République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1044-A
8. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition pour un numerus clausus des taxis. ( -)P1044
Rapport de Mme Michèle Wavre (R), commission des pétitions

Le Grand Conseil a reçu, le 15 septembre 1994, la pétition suivante, munie de 229 signatures:

PÉTITION

concernant l'accroissement du nombre des autorisations-taxis

Faisant suite à l'acceptation par le peuple de l'initiative dite «Pour des taxis égaux», force nous est de constater que le nombre d'autorisations-taxis ne cesse de croître.

Afin de ne pas tuer notre profession, les soussignés vous demandent de légiférer afin d'instaurer un «numerus clausus», sans quoi, à court terme, le métier mourra de trop de combattants.

N.B.: 229 signatures

Walter Bauer

Avenue de Crozet 58

1219 Châtelaine

Sous la présidence de M. B. Lescaze, la commission des pétitions a entendu MM. Bauer (pétitionnaire) et Rosenbusch. Tous deux sont chauffeurs de taxi à leur compte. Ils exposent que, depuis l'acceptation de l'initiative sur les taxis (IN26) le 27 septembre 1992, la situation des petits patrons de la branche s'est considérablement détériorée. Ils aimeraient donc que le Grand Conseil y remédie. Précisons qu'ils se sont toujours opposés à l'initiative, prévoyant les désastreuses conséquences qu'on voit se produire aujourd'hui. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, peut-être vaut-il la peine d'ouvrir une parenthèse historique

A la fin des années 80 a été lancée une initiative, l'IN 26, dite « Pour des taxis égaux ». Elle avait pour but de libéraliser la profession, dans laquelle régnait une certaine inégalité de traitement, car deux catégories de chauffeurs y étaient recensées. A côté des taxis « officiels », dûment patentés, donc disposant d'un droit de stationnement, il y avait des taxis « sauvages », appelés aussi Mau Mau, qui n'avaient pas droit à une place de stationnement et qui en exigeaient une. Cette initiative, on se le rappelle, a eu un succès extraordinaire. Et, si, dans un premier temps, on pouvait être séduit par l'idée de déréglementation et d'égalité pour tous, il a bien fallu se rendre à certains arguments de poids: le fait que la profession de taxi ait été réglementée, et le nombre de chauffeurs concessionnés limité, avait pour conséquence un « trafic » des concessions (en fait, des droits de stationnement) accordées, qui s'achetaient et se vendaient, comme des pas-de-porte et à des prix quelque- fois excessifs. L'Etat a d'ailleurs dû intervenir en limitant à 90.000 francs le prix de vente d'une concession, qu'il accordait, lui, gratuitement, avec une obligation d'exploiter de 15 ans et d'assurer une permanence 24 heures sur 24. Au cas où l'initiative aurait été acceptée, certains chauffeurs « officiels » qui avaient payé leur concession parfois fort cher, se seraient retrouvés avec quelque chose qui n'avait plus aucune valeur marchande. Beaucoup s'étaient lourdement endettés. D'autres, qui comptaient sur le produit de la vente de leur « patente » pour étoffer leur retraite, seraient restés les mains vides. La faillite ou une maigre pension allaient être le lot de gens qui avaient fondé beaucoup d'espoirs dans un « trafic » autorisé par la situation juridique d'alors.

Tout ceci avait été très bien vu par nos collègues du Grand Conseil à la précédente législature. Pourtant, l'initiative a été massivement acceptée par le peuple genevois. Le contreprojet proposé en alternative a été rejeté.

Le Conseil d'Etat, dans les explications envoyées aux électeurs pour accompagner le texte du contreprojet, combattait une déréglementation trop drastique, car il craignait que les entreprises de taxi ne se trouvent face à une concurrence débridée, contre laquelle elles ne pourraient lutter. Des emplois seraient alors menacés. Il redoutait une explosion du nombre des taxis, un renchérissement des tarifs et une dégradation du service. Les initiants, eux, promettaient une baisse des prix, par le jeu de la concurrence, et une plus grande disponibilité des véhicules, donc un meilleur service.

Aujourd'hui, on constate, au lieu d'une baisse des prix, une hausse, et, au lieu d'une plus grande disponibilité des taxis, même la nuit, même en fin de semaine, même en cas d'affluence, il semble que cela soit pire qu'avant, car les chauffeurs, qui sont devenus maîtres de leur emploi du temps, tiennent, on le comprend, à avoir les mêmes horaires que tout le monde. Tous ces inconvénients existent alors que le nombre des véhicules en circulation est passé d'environ 400 à plus de 700.

La déréglementation a fait que, à présent, chacun peut « s'improviser » chauffeur de taxi. A côté du permis de conduire professionnel, qui est naturellement exigé et relève du droit fédéral, les candidats-conducteurs peuvent, en deux mois d'une formation accélérée, apprendre le métier, puis devenir employés d'un grand garage qui leur fournira une voiture. En fonction du kilométrage effectué quotidiennement, ils paient le soir son dû au propriétaire du véhicule. Au bout d'un an, ils peuvent se mettre à leur compte. Chaque mois, actuellement, 30 nouveaux chauffeurs achèvent leur formation et Genève dénombre à présent environ 1200 conducteurs de taxi certifiés. A cause du nombre important de taxis en circulation, les places d'arrêt et d'attente manquent de façon dramatique.

Si tant de personnes sont intéressées à la formation de chauffeur de taxi, c'est, bien sûr, à cause de la montée du chômage. L'Office cantonal de l'emploi, cependant, ne conseille ce parcours de recyclage qu'aux gens qui ont déjà un contrat d'engagement dans un garage.

Discussion

La situation, telle qu'elle est décrite ci-dessus, n'est certainement pas celle qu'avait voulue la majorité des votants en 1992. Elle est largement insatisfaisante, à la fois pour le public et pour les chauffeurs qui sont devenus pléthoriques, trop nombreux à se partager un marché qui n'a pas augmenté, au contraire. Le Conseil d'Etat en est bien conscient, qui l'a écrit à M. Bauer (voir lettre en annexe). Mais tout de même, on ne peut pas, après si peu de temps, aller exactement à l'encontre d'une volonté populaire si clairement exprimée (même si le peuple s'est peut-être déterminé sur un malentendu). Le Conseil d'Etat cherche actuellement des solutions, en collaboration avec la commission consultative des taxis. MM. Bauer et Rosenbusch n'ont pas, quant à eux, de solution miracle à proposer mais préconisent le retour à un « numerus clausus », c'est-à-dire une limitation du nombre des taxis, une application stricte de la loi en ce qui concerne le nombre des places d'arrêtet une plus grande exigence dans le domaine des compétences « géographiques » des candidats-chauffeurs. Ils proposent donc de réintroduire le système des concessions obligatoires, accordées par l'Etat, mais que le bénéficiaire, à la fin de son activité, rende sa patente à l'administration et non la vende.

Cette pétition aura eu le mérite d'attirer l'attention du Grand Conseil sur un problème qui devient véritablement préoccupant. Des réflexions sont menées de plusieurs côtés, des solutions se dessinent. Aussi, la commission des pétitions vous recommande-t-elle, Mesdames et Messieurs les députés, à l'unanimité moins une abstention, de bien vouloir déposer la pétition 1044 sur le bureau du Grand Conseil, à titre de renseignement.

ANNEXE

Débat

M. Bernard Clerc (AdG). Le rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la question du numerus clausus des taxis me paraît intéressant dans le sens où c'est un bel exemple de ce que signifie la déréglementation, terme très à la mode. Certes, la situation antérieure n'était pas satisfaisante, notamment en raison de la spéculation sur les patentes mais, actuellement, la situation n'est pas meilleure, puisque - le rapport de la commission le constate - il y a hausse des prix et pléthore de taxis, sans amélioration du service.

Dans les théories classiques des partisans de la déréglementation, l'augmentation de la concurrence devrait conduire à une baisse des prix et à un meilleur service. Résultat dans la pratique, actuellement, il n'en est rien ! Pourquoi ? parce qu'en fait laisser faire le marché lorsque celui-ci est dominé par une ou deux grosses entreprises conduit à la séparation en deux du marché : d'un côté, les grandes entreprises qui, de par leur volume, contrôlent de fait le secteur et, de l'autre, les petits indépendants qui sont toujours plus nombreux à se partager une part de marché plus restreinte, et qui ne peuvent donc baisser les prix sans risquer de disparaître.

Certes, le peuple a voté, mais cela ne doit pas nous empêcher de dire quelles sont les conséquences de ce choix qui s'avère aujourd'hui insatisfaisant. Dans ce domaine, comme dans d'autres, apparaît finalement la nécessité du rôle régulateur de l'Etat.

C'est pour cela qu'à mon avis le problème posé par cette pétition mérite plus que le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Je propose donc de la renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je formulerai quelques remarques et je vous donnerai quelques informations à propos de cette pétition.

Est-il juste de prétendre que le nombre des exploitants de taxi ne cesse de croître ? Avant la votation de 1992, on dénombrait quatre cent nonante-sept exploitants de taxi pour six cent quatre actuellement, soit une augmentation de 22%. Il y avait six cent quatre-vingt-deux véhicules et il y en a maintenant sept cent septante-six, soit une augmentation de 14%. C'est donc bel et bien une hausse, mais elle n'est pas aussi importante que d'aucuns veulent le laisser entendre.

Ma deuxième remarque a trait au service à la clientèle. Depuis environ une année, les examens pour les chauffeurs de taxi ont été modifiés. C'est ainsi que l'examen pratique porte également sur les connaissances géographiques, mais on a admis l'utilisation d'un plan pendant l'examen. Par contre, de manière générale, on estime que l'examen est actuellement plus difficile qu'à l'époque, en particulier parce que l'on a rajouté aux examens pratiques la connaissance de l'utilisation des voies bus et les règles spéciales afférentes à celles-ci. Mais si le service à la clientèle, selon d'aucuns, a baissé, c'est essentiellement parce que nombre de chômeurs se sont vu proposer des places de chauffeur de taxi, notamment par l'assurance-invalidité. Ces personnes n'étant pas des professionnels, elles n'ont pas la même vocation de leur métier que leurs confrères.

Monsieur Clerc, il reste une autre remarque qui me paraît évidente. Il n'est pas possible de faire maintenant machine arrière après l'initiative qui a rencontré, comme vous le savez, un très vif succès dans notre canton. Par conséquent, le département étudie, en étroite collaboration avec la commission consultative des taxis, qui représente toutes les associations professionnelles et toutes les centrales, différentes propositions susceptibles d'améliorer la situation sans recourir au numerus clausus.

La profession de chauffeur de taxi est en perpétuelle ébullition. J'ai déjà déployé une énergie farouche pour tenter de les amener à la table des négociations et leur faire accepter le principe d'un tarif unique. Et nous sommes repartis pour un tour, parce que Berne n'est toujours pas capable de nous dire comment et à qui doit s'appliquer la TVA ! La profession est de nouveau sur le point d'exploser, parce qu'il y a deux poids deux mesures pour la profession suivant que l'on est chauffeur dans un grand garage ou à titre indépendant.

Ma dernière remarque, Monsieur Clerc, vous donne partiellement raison. Est-ce le rôle de l'Etat de Genève, et singulièrement de mon département, d'organiser une profession ? Je ne le pense pas, mais je constate avec vous - et c'est en cela que je vous donne partiellement raison - que ce problème risque de s'aggraver si l'autorité politique ne s'en mêle pas. C'est pour cela, d'une certaine manière, que je vous remercie d'être intervenu comme vous l'avez fait.

La présidente. M. Bernard Clerc ayant formulé une demande de renvoi au Conseil d'Etat, nous considérons celle-ci comme un amendement aux conclusions des travaux de la commission. Nous allons donc voter sur la proposition de M. Clerc, soit le renvoi de la pétition 1044 au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat est rejetée.

Mises aux voix, les conclusions de la commission (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.