République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 8 décembre 1994 à 17h
53e législature - 2e année - 2e session - 45e séance
IU 59
M. Laurent Moutinot (S). La LDTR a un aspect positif unanimement reconnu, à savoir que l'interdiction du changement d'affectation de logements en surfaces commerciales a permis de conserver une ville vivante et peuplée. Bien entendu, cette interdiction s'accompagne de dérogations possibles.
Deux cas de dérogations problématiques ont cependant été portés à la connaissance du Rassemblement pour une politique sociale du logement.
Le premier cas est une dérogation accordée à l'Elvia Assurances relative à un immeuble au Bouchet, pour un changement d'affectation de dix logements. Je ne me prononce pas sur la nécessité qu'il y avait à accorder cette dérogation ou non, mais je constate qu'elle a été accordée à la condition que l'Elvia prête à l'Etat de Genève un montant de 5 millions de francs au taux préférentiel de 1/8ème inférieur au taux du marché.
Deuxième cas : le Crédit suisse à Chantepoulet a obtenu une dérogation moyennant versement d'un montant de 500 000 F.
Je le répète, la question n'est pas de savoir si ces dérogations devaient être accordées ou pas, mais s'il est admissible qu'elles soient monnayées.
Monsieur Joye, je vous pose donc trois questions à ce propos :
1) Quelle est la base légale des charges financières que vous imposez ainsi aux bénéficiaires d'une dérogation ?
2) Comment, avec un tel système, estimez-vous pouvoir respecter le principe de l'égalité de traitement entre ceux qui peuvent payer la dérogation qu'ils obtiennent et ceux qui ne le peuvent pas ?
3) Quelle est l'éthique qui sous-tend qu'une dérogation peut être obtenue moyennant payement ?
Le trafic des indulgences, au XVème siècle, était un fléau. Il a fallu la Réforme pour y mettre fin, Monsieur Joye. Même si les fonds ainsi récoltés étaient affectés au logement social, comme vous l'avez indiqué, ce qui est un but louable, la méthode n'en reste pas moins inacceptable dans un Etat de droit ! Soit un administré a droit à une dérogation et elle doit lui être accordée, soit il n'y a pas droit. Mais en aucun cas il n'est possible de faire dépendre d'un payement, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, le droit d'obtenir une dérogation. Si cette pratique s'étendait, il serait possible d'acheter une sorte de droit de paradis, comme à la fin du XVème siècle ! (Rires.)
Mon interpellation est urgente, Monsieur le conseiller d'Etat, parce que cette pratique doit cesser au plus vite. La solution consiste principalement à appliquer la loi dans toute sa rigueur, car elle a donné satisfaction. S'il arrive que des dérogations soient justifiées, accordez-les, mais, de grâce, sans indulgence !
La présidente. La réponse du Conseil d'Etat à l'interpellation urgente de M. Moutinot interviendra au point 13 quinquies de l'ordre du jour.