés étaient comme vous, on ne s'entendrait plus !
M. John Dupraz. Au moins, il y aurait de l'ambiance !
M. Christian Grobet. C'est après le repas du soir que vous avez de la peine à vous maîtriser !
Nous ne sommes pas capables de prendre des mesures fiscales toutes simples pour faire participer à nos charges fiscales ceux qui quittent Genève pour s'installer dans le canton de Vaud dans le but de payer moins d'impôts.
J'aimerais finir par le constat suivant :
J'avoue qu'il est assez déprimant, au terme de ce débat, d'entendre que tout ce qui est proposé dans ces deux initiatives n'a soi-disant aucune valeur. Et j'entends déjà M. Halpérin, ou d'autres, nous dire qu'il faudrait balayer les initiatives sur l'emploi ! Tout ce que nous proposons, notamment sur le plan fiscal - les cadeaux fiscaux dans le domaine de la plus-value immobilière, par exemple - est refusé d'office, mais vous n'êtes pas capables de proposer quoi que ce soit dans ce domaine. Votre seul credo est de faire des économies en démantelant le bateau social - n'est-ce pas, Monsieur Kunz ? - qui a été patiemment mis sur pied par nos prédécesseurs. Je trouve que votre politique est regrettable !
Il faudrait peut-être songer à s'atteler ensemble à la tâche, pour examiner les mesures concrètes qui pourraient être prises, au lieu de rejeter toutes nos propositions en bloc comme vous le faites !
Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de minorité. Au-delà des grands discours et des déclarations idéologiques, il y a des faits dont on doit tenir compte, quel que soit le parti auquel on appartient !
Tout d'abord, la montée des inégalités dans notre canton. La démonstration a été faite que, même déjà avant la crise, avant 1991, les inégalités ont commencé à s'accroître dans notre canton et n'ont cessé de le faire depuis. Cette croissance se traduit par une augmentation parallèle des dépenses de transfert de l'Etat et, par conséquent, par un problème de financement sérieux des prestations publiques. J'ai eu un peu peur, tout à l'heure, en entendant M. Kunz nous parler de cet énorme bateau social rouillé, et je me suis demandé si cela impliquait un changement de conception de la part du Conseil d'Etat, parce que ce dernier - et il faut lui rendre hommage sur ce point - a considéré dans ses budgets et comptes successifs que les dépenses de transfert étaient des dépenses prioritaires et qu'il convenait, par conséquent, de les financer.
Il me semble donc, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente bourgeoise, que si l'on suit cette conception et que l'on considère ces dépenses comme étant prioritaires, on ne peut pas vouloir régler le problème du financement de ces prestations uniquement par des économies, car l'action sur les seules dépenses ne peut se faire sans toucher au social. A un moment donné, il faudra bien agir sur les recettes et envisager des impôts nouveaux. L'imposition des grandes fortunes est possible, parce que le rendement de cet impôt n'a pas bougé ces cinq dernières années et parce que le poids de la charge fiscale sur les fortunes a diminué ces dix dernières années en Suisse. Par conséquent, il est raisonnable de demander un acte de civisme aux personnes fortunées.
C'est vrai, Monsieur Halpérin - vous l'avez démontré - que la progressivité de l'impôt sur les revenus est très forte à Genève. C'est vrai que la pyramide des contribuables est très pointue. C'est vrai que ce sont souvent les mêmes personnes qui sont concernées par l'imposition du revenu et de la fortune. Mais vous ne réglerez pas le problème des inégalités en affaiblissant la progressivité de l'impôt sur le revenu à Genève. Cette progressivité est le signe de l'inégalité, et c'est parce que la distribution des revenus et des fortunes est si inégalitaire à Genève que cette pyramide est aussi pointue.
Encore une fois, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, au-delà des idéologies qui vous animent, de bien vouloir accepter cette initiative.
M. Jean Spielmann (AdG). Le texte de l'initiative qui nous est soumis et les propositions qui y sont formulées sont d'abord extraordinairement modestes. Elles correspondent parfaitement à l'évolution de la situation dans le domaine des recettes fiscales et aux proportions de ces recettes de l'Etat. Je pense, bien sûr, à l'impôt sur la fortune, à l'impôt sur le revenu, aux activités et aux autres ressources financières de l'Etat. Si vous vous donnez la peine d'examiner l'évolution de ces différentes recettes, au cours des dernières années, et celle des charges que représente chacune de ces ressources, vous verrez immédiatement que l'impôt sur la fortune a proportionnellement diminué, alors qu'il y a eu des inversions, notamment dans le domaine de l'imposition sur le revenu. De ce fait, il est logique d'apporter une rectification à ce barème d'imposition pour conserver les proportions d'il y a quelques années pendant lesquelles nous n'avons jamais entendu les arguments avancés tout à l'heure.
Un autre argument est en faveur de ce texte et de la modification de notre assiette fiscale. Il faut bien dire aussi que l'évolution de la société, notamment au cours de ces dernières années, a connu une emprise grandissante du pouvoir de l'argent et de la rentabilité financière au détriment, en partie, de la productivité industrielle, mais au détriment aussi de la productivité du travail, de l'échange des marchandises et de toutes les activités positives de la société. Les revenus financiers grèvent très lourdement l'activité des gens et pose des problèmes importants, soit au niveau de la prise de risques, soit au niveau des investissements, soit au niveau du fonctionnement de la société. Par rapport à cette évolution, il est donc normal que nous nous préoccupions des différentes sources de revenus, pour tenter de limiter, par nos lois fiscales, les bénéfices provenant plus particulièrement des placements financiers et de l'augmentation de la fortune qui en découle le plus souvent directement.
Le troisième argument me semble tout aussi pertinent que les deux premiers. Des modifications sont intervenues dans les modes de perception. D'abord, l'introduction de la taxe à la valeur ajoutée, impôt à la consommation, qui ne tient plus compte de la capacité contributive du citoyen par rapport au montant qu'il a payé. Elle tient compte de ses dépenses et de la manière dont il couvre ses besoins. C'est donc un impôt direct payé sans relation directe avec la capacité contributive. Cela signifie également l'augmentation de toute une série de taxes, d'émoluments, du crédit, du coût de l'argent pour les activités, le logement ou l'acquisition de besoins vitaux de la population. Le coût de l'argent ayant augmenté, il y a eu, fatalement, en parallèle, des revenus qui ont augmenté et qui ont changé le mode de fonctionnement de la société. Il est donc judicieux, dans la conjoncture politique que nous vivons, d'analyser s'il convient de rectifier les différentes assiettes fiscales existantes.
Le quatrième argument me semble tout à fait pertinent. Personne ici ne pourra argumenter valablement ni justifier l'augmentation spectaculaire du nombre de millionnaires - encore plus nombreux à Genève qu'ailleurs en Suisse - en parallèle avec l'augmentation des difficultés, pour la plus grande partie de nos concitoyens, qui suit la courbe du chômage. Il y a donc une relation économique dont nous devons tenir compte dans nos législations fiscales en analysant le développement de cette société à deux vitesses qui s'appuie sur les quatre axes que je viens d'évoquer.
Il faut savoir de quoi l'on parle lorsqu'on évoque les grosses fortunes qui payent beaucoup. Sur les bancs d'en face on nous dirait que peu de gens payent des impôts très importants, mais dans l'excellent rapport de Mme Calmy-Rey figure une série de statistiques qui sont très parlantes et qui expliquent bien ce qui se passe dans ce canton. 4% de la population possèdent 83% de la fortune imposable !
Que proposons-nous, dans cette initiative, face à cette évolution, qui vous fait réagir si vivement ? Il s'agit, en fait, d'une augmentation d'impôts excessivement modique par rapport au développement de la société. En effet, les mesures devraient être beaucoup plus contraignantes pour influer, ne serait-ce qu'un petit peu, l'évolution de la société et redonner à la productivité du travail, aux échanges des marchandises, leur vraie place dans la société plutôt qu'au rendement de l'argent. Il y a donc une réalité économique que vous ne pouvez pas nier !
Nous proposons, dans cette initiative, pour des fortunes de 600 000 F - ce qui n'est pas rien - une augmentation d'impôts annuelle - tenez-vous bien - de 148 F ! Il s'agit donc d'augmentations minimes par rapport aux fortunes et à l'argent remué dans ce canton. L'impôt sur la fortune se montera à 2 000 F par an, seulement, pour un millionnaire !
Mettez cela en relation avec l'augmentation de la valeur de l'argent et les gains financiers réalisés au cours de ces dernières années par des activités, hélas, le plus souvent spéculatives et sans intérêt pour la société, et vous comprendrez que notre démarche est tout à fait cohérente, qu'elle s'inscrit avec modération dans une politique nécessaire pour corriger ces inégalités, que les mesures proposées sont minimes et qu'elles ne devraient pas provoquer de telles réactions. En définitive, cette initiative est tout à fait modeste et elle vient à son heure, vu la conjoncture. J'attends donc avec intérêt les arguments que vous opposerez aux miens, qui ne soient pas les arguments démagogiques que j'ai entendus tout à l'heure.
J'espère, pour ma part, convaincre la population genevoise que l'on peut et que l'on doit faire un pas dans la bonne direction sur le plan fiscal et sur la politique financière de notre canton. Pour cela, il faut voter le texte de cette initiative.
M. Michel Balestra (L). Je vais avoir le plaisir de raconter une jolie petite histoire à M. Spielmann, afin qu'il comprenne sur quoi sont fondés nos arguments !
Un monsieur très riche et très digne se promène à Paris. Une personne moins fortunée arrive vers lui et lui dit : «Enfin, Monsieur, il n'est pas normal que vous soyez aussi riche. Vous pourriez partager votre argent !». Cet homme riche interpellé réfléchit et lui dit : «En fait, vous avez raison. En plus de toute la fortune industrielle que je possède et que je ne peux pas appauvrir, à titre personnel, je dispose de 600 millions de francs. Voilà vos 10 F !».
La limite du système que vous nous proposez réside dans les chiffres que vous avez cités tout à l'heure, Monsieur Spielmann. La seule solution au problème que nous traversons, c'est la dynamisation de l'économie. La création de richesses passe par l'augmentation de la compétitivité des entreprises et rien de ce qui a été proposé ce soir ne permettra d'améliorer la compétitivité de ces dernières.
Il n'y a plus, Monsieur Schaller, d'opposition gauche/droite dans ce parlement mais un débat d'idées entre des pragmatiques qui ont de l'ambition pour leur canton, pour leur pays, et des réactionnaires aigris et infantiles qui, comme l'apprenti sorcier, ne pourront plus arrêter les balais qu'ils ont lancés ! L'amélioration de la compétitivité helvétique passe par une diminution de la quote-part fiscale au produit national brut, et par rien d'autre ! C'est pourquoi vos initiatives qui aggravent la fiscalité détruiront des emplois. Et comme les pyromanes-pompiers, avec elles, vous pourrez créer vos pauvres qu'ensuite vous pourrez plaindre ! (L'orateur soulève une vague de contestation, et la présidente tente de ramener le silence.) Car rappelez-vous toujours de ce proverbe chinois : «Quand les gros maigrissent, les maigres meurent.» !
C'est parce qu'entre la vérité et l'erreur il n'y a pas de voie moyenne que nous nous battrons sur des principes et que nous proposons un préavis négatif à cette initiative ! (Sifflets et applaudissements.)
M. Jean Spielmann (AdG). Monsieur Balestra, le développement que j'ai effectué ne correspond pas du tout à la caricature que vous en faites. C'est le contraire !
En tant que responsable d'entreprise, vous devriez être bien placé pour savoir qu'un des problèmes du développement de l'activité de cette société et du maintien de l'emploi a été la mainmise de plus en plus importante du capital financier sur le capital industriel, sur le potentiel de fonctionnement de la société. C'est encore le cas, et ça le sera encore demain, sans le sursaut collectif que j'appelle de mes voeux !
Vous savez bien que ceux qui veulent entreprendre en créant des entreprises, prendre des risques en innovant et résoudre le problème de l'emploi sont aux prises avec les conditions draconiennes des banquiers qui leur refusent les crédits nécessaires et qui les obligent donc à renoncer à investir et à produire. En définitive, on refuse de prendre des risques pour la création d'emplois, mais on les prend - je vous retourne votre argumentation du pyromane-pompier - pour se lancer dans des opérations financières purement spéculatives, qui nous entraînent dans des spirales dont on n'a à peine pu mesurer les conséquences à long terme.
Nous devons, nous tous qui sommes responsables du développement de notre société, trouver quelques instruments qui nous permettent de freiner cette toute puissance et cette insolence de l'argent qui profite aux spéculateurs et qui bride et bloque ceux qui veulent travailler, produire, qu'ils soient patrons ou ouvriers ! Il n'est pas satisfaisant de voir le système bancaire se développer - lequel, en définitive, vit du travail des autres - et imposer des conditions si draconiennes qu'elles empêchent notre société de se développer harmonieusement. Nous devons prendre des responsabilités à ce niveau !
Nous ne voulons pas faire maigrir le gros, mais vous n'allez tout de même pas nous faire croire que l'augmentation d'impôts d'une centaine de francs sur des revenus de plus de 600 000 F, ou de 2 000 F pour des millionnaires, par année, va provoquer de tels problèmes, et vous le savez bien !
Cette initiative propose de donner le signe clair et précis que, dans cette société, l'argent n'est pas le roi absolu et que l'on ne gagne pas seulement en spéculant, mais que l'on peut aussi gagner en produisant, en travaillant et en utilisant au mieux notre matière grise. C'est ce que les banques nous empêchent de faire de plus en plus dans notre pays. Ceux qui accumulent des fortunes, pendant que le chômage est en augmentation et qu'on a besoin d'investissements pour relancer l'économie, ont des responsabilités, et nous entendons les leur faire payer !
M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Comme pour l'initiative précédente, il est vrai que les positions de chacun de vos groupes ont été exprimées quasiment sans surprise. Les arguments échangés de part et d'autre dans cette salle ont leurs valeurs et leurs limites.
Le Conseil d'Etat vous a fait part très clairement, dans son rapport sur l'IN 102-A, du 24 novembre 1993, de sa position. Elle est connue; nous vous avons fourni, notamment en pages 7 et 8, des chiffres qui n'ont guère varié, puisqu'à l'époque ils étaient basés sur les statistiques fédérales 1992 et que nous avons reçu récemment celles de 1993. Il est vrai qu'en moyenne les Genevois payent 14% de plus d'impôts sur la fortune, par rapport à l'indice moyen Suisse. Je reviendrai sur ce point dans un instant.
Mesdames et Messieurs, depuis plusieurs années, le Conseil d'Etat a, par ma bouche, attiré votre attention sur les dangers d'une pyramide fiscale des contribuables trop pointue, qu'il s'agisse de personnes morales ou de personnes physiques. Des modifications de la fiscalité peuvent avoir des conséquences très importantes que certains, aujourd'hui, ont essayé de minimiser.
Je vous rappelle que, sur les vingt mille sociétés, grosso modo, répertoriées à Genève, et sur une production fiscale située entre 500 et 520 millions, les cents premières sociétés rapportent environ 380 millions. Sur ces cents premières sociétés, la première couvre les deux tiers de ce montant. Il en va de même - les chiffres ont déjà été fournis, aussi je ne les répéterai pas - en matière de contributions des personnes physiques.
Mesdames et Messieurs les députés, il y a le débat de la fiscalité et celui de la solidarité. Ils sont évidemment liés en partie. C'est pourquoi, nous devons pouvoir accueillir ce que l'on appelle les «gros contribuables» ou les «riches» pour permettre des rentrées fiscales, tant sur leur revenu que sur leur fortune - généralement, à quelques exceptions près, l'un ne va pas sans l'autre - mais le cumul de ces deux impôts provoque des charges qui, si elles sont trop élevées, peuvent devenir dissuasives, voire confiscatoires.
C'est la raison pour laquelle il est essentiel, dans une société comme la nôtre, pour pouvoir garantir une redistribution sociale équitable - ce qui est une des tâches essentielles de l'Etat, notamment dans cette période de difficultés - d'assurer la venue et le maintien sur le territoire de contribuables importants. Je vous le dis depuis des années : il faut faire attention aux effets que peut générer une modification de la fiscalité.
Par conséquent, le débat peut se résumer à déterminer quelle est la limite tolérable, le point de rupture d'équilibre qu'il ne faut pas franchir et qui est concrétisé par un adage célèbre : «Trop d'impôt tue l'impôt.» ! Aujourd'hui, certaines personnes ici ainsi que les initiants prétendent que l'on peut encore accroître l'imposition sur la fortune à partir de 500 000 F. D'autres, le gouvernement y compris, considèrent que cela n'est pas opportun, voire dangereux.
A cet égard et une fois de plus, il ne faut pas - qu'on le veuille ou non - rester dans les limites de notre territoire cantonal. Il faut regarder ce qui se passe dans l'ensemble du pays. L'Annuaire statistique fiscal, publié par la Confédération et l'administration fédérale des contributions, dit clairement que la charge concernant l'impôt sur la fortune est de treize points plus élevée à Genève que la moyenne suisse, puisqu'elle se situe à cent treize points. L'impôt sur la fortune, à Genève et en moyenne, puisqu'il varie selon que la fortune s'élève à un ou deux millions ou plus, se situe au dix-neuvième rang.
A nouveau, j'attire votre attention sur le fait qu'à Zurich - canton avec lequel nous sommes, ô combien, en compétitivité; je ne parle même pas de Zug - l'indice est de 76. Malgré cet indice extrêmement favorable, le peuple zurichois, au début de ce mois, a rejeté à 71% une initiative identique visant à prélever un impôt complémentaire sur la fortune. Pourtant, l'écart de points est considérable.
Le canton de Vaud a un indice de 107. Malgré cet élément plus favorable qu'à Genève, le gouvernement vaudois et, sans aucun doute, le parlement vaudois proposeront le rejet d'une initiative identique pendante devant le parlement.
L'indice du Tessin est de 99 et la moyenne des deux Bâle se situe à 97.
Mesdames et Messieurs, sachant que le gouvernement ne convaincra pas celles et ceux qui pensent que nous pouvons encore aller plus loin au niveau de l'imposition sur la fortune, je vous dis, au nom du gouvernement, que les risques sont grands - même si la production complémentaire chiffrée à environ 48 millions est importante dans la situation budgétaire de notre canton - et que le Conseil d'Etat se refuse à les prendre.
C'est la raison pour laquelle nous considérons que l'initiative n'est pas opportune.
Ayant à nouveau été interpellé par M. Grobet s'agissant de la fiscalité régionale Vaud/Genève, j'ajouterai un point. Vous savez combien les négociations entreprises par le Conseil d'Etat avec le gouvernement vaudois sont difficiles et âpres, s'agissant des flux économiques, pour aboutir à une meilleure répartition et à des moyens qui permettraient, par rapport à ceux qui viennent travailler à Genève, de trouver une adaptation fiscale entre nos deux cantons, comme nous avons su la trouver avec les Français et, d'ailleurs, comme les Vaudois l'ont trouvée avec les français également. Mais nous sommes incapables, en raison de notre législation fédérale, d'imposer une solution.
Je dis aux députés de la gauche qu'aucune mesure n'a été entreprise sur le plan fédéral, ni dans les milieux de gauche, pour modifier la fiscalité concernant l'imposition au lieu de domicile et pour trouver d'autres péréquations. Et pour cause, en réalité, nous sommes les seuls, à Genève, tous partis genevois confondus, à prêcher dans le désert. Vous savez fort bien que - je le vis par rapport à l'opposition franche et massive des libéraux vaudois à mes initiatives - sur le plan fédéral, en Suisse allemande, nos partis, y compris le parti socialiste, sont opposés à une telle révision.
Ce combat est donc difficile. Ce n'est pas que nous manquions d'imagination au Conseil d'Etat, même s'il est possible que nous n'ayons pas découvert la pierre philosophale, mais M. Grobet, pendant douze ans, ne l'a pas trouvée non plus ! Il s'est heurté et a été confronté, avec moi, aux mêmes oppositions dans ce domaine. Nous ne baissons pas les bras pour autant, et nous continuerons notre combat, car il est vrai, comme je vous l'ai souvent dit, que les difficultés budgétaires rencontrées par les autres cantons les amènent enfin à réfléchir, comme nous, pour trouver des solutions régionales, qui nous permettraient d'assurer une meilleure fiscalité.
J'ajoute encore une chose, puisque nous avons parlé d'évasion et de fraude fiscale. Vous le savez, parce que je l'ai déjà dit, nous avons modernisé notre système des contrôles il y a trois ans et demi à la suite d'un audit. Avec moins de personnel, notre production est cependant largement supérieure. Nous continuerons à contrôler et à lutter contre la fraude.
Je suis favorable, à titre personnel, à l'idée d'une amnistie fiscale, non pour faire des cadeaux aux fraudeurs, mais parce que, à mon avis, à un moment donné il faut être raisonnable. En effet, si le produit de l'amnistie fiscale, par exemple, pouvait être affecté au remboursement de notre dette qui s'est considérablement amplifiée en raison de la crise, nous pourrions faire, par ce biais, uniquement la première année, une diminution des intérêts et un allégement de notre dette fiscale, qui profiterait, effectivement, à ceux qui ont le plus besoin des prestations de l'Etat. Il n'y a que dans ce seul sens que je peux accepter l'idée d'une initiative fiscale qui est voulue par les deux Chambres du parlement fédéral, mais qui est reportée régulièrement. C'est un moyen, certes, difficile à accepter par tous, mais qui nous apporterait une solution intelligente dans ce domaine.
Mesdames et Messieurs les députés, au terme de ce débat et après vous avoir entendus et vous avoir redit ce que je vous répète fréquemment, le Conseil d'Etat considère qu'il ne serait pas judicieux de modifier l'imposition sur la fortune. Nous vous demandons, par conséquent, comme d'autres groupes et le rapport de majorité, de rejeter cette initiative. (Vifs applaudissements.)
Mise aux voix, cette initiative est rejetée.
La séance est levée à 19 h 55.