République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 octobre 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 10e session - 38e séance
P 1035-A
Le Grand Conseil recevait le 10 mai 1994 la pétition 1035 qui a la teneur suivante:
PÉTITION
pour la création d'une commission consultative en faveur de la tolérance et du respect des libertés religieuses
But
Créer une commission consultative confessionnellement neutre et indépendante, composée de philosophes, historiens, sociologues et experts dans le domaine des religions, chargée d'assurer le respect des garanties constitutionnelles religieuses.
Inviter le Conseil d'Etat du canton de Genève à prendre toutes les mesures allant dans ce sens.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Depuis quelque temps, dans notre canton, les attaques de quelques individus et groupements antireligieux à l'égard des mouvements religieux minoritaires prennent de plus en plus d'ampleur.
Ces individus et groupements antireligieux n'hésitent pas à répandre des informations tendancieuses, voire fallacieuses, sur les minorités qui en sont la cible.
Ils utilisent pour ce faire tous les canaux d'information à leur disposition pour atteindre le public et, ce faisant, porter atteinte aux mouvements religieux minoritaires. Ils n'hésitent pas non plus à solliciter les autorités de notre canton, afin que celles-ci s'immiscent dans la vie interne de ces communautés et même prennent des mesures liberticides à l'encontre de celles-ci.
La presse se fait régulièrement l'écho de ces individus et mouvements antireligieux et ne donne guère l'occasion aux mouvements minoritaires de se faire entendre.
Ces informations erronées et mal documentées sont de nature à alarmer le public tant à l'égard de la nature des croyances qu'à l'égard des pratiques des adeptes de ces religions minoritaires.
Certaines personnes, peut-être en raison de leur niveau d'éducation ou d'un défaut de recul et de sens critique, sont plus perméables que d'autres à une campagne tendancieuse. L'hostilité, l'intolérance et la crainte d'une partie de la population envers les mouvements religieux minoritaires et leurs adeptes, est, quoi qu'il en soit, le résultat de cet activisme antireligieux.
C'est ainsi que l'histoire a montré de tout temps qu'une population, mal informée au sujet d'une minorité religieuse, a une tendance générale et irrépressible à prendre celle-ci comme cible et à la parer de tous les défauts. Une telle attitude est source de conflit au sein même des individus d'une même collectivité (cf. B. Lescaze, «Quelques réflexions sur le Kulturkampf à propos de l'argumentaire politique», Revue du Vieux Genève 1994, p. 67-75), pouvant même aller jusqu'à diviser les cellules familiales qui la composent.
A l'heure actuelle, l'Eglise de scientologie, tout particulièrement, et cela depuis plusieurs années, se trouve être la cible d'une telle campagne.
Il s'agit pourtant d'un mouvement religieux qui existe aux Etats-Unis depuis une quarantaine d'années. L'année dernière, l'Administration fiscale américaine l'a formellement reconnue comme organisation religieuse et charitable et a en conséquence exonéré toutes les entités - églises et missions - qui forment ce mouvement.
Cette même administration américaine a officiellement informé les autorités fédérales de cette décision, leur remettant à cette occasion une brochure d'information concernant cette religion nouvelle et dont l'honorabilité ne peut être mise en doute.
Tout naturellement, cette religion s'est répandue dans notre pays où elle connaît un essor non négligeable.
Dans ces conditions, il est contraire à l'esprit de tolérance et d'ouverture de notre canton, en matière de conscience et de croyance, que certains de nos citoyens et contribuables se voient menacés dans l'exercice de leurs libertés par une propagande dont l'origine réside dans l'esprit sectaire et intolérant de certains individus.
Le gouvernement se doit dans ces conditions de réagir, en créant une commission consultative, pluridisciplinaire, confessionnellement neutre et indépendante, composée d'individus, de préférence de grade universitaire, dont les connaissances en matière de philosophie, de sociologie et d'histoire des religions sont largement reconnues par le public.
Ces personnes devraient avoir démontré une ouverture d'esprit et une volonté de dialogue à l'égard des minorités religieuses. Par là, leur autorité dans le domaine devrait être incontestée, tant par les adeptes des minorités religieuses que par le public en général.
L'avis de cette commission pourrait être utilement sollicité dans l'hypothèse où un problème ou conflit important surviendrait dans notre canton, dans lequel serait impliquée une minorité religieuse. De même, l'un ou l'autre des membres de cette commission pourrait être appelé à fonctionner comme expert dans le cadre d'une éventuelle procédure judiciaire, nécessitant un rapport établi par une personne apte à émettre un avis compétent et documenté sur le sujet de la religion ou du mouvement concerné.
Le nombre des membres de cette commission ne serait pas inférieur à trois et pas supérieur à onze. En tous les cas, la nomination de ces membres devrait être soumise à l'approbation des différentes communautés religieuses minoritaires de notre canton, dans le cadre d'une procédure de consultation.
En vous remerciant de bien vouloir accueillir favorablement cette pétition, nous vous prions de recevoir, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, l'expression de notre haute considération.
N.B.: 2 signatures
Dr A. Franceschetti
7, chemin du Petray
1222 Vésenaz
Cette pétition a été traitée par la commission, sous la présidence de M. B. Lescaze, lors de sa séance du 27 juin 1944.
Elle a auditionné Mme Pugliatti et M. Franceschetti, signataires de la pétition et membres de l'Eglise de Scientologie. M. Franceschetti a mis en exergue l'intolérance contre les minorités religieuses. Lui-même en a été victime puisque son élection au Conseil municipal de Collonge-Bellerive a été fortement contestée. Il souhaite la création d'une commission extra-parlementaire visant à réparer les injustices ou à régler des conflits concernant les groupes religieux. Cette instance servirait aussi d'observatoire et pourrait donner des réponses d'intérêt général plus scientifiques, plus éclairées. Il estime que l'émotion domine lorsqu'il s'agit de scientologues et pense que des personnalités nommées par le Conseil d'Etat feraient preuve de davantage de nuances. Il souhaite que l'image de Genève, terre d'accueil, ne soit pas ternie et que son esprit de tolérance survive.
Discussion
Tous les commissaires présents ont reconnu l'intolérance sous toutes ses formes comme inadmissible. Néanmoins, faisant référence à notre constitution, chacun a pu constater qu'elle est garante des libertés individuelles. Que, d'autre part, la justice peut être actionnée en cas d'atteinte à ces libertés, que le Conseil d'Etat peut aussi intervenir comme ce fut le cas pour M. Franceschetti où il lui a été reconnu le droit de siéger.
Par conséquent, les commissaires ont estimé que les mesures existantes sont suffisantes et que la création d'une commission comme celle préconisée par les pétitionnaires est superfétatoire. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, la commission des pétitions vous recommande, à l'unanimité des 13 membres présents, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.