République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 octobre 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 10e session - 37e séance
PL 7122
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi sur l'exercice des professions ou industries permanentes, ambulantes et temporaires, du 27 octobre 1923, est modifiée comme suit:
CHAPITRE II A (nouveau)
Salle de jeux
Art. 16 A (nouveau)
1 Dans le dessein de favoriser le tourisme, le Conseil d'Etat peut autoriser l'ouverture d'une salle de jeux destinée à l'exploitation d'appareils automatiques à sous servant aux jeux d'adresse avec gains en argent et relevant, en vertu du droit fédéral, de la législation cantonale. L'autorisation est soumise notamment aux conditions suivantes:
a) la salle de jeux peut être ouverte en un autre lieu que la salle de jeux de la boule au bénéfice d'une autorisation d'exploiter un kursaal au sens de la loi fédérale sur les maison de jeu, du 5 octobre 1929, et de l'ordonnance fédérale concernant l'exploitation des jeux dans les kursaals, du 1er mars 1929;
b) la salle doit être située en ville de Genève en un lieu accessible aux touristes et indépendant d'un établissement hôtelier; l'âge d'admission à la salle est fixé à 20 ans révolus;
c) elle doit être exploitée par une société d'exploitation dont 75% au moins du capital-actions doit être propriété de l'Etat ou de la Ville de Genève;
d) les actions détenues par des particuliers, qui ne doivent pas être intéressés par la mise à disposition des appareils à sous, mais qui sont qualifiés pour participer à la gestion de la salle de jeux, sont nominatives et font l'objet d'une mise en soumission publique par la société d'exploitation tous les cinq ans; elles sont déposées en nantissement auprès d'un notaire et remboursées à leur acquéreur à leur valeur nominale si le conseil d'administration de la société d'exploitation, après une remise en soumission, porte son choix sur d'autres partenaires pour participer à la gestion de la salle;
e) les prestations aux tiers, notamment les loyers des appareils à sous qui doivent faire l'objet d'appels d'offres périodiques, ainsi que les investissements doivent figurer dans les comptes d'exploitation et être rémunérés et amortis conformément aux taux usuels qui seront fixés par le Conseil d'Etat;
f) le dividende versé aux actionnaires ne doit pas dépasser un taux de 10% par rapport au montant des actions, le solde du bénéfice revenant à la Ville de Genève, commune du lieu de situation de la salle de jeux, qui doit affecter ce bénéfice à des activités récréatives, culturelles ou sociales;
g) les statuts - de même que ses modifications éventuelles -, les contrats de location des appareils à sous ainsi que les comptes de la société d'exploitation seront soumis à l'approbation du Conseil d'Etat; il en est de même des contrats de mise à disposition des machines à sous, dont les bénéficiaires ne peuvent être associés à leur exploitation, ainsi que d'éventuels contrats entre actionnaires.
2 Le Conseil d'Etat fixe par règlement les autres conditions applicables à l'exploitation d'appareils à sous.
Art. 2
Dispositions transitoires
La présente loi entre en vigueur dès son approbation. Le Conseil d'Etat est chargé, dès cette entrée en vigueur, d'appliquer les nouvelles conditions à la société d'exploitation du Casino de Genève SA, mise au bénéfice de l'autorisation du 20 février 1991 d'exploiter des distributeurs automatiques basés sur le jeu de l'argent dans l'attente de la décision de maintenir cette salle ou d'en ouvrir une nouvelle en lieu et place. A cette fin, il détermine le montant des investissements consentis pour la création de la salle de jeux affectée à ces appareils et la part de ceux-ci qui aurait dû être amortie en fonction du rendement financier qu'a retiré l'exploitant de la salle.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La loi fédérale sur les maisons de jeu du 5 octobre 1929 interdit d'ouvrir et d'exploiter des maisons de jeu exploitant des jeux de hasard, à l'exception du jeu de la boule qui est autorisé uniquement dans les kursaals, par l'ordonnance fédérale concernant l'exploitation des jeux dans les kursaals du 1er mars 1929, et cela moyennant certaines conditions très strictes dont notamment la limitation de la mise à un montant maximum de 5 F. La loi fédérale réserve toutefois en son article 13 les dispositions cantonales sur les jeux de hasard qui ne sont pas contraires au droit fédéral, à savoir plus particulièrement les machines à sous dont l'issue du jeu dépend essentiellement de l'adresse (qualifiés d'«appareils à sous» par le droit fédéral), lesquels ne tombent pas sous l'interdiction érigée par l'article 3 de la loi fédérale. Cette compétence a été confirmée par le nouvel article constitutionnel sur les maisons de jeu faisant l'objet de l'arrêté fédéral supprimant l'interdiction des maisons de jeu approuvé en votation populaire le 7 mars 1993, qui n'est toutefois toujours pas applicable du fait que la législation d'application, en cours d'élaboration, n'a pas encore été adoptée par l'Assemblée fédérale.
A la demande de la Ville de Genève qui voulait sauver de la faillite la société d'exploitation du Casino de Genève SA (ci-après SECSA) créée en 1972 par la Ville de Genève dans le but d'exploiter la salle de jeux de la boule qui devait être rouverte dans le complexe immobilier projeté dans le cadre d'un droit de superficie consenti au profit de cette réalisation immobilière par la Ville de Genève sur le terrain dont elle est propriétaire au quai du Mont-Blanc, le Grand Conseil, usant de la compétence que lui accorde le droit fédéral, donna suite à cette demande et décida par la loi du 22 juin 1989, modifiant l'article 14, lettre e, de la loi sur l'exercice des professions ou industries permanentes, ambulantes et temporaires du 27 octobre 1923 (ci-après PAT), d'autoriser l'exploitation de machines à sous à Genève qualifiés dans l'article précité de «distributeurs automatiques basés sur le jeu d'argent».
La nouvelle disposition légale réserve toutefois l'exploitation de machines à sous à une société au bénéfice d'une autorisation d'exploiter un kursaal au sens de la loi fédérale sur les maisons de jeu, de sorte que sur le plan pratique seule la SECSA, à laquelle un tel droit a été concédé pour l'exploitation du casino de Genève dans le complexe immobilier du NOGA-HILTON, peut être mise au bénéfice de l'autorisation instituée par l'article 14 PAM. La Ville de Genève a, en conséquence, demandé que cette société, dont elle était propriétaire de la totalité du capital-actions, soit mise au bénéfice d'une autorisation afin qu'elle puisse exploiter des machines à sous qui devaient compenser la désaffectation du public à l'égard du jeu de la boule du fait de la limitation du montant de la mise à 5 F.
Vu les investissements que nécessitait cette nouvelle activité, la Ville voulut, toutefois, se décharger de la gestion du casino et la confier à la Société anonyme du Grand Casino, Genève SA (SACG), qui est la société immobilière (privée) bénéficiaire du droit de superficie concédé par la Ville de Genève, qu'il ne faut pas confondre avec la société («municipale») d'exploitation du casino. A cette fin, la Ville de Genève décide de céder pour la somme de 200 000 F la totalité du capital-actions de la SECSA à la SACG dans le cadre d'une convention signée le 31 mars 1989.
Le Conseil d'Etat, faisant preuve de clairvoyance, refusa de délivrer l'autorisation sollicitée à une société d'exploitation totalement privatisée et demanda que, durant une première période de deux ou trois ans, la Ville de Genève conserve au moins le 51% du capital-actions de la SECSA, ce qui amena la Municipalité à reporter cette cession et à conclure provisoirement, dans le but d'obtenir l'autorisation sollicitée, une convention dite d'actionnaires avec la SACG associant celle-ci à la gestion de la salle avec une participation de 60% de la recette semi-brute moyennant la prise en charge par cette dernière des investissements nécessaires à la mise en service de la nouvelle salle de machines à sous. Cette nouvelle approche de la Ville de Genève et le risque de faillite de la SECSA amenèrent le Conseil d'Etat à délivrer l'autorisation sollicitée au profit de cette dernière en date du20 février 1991, ce qui permit d'ouvrir la salle affectée aux machines à sous le 6 mars 1991.
Un récent rapport de la commission des finances du Conseil municipal évoque en détail toutes les péripéties de cette affaire et les démêlés ultérieurs de la Ville de Genève avec la SACG. En effet, les machines à sous devaient provoquer d'importants bénéfices que la Ville de Genève n'avait manifestement pas escomptés et qui démontrent que les précautions du Conseil d'Etat, lequel a encore refusé par la suite de ratifier la convention d'actionnaires, étaient totalement fondées, puisque la recette brute des machines à sous s'est élevée à 6 761 747 F en 1991, à 11 812 785 F en 1992 et à 12 700 900 F en 1993.
L'importance de ces recettes met en évidence le caractère totalement démesuré de la participation touchée par la SACG, soit 60% des recettes semi-brutes (c'est-à-dire la recette brute encaissée par les machines à sous, moins le droit des pauvres de 13% et les émoluments des patentes) avec rétrocession de 30% du produit financier à la société Tivolino SA à Zurich qui loue des machines à sous. Il est inutile d'insister sur le caractère totalement démesuré (dénoncé par le contrôle financier de l'Etat) des redevances touchées par cette société et la SAGC dans le cadre d'une activité (le jeu de hasard), qui est sévèrement réglementée, afin précisément d'éviter de tels enrichissements, surtout lorsque l'exploitant bénéficie d'une situation de monopole, comme c'est le cas en l'espèce.
La situation décrite ci-dessus démontre qu'il est urgent de légiférer en la matière, les dispositions de l'article 14 PAT étant manifestement trop lacunaires et ne permettant pas de régler à satisfaction l'exploitation des machines à sous dans notre canton, ce qui est encore démontré par l'impasse dans laquelle se trouve la Ville de Genève pour obtenir de la part de la SAGC une révision des conditions des conventions applicables au casino souhaitée aussi bien par le Conseil d'Etat que par le Conseil administratif et le Conseil municipal qui vient encore de voter une motion à cet égard.
Malgré nos réticences à l'égard de l'introduction de ce mode de jeu d'argent à Genève, le présent projet de loi n'entend pas remettre en cause le principe de celui-ci, tel qu'admis dans la loi du 22 juin 1989 dans la mesure où des intérêts touristiques (justification admise par la législation fédérale pour l'exploitation de kursaals) sont en jeu, mais vise uniquement à soumettre l'exploitation des machines à sous à certaines exigences qui nous paraissent s'imposer pour ce type d'activité. Notre législation cantonale en la matière devrait à notre avis s'inspirer des règles envisagées pour la législation concernant l'ouverture et l'exploitation des maisons de jeu que les autorités fédérales sont en train d'élaborer et qu'elles sont tenues d'édicter à la suite de l'adoption du nouvel article 35 de la Constitution fédérale soumettant à l'octroi d'une concession par la Confédération l'ouverture de maisons de jeu.
L'avant-projet de loi fédérale prévoit, selon les informations recueillies par le Conseil municipal, une stricte surveillance des maisons de jeu par les pouvoirs publics et les casinos devront émaner de collectivités publiques avec une participation éventuelle, mais minoritaire, de privés. Enfin, l'essentiel du bénéfice d'exploitation devra revenir aux pouvoirs publics. De telles règles paraissent salutaires dans le domaine particulier des maisons de jeu et elles ont guidé la rédaction du présent projet de loi, qui vise à créer un chapitre nouveau avec un article spécifique consacré aux machines à sous en lieu et place des dispositions actuelles de l'article 14 PAT complétant les conditions de refus et de retrait de la patente prévue par cette loi pour les professions ambulantes et temporaires, qui ne paraissent pas s'insérer - sur le plan de la systématique de la loi - dans l'article approprié pour régir ce type d'activité nouvelle. Bien entendu, l'article 14, lettre e, PAT devra être modifié en conséquence.
Outre le fait que la clause de l'ordre public s'applique aux jeux d'argent exercés à titre professionnel et justifie donc de limiter les bénéfices que des particuliers pourraient se procurer par une telle activité dans la mesure où elle est autorisée et d'affecter l'essentiel de ces bénéfices (qui ne peuvent se justifier autrement) à des activités sociales ou culturelles ou récréatives (notamment destinées aux touristes), il convient également d'être attentifs à ce que des sources de revenus importants de la collectivité découlant de concessions faites par l'Etat n'échappent pas aux pouvoirs publics, surtout dans la situation actuelle des finances publiques, qui impose une saine gestion aussi bien de leurs dépenses que de leurs recettes. L'exploitation du casino est un excellent exemple d'activités susceptibles de procurer des recettes importantes au profit de la collectivité auxquelles l'Etat se doit d'être attentif.
Commentaire des articles
L'article nouveau propose d'adapter la terminologie des machines en cause à celle de la législations fédérale et d'abandonner la condition d'exploitation de base prévue à l'article 14, lettre e, actuel, à savoir que la société d'exploitation soit au bénéfice d'une autorisation d'exploiter un kursaal au sens de la loi fédérale sur les maisons de jeu. Il s'avère, en effet, que cette condition qui n'est pas nécessaire, puisque les cantons disposent d'une large autonomie en matière de fixation des modalités d'exploitation des machines à sous, et qui avait été retenue dans le but de favoriser les intérêts de la Ville de Genève en liant l'exploitation de la salle du jeu de la boule du casino de Genève à celle des machines à sous dans le but de sauver la première de ces deux salles, s'est en définitive révélée défavorable aux intérêts de la Municipalité en raison de la situation de monopole qu'elle a créée non seulement au profit de la SECSA, mais surtout de son partenaire, la SAGC, du fait des conventions liant les deux parties et dont la Ville de Genève n'arrive pas à obtenir la modification des conditions, quand bien même la convention d'actionnaires évoque expressément cette éventualité.
Dans la mesure où la loi admet la possibilité d'exploiter une salle de jeux comportant des machines à sous, il est préférable de ne pas lier, à travers l'exigence actuelle rappelée ci-dessus, l'exploitation de cette salle à un endroit précis, si ce n'est que celle-ci doit être située en un lieu fréquenté par les touristes pour répondre aux objectifs touristiques poursuivis en autorisant la pratique de ce jeu, cet endroit ne doit toutefois pas être un hôtel (à l'instar des exigences du droit fédéral en matière de kursaals) afin de ne pas constituer un attrait excessif pour les hôtes de ce dernier ni un privilège au profit d'un établissement particulier.
Il résulte que la salle de jeux devra être localisée en ville de Genève, en évitant de préférence un lieu dont la Municipalité n'a pas la maîtrise totale, ce d'autant plus que d'autres lieux que le casino actuel pourraient être envisagés pour une telle salle (comme par exemple le bâtiment du pont de la Machine, l'espace à côté du restaurant Le Lacustre ou un bateau amarré au quai), lesquels au demeurant seraient peut-être mieux situés pour une telle activité. La faculté laissée à ce sujet par la disposition légale proposée n'empêcherait, du reste, pas de maintenir, le cas échéant, la salle de jeux des machines à sous là où elle se trouve actuellement ni, au cas où elle serait déplacée, de continuer à faire profiter la salle de spectacles du Grand Casino d'une partie des recettes tirées de l'exploitation des machines à sous.
Le nouvel article propose de laisser la possibilité que l'exploitation des machines à sous soit confiée à une société mixte, mais avec une participation minoritaire de privés qui ne devra pas détenir plus du 25% du capital-actions de la société, et une mise en soumission tous les cinq ans de l'acquisition de cette part du capital-actions par des personnes qualifiées pour participer à la gestion de la salle de jeux. Il s'agit ainsi d'assurer une véritable concurrence entre les personnes susceptibles de participer à la gestion de la salle, comme pour la mise à disposition des machines à sous qui devra faire l'objet d'un appel d'offres renouvelables périodiquement.
Quant aux recettes retirées par les actionnaires, il paraît préférable qu'elles soient fixées en fonction du bénéfice net réalisé, plutôt qu'en fonction du chiffre d'affaires, car il y a lieu de tenir compte, d'une part, des investissements consentis et, d'autre part, de l'importance de la rémunération qui pourrait résulter d'un pourcentage sur le chiffre d'affaires dont la réalisation ne dépend pas de l'adresse de l'exploitant! Un dividende maximum de 10% paraît généreux.
Le solde du bénéfice d'exploitation reviendra, comme jusqu'à présent, à la Ville de Genève, en qualité de commune du lieu de situation de la salle de jeux des machines à sous, mais devra être affecté à des activités sociales, culturelles ou récréatives (comme c'est actuellement le cas conformément à la convention d'exploitation des spectacles liant la Ville de Genève à la SAGC concernant l'exploitation de la salle de spectacles du Grand Casino).
Les redevances à des tiers, notamment la location des machines à sous, le traitement de l'exploitant, le loyer payé par ce dernier, etc., seront soumis à l'approbation du Conseil d'Etat, afin d'éviter le versement de redevances déguisées à des tiers. De même, le rendement des investissements et les amortissements devront respecter les taux usuels afin d'éviter les abus.
Les comptes de la société d'exploitation ainsi que d'éventuelles conventions entre actionnaires devront bien entendu être soumis à l'approbation du Conseil d'Etat, qui fixera en outre les conditions d'application des nouvelles dispositions résultant de l'article proposé ainsi que de la disposition transitoire qui vise essentiellement à régler, dans le cadre de l'entrée en vigueur immédiate de la loi, le problème des investissements consentis par la SAGC et de l'amortissement de ceux-ci qui aurait dû intervenir en fonction de l'importance du rendement que cette dernière a retiré de l'exploitation des machines à sous.
La disposition légale proposée fixe enfin l'âge d'admission des salles de jeux comportant des machines à sous conformément à l'âge retenu actuellement dans le règlement d'exécution de la PAT, qui correspond à celui des maisons de jeu fixé par la loi fédérale.
Nous vous remercions par avance, Mesdames et Messieurs, du bon accueil que vous réserverez au présent projet de loi.
Préconsultation
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Ce projet de loi a été déposé en fonction de situations évoluant dans trois contextes. Tout d'abord le contexte fédéral. Nous avions émis des critiques et surtout des craintes lors du débat en 1993 sur la votation pour la libéralisation des grands jeux. Nous avions en particulier attiré votre attention sur les risques accrus de blanchiment d'argent sale, et le procureur général lui-même avait exprimé ce souci de manière très claire. Aujourd'hui le peuple a dit oui à cette loi et il faut poser un certain nombre de garde-fous.
Le deuxième contexte se situe sur le plan cantonal. L'exploitation des jeux et des machines à sous devrait en premier lieu rapporter de l'argent aux collectivités publiques. Ce fut d'ailleurs une des grandes promesses faites pour convaincre le peuple lors des votations de l'année dernière. On parlait de 150 millions qui allaient tomber dans les caisses de l'AVS. Aujourd'hui, avec l'élaboration de la loi qui est en cours, on arrive avec peine aux 30 millions.
Or à Genève, la situation pour l'heure est assez particulière, je l'avais souligné lors d'une interpellation que j'avais faite au Conseil d'Etat il y a quelques mois. En effet, en possédant 1% des actions, la société anonyme de M. Gaon empoche 60% des recettes semi-brutes. Avouez que c'est un contrat intéressant et cela a donné, par exemple pour l'année 1992, des recettes d'environ 1,5 million pour l'Etat, 300 000 F pour la Ville et de presque 8 millions pour la société de M. Gaon.
Cette situation doit absolument changer et le Conseil municipal de la Ville de Genève a d'ailleurs voté récemment une motion invitant le Conseil administratif à renégocier l'accord conclu avec la société du Casino, mais pour l'instant cette négociation est bloquée.
Enfin, le troisième contexte, c'est le contexte moral. Cet argent, je l'ai dit, doit être redistribué pour des activités sociales, culturelles ou sportives. Nous devons aussi, c'est l'essentiel, se donner tous les moyens possibles pour éviter le blanchiment d'argent sale. On le sait, le secteur du jeux peut être une «machine à laver» relativement simple à utiliser. Pour le surplus, on sait que derrière les exploitants des casinos se retrouvent, comme par hasard, les mêmes sociétés que celles gérant les machines à sous. Il est donc facile de fausser les chiffres, de gonfler les gains artificiellement et de recycler de l'argent. Ne reste alors, comme le dit le magazine «L'Express», qu'à expédier des sommes astronomiques vers des comptes parfaitement inaccessibles au fisc et à la justice.
C'est donc pour toutes ces raisons que nous vous invitons à vous pencher sur ce projet de loi et à le renvoyer en commission législative.
M. Armand Lombard (L). Ce projet de loi nous paraît venir bien mal à propos, trop tôt, et n'être pas nécessaire en ce moment. Dans notre quête désespérée d'un consensus, nous souhaitons toutefois en débattre en commission en prenant autant de temps que possible, pour ne pas prévenir les désirs de la Confédération dans ce malheureux domaine, mais, pour autant que faire se peut, ne faire que les suivre. Or nous sommes en train de prendre de l'avance. Mme Reusse-Decrey a pris les devants sur les remarques que je souhaitais faire mais je ne m'empêcherai pas de les formuler à mon tour. Je m'adresserai en particulier à M. Clerc pour préciser les choses.
Première remarque. Ce n'est pas à l'Etat, ou alors aussi tard que possible, d'organiser des jeux d'argent, ces jeux que vous considériez l'autre jour, Monsieur Clerc, au paroxysme d'une rhétorique enflammée, de blanchissement d'argent furieusement sale. Voyons donc, vous qui lanciez tant d'imprécations contre la place financière genevoise, vous demandez à l'Etat de prendre en charge ces douteuses fonctions, simplement, comme le dit le rapport, «parce qu'elles sont des plus fructueuses.» ?
Deuxième point. Je serai bien incapable de réexposer toute l'histoire, voire même de comprendre des liens curieux dans cette opération entre la Ville et l'Etat. Ce que je souhaiterais en commission, c'est que l'on fasse attention à ne pas faire prendre des responsabilités à l'Etat au profit des sous que la Ville gagnerait. Il y a quelque chose d'étrange entre cette saga de la Ville, qui, soudain débouche au Grand Conseil et dans les plates-bandes du canton, alors que tout ce que je souhaiterais, c'est que nous n'ayons pas à y toucher.
Troisièmement. Attention à la structure financière absolument invraisemblable et pour le moins risible du point d) de l'article 16 A (nouveau) qui est un énorme galimatias d'actions nominatives mises en soumission publique tous les cinq ans, posées en nantissement auprès d'un notaire, remboursées un peu après à leur valeur nominale et non à la valeur du marché, remises en soumission, et l'on recommence, etc. ! N'importe quel apprenti de banque aurait mis un peu d'ordre là-dedans, et j'aimerais éviter de dangereuses bourdes financières à ce projet de loi.
Quatrièmement. Attention en commission à ne pas confondre une loi qui peut être quelque chose d'explicite et de clair alors que le présent projet ressemble trop à un règlement et va trop dans le détail ! C'est pour cela que je n'en ai pas compris les trois quarts ! Tâchez de simplifier pour que l'on en voit clairement les objectifs.
Comme je l'ai dit, nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission, mais ce n'est pas de grand coeur que nous le ferons.
M. Jean-Pierre Lyon (AdG). Nous espérions que le renvoi en commission ne poserait pas de problèmes, mais suite à l'intervention de notre collègue, M. Lombard, des précisions sont à apporter.
Cet objet a été examiné par le Conseil municipal de la Ville de Genève. La commission des finances a longuement évoqué ce problème et c'est à la suite de cela qu'il est apparu nécessaire, avec un certain nombre de collègues de ce Grand Conseil, de présenter un projet de loi. Il faut rappeler qu'en 1993, lorsque la Ville de Genève a passé avec la SECSA une convention d'actionnaires, elle l'a soumise au Conseil d'Etat pour approbation. Le 15 mars 1993, cette convention a été refusée par le Conseil d'Etat. Alors, il est apparu entre la Ville de Genève et la SECSA un certain nombre de difficultés, car il n'y avait plus d'entente. Le Conseil d'Etat, le 6 décembre 1993, sommait la SECSA et la Ville de Genève de trouver un accord avant le 31 janvier 1994. Depuis lors, il n'y a toujours par d'accord et on n'a toujours pas trouvé de solution pour régler ce problème. Il y a une crainte, Monsieur Lombard, c'est que l'on retire le droit de gérer les jeux à la Société des jeux et que l'on soit obligés de fermer cette salle. C'est pour cette raison que l'on a présenté ce projet de loi.
Je vous rappellerai, Monsieur Lombard, que d'après les données que nous avons, bien que la loi d'application ne soit pas encore présentée par le gouvernement fédéral, il apparaîtrait que si une majorité des actionnaires n'est pas une collectivité, il ne donnerait pas l'autorisation pour gérer une salle de jeux ou une salle des grands jeux. C'est tout le problème. Nous ne voudrions pas pour Genève qu'on ferme cette salle de jeux, et c'est pour cette raison que le Grand Conseil doit trancher et examiner en même temps cette affaire. Il sera intéressant d'en discuter en commission et je suis sûr que nous nous retrouverons, Monsieur Lombard, pour tenter de trouver une solution dans cette affaire.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Pour venir en aide au casino, le Grand Conseil a accepté - c'était le 22 juin 1989 - le projet de loi 6277 visant à autoriser l'exploitation des machines à sous au seul Casino de Genève. Lors des débats parlementaires, le Grand Conseil a expressément manifesté sa volonté de ne pas créer un précédent et de maintenir l'interdiction des machines à sous dans les établissements publics, qu'il s'agisse des cafés-restaurants, des cabarets-dancings ou des salons de jeux, et je vous renvoie à ce sujet au Mémorial du 22 juin 1989, pages 3534 et suivantes.
J'observe, en outre, que le projet de loi 7122 ne fait curieusement pas la moindre allusion au projet de loi 6916 qui traitait des machines à sous dans les cabarets-dancings. Je vous renvoie à ce sujet au Mémorial du Grand Conseil du 4 décembre 1992, pages 7577 et suivantes.
Ce projet de loi 6916, renvoyé à la commission judiciaire, a reçu un accueil très mitigé. La commission judiciaire a, en effet, estimé que si ce projet de loi n'était pas retiré par ses auteurs, il devrait être examiné ultérieurement après l'adoption de la législation fédérale d'application du nouvel article 35 de la Constitution fédérale en matière de casinos et de grands jeux. Je vous renvoie à ce sujet au Mémorial des séances du Grand Conseil du 7 octobre 1993, page 5303.
Cela étant dit, que faut-il penser de ce nouveau projet de loi ? Il est manifestement contraire à la volonté exprimée par le Grand Conseil en 1989 et renouvelée en 1993. Il est, en effet, déraisonnable de songer à légiférer au niveau cantonal étant donné, d'une part, que le Tribunal fédéral devrait normalement statuer d'ici à la fin de l'année 1994, si tout va bien, sur le litige qui oppose le Conseil d'Etat à la Ville de Genève et la SECSA au sujet de la fameuse convention d'actionnaires et, d'autre part, que l'avant-projet de loi fédérale d'application de l'article 35 de la Constitution fédérale devrait normalement être mis sous toit d'ici à la fin de l'année 1996.
Dès lors, si le Grand Conseil entre en matière au sujet de ce projet de loi 7122, il peut pratiquement être certain que la loi qu'il aura ainsi votée devra immédiatement être modifiée. Une première fois, suite à l'arrêt prochainement rendu par le Tribunal fédéral, et une deuxième fois lorsque la loi fédérale d'application de l'article 35 de la Constitution fédérale aura été votée. Un député estime qu'il faut brusquer un accord. Pour trouver un terrain d'entente, il faut être deux. Or cette affaire est pendante devant les tribunaux. Bien sûr, le Conseil d'Etat ne s'oppose pas à un renvoi à la commission judiciaire de ce projet de loi, il a tenu toutefois d'emblée à vous faire part de ses plus extrêmes réserves.
Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.