République et canton de Genève

Grand Conseil

M 951
11. Proposition de motion de Mmes Micheline Calmy-Rey, Anne Briol, Erica Deuber-Pauli, Elisabeth Häusermann et Nelly Guichard concernant l'application de la loi sur l'université (égalité entre homme et femme). ( )M951

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 30 mai 1991, le Grand Conseil votait une révision de la loi sur l'université visant à réaliser l'égalité des chances entre femmes et hommes.

Rappelons que la loi s'articule en deux volets, l'un quantitatif qui prévoit des objectifs chiffrés relatifs à la proportion hommes/femmes fixés faculté par faculté, l'autre qualitatif et relatif aux «Women's Studies» stipulant que les programmes d'enseignement et de recherche doivent prendre en compte la spécificité de la condition féminine.

Bien que liés, les deux aspects doivent être évalués séparément. Trois ans après l'adoption de la nouvelle loi, où en est-on dans son application? Une interpellation au Grand Conseil faite à ce propos par la députée Claire Torracinta-Pache en 1993 a permis une première évaluation de l'aspect quantitatif de la loi: les objectifs quantifiés.

L'évaluation faite à l'occasion de cette interpellation a montré que très peu de progrès avaient été faits quant à la nomination de femmes professeurs. Par ailleurs, les statistiques établies par l'université regroupent en une seule catégorie les professeurs et les chargés de cours, deux statuts très différents quant au salaire et au pouvoir de décision au sein de l'université, et en une seule catégorie également tout le corps intermédiaire, ce qui rend impossible l'examen de l'application réelle de la loi. En outre, le Conseil d'Etat chargé de répondre à l'interpellation a lui-même évalué comme «insuffisants» les objectifs que se sont fixés les facultés.

Autre problème: le fonctionnement du droit de plainte prévu par la nouvelle loi. Une candidate à un poste de professeur s'estimant injustement évincée a utilisé le nouveau droit de plainte. L'affaire a fait grand bruit et s'est soldée par la fermeture du «dossier», ni le candidat choisi par la faculté ni la candidate malheureuse n'ayant finalement été nommés. Ce cas a permis de révéler le noeud du problème dans le fonctionnement du droit de plainte, à savoir la compétence de la commission chargée d'en traiter. Dans le cas évoqué, les membres de la commission se sont déclarés incompétents pour évaluer les dossiers de candidature, sous réserve de questions d'arbitraire et de pure forme. Cette interprétation de la loi affaiblit considérablement la protection qu'était censé offrir le droit de plainte.

Le volet qualitatif de la loi prévoit que, «en collaboration avec les facultés et écoles, la déléguée [aux questions féminines de l'université], veille au développement des programmes d'enseignement et de recherche consacrés aux questions féminines» (art. 75 A).

Après deux ans d'entrée en vigueur de la loi, la seule réalisation de la déléguée aux questions féminines était la création d'une commission «femmes» interfacultaire qui n'a joué aucun rôle et l'impression d'une brochure faisant l'inventaire des enseignements recherches «études femmes» dans les universités suisses. En 1994, il faut souligner l'heureuse initiative de la faculté des lettres qui a mis en place un diplôme d'études supérieures en études féminines. Ce diplôme n'a pu être créé que grâce à la volonté de quelques enseignants de la faculté des lettres et sans aucun appui financier de la part de la déléguée.

A la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, le seul enseignement consacré aux questions féminines est gravement menacé. De 4 heures de charge de cours, il a été réduit cette année à deux heures seulement, et tout laisse à penser, dans la préparation du nouveau plan d'études de la section des sciences de l'éducation, que ce seul enseignement disparaîtra du curriculum. Dans cette affaire non plus la déléguée ne s'est pas manifestée pour appuyer le maintien de cet enseignement, un des seuls enseignements réguliers au niveau de la licence, pourtant, qui s'inscrive dans une perspective de «Women's Studies».

A l'heure où la Conférence des universités suisses (CUS) vient de décider, pour les années 1996-1999, l'institutionnalisation des «études-femmes» comme un point d'importance primordiale sur le plan suisse, l'université de Genève, malgré une loi encourageante, risque bien, au vu d'une application aléatoire et sans conviction de la part de celles et ceux chargés de l'appliquer, de rester une fois encore à la traîne.

Au bénéfice de ces explications, nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

Mme Micheline Calmy-Rey (S). Le 30 mai 1991, le Grand Conseil votait une révision de la loi sur l'université qui visait à réaliser l'égalité des chances entre homme et femme. A cette occasion, plusieurs dispositions ont été adoptées.

D'une part, pour favoriser une amélioration des chances de carrière des femmes, un volet quantitatif prévoit que l'université se fixe des objectifs chiffrés relatifs à la proportion des hommes et des femmes, faculté par faculté. D'autre part, un volet qualitatif pour but de prendre en compte dans l'enseignement et la recherche la spécificité de la condition féminine, soit d'intégrer dans les programmes de l'université les études féminines et les études de genre.

Les études féminines s'interrogent par exemple sur la représentation des femmes en littérature ou en économie ou sur leur rôle dans le processus culturel, historique ou économique.

Les études de genre ont développé, elles, les instruments pour comprendre la signification et les conséquences de la différence sexuelle comme fait de société.

La loi prévoit que le rectorat fera rapport au département de l'instruction publique, puis au Grand Conseil, sur la mise en oeuvre de la loi au bout de quatre ans. Cela signifie en mai 1995.

Cependant, il apparaît souhaitable que des informations nous soient fournies dès maintenant. En effet, l'application de la loi ne correspond manifestement pas à la volonté du législateur. D'après les informations qui nous viennent de l'université, des cours concernant les études féminines sont supprimés et le travail de la déléguée aux questions féminines jugé peu efficace.

La situation actuelle est paradoxale. Il y a décalage entre la réalité et la volonté du législateur. Notre réaction rapide et prématurée par rapport aux délais qui étaient prévus pour le rapport du rectorat a pour objectifs d'éviter que le décalage ne s'agrandisse et d'obtenir que le rapport qui nous sera fourni en mai 1995 ne soit pas un rapport de pure forme.

Je n'en dirai pas plus et vous demande de bien vouloir renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Il est souhaitable que cette motion soit renvoyée au Conseil d'Etat pour différentes raisons, la principale étant que, pour pouvoir juger de l'application d'une loi, il faut pouvoir vérifier un certain nombre de paramètres, et notamment ceux qui concernent les objectifs quantifiés.

En ce qui concerne l'application de cette loi, il est parfaitement exact que nous n'avons pas nécessairement déterminé qui pouvait être l'arbitre lorsqu'il s'agissait de constater si les objectifs quantifiés étaient suffisants ou non, et de ceci, finalement, dépend en réalité la progression de l'application de la loi telle qu'elle a été prévue par les députés.

Ensuite, il est clair qu'il faut examiner dans quelle mesure, par le biais d'autres moyens, et notamment par la nomination des experts, par exemple, il est possible de veiller à ce que chaque fois que c'est possible, il y ait des experts femmes qui permettent d'apprécier un certain nombre de situations.

Enfin, il est important de voir, et c'est ce à quoi s'attachera le rapport du Conseil d'Etat, quelles sont les mesures qui ont été prises ? Dans quels cas elles ont été appliquées ou non ? Ensuite, il conviendra d'estimer comment la loi pourra à l'avenir être appliquée de façon à rendre les objectifs qu'elle visait plus efficaces que ce que l'on a pu constater.

N'ayant jamais fait de discours particulièrement féministes dans cette assemblée ou ailleurs, j'estime, néanmoins, avoir à appliquer une loi telle qu'elle est. Je pense, comme tout autre, que la représentation des femmes professeurs à l'université est insuffisante. Il n'y a donc pas lieu de douter de l'engagement qu'aura le Conseil d'Etat dans la rédaction de son rapport.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

MOTION

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la loi sur l'université dans son volet portant sur l'égalité entre homme et femme est entrée en vigueur en 1991;

- que l'application de la loi ne correspond pas, semble-t-il, à la volonté du législateur;

- que les moyens d'un développement des programmes d'enseignement et de recherche sur la condition féminine et de promotion des femmes à l'université font défaut;

- que des cours concernant les questions féminines sont aujourd'hui supprimés,

invite le Conseil d'Etat

à évaluer dans quelle mesure la loi sur l'université (égalité entre homme et femme) est appliquée et, le cas échéant, à faire des propositions pour que la volonté du législateur soit respectée.