République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7211
24. Projet de loi du Conseil d'Etat accordant la bourgeoisie d'honneur de Genève à M. Hugues Gall, directeur du Grand Théâtre du 1er juillet 1980 au 30 juin 1995. ( )PL7211

EXPOSÉ DES MOTIFS

M. Hugues-Randolph Arthur Rainer Gall, de nationalité française, est né le 18 mars 1940 à Honfleur dans le Calvados. Il a eu très tôt, dès 1944, des étroits contacts avec notre pays puisqu'il a séjourné à Nyon, puis à Lausanne, où il a été élève du Collège classique cantonal. Rentré en France, il y a fait des études de sciences politiques et de lettres allemandes, puis il s'est lancé dans le journalisme en qualité de rédacteur en chef de la revue «Montalembert» et comme critique musical aux «Nouvelles littéraires». En 1967, il est entré au Ministère de l'agriculture où il a travaillé comme chargé de mission pendant plus d'un an, M. Hugues Gall s'est ensuite rapproché du monde artistique en s'occupant, au Ministère de l'éducation nationale, des problèmes relatifs aux enseignements artistiques.

Parallèlement, il a exercé les fonctions de vice-président de la commission nationale «Musique et enseignement». Dans ce cadre, il a contribué à la création du département d'enseignement artistique de l'université de Vincennes ainsi qu'à la refonte des études artistiques (création d'un baccalauréat à option artistique).

A partir de 1969, il entre dans le vif du domaine lyrique qu'il ne quittera plus. En effet, au Ministère d'Etat chargé des affaires culturelles, il se voit confier l'étude de la réforme de l'Opéra de Paris. En octobre 1969, il est nommé aux fonctions de secrétaire général de la Réunion des théâtres lyriques nationaux (Opéra et Opéra-Comique).

En janvier 1973, nommé administrateur adjoint du Théâtre national de l'Opéra de Paris, il participe activement aux côtés de notre éminent compatriote Rolph Liebermann, alors administrateur général de cet Opéra, à la politique de rénovation du Palais Garnier tant sur le plan de l'art lyrique que de l'art chorégraphique.

Chevalier de la Légion d'honneur et Commandeur des Arts et des Lettres, il est appelé, le ler juillet 1980, à présider aux destinées du Grand-Théâtre de notre ville. Il assumera la haute et difficile fonction de directeur général pendant 15 ans.

En outre, de 1981 à 1985, il sera désigné au poste de secrétaire général de l'Association internationale des directeurs d'opéras, dont il restera par la suite membre du comité de direction.

En s'assurant le concours de M. Hugues Gall, Genève a trouvé une personnalité exceptionnelle qui conjugue les dons artistiques nécessaires, les qualités humaines et l'expérience d'un gestionnaire avisé. Sous son impulsion, Genève est en effet devenue un haut lieu de la vie lyrique et de la culture musicale dont la renommée s'est étendue au fil des années à travers le monde entier.

Les saisons du Grand-Théâtre sont indissociables de celui qui les a composées et dirigées. M. Hugues Gall a d'autant plus de mérite à cet égard que sa carrière genevoise, commencée dans les années de prospérité, s'est trouvée peu à peu confrontée aux difficultés économiques que l'on sait. Dans cette situation, M. Hugues Gall a fait preuve des talents d'une personnalité capable d'adapter les dépenses aux nécessités de l'heure. Il a su maîtriser de délicats problèmes budgétaires de sorte que, malgré les restrictions, la qualité et l'intérêt des spectacles donnés au Grand-Théâtre ont pu être maintenus.

Il a répondu aux attentes d'un public de connaisseurs exigeants dans les domaines de la musique, de l'opéra et du ballet, tout en offrant des spectacles accessibles au grand public, dans un constant souci d'équilibre et d'ouverture de l'institution.

Durant les 15 années qu'il a passées à Genève, M. Hugues Gall ne s'est pas contenté d'être le directeur renommé d'une scène prestigieuse. Il s'est parfaitement intégré à la vie genevoise. Son entregent et ses qualités de communicateur lui ont permis de se faire de nombreux amis dans tous les milieux. Il est devenu très familier de nos théâtres et de nos salles de concerts.

De plus, il a conçu un vif intérêt pour les affaires publiques de notre ville et de notre canton qu'il connaît admirablement. Ses contacts avec Genève et les Genevois, comme avec la communauté internationale, n'ont cessé de s'élargir et se sont transformés, au cours des années, en un profond attachement, renforcé encore par les nombreux liens personnels qu'il a tissés avec des personnalités marquantes de notre cité.

Honoré par la Fondation pour Genève en 1992, M. Hugues Gall est aujourd'hui appelé à prendre de nouvelles et très importantes fonctions en France: à partir du 1er août 1995, il deviendra directeur de l'Opéra national de Paris.

En témoignage de notre gratitude pour son importante et originale contribution à la vie culturelle de Genève, en hommage à ses talents de créateur, d'animateur et de gestionnaire d'une maison où des spectacles rarement joués ont côtoyé les grands classiques souvent rajeunis avec bonheur, nous vous proposons de faire de M. Hugues Gall, déjà Genevois de coeur, un citoyen d'honneur de notre cité.

Pour les motifs ci-dessus, nous espérons, de votre part, Mesdames et Messieurs les députés, un accueil favorable de ce projet de loi.

Préconsultation

M. Armand Lombard (L). Notre groupe salue avec intérêt le projet de loi que le Conseil d'Etat lui soumet. J'aimerais profiter de cette occasion pour vous rappeler, en quelques mots, et aidé par l'excellente recherche de S. Arnauld, le poids et la force de cette manifestation de la bourgeoisie d'honneur attribuée depuis des siècles par la Cité et reconnue par l'article 30 de la constitution genevoise.

En parcourant le Livre des Bourgeois de l'ancienne République de Genève, on apprend qu'un Français, avant M. Hugues Gall, fut reçu bourgeois le 25 décembre 1559 en ces termes. Il s'agissait de Jean Calvin, le Picard.

«Calvin, ici présent et humblement acceptant, bénignement reçu, de grâce spéciale et gratuitement en égard du ministère de la parole de Dieu auquel, depuis la réformation chrétienne, il a fidèlement servi et de beaucoup d'agréables services que, journellement, il fait à notre République.».

Cette adoption d'un Français et le caractère solennel qui entoure la bourgeoisie d'honneur que le Conseil d'Etat souhaite conférer à M. Hugues Gall expriment l'attachement d'une communauté pour un homme, pour son combat, pour son travail à Genève.

Le rapprochement entre Jean Calvin et Hugues Gall s'arrête là. Mais il implique de se souvenir que l'aïeul véritable du directeur du Grand Théâtre est bien plus ancien, et antérieur à Jean Calvin, c'est le sieur Peronetus De Tornay, factor imaginum at farseator, soit histrion et comédien ayant reçu gratuitement la bourgeoisie le 5 décembre 1452, il y a donc 543 ans.

La bourgeoisie d'honneur s'inscrit dans le grand débat de la démocratie et de l'élitisme, de l'égalité plate et de la différence créatrice, du souci de traitement équitable de tous et de la reconnaissance envers ceux qui marquent la vie de la communauté.

Les Genevois ont oscillé entre ces deux tendances. Inspirés par les idéaux de la Révolution française, ils ont décrété par l'édit du 12 décembre 1792, je cite :

«Qu'il n'y aurait plus de réception à la bourgeoisie, que tous les bourgeois, natifs, habitants ou domiciliés, tant dans la ville que dans les campagnes seront déclarés ou adoptés citoyens.».

Puis, ils réapprendront à rendre honneur à l'oeuvre des petits et à celle des grands, lorsque, après la Restauration, fut rétablie la bourgeoisie d'honneur de Genève.

Entre 1814 et 1929, il y eu en effet, soixante-neuf nouveaux bourgeois dont le grand duc Frédéric-Franz 1er de Mecklembourg-Schwerin, le duc de Clermont-Tonnerre, le roi Frédéric VII du Danemark, mais aussi trois bateliers, un bijoutier, deux cafetiers, un conducteur de travaux, un cordonnier, deux horlogers, cinq infirmiers, un marchand tailleur, un menuisier et un monteur de boîtes, ainsi que neuf négociants. Il y a de la diversité dans le souci de dire la reconnaissance ! Aujourd'hui, c'est la culture que l'on souligne.

Dans le domaine des arts, les prédécesseurs de M. Hugues Gall sont les peintres Ferdinand Hodler et Charles-Henri Borgeaud, les musiciens Emile Jacques-Dalcroze, en 1925, Otto Barblan, en 1937 et Ernest Ansermet en 1954. Saluons Genève qui se souvient des autres qu'elle fait siens. Beaucoup de choses ont été dites sur Hugues Gall et sur ce remarquable travail à la conduite du Grand Théâtre. Beaucoup seront encore dites.

Mon propos était de souligner la fierté d'une Cité à célébrer ses acteurs culturels et la nécessité pour une Cité d'avoir de tels hommes ou femmes dont l'action fait son éclat et lui permet de poursuivre son développement créatif et dynamique quels que soient les aléas de ses chamailles politiques internes. Nous soutiendrons chaleureusement le projet de loi et accueillerons avec reconnaissance notre nouveau citoyen.

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Après l'admirable historique qui vient de vous être fait par votre collègue Armand Lombard, le Conseil d'Etat souhaite, en vous demandant d'honorer Hugues Gall par l'octroi de la bourgeoisie d'honneur, remercier le directeur de notre Grand Théâtre d'avoir, durant quinze ans, porté l'art lyrique à l'une des premières places en Europe et dans le monde.

Mais, par ce geste, vous ferez aussi un clin d'oeil à l'art et à la culture si importants, notamment dans ces périodes de difficultés.

Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous rappeler que c'est à teneur de l'article 30 de la loi sur la nationalité que votre Grand Conseil, sur proposition du Conseil d'Etat, peut décerner gratuitement la bourgeoisie d'honneur. J'aimerais rappeler également que cette bourgeoisie d'honneur n'a pas les effets d'une naturalisation et ne confère donc pas le droit de cité genevois. L'acquisition de cette bourgeoisie d'honneur est le signe d'une Cité, comme on vient de le rappeler, à celui qui a fait beaucoup pour son rayonnement.

Je vous remercie donc de bien vouloir voter ce projet de loi en discussion immédiate.

M. Michel Ducret (R). Personnellement, j'aurais quelque peine à mettre en rapport Calvin et le directeur de la scène de Neuve, car l'attitude du premier et celle du second vis-à-vis des plaisirs prodigués sur une scène me semblent très éloignées.

M. Armand Lombard. T'as rien compris ! (Rires.)

M. Michel Ducret. Mesdames et Messieurs les députés, il m'est particulièrement agréable de prendre la parole à ce sujet ce soir au nom du groupe radical. Etant également conseiller municipal de Genève, c'est dans ma commune que M. Hugues Gall a exercé ses talents dans le cadre du Grand Théâtre de la place Neuve.

Durant ses quinze années d'activités à la tête de notre opéra, M. Hugues Gall s'est montré un directeur brillant. Il a élevé sa profession à un véritable niveau artistique, et a su faire partager l'amour de son métier, l'amour de l'opéra.

Il n'est guère utile de redire ce qui a été si bien écrit dans le projet de loi qui nous est soumis, mais je tiens à souligner qu'à travers lui Genève honore tous ces étrangers, tous ces gens obscurs ou parfois plus connus, mais si nombreux, qui apportent leur savoir-faire à notre canton et contribuent à sa prospérité.

Si M. Gall est particulièrement honoré ce soir, c'est que, devenu une personnalité phare dans le monde de l'opéra, il a aussi entraîné dans son sillage la scène de Neuve et élevé notre Grand Théâtre au rang d'une des meilleures scènes mondiales, à celui d'un des opéras les plus réputés au monde.

A l'exception des festivals, je ne connais pas beaucoup de villes de 170 000 habitants, aucune collectivité de 400 000 habitants qui puisse se targuer d'une telle considération en matière de spectacles et surtout d'opéras. Cette réputation contribue à donner de nous une image autre, complémentaire aux traditionnelles que sont les organisations internationales, la Croix-Rouge et les banques rassemblées autour du Jet d'eau.

Enfin, au nom des Genevois, je veux dire merci à M. Hugues Gall pour tous les bons moments que nous avons passés grâce à lui dans notre Grand Théâtre.

Le 30 juin prochain, les dernières notes de l'Orphée de Gluck clôtureront ses quinze ans à Genève. Il y aura certainement un brin de tristesse, mais ce sera aussi pour M. Gall le commencement d'une nouvelle mission à la tête des scènes lyriques de Paris. Nous lui souhaitons bon vent dans ce nouveau défi et une magnifique poursuite de sa carrière.

Enfin, nous souhaitons aussi que cette bourgeoisie d'honneur concrétise pour M. Hugues Gall les liens qu'il a tissés avec notre Cité, avec Genève.

Mise aux voix, la proposition de discussion immédiate est adoptée.

Premier débat

Ce projet est adopté en trois débats, dans son ensemble.

(Vifs applaudissements de l'assemblée.)

La loi est ainsi conçue :

LOI

accordant la bourgeoisie d'honneur de Genève à M. Hugues Gall, directeurdu Grand-Théâtre du 1er juillet 1980 au 30 juin 1995

LE GRAND CONSEIL,

vu l'article 30 de la loi sur la nationalité,

Décrète ce qui suit:

Article unique

La bourgeoisie d'honneur est conférée à M. Hugues Gall.