République et canton de Genève

Grand Conseil

M 941-A
22. Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et M. Elisabeth Reusse-Decrey, Liliane Maury Pasquier et Pierre-Alain Champod concernant la création d'une «carte-famille». ( -) M941
 Mémorial 1994 : Développée, 3692. Commission, 3697.
Rapport de M. John Dupraz (R), commission des affaires sociales

Dans sa séance plénière du 15 septembre 1994, le Grand Conseil renvoyait en commission le motion 941. C'est sous la présidence de M. Pierre Champod, puis de M. Roger Beer, que la commission des affaires sociales a consacré trois séances à l'étude de ce texte. M. Claude-Victor Comte, directeur adjoint du département, assistait aux séances.

But de la motion

La motion propose l'établissement d'une «carte-famille» officielle distribuée par la chancellerie, permettant des rabais ou la gratuité de certaines prestations de collectivités publiques, voire des collectivités privées, pour les familles, dès le deuxième ou troisième enfant. Les auteurs de la motion rappellent que 1994 est «l'année internationale de la famille», avec notamment trois objectifs:

1. favoriser la reconnaissance de la contribution des familles au développement de la collectivité;

2. sensibiliser les gouvernements et le secteur privé aux problèmes de la famille;

3. inciter les organismes publics à formuler des politiques mieux adaptées aux diverses situations des familles.

Cette motion visant à instituer une «carte-famille» s'inscrit tout à fait dans les objectifs décrits ci-dessus.

Auditions

Les députés entendent, le 29 novembre 1994, Mmes de Tassigny et Guyot, membres de la commission spécialisée «famille» du Conseil de l'action sociale. Elles estiment qu'il appartient à l'Etat de prendre des mesures concrètes en vue de développer la politique familiale. Dans cette perspective, la contribution de l'Etat au lancement de la «carte-famille» se justifie pleinement. Mmes de Tassigny et Guyot s'expriment encore sur les points suivants:

Bénéficiaires

La carte doit permettre de soutenir les familles nombreuses. Elle concerne les familles composées d'au moins 3 enfants et d'un ou deux adultes. Elle doit être accessible à toutes ces familles, sans restriction liée au revenu.

Nature des prestations et accessibilité

Des rabais susbstantiels dans différents domaines doivent pouvoir être offerts aux détenteurs de la carte.

Les activités donnant lieu à ces rabais doivent pouvoir être pratiquées soit en famille, soit par un ou plusieurs de ses membres. A cet effet, il convient de prévoir que chaque membre d'une famille faisant partie du cercle des bénéficiaires dispose d'une carte individuelle.

Afin de faciliter l'acquisition de la carte, celle-ci doit pouvoir être délivrée près du lieu de domicile, par exemple dans les mairies, et par l'intermédiaire des PTT.

Si les cartes sont facturées, le montant prélevé devrait correspondre au prix coûtant et ne pas dépasser 10 F par famille.

Faisabilité

Parmi les exemples cités par les motionnaires, la plupart ne relèvent pas des compétences cantonales (théâtres, musées, concerts, fêtes, manifestations sportives, cinémas, restaurants). Afin de concrétiser ces propositions, un partenariat Etat-communes, et Etat-privés paraît nécessaire.

Suite à cet exposé, il est demandé s'il ne faudrait pas tenir compte des familles monoparentales avec un seul enfant. Mme de Tassigny souligne, en répondant, qu'il faut d'abord définir ce que veut la commission: apporter une aide aux familles nombreuses ou contribuer au financement du coût d'un enfant. Le but des motionnaires est clair; pour eux, il s'agit de soutenir les familles nombreuses, notamment en facilitant l'accès à la culture.

A la demande de la commission, M. Jean-Philippe de Tolédo, représentant de la promotion du commerce genevois, exprime son point de vue le 13 décembre 1994. Il estime que la motion développe une bonne idée, mais que la forme doit être discutée, plusieurs points restant à préciser:

 critères d'attribution: qui va bénéficier de cette carte?

 comment identifier le bénéficiaire?

 quelle limite d'âge pour les enfants?

 quels produits concernés?

 quelles conditions proposées: rabais, produits spéciaux gratuits?

 validité: renouvelable, liée à l'âge du porteur.

Il propose de procéder à une enquête auprès des commerçants. Afin d'intéresser les petits commerçants qui risquent d'être moins enthousiastes face à ce projet, il serait judicieux, afin de rendre la formule attractive, d'envisager une éventuelle réduction de la taxe professionnelle.

D'autre part, M. de Tolédo évoque l'opération «samedi partage» qu'il présente comme une nouvelle voie dans le domaine social.

Un commissaire rappelle que l'objectif de la motion est plus modeste et les commerçants auraient toute liberté de participer ou non à cette opération.

Enfin, M. de Tolédo doute qu'avec 10 F à 15 F, prix payé pour la carte, il soit possible de mettre sur pied la «carte-famille», car il faudrait tenir à jour une liste des bénéficiaires et des commerçants concernés, voire éditer un catalogue, pour informer les clients.

Travaux de la commission

Après une brève discussion, les députés retiennent trois critères pour l'étude de cette motion:

 Premièrement, la «carte-famille» est destinée aux familles nombreuses. C'est pourquoi le texte (lettre a) est modifiée ainsi: «auprès d'instances publiques ou subventionnées, afin qu'elles offrent des réductions aux membres des familles comprenant 3 enfants et plus».

 Deuxièmement, la carte doit être délivrée contre un émolument couvrant les frais administratifs. Cette carte pourrait faire l'objet d'un support publicitaire afin d'en diminuer le coût.

 Troisièmement, elle doit pouvoir être utilisée collectivement ou individuellement par les familles titulaires.

Cette démarche parlementaire est un signe tangible de soutien à la famille. C'est pourquoi la commission vous propose, par 10 voix (2 S, 2 DC,2 R, 3 AdG, 1 E) et 4 abstentions (L), de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat en le priant de tenir compte des paramètres adoptés pour mettre en place cette carte-famille.

Débat

M. John Dupraz (R), rapporteur. Je signale deux corrections à apporter à la page 4. A la deuxième ligne, il ne s'agit pas d'un émolument «concernant» les frais administratifs, mais «couvrant» les frais administratifs. A l'avant-dernière ligne, il s'agit des paramètres «adoptés» et pas «adaptés».

M. Michel Halpérin (L). Le groupe libéral s'est penché, avec la gravité qui convenait aux circonstances, sur ce projet de motion et le rapport excellent de M. Dupraz.

Nous avons essayé, Monsieur Dupraz, et, avec votre aide, nous y sommes parvenus, de comprendre la substance de cette motion. Et nous nous sommes dit que, selon toute vraisemblance, la proposition de carte-famille n'était pas destinée uniquement à enrichir nos porte-cartes et nos portefeuilles d'un instrument de papier supplémentaire à balader avec nous pour le brandir en toutes circonstances, comme une carte d'identité ou une carte de crédit ou une carte de donneur d'organe.

Nous avons pensé qu'il y avait un but à cette carte-famille et nous avons déduit des considérants le fait que l'année 1994 était l'année de la famille et celui qu'en Suisse le vieillissement de la population devient un phénomène inquiétant, qu'une meilleure politique de la famille doit être mise en oeuvre, que nous nous faisions du souci pour notre déficit démographique, et que l'introduction de cette carte-famille avait pour objet de remédier aux tares de notre natalité défaillante.

Si tel est le but de cette carte-famille, nous nous sommes alors interrogés, tout aussi gravement, sur l'efficacité des moyens proposés pour résoudre ces tares majeures.

Pensons-nous véritablement qu'une carte nous incitera à faire trois enfants plutôt que deux ? Imaginons-nous que la générosité de notre collègue Jean-Philippe de Tolédo, qui fera savoir qu'au sixième enfant nous aurons les «Pampers» gratuitement à la Pharmacie principale, est une incitation décisive ? Nous n'en sommes pas convaincus.

A vrai dire, nous ne sommes pas convaincus non plus qu'il soit dans les moyens de notre gouvernement, ni même de notre parlement, de remédier, de cette manière-là, par des mesures incitatives de ce type-là - entrées moins chères ou gratuites dans les musées et achats au rabais pour tirs groupés à la Pharmacie principale - à ce déficit de la natalité.

Si nous voulions réellement améliorer les efforts de nos vies de famille, il faudrait peut-être, et là c'est presque de la compétence du Conseil d'Etat, en tout cas des Services industriels, organiser plus fréquemment des pannes d'ascenseur et d'électricité. Là, les effets sont garantis ! Mais, à vrai dire, nous ne sommes pas convaincus que les auteurs de cette motion se soient imaginé qu'elle aurait cette efficacité-là. Alors, il s'agit peut-être d'une motion purement symbolique. Et s'il s'agit d'une motion symbolique, nous proposons qu'elle ne soit adoptée qu'après que nous eûmes procédé à un véritable débat sur la démographie dans ce canton.

On ne peut pas simplement décider, parce que nous aurons voté aujourd'hui une carte-famille, avec ce qu'elle suppose en substrat, que nous sommes d'accord pour une nouvelle politique de la natalité. Ou nous la voulons, cette nouvelle politique, et alors nous en posons les fondements au terme d'un travail différent de celui qui a été fait dans cette commission, et qui est un travail d'interrogation profonde sur l'évolution de la population de notre canton. Ou bien nous estimons qu'il n'y a pas lieu à un changement de la politique familiale et n'adoptons pas de carte qui n'ait pas de sens particulier.

Voilà pourquoi le groupe libéral ne votera pas cette motion.

M. John Dupraz (R), rapporteur. Je regrette que M. Halpérin et le parti libéral consacrent leur talent à donner des leçons à ce parlement, à tourner en dérision des projets sérieux et louables, que j'expliquerai tout à l'heure.

Je dirai, un peu pour schématiser votre intervention, qu'il semblerait que votre slogan est : «On aime bien le Bon Dieu, mais on préfère l'argent !». Qu'ont voulu, en fait, les auteurs de cette motion ? Que les collectivités publiques considèrent que les familles nombreuses contribuent plus que les célibataires et les familles qui n'ont qu'un enfant à la relève des générations. Dans ce sens-là, il y a intérêt public à mettre en place une politique d'encadrement pour les familles nombreuses qui permette à ces dernières de bénéficier, et des spectacles, et des biens de consommation nécessaires, pour qu'elles puissent faire face aux besoins de leurs enfants.

Voilà quel était le but de cette motion. Il se peut qu'elle soit maladroite, que le rapport soit mauvais, mais nous y avons mis tout notre coeur et nous demandons au Conseil d'Etat d'en étudier la possibilité et vous, vous prétendez que nous allons voter pour une carte. Je regrette votre comportement, parce que votre intelligence et votre talent méritent mieux que ce que vous avez dit tout à l'heure.

M. Philippe Schaller (PDC). J'aimerais répondre à M. Halpérin. Je trouve son cynisme presque touchant, presque drôle. Mais je crois qu'avec cette carte-famille on apporte un petit coup de pouce, on fait un clin d'oeil de ce parlement aux familles nombreuses.

Il est clair que la politique de famille que nous désirons pour ce canton n'est pas basée sur la carte-famille, Monsieur Halpérin, et vous le savez bien. C'est lors des débats sur les familles monoparentales que nous verrons qui les soutiendra ! Et c'est lors du débat sur l'assurance-maternité, que nous verrons qui la défendra ! Nous voterons en faveur de cette carte-famille, mais pas dans le sens que vous imaginez, Monsieur Halpérin !

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je suis quelque peu déçue, car je me réjouissais de pouvoir enfin tenir un discours positif dans cette enceinte, mais je dois dire que les allusions de M. Halpérin sont d'un niveau tellement bas que je suis obligée de réagir.

Certes, on peut faire mieux. J'attends de votre part des propositions, elles m'intéressent et je m'en réjouis déjà.

Je crois aussi que si vous aviez pris la peine de lire le Mémorial, vous auriez vu que, dès le début, nous avions bien précisé que nous n'avions pas la prétention de résoudre la politique familiale avec cette seule motion.

Vous dites qu'elle est purement symbolique. Nous avions précisé qu'elle l'était, effectivement, un peu. C'est un geste, un petit signe, dans le cadre de l'année de la famille. A ce niveau, il y a quelques inégalités, c'est vrai. Il y a des familles nombreuses, qui jouissent de moyens financiers suffisants pour assurer un développement culturel et offrir des loisirs à leurs enfants. C'est vrai qu'il existe une notion d'inégalité, qui a été discutée en commission. Mais, au-delà de ces défauts, nous voulions signifier que la famille représente quelque chose d'important pour les politiques, à Genève.

Aussi, je vous invite à voter cette motion et le rapport de M. Dupraz.

M. Bernard Clerc (AdG). Cette proposition, ce n'est pas la révolution ! Et pourtant le parti libéral la combat avec un acharnement qui la fait passer pour telle !

Bien sûr, Monsieur Halpérin, quand vous avez un haut revenu, avoir des rabais sur des entrées de spectacle pour les enfants n'a pas beaucoup d'importance. En revanche, quand il s'agit d'une famille à revenu très modeste, cela joue un rôle non négligeable pour estimer si l'on peut y emmener un, deux, trois, voire quatre enfants.

Mais je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la politique familiale. Du point de vue de la natalité, ce n'est pas cette carte-là qui va régler le problème. Et comme vous semblez vouloir agir à ce niveau, je crois que le moyen le plus efficace, dans l'état actuel de notre législation sociale, est celui des allocations familiales. Je ne doute pas un seul instant que, pour aller dans ce sens, vous soutiendrez les projets les plus avancés et les plus progressistes en la matière. D'avance, je vous en remercie.

M. René Longet (S). Je crois que tout a été dit sur l'ironie facile de M. Halpérin. Je voudrais simplement insister sur deux points. Tout à l'heure, vous avez parlé de motivation nataliste. Je ne crois pas que le but du Grand Conseil ou des motionnaires, ou encore de ceux qui vont voter cette motion, vise avant tout une politique nataliste, Monsieur Halpérin. Il s'agit, tout simplement, d'assurer une égalité de traitement et une égalité de chances. Vous savez très bien - les juristes l'ont appris à l'école - que l'égalité, c'est traiter différemment les situations différentes. Quand il y a plus d'enfants chez les uns que chez les autres, les dépenses sont plus élevées, et l'on se trouve devant la situation choquante où le coût marginal, en quelque sorte, de l'enfant supplémentaire peut être extraordinairement lourd. C'est précisément ce problème qui est abordé par cette carte, qui me paraît être une excellente solution pour permettre aux familles, non seulement d'accéder à certaines prestations, à certaines offres qui existent dans la société, mais de ne pas être pénalisées pour le fait d'avoir des enfants.

Je voudrais préciser qu'il ne s'agit pas - et là, j'en viens au deuxième point - de donner simplement une conclusion à l'année de la famille. Il s'agit surtout de se rappeler que, dans notre constitution, existe un article, l'article 2B, qui tend à donner un certain ancrage aux besoins de la famille. Comme M. Schaller l'a souligné, je crois que, dans ce parlement, nous parlons aussi de cela et d'autres thèmes en lien avec la famille. Nous avons une obligation de référence à cet article. Par conséquent, j'aimerais beaucoup que l'ensemble du Grand Conseil se rappelle que cet article a été voté et qu'il y a dès lors un devoir pour l'Etat de Genève et ses représentants de tenir compte des besoins de la famille.

C'est exactement ce que cette motion veut.

Dès lors, je trouve que l'on serait vraiment mal inspiré de la refuser ou de la contester. Elle représente un minimum et il faudra encore bien autre chose pour que nous soyons en règle, non seulement avec le principe de l'égalité des chances, mais aussi et tout simplement avec le mandat constitutionnel.

M. Michel Halpérin (L). Vous me pardonnerez de ne pas répondre à chacune des remarques me concernant personnellement, mais je voudrais, sur le principe même de cette motion, vous faire observer que vos réponses montrent bien que le problème est celui que j'ai décrit. S'il s'agissait d'offrir des subventions, sous une forme ou sous une autre, aux familles nombreuses, parce que tel serait le but que nous nous serions donné, nous n'aurions pas, comme considérant, que nous sommes inquiétés par le vieillissement de la population.

Or, ce que j'ai voulu vous dire, tout à l'heure, c'est que notre groupe n'hésitera pas à s'engager dans une réflexion sur la démographie et la natalité, mais qu'il n'est pas, à ce stade, convaincu que pour résister au vieillissement de la population en Suisse, il faille prendre des mesures du type du subventionnement des familles. Et comme il n'en est pas convaincu, il ne le votera pas.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

(M 941)

motion

concernant la création d'une «carte-famille»

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que l'année 1994 a été déclarée par l'ONU «année internationale de la famille»;

- qu'en Suisse le vieillissement de la population devient un phénomène inquiétant;

- qu'une meilleure politique de la famille doit être mise en oeuvre, par des mesures multiples et diverses,

invite le Conseil d'Etat

à étudier la possibilité d'instaurer une «carte-famille» et à intervenir:

a) auprès d'instances publiques ou subventionnées afin qu'elles offrent des réductions aux membres des familles comprenant 3 enfants et plus;

b) auprès de collectivités privées afin de les inciter à agir de même.

 

La séance est levée à 19 h 45.