République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 novembre 1994 à 17h
53e législature - 2e année - 1re session - 43e séance
R 273-A
Le 17 juin 1994, le Grand Conseil renvoyait à la commission de l'université une proposition de résolution de Mmes et M. Claire Torracinta-Pache, Gabrielle Maulini-Dreyfus et Philippe Schaller concernant la venue à Genève de Salman Rushdie (R 273, voir annexe).
La commission de l'université, dans ses séances du 29 septembre et du 13 octobre 1994 a examiné avec une attention toute particulière le contenu de cette résolution, qui, rappelons-le, invite le Conseil d'Etat à étudier, en collaboration avec l'université, les possibilités et les conditions permettant d'inviter Salman Rushdie à venir à Genève. Cet auteur, qui symbolise aujourd'hui ces intellectuels engagés de plus en plus nombreux, qui sont entrés en résistance et sont en but à d'iniques condamnations pour délit d'opinion, devait venir dans notre Cité, une première fois à l'occasion du dernier Salon du livre, pour y recevoir le Prix Colette, une deuxième fois, à l'Université, pour qu'il lui soit accordé un doctorat honoris causa lors du Dies academicus. Des raisons de responsabilité, de sécurité et de coûts ont été évoquées pour justifier le refus d'assumer les conséquences de la visite de cet écrivain à Genève alors que, simultanément, Voltaire, dont les combats pour la tolérance et la liberté d'expression et contre le fanatisme sont connus, était honoré en raison du tricentenaire de sa naissance !
Etonnant paradoxe. L‘«esprit de Genève» a toujours marqué l'histoire de notre République comme une terre d'asile, de liberté d'expression et de pensée. Aujourd'hui, les persécutions contre les intellectuels et les artistes se multiplient dans de nombreux pays. Des femmes, des hommes, seraient assassinés, torturés, violés, enfermés en raison de leur opinion. Et Genève resterait tiède, endormie, insensible, timorée et pingre face à ces insupportable atteintes !
C'est avec une belle unanimité, découlant de ce que l'on traite ici de l'essentiel, c'est-à-dire de ce qui nous fonde, tous, dans une exigence intangible, fondamentale, que les commissaires veulent rappeler les principes constitutionnels qui animent notre République. Si les députés présents reconnaissent que, concrètement, ils n'ont pas la compétence de se substituer aux obligations du Conseil d'Etat ou des autorités universitaires et qu'il ne leur revient pas d'agender eux-mêmes une visite de M. S. Rushdie, ils peuvent, par contre, avec solennité, conviction et fermeté, indiquer comment le Parlement entend que ces visites soient rendues possibles et inviter tout un chacun à faire preuve du même état d'esprit.
C'est donc à l'unanimité que la commission a décidé de reformuler et d'actualiser la résolution R 273 que ses auteurs sont invités à retirer en faveur d'une nouvelle rédaction, proposée par MM. H. Burdet et J. Boesch, ce dernier étant par ailleurs chargé de rédiger un rapport qui tienne lieu d'exposé des motifs, texte d'autant plus succinct qu'il tient à s'en tenir à l'essentiel pour conférer à son propos, la liberté de conscience et d'expression, toute l'autorité voulue.
ANNEXE
Secrétariat du Grand Conseil
Proposition de Mmes et MM. Claire Torracinta-Pache, Gabrielle Maulini-Dreyfus et Philippe Schaller
Dépôt: 27 mai 1994
R 273
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
concernant la venue à Genève de Salman Rushdie
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- les voix de plus en plus nombreuses qui s'expriment en faveur d'une venue en Suisse de l'écrivain Salman Rushdie;
- le refus du rectorat de l'université d'accueillir l'écrivain et de lui décerner un titre honoris causa lors du Dies academicus;
- la pétition signée par de nombreux professeurs demandant que l'écrivain honore l'université de sa présence le plus rapidement possible;
- que la venue à Genève de Salman Rushdie s'inscrit parfaitement dans l'esprit des manifestations prévues pour fêter cette année le tricentenaire de la naissance de Voltaire;
- que l'écrivain a été invité à diverses reprises dans des pays qui nous sont proches (à Paris, à Strasbourg, à Vienne tout récemment, etc.) et que sa venue s'est déroulée sans incident;
- que les récentes déclarations du Conseil fédéral laissent percevoir une attitude plus favorable à la venue en Suisse de Salman Rushdie,
invite le Conseil d'Etat
à étudier en collaboration avec l'université les possibilités et les conditions permettant d'inviter Salman Rushdie à Genève, cette année encore;
à inviter les autorités fédérales à apporter leur soutien et leur concours à ce projet.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
RÉSOLUTION
concernant la liberté de conscience et d'expression
LE GRAND CONSEIL,
rappelle que les libertés individuelles, et en particulier la liberté de conscience et la liberté d'expression, sont garanties par notre Constitution;
invite le Conseil d'Etat
à étudier et à promouvoir, de manière active et positive, les possibilités et conditions de visite à Genève, si elle le souhaite, de toute personnalité persécutée en raison de ses opinions;
invite les Autorités Fédérales
à apporter leur soutien et leur concours à ce projet.