République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 janvier 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 3e session - 3e séance
R 281
EXPOSÉ DES MOTIFS
Avec ses 103 kilomètres de frontière avec la France et 4 kilomètres avec la Suisse, Genève est bel et bien … en Suisse! Depuis toujours, les marchands de gravier genevois sont en concurrence directe et permanente avec les producteurs français pour l'approvisionnement du canton. Les législations respectives de la Suisse et de la France ne permettent pas une concurrence loyale et pénalisent lourdement les entreprises genevoises dans tous les cas de figure. Il convient de relever que 50% des fournitures de granulats proviennent de France (les douanes suisses ne sont pas en mesure de vérifier si c'est de l'intérieur ou de l'extérieur de la «zone proche de la frontière française») et sont transportés par des véhicules français de 40 tonnes empruntant les mêmes routes du canton que les autres 50% produits à Genève et livrés avec des camions suisses réglementés à 28 tonnes. Cette situation pour le moins ridicule a déjà provoqué et provoquera encore des licenciements de personnels au sein des entreprises genevoises de transport.
Par une réglementation suisse qui pénalise dans les faits les Suisses, les transporteurs genevois de matériaux de construction notamment les granulats utilisés dans l'industrie de la construction se trouvent dans une situation catastrophique. En résumé, les utilisateurs et fabricants de matériaux lourds de construction, tels que les centrales à béton et les chantiers genevois, sont accessibles aux véhicules français de 40 tonnes (poids total roulant) alors que les transporteurs suisses qui roulent en trafic local dans la même zone sont limités à un poids total de 28 tonnes. Cette situation provoque une très grave distorsion de concurrence au détriment des entreprises genevoises de transport. En effet, par voyage, un camion français est en mesure de livrer 28 tonnes de matériaux (agrégats) contre 16 tonnes pour son concurrent suisse qui subit une différence défavorable de 40% de charge utile !
Les professionnels genevois sont intervenus à plusieurs reprises auprès de la Confédération pour obtenir l'égalité de traitement, c'est-à-dire de pouvoir rouler dans le canton avec des camions de 40 tonnes. Ces interventions se sont heurtées jusqu'ici à un refus net et catégorique. Or, le Conseil fédéral vient d'annoncer que, dans le cadre de l'application de l'initiative des Alpes, il ne discriminera pas les camions étrangers par rapport aux véhicules suisses. Le principe du respect de l'égalité de traitement valable au centre de la Suisse ne pourrait-il pas être également valable à sa périphérie?
Compte tenu, d'une part, de la très grave distorsion de concurrence et de l'inégalité de traitement qui existe au détriment des entreprises genevoises et, d'autre part, de la nouvelle situation créée par l'application de l'initiative des Alpes, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à demander au Conseil d'Etat de bien vouloir intervenir officiellement auprès des autorités fédérales afin de rétablir l'égalité des chances des entreprises genevoises.
Débat
M. Olivier Lorenzini (PDC). Le problème que soulève notre résolution illustre une nouvelle fois les distorsions de concurrence et les inégalités de traitement très graves résultant de l'isolationnisme dans lequel se complaît notre pays. Jusqu'ici, ce type de situation, à savoir l'interdiction absolue de l'utilisation de camions pouvant transporter 40 tonnes en Suisse au lieu de 28 tonnes, n'avait pas encore eu de conséquences irrémédiables pour des pans entiers de notre économie. La Suisse étant maintenant complètement isolée en Europe, il est évident que ce genre de mesures va finir par avoir des conséquences catastrophiques, notamment pour l'emploi.
De quoi s'agit-il ? Très concrètement, de demander à la Confédération d'utiliser la compétence qu'elle possède en vertu de l'article 9, alinéa 8, de la loi fédérale sur la circulation routière, afin d'autoriser les transporteurs genevois de gravier et de matériaux de construction à utiliser des camions de 40 tonnes, comme le font tous leurs concurrents provenant de France pour la plupart. Pourquoi cela ? L'alimentation des chantiers et des centrales à béton de l'industrie genevoise de la construction nécessite de nombreux transports quotidiens. En autorisant les transporteurs genevois à utiliser des 40 tonnes, on diminuerait de moitié, au moins, le va-et-vient des camions sur les routes du canton. Ce faisant, on ferait d'une pierre deux coups, à savoir la réduction du coût du transport, ce qui rétablirait l'égalité de traitement entre entreprises genevoises et françaises, d'une part, et, d'autre part, on réduirait les nuisances provoquées par le trafic des poids lourds.
Le régime actuellement discriminatoire favorise l'importation de matériaux lourds et pondéreux dans les cantons frontaliers au détriment de l'approvisionnement régional. En effet, il n'est pas logique, tant du point de vue économique qu'écologique, de transporter ce genre de matériaux par camion sur de longues distances, comme cela est souvent le cas pour les graviers livrés à Genève. En effet, les transporteurs étrangers sont soumis à des prescriptions techniques bien moins sévères qu'en Suisse. Ils peuvent se ravitailler en carburant bon marché et ne paient aucune taxe relative à la protection de l'environnement et à l'entretien des routes; ils échappent ainsi au principe du pollueur-payeur appliqué avec rigueur en Suisse.
Le rétablissement d'une saine concurrence permettrait aussi aux entreprises genevoises concernées de mieux exploiter les graviers locaux, ce qui faciliterait sans doute la résolution du problème lancinant de l'évacuation des matériaux d'excavation à Genève. C'est pour toutes ces raisons que nous vous invitons à renvoyer cette résolution au Conseil fédéral.
M. Claude Basset (L). Mon intervention vise à dénoncer ce que nous n'hésitons pas à qualifier d'injustice dont sont victimes un certain nombre d'entreprises genevoises, comme le disait mon collègue, par rapport à leurs concurrents français.
En effet, les transporteurs et fournisseurs genevois de l'industrie et de la construction sont pour le moins défavorisés - c'est presque un pléonasme - dans la mesure où la législation suisse actuelle ne les autorise pas à transporter leur marchandise au moyen de véhicule de plus de 28 tonnes, alors que leurs concurrents savoyards, par exemple, peuvent pénétrer 10 kilomètres de notre territoire avec des véhicules de 40 tonnes. Il y a là une discrimination grave qui, à terme, conduira à un manque évident de compétitivité et, par voie de conséquence, à des licenciements possibles dans une branche déjà passablement touchée.
En autorisant nos entreprises genevoises à utiliser des camions de 40 tonnes, on diminuerait logiquement le nombre de véhicules en circulation et, donc, le trafic serait moindre. En outre, les gravières situées sur notre territoire sont placées de telle sorte que l'on peut, dans pratiquement tous les cas, éviter les villages par des routes de contournement. La sécurité est donc accrue. A ce stade, disons-le bien, il serait dérisoire de vouloir se passer des camions qui demeurent irremplaçables pour les courtes et moyennes distances. Il s'agit en réalité d'une complémentarité au rail.
Le problème des 40 tonnes est bien d'actualité. On s'aperçoit que, pour transporter 75 tonnes de marchandises, il faut en Suisse cinq camions, charge utile 15 tonnes par véhicule, mais seulement trois dans l'Union européenne, charge utile 25 tonnes par véhicule. On constate également que le camion de 40 tonnes pollue moins que celui de 28 tonnes, car il ne consomme que 10% de carburant en plus, pour une charge utile supérieure de 67%. Il est donc facile de calculer la consommation spécifique par tonne/kilomètre de charge utile pour chacun d'eux. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce type de camion s'est imposé en Europe.
En tout état de cause, les 28 tonnes dont nous sommes les derniers rescapés, si j'ose dire, sont dépassés par la technique plus moderne de construction de camion de 40 tonnes. Aujourd'hui, près de 90% des marchandises sont transportées par la route. L'importance de ce secteur pour l'économie helvétique est loin d'être négligeable : 14% du PNB, 7% des emplois et 28% de la consommation d'énergie. En conclusion, nous noterons que, de 1970 à 1988, la croissance des transports en général a augmenté de 70% pour les voyageurs et de 50% pour les marchandises. Durant cette même période, les transports routiers ont été en augmentation de 90% pour les voyageurs et de près de 100% pour les marchandises. Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de renvoyer cette résolution au Conseil fédéral.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). J'aimerais dire aux auteurs de cette résolution qu'ils soulèvent un problème tout à fait légitime et que je comprends leur sentiment d'inégalité de traitement. Par contre, je crois qu'ils se trompent de proposition et de cible.
Messieurs les députés, ce n'est pas en sollicitant à Berne une dérogation pour que des 40 tonnes puissent allègrement circuler dans notre canton que vous allez nous offrir une proposition intéressante. C'est auprès de vos propres conseillers d'Etat que nous estimons qu'il faut intervenir et, plus précisément, auprès de MM. Joye et Ramseyer. Lorsque le département des travaux publics fait un appel d'offres pour évacuer des matériaux de construction importants, dans le cadre de l'autoroute par exemple, pourquoi privilégie-t-il systématiquement les entreprises françaises ? Pourquoi n'associerait-il pas ces mandats avec des conditions comme le respect des normes européennes concernant la pollution ? A voir l'état des camions français qui roulent sur nos routes, je crois qu'on limiterait déjà sérieusement la concurrence et les candidats potentiels.
L'Etat de Genève octroie les dérogations. Il pourrait donc également limiter la circulation des 40 tonnes français sur certains axes uniquement. Par exemple, uniquement l'autoroute et l'axe qui va jusqu'aux Ports Francs. D'autre part, les services de M. Ramseyer pourraient travailler un peu plus sérieusement. Si la police contrôlait les boîtes noires de ces camions, nous aurions, là aussi, quelques surprises et nombre de ces camionneurs ne pourraient plus circuler dans notre canton.
Je crois que c'est là qu'il faut intervenir et demander au Conseil d'Etat de vous aider à résoudre votre souci. Nous ne voterons pas votre résolution, mais nous sommes prêts à voter une motion invitant le Conseil d'Etat à prendre les mesures nécessaires pour éviter cette inégalité de traitement.
M. Jean Spielmann (AdG). Ce problème est important et souvent à l'ordre du jour dans notre pays. Il est vrai que les 40 tonnes, indépendamment des éléments pertinents soulevés tout à l'heure relatifs à la consommation en essence, à la pollution, ont la possibilité de concentrer davantage de tonnage sur moins de véhicules.
Les auteurs de la résolution ont parlé du gabarit, de l'adéquation de nos routes et villages, de la circulation des 40 tonnes dans notre pays et sur les priorités à donner dans le domaine de la politique des transports. La Suisse est en train de mettre en route une série de projets extraordinairement lourds et importants devant éviter la création de structures de transport semblables à celles de l'ensemble de l'Europe. Nous voulons garder un certain caractère à ce pays et essayer d'éviter de dépenser toujours plus d'argent au niveau des transports.
Il ne faut pas oublier que si, dans certains pays, les 40 tonnes posent moins de problèmes, nous aurons les mêmes que ceux que rencontrent nos voisins français avec les barrières de dégel au printemps, avec le poids sur les routes, etc. Cela représente des coûts d'infrastructure extrêmement importants et nos routes ne sont pas adaptées à la circulation des 40 tonnes. Il y a, par conséquent, un choix politique à faire au niveau de la circulation, de la mixité entre les deux-roues, les véhicules et les 40 tonnes.
Vous vous plaignez, à juste titre, de la concurrence. Une politique a été mise en route autorisant les 40 tonnes à venir décharger leurs marchandises dans notre pays en empruntant certains itinéraires. De l'avis de certains, ces couloirs sont beaucoup trop larges et ils trouvent que l'autorisation de circuler des 40 tonnes sur le réseau routier suisse est déjà trop importante. La question est de savoir s'il est vraiment nécessaire d'importer des matériaux pour la construction provenant de la région frontalière ou s'il ne s'agit pas de trouver des dispositions permettant à l'économie régionale de résoudre ce problème en respectant les règles approuvées par le peuple suisse au niveau du tonnage et du gabarit des poids lourds.
Si l'on ouvrait systématiquement la circulation aux 40 tonnes, beaucoup de difficultés surviendraient. Des efforts extraordinaires sont mis en route au niveau de l'infrastructure des transports - nous en avons parlé, il y a quelques minutes, lorsque nous avons abordé la troisième voie CFF entre Lausanne et Genève - de la possibilité de transporter les marchandises par le chemin de fer plutôt que par la route, par les nouvelles traversées alpines et pour le ferroutage des poids lourds à travers notre pays. Si l'on ouvre partout des brèches pour permettre le passage des 40 tonnes, il faudra équiper notre réseau routier pour accueillir ces poids lourds, et il sera ridicule d'investir dans des transversales alpines ou dans le ferroutage.
La libre circulation des 40 tonnes dans notre canton est une question purement pratique imaginée par les autorités. Le fait de les laisser circuler pose toute une série de problèmes de sécurité. Vous en avez évoqué quelques-uns, ceux de l'examen technique des véhicules et des caractéristiques qu'ils ont pour pouvoir rouler. Les 40 tonnes ne sont pas des véhicules équipés et prêts à rouler en milieu urbain, et je crois que l'amélioration technique dont a parlé tout à l'heure le préopinant libéral est une caractéristique totalement différente de la politique que nous avons dans notre pays au niveau du transport des marchandises, avec les concepts de cargo domicile, le transfert par le rail, puis par la route, et qui respecte les possibilités offertes par notre réseau routier.
Le dernier point concerne la restriction des transports. Nous devrions, dans notre pays, utiliser de manière plus intelligente les infrastructures existantes que ce n'est le cas dans l'ensemble des pays européens. Je me plais à relever que l'on a utilisé les CFF pour évacuer les déblais sur de nombreux chantiers de grands travaux, notamment lors de la réalisation de la gare de Cointrin.
Je conclurai en disant qu'il n'est pas forcément sage de toujours copier ce qui se fait ailleurs. Il est peut-être aussi utile et intelligent d'examiner quels sont les impacts et les prospectives que donne la politique suisse en matière de transports. Il faut bien reconnaître que, à ce niveau-là, l'idée du ferroutage fait son chemin en Europe. Au début, nous étions vus comme des gens hors norme en n'acceptant pas les 40 tonnes et, aujourd'hui, on discute de la question dans les instances européennes. Les instances chargées de développer une politique concertée du trafic considèrent qu'il n'est pas forcément intelligent de laisser passer des gros tonnages partout et de transporter par la route ce qui pourrait l'être par le rail à moindres frais, à moindre coût et à moindre pollution. Voilà en gros les motivations qui font que nous n'accepterons pas cette résolution et que, pour ma part, à Berne, je ferai tout pour qu'elle ne passe pas.
M. Max Schneider (Ve). Notre parti a soutenu l'initiative des Alpes et nous avons été très actifs pour la faire adopter. Nous allons bien évidemment nous opposer à ce que des 40 tonnes circulent dans notre République. Une loi fédérale est citée par les auteurs de la résolution. Il s'agit de l'article 9, alinéa 8, de la loi fédérale sur la circulation routière et de l'ordonnance sur la circulation routière, articles 67, 79, alinéa 2, et article 80, alinéa 4, qui nous montrent toutes les possibilités de déroger à cette loi mais qui doivent, bien sûr, la respecter.
Dans l'article 80, alinéa 4 - que l'on peut d'ailleurs consulter à l'OTC - nous voyons que, dans le cadre de ces directives, il n'est pas possible de déroger à cette loi, à moins que ce soit des transports venant de France voisine, jusqu'à 10 km à l'intérieur du pays. Mais cette loi est aussi réciproque, c'est-à-dire que, si les industriels genevois voulaient exporter des marchandises avec des 40 tonnes depuis Genève, ils pourraient aussi sortir de Genève pour aller en France voisine. Il y a donc une équité qu'il faudrait contrôler sur le plan juridique, mais, comme la loi est bien faite et qu'elle demande une équité de part et d'autre de la frontière, cela pourrait certainement être appliqué à des transporteurs suisses.
Sur le plan juridique, le refus est clair et précis, voilà pourquoi les professionnels genevois qui ont sollicité Berne n'ont pas eu de succès. Mais il n'y a pas que les industriels genevois qui sont intervenus, un gag a été lancé par M. Friderici, conseiller national, qui a osé écrire que, pour soutenir l'industrie du bois, il fallait accepter les 40 tonnes. C'est vraiment risible !
J'aimerais également faire trois propositions, parce que je pense que, dans le cadre de la libre concurrence des constructions à Genève, des solutions peuvent être trouvées. Si quelqu'un importe du matériel dans notre pays actuellement, il a une TVA à payer. Cette TVA est, depuis le 1er janvier, informatisée à toutes les douanes. Ma première proposition serait d'intervenir auprès des douanes suisses afin qu'elles incluent dans leur nouveau système de déclarations informatisées le lieu de provenance du produit, de sa prise en charge, ainsi que le lieu de destination de tous les camions de 40 tonnes, c'est-à-dire qu'il n'y aurait plus aucune formalité pour le camionneur. De cette manière, on pourrait encourager les douanes suisses à contrôler ces gros camions.
Ma deuxième proposition reprend les termes de l'article 80, alinéa 4, de l'ordonnance sur la circulation routière, qui demande spécifiquement qu'une surveillance suffisante soit exercée par la police. Cela est dans la loi et nous demandons une application de celle-ci. Voilà pourquoi je vous propose de laisser tomber cette résolution. Nous ne la voterons pas, mais je tiens quand même à présenter un amendement.
La présidente. Monsieur Schneider, il est incompatible de refuser une résolution et de l'amender ! Vous ne pouvez pas préjuger du vote de ce Grand Conseil.
M. Max Schneider. Je voulais proposer un amendement avant.
La présidente. Oui, mais vous avez annoncé que vous refusiez cette résolution ! Alors, est-ce que, si cette résolution est amendée, à ce moment-là vous l'accepterez ?
M. Max Schneider. Je retire mon amendement, mais voilà ce que j'aurais écrit : (Rires.)
«A fixer, dans tous les contrats de fourniture de chantiers administrés par l'Etat, un tonnage maximum de 28 tonnes pour les livraisons.».
Comme une bonne partie de ces chantiers sont gérés par l'Etat, nous aurions ainsi une équité pour les entreprises genevoises. Je pense que nous referons une résolution, vous aurez notre soutien, car nous ne nous battons pas uniquement pour Genève mais pour la région. Pourquoi ne pas faire profiter nos amis de la Savoie et de l'Ain de la croissance genevoise qui s'annonce, notamment dans la construction ?
M. Michel Balestra (L). Je me sens un avis d'expert neutre dans cette affaire... (Rires.) ...puisque vous savez, ou ne savez pas, que le déménagement pèse 100 kg au m3 et que nous n'avons pas de camions de plus de 16 tonnes dans ma corporation. Je peux donc parler des 40 tonnes le coeur léger, puisque ça ne me profitera pas.
Mais, Monsieur Spielmann, contrairement à ce que vous nous dites, les camions de 28 et 40 tonnes sont des camions de même dimension, de même technologie. D'ailleurs, les camions suisses de 28 tonnes en Suisse roulent en 40 tonnes sur le marché européen, vous le savez très bien. La seule différence, c'est que les normes exigées en Suisse pour la sécurité sont plus sévères encore que les normes européennes et que les 28 tonnes suisses qui pourraient circuler en 40 tonnes dans le trafic frontalier dont on vous parle seraient donc plus sûrs que les camions français. On ne vous parle pas d'un trafic de transit national, on parle d'un trafic frontalier pour des matières comme le gravier et les déchets.
Madame Reusse, vous constatez qu'il n'y a que des camions français sur les chantiers, c'est justement parce que le problème dont nous parlons ce soir est un vrai problème. La réponse à votre question, vous l'avez dans cette résolution. Il se trouve que les tolérances de la Confédération pour les camions français permettent à ces derniers d'irriguer tout le territoire genevois, que ces camions ont à leur volant des chauffeurs moins chers, qu'ils ont sur leur chargement près du double de tonnage, donc que leur productivité est meilleure. Quand on demande un devis pour du génie civil, il se trouve que cette productivité a une influence sur le prix et que, lorsque l'on accorde le chantier au moins-disant vous avez toutes les chances à terme de ne voir plus que des camions français sur le territoire genevois.
La seule question qui vous est posée aujourd'hui c'est de savoir s'il y aura encore, dans le trafic frontalier de marchandises, des camions suisses avec des chauffeurs suisses ou s'il n'y aura que des camions français avec des chauffeurs français, parce que le volume à transporter, dans un sens comme dans l'autre, ne le sera pas pour le plaisir mais pour réaliser des ouvrages de génie civil, des bâtiments, etc. La question est de savoir si l'on met ou non les entreprises de transport suisses à égalité de concurrence avec les entreprises françaises. Nous, nous proposons de le faire, parce que c'est intelligent. Il ne s'agit pas d'ouvrir une brèche dans le trafic 40 tonnes au niveau national - c'est là un tout autre débat - mais de donner la priorité à l'emploi.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Indépendamment du sort de cette résolution, j'aimerais dire que l'OTC se propose d'étudier, dans sa session d'avril, le problème qui nous est présenté. Nous nous proposons également de publier un rapport provisoire dans le cadre du groupe de travail «Transporteurs professionnels». Ce document pourrait servir de base à une intervention au niveau fédéral, à une demande de dérogation. Je crois, en effet, que le problème soulevé est grave, non seulement pour les questions d'environnement et de législation qui viennent d'être évoquées, mais pour un problème économique bien évident. C'est la raison pour laquelle j'étais prêt à accueillir favorablement cette résolution. Mais je vous le dis très net, quel que soit le sort que vous lui ferez, nous passerons à l'étude de ce dossier, car il pose réellement un problème délicat.
La proposition de résolution est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
La résolution est adoptée par 47 oui contre 39 non.
Elle est ainsi conçue :
rÉsolution
en faveur de l'égalité de traitement des transporteurs et fournisseurs genevoisde l'industrie de la construction
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
que le canton de Genève se situe entièrement dans la «zone proche de la frontière» (zone radiale de 10 km à partir d'un poste frontière);
que, de ce fait, des véhicules de 40 tonnes «en trafic international» (c'est-à-dire en provenance d'au-delà de la «zone proche de la frontière française») peuvent obtenir l'autorisation de circuler sur le territoire genevois;
que, dans les faits, le respect de cette réglementation ne peut être assuré que pour les transporteurs suisses, les douanes suisses n'étant pas en mesure de vérifier si un transporteur français vient d'un lieu de chargement (va vers une destination) situé(e) à l'intérieur ou à l'extérieur de la «zone proche de la frontière française»;
que, de ce fait, les véhicules de 40 tonnes immatriculés en et provenant de France peuvent livrer sans contrainte leurs marchandises sur tous les chantiers du territoire genevois;
que, par contre, les véhicules suisses des marchands de gravier et autres transporteurs de matériaux de construction qui chargent leur matière première (granulats) principalement sur les exploitations situées en territoire genevois sont limités à 28 tonnes de poids total roulant pour les mêmes destinations;
invite le Conseil d'Etat
à demander aux autorités fédérales une dérogation à la réglementation suisse sur le poids maximal des camions permettant aux camionneurs de rouler avec les véhicules de 40 tonnes en zone proche de la frontière, également en «trafic local», afin d'assurer les conditions d'une concurrence loyale et d'une égalité de traitement entre tous les transporteurs, conformément à la compétence donnée au Conseil fédéral par la loi fédérale sur la circulation routière, article 9, alinéa 8.