République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 septembre 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 9e session - 33e séance
M 941
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que l'année 1994 a été déclarée par l'ONU «année internationale de la famille»;
- qu'en Suisse le vieillissement de la population devient un phénomène inquiétant;
- qu'une meilleure politique de la famille doit être mise en oeuvre, par des mesures multiples et diverses,
invite le Conseil d'Etat
à étudier la possibilité d'instaurer une «carte-famille» et à intervenir:
a) auprès d'instances publiques ou subventionnées afin qu'elles offrent lors d'activités en famille gratuité ou rabais importants aux porteurs de ladite carte, dès le deuxième ou troisième enfant;
b) auprès de collectivités privées afin de les inciter à agir de même.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Année internationale de la famille
En décembre 1989, l'assemblée générale de l'ONU a résolu que l'année 1994 serait déclarée «année internationale de la famille», et a fixé trois objectifs:
1) favoriser la reconnaissance de la contribution des familles au développement de la collectivité;
2) sensibiliser les gouvernements et le secteur privé aux problèmes de la famille;
3) inciter les organismes publics à formuler des politiques mieux adaptées aux diverses situations des familles.
A Genève un colloque est en préparation pour le mois de novembre, dont le programme prévoit différents débats, conférences et ateliers. Exemple: familles et valeurs éthiques, familles et organisation de la vie professionnelle, etc.
La famille et la société
Aujourd'hui chacun le reconnaît, la famille est une cellule de base de notre société. Elle est un facteur d'épanouissement pour l'individu, un lieu privilégié au sein duquel on fait l'apprentissage de la vie collective, du partage et du dialogue.
A ces avantages «internes», il faut en ajouter d'autres, «externes». En effet la famille contribue à la prospérité de notre société. Elle est une réalité d'intérêt général.
Par rapport à l'Europe, notre politique suisse d'aide à la famille se trouve en queue de peloton. L'investissement des parents pour la société et particulièrement des mères, n'est pas reconnu. «C'est une particularité helvétique: le travail productif est reconnu socialement, (droit à une retraite, aux indemnités en cas de chômage, etc.) mais le travail reproductif ne l'est pas !» (Pierre Gilliand)
Cette situation plutôt sombre a entre autres comme conséquence une baisse de la natalité. Cette diminution du nombre de naissances en Suisse est en effet probablement due à cette triste politique d'aide et de soutien aux familles, bien que d'autres facteurs interviennent certainement aussi. Le vieillissement de la population qu'elle induit entraînera dans notre pays, pour les décennies à venir un déséquilibre dangereux et néfaste sur le plan financier, à savoir une proportion très faible de jeunes qui travaillent par rapport aux personnes retraitées. (Un phénomène inverse se produisant dans les pays du Sud, il faudra dès lors compter avec des mouvements migratoires importants ou encore un recours accru aux travailleurs migrants qui deviendront indispensables pour notre économie).
Pour l'heure plusieurs sujets sont en cours de réflexion, tant sur le plan cantonal que fédéral, et il faut espérer qu'ils donneront rapidement lieu à des décisions concrètes. Ce sont là les véritables enjeux d'une vraie politique d'aide à la famille.
- assurance maternité
- augmentation des allocations familiales
- allocations familiales versées selon le principe «1 enfant - 1 allocation»
- augmentation du nombre de places de travail à temps partiel
- offre accrue de crèches, garderies, accueils familiaux
- logements mieux adaptés aux familles, etc.
La famille en 1994
En plus de la famille traditionnelle, consacrée par le Code Civil, il faut citer aussi les familles de fait qui sont de plus en plus nombreuses en raison de l'évolution sociale actuelle. Il s'agit en particulier des familles monoparentales, des unions libres, des familles reconstituées, des regroupements de plusieurs générations, etc. Chacune de ces situations représente, selon une structure qui lui est propre, cette cellule familiale évoquée plus haut et devrait être prise en compte dans le cadre de cette motion.
De même en ce qui concerne les grands-parents. Il n'est que temps de reconnaître le rôle important qu'ils jouent dans la garde de leurs petits-enfants. Le partage des valeurs, du savoir, du comportement avec les générations précédentes est une richesse à favoriser.
Genève: une «carte-famille» ?
Pour cette année 1994 et vu l'importance du rôle de la famille dans notre société, le Grand Conseil pourrait décider de la création d'une «carte-famille». (un peu à l'image de celle proposée par les CFF et valable, bravo, sur les TPG). Celle-ci, établie par la Chancellerie et moyennant un faible émolument pour les frais administratifs occasionnés, pourrait donner lieu à des rabais ou à la gratuité à partir du deuxième ou troisième enfant lors d'activités en famille. En effet, pour nombre d'entre elles, le théâtre, certains musées, les concerts, les fêtes, les manifestations sportives, le cinéma ou le restaurant sont des activités qu'il faut oublier: trop chères !
C'est pourquoi dans toute manifestation ou lieu entièrement ou partiellement subventionné par l'Etat, la «carte-famille» devrait pouvoir donner droit à des réductions. Quant aux lieux privés, ils pourraient faire l'objet d'une information et d'encouragements à agir de manière identique. Un restaurant par exemple qui tiendrait compte de la «carte-famille» n'y perdrait pas forcément. Une clientèle se construit aussi avec les familles.
Conclusion
Fêter la famille, parler d'elle, vanter ses mérites, glorifier l'importance de son rôle dans la société est une chose. Prendre des mesures, même minimes comme cette proposition, en est une autre. En cette année internationale de la famille, en signe de reconnaissance de sa valeur, notre Grand Conseil pourrait offrir aux familles un progrès concret: l'introduction d'une «carte-famille».
Pour ces raisons, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à répondre favorablement à cette proposition de motion.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Que n'a-t-on pas dit cette année déjà sur la famille ! Elle a été vantée et glorifiée. Ses valeurs ont été soulignées, à juste titre, d'ailleurs, car je suis convaincue que la famille a un rôle essentiel à jouer au sein de notre société. Et pourtant, après neuf mois, cette année de la famille n'a encore accouché de rien de concret !
Le colloque prévu au mois de novembre à Genève comblera, nous l'espérons, ce vide et débouchera peut-être sur quelques propositions. Cette motion n'a pas la prétention de résoudre toute la problématique familiale, bien évidemment. Les grands axes d'une vraie politique de la famille sont cités dans l'exposé des motifs et je tiens à les rappeler : une véritable assurance-maternité, une augmentation des allocations familiales, des allocations familiales versées selon le principe : «Un enfant : une allocation» - motion que nous avions déposée il y a quelques mois - ainsi qu'une augmentation du nombre de places de travail à temps partiel et de places dans les garderies et les crèches.
Nos autorités doivent répondre à ces grandes questions dans les plus brefs délais. Mais la vie de famille est aussi faite de petits soucis quotidiens et, entre autres, d'interdits financiers. Cette motion tente d'y apporter une réponse partielle en créant une «carte-famille» qui permettrait de diminuer la charge financière lors de certaines activités, en famille justement.
A cet aspect matériel s'ajoute aussi l'encouragement aux activités en famille, au grand complet. En effet, le coût d'une activité force parfois une famille à se séparer pour permettre à deux ou trois de ses membres d'y participer. C'est pour ces raisons que nous vous demandons d'accepter cette motion avec bienveillance.
M. John Dupraz (R). Le groupe radical accueille cette motion avec intérêt.
En effet, la famille est la cellule de base de la société, et nous estimons que le groupe socialiste fait des propositions intéressantes dans cette motion. Les radicaux de Genève ont d'ailleurs fait des propositions concernant l'assurance-maternité.
Cette motion rejoint nos préoccupations et nous serons très heureux de pouvoir en discuter en commission.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je suis la suppléante de M. Segond et, à ce titre, je suis chargée de vous dire qu'il ne voit aucun inconvénient à ce que vous renvoyiez cette motion au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires sociales.