République et canton de Genève

Grand Conseil

M 729-A
10. Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Erica Deuber-Pauli, Claude Blanc, Alain Sauvin, Fabienne Bugnon, René Koechlin et Françoise Saudan concernant la reconnaissance de «La Voie Lactée» comme école spéciale. ( -) M729
Mémorial 1991 : Annoncée, 1935. Développée, 2262. Commission, 2276.
Rapport de M. Roger Beer (R), commission de l'enseignement et de l'éducation

Introduction

C'est lors de la séance du Grand Conseil du 30 mai 1991 que la proposition de motion concernant la reconnaissance de La Voie lactée comme école spéciale (M 729) a été renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation. Sous la présidence de Mme Yvonne Humbert, la motion a été abordée une première fois le 12 juin 1991. Ensuite, sous la présidence de M. Pierre-François Unger, les commissaires ont retravaillé cette motion les 11 et 18 mai 1994.

M. Dominique Föllmi, alors conseiller d'Etat chargé du département de l'instruction publique. MM. André Barthassat, directeur adjoint du service médico-pédagogique (SMP), Benvenuto Solca, adjoint de direction au SMP, ainsi que Jean Lehmann, directeur de l'office de la jeunesse, assistaient également à ces séances, notamment pour répondre aux différentes questions des commissaires. Qu'ils trouvent ici la reconnaissance des députés pour leur efficace collaboration.

Enfin, la commission a procédé à l'audition des représentants de La Voie lactée. Les députés ont entendu Mme Catherine Formica, présidente de l'Association des parents, Mme Dina Borel, directrice de La Voie lactée, ainsi que Mme Danielle Bellet.

Objet de la motion

Avec leur projet, les motionnaires entendent rendre le Grand Conseil et le Conseil d'Etat attentifs aux problèmes d'une école spéciale, La Voie lactée. Il s'agit d'une institution privée qui reçoit des enfants de 6 à 12 ans souffrant de problèmes du domaine psychique (comportement, personnalité, etc.). Souvent, les élèves présentent également de grosses difficultés scolaires. La Voie lactée essaie de préparer ses élèves à intégrer ou réintégrer la scolarité obligatoire, soit au niveau primaire, soit au niveau des cycles d'orientation. Lorsqu'il n'y a pas de possibilité d'intégration à 12 ans, l'enfant peut être gardé jusqu'à 14 ans pour ensuite accéder à une classe préprofessionnelle ou entrer en préapprentissage.

La Voie lactée offre une réponse alternative aux problèmes des enfants; son slogan résume d'ailleurs parfaitement l'objectif et l'esprit de l'institution: «Vivre, c'est formidable. Mieux vivre, c'est le but de La Voie lactée».

Ces enfants sont envoyés à La Voie lactée soit par le service médico-pédagogique de certaines communes (Meyrin, Lancy, Eaux-Vives) ou même par des inspecteurs et des maîtres principaux. Des psychiatres privés ont également recours à La Voie lactée. L'école est organisée en 4 groupes de 6 enfants qui travaillent chacun avec un responsable. Il s'agit de 4 psycho-pédagogues à plein temps; chacun est chargé d'enseigner certaines matières. Dans d'autres domaines, comme le sport, ces groupes éclatent; les enfants se rendent alors dans les écoles publiques de Meyrin où salle et matériel sont mis à leur disposition. Enfin, le repas étant considéré comme un moment éducatif, les enfants mangent à l'école ou dans le cadre des cuisines scolaires meyrinoises.

Les méthodes utilisées dans cette institution sont inspirées de la psychologie génétique (Piaget), de la psychologie dynamique (Dolto) et de la pédagogie active et technique (Freinet). La Voie lactée considère l'enfant comme un tout et l'apprentissage scolaire comme un moyen de développement global. La Voie lactée n'est donc pas uniquement une école destinée à des enfants qui ne présentent que des problèmes scolaires. Les parents collaborent au travail d'évaluation et rencontrent régulièrement les responsables de l'institution. Ils sont associés aux travaux et suivent de près l'évolution de leur enfant. L'excellent niveau de cette institution est reconnu par les centres de formation. En effet, La Voie lactée reçoit de nombreux stagiaires, issus par exemple de l'école d'infirmière en psychiatrie, de l'école d'études sociales où encore de la FAPSE (faculté de psychologie et des sciences de l'éducation).

La Voie lactée a été créée en 1986 par deux psycho-pédagogues formés à l'université de Genève chez Jean Piaget. Dès sa 2e année, La Voie lactée a bénéficié d'une reconnaissance cantonale implicite en tant qu'école spéciale: 8 enfants sont alors pris en charge par l'assurance-invalidité. Il y aura même jusqu'à 18 enfants reconnus par l'AI. Le service médico-pédagogique (SMP) confirme cette reconnaissance. La Voie lactée adresse alors à l'office fédéral des assurances sociales (OFAS) sa demande de reconnaissance comme école spéciale bénéficiant de l'assurance-invalidité (AI).

En 1990, la décision tombe, sévère et abrupte: sans reconnaissance formelle de l'Etat de Genève, l'assurance-invalidité n'accorde plus de contributions financières aux enfants inscrits à La Voie lactée. En fait le DIP avait décidé de ne plus reconnaître cette école. Il est évident que sans ces subsides de l'assurance-invalidité (AI), de nombreux enfants en situation psychique, psychologique, affective ou scolaire difficile ne pourront plus bénéficier de l'enseignement prodigué par La Voie lactée.

La présente motion demande donc au Conseil d'Etat d'expliquer, voire de revoir sa position vis-à-vis de La Voie lactée en reconnaissant cette institution comme école spéciale d'utilité publique. Cela permettrait également à l'office fédéral des assurances sociales de revenir sur sa décision de 1990.

Auditions

Lors de la première séance, en 1991, la commission de l'enseignement et de l'éducation a auditionné Mmes Borel et Bellet, fondatrices de La Voie lactée. Aucune solution n'avait été trouvée par les députés de l'époque. C'est pourquoi, après les élections et avec le renouvellement de la commission, les députés ont souhaité procéder à une nouvelle audition, notamment pour évaluer l'actualité de la motion ainsi que l'évolution de la situation de cette institution. Cette fois, Mme Dina Borel était accompagnée de Mme Catherine Formica, présidente de l'Association des parents.

Les représentantes de La Voie lactée décrivent leur institution et répondent aux questions des députés. Le succès de l'école continue, mais les difficultés financières dues à la non-reconnaissance de l'AI vont en s'aggravant. Un résumé de cette intervention a été remis aux députés. Il figure en annexe au présente rapport. Au fil de la discussion, il s'avère que tout le problème de la reconnaissance de La Voie lactée par le DIP semble venir de la formation et des titres des collaborateurs de l'institution.

En fait, il semble bien que La Voie lactée couvre des besoins auxquels le département de l'instruction publique ne peut actuellement pas répondre. Les classes spécialisées qui existent déjà n'offrent pas la même approche psycho-pédagogique qui semble faire le succès de cette institution. Actuellement, La Voie lactée est surveillée par un inspecteur, un superviseur et un psychiatre qui visite l'école tous les 15 jours.

En ce qui concerne le budget de La Voie lactée, les responsables estiment qu'il faudrait pouvoir disposer de 120 F par enfants pendant 180 jours scolaires, cette somme comprenant le repas de midi. Actuellement, la somme maximum demandée atteint 15 000 F par an. Il est clair que cet écolage est très élevé et qu'il arrive souvent que des parents ne puissent pas l'acquitter. C'est alors l'institution elle-même qui entreprend des recherches de fonds pour venir en aide à ces parents.

Travaux de la commission

Trois ans se sont écoulés depuis le dépôt de cette motion. Le bien-fondé et la valeur de La Voie lactée ont été longuement exposés lors de la séance du 30 mai 1991 (pages 2262 à 2276 du mémorial, N°20, 52e législature). Ces différents propos restent parfaitement d'actualité, mais la problématique concernant la reconnaissance de cette école a évolué. Dorénavant, la formation des institutrices et des instituteurs suivra une voie universitaire. Les études pédagogiques traditionnelles ont vécu. De ce fait, la reconnaissance des «enseignants» de La Voie lactée, de formation psycho-pédagogique universitaire, devrait pouvoir être considérée sous un angle nouveau.

Il s'avère également qu'une reconnaissance formelle de l'école et de ses enseignants par le DIP n'entraîne pas obligatoirement le versement de subsides. Cette reconnaissance est toutefois nécessaire, voire indispensable pour que l'OFAS, l'Office fédéral des assurances sociales, participe à l'écolage de certains enfants. C'est pourquoi, après avoir entendu les représentants du DIP - dont la position a évolué de façon favorable -, les députés ont estimé que la motion 729 et ses invites au Conseil d'Etat méritaient réponse. Ils suivent donc les invites de cette motion.

Finalement, c'est à l'unanimité, Mesdames et Messieurs les députés, que les commissaires vous proposent de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat en l'invitant:

1. à faire connaître les raisons qui ont conduit à la décision de non-reconnaissance;

2. à examiner le cas échéant sa position et à veiller à assurer à tous les enfants de La Voie lactée le versement de l'assurance-invalidité et la subvention cantonale;

3. à reconnaître La Voie lactée comme école spéciale d'utilité publique;

4. à intervenir auprès de l'office fédéral des assurances sociales pour le faire revenir sur sa décision.

Annexe: intervention de Mme Dina Borel, directrice de La Voie lactée

ANNEXEDébat

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Permettez-moi, tout d'abord, de remercier M. Roger Beer pour l'excellent rapport qu'il a rédigé sur les travaux de la commission, le président de la commission, M. Unger, qui a activé les travaux de cette motion, pendante devant la commission de l'enseignement depuis trois ans, et puis, bien sûr, Mme la présidente du département qui a su lever les obstacles qui paraissaient insurmontables au départ. Je la prie de transmettre également mes remerciements à M. Jean Lehmann, directeur de l'office de la jeunesse, qui s'est montré particulièrement fair-play dans cette affaire.

Il convient aussi de saluer le travail qui est effectué depuis huit ans dans l'école de «La Voie Lactée» auprès d'enfants qui ont des difficultés d'apprentissage et d'adaptation en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. Il faut souligner encore l'extraordinaire ténacité des responsables de cette école qui ont continué leur mission auprès de ces enfants, malgré les difficultés, avec une force de conviction acquise à la fois par leur formation et leurs premières expériences. Cette formation s'est effectuée dans notre université. Ce sont des anciennes étudiantes, puis collaboratrices de Jean Piaget, qui dirigent «La Voie Lactée», et c'est peut-être cette formation remarquable qui leur a donné, d'une part, la compétence de réussir là où d'autres échouent, et, d'autre part, cette ténacité dans la poursuite de leurs objectifs. Nous avons été témoins de cette obstination, et nous sommes particulièrement contents qu'une motion émerge unanimement des travaux de la commission.

Nous serons également très heureux le jour où les invites de cette motion obtiendront tous leurs effets positifs.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je voudrais m'associer aux remerciements de Mme Deuber-Pauli pour M. Beer et surtout remercier la commission de l'enseignement pour son unanimité.

Cette motion a été déposée en mai 1991, nous sommes en septembre 1994. Je vous avais alors dit mon enthousiasme pour le projet de cette école. Aujourd'hui, je suis extrêmement satisfaite que tous les membres de la commission reconnaissent son utilité publique. Il aura fallu la ténacité de l'équipe enseignante, la ténacité des parents, leur foi permanente dans ce projet pédagogique pour faire vivre, ou plutôt survivre, l'école sans les subventions de l'assurance-invalidité.

Aujourd'hui, cette motion est renvoyée au Conseil d'Etat. Ses invites sont très claires, aussi j'espère qu'elle sera traitée très rapidement par ce dernier pour intervenir auprès de l'Office fédéral de manière déterminée.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Le renvoi de cette motion nous impose de travailler dans des délais rapides.

Je relèverai simplement que les esprits changent, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose. En l'occurrence, je pense que c'est une très bonne chose qui montre la façon d'appréhender le problème en fonction d'objectifs et non pas en fonction des embûches administratives que l'on envisage à telle ou telle étape d'un projet. C'est, je crois, le rôle de l'administration de regarder ce qui est fait, pourquoi cela est fait, s'il est possible que ce soit fait et non pas de se préoccuper si tel ou tel article du règlement peut empêcher ce qui est à faire. Ce dossier a beaucoup évolué. Il y avait un certain nombre de conditions à remplir, notamment de la part de l'institution à l'égard de l'institution fédérale, et nous allons tenter de la faire reconnaître par l'autorité fédérale. Nous étudions ce dossier de manière intelligente et non avec des oeillères. C'est cela qui a changé. La ténacité de la commission, la ténacité de l'institution et l'ouverture d'esprit des deux partenaires ont permis de faire évoluer la discussion au cours des dernières années, il faut le saluer.

Je me joins à tous ceux qui souhaitent que ce dossier aboutisse.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

MOTION

concernant la reconnaissance de La Voie lactée comme école spéciale

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

que l'école active La Voie lactée est une école en nom collectif à but non lucratif, consacrée à la prise en charge spécifique et personnalisée d'enfants présentant des difficultés d'apprentissage et d'adaptation en vue de leur intégration scolaire et sociale;

que la création de cette école en 1986 a été encouragée par les responsables du service médico-pédagogique dépendant du département de l'instruction publique, qui n'a, depuis lors et jusqu'en 1990, cessé d'y envoyer des enfants et de reconnaître à ceux-ci le droit aux subsides scolaires de l'assurance-invalidité et, par conséquent, a reconnu à cette école les qualités répondant aux besoins scolaires de ces enfants;

que le département de l'instruction publique - par l'entremise du service médico-pédagogique - a au surplus explicitement reconnu La Voie lactée comme école spéciale et verse aux enfants bénéficiaires de l'assurance-invalidité un subside de 16 F par jour scolarisable;

que La Voie lactée compte actuellement 23 élèves, dont 15 au bénéfice de l'assurance-invalidité (elle en a eu jusqu'à 19);

que l'automne dernier, l'office fédéral des assurances sociales a communiqué sa décision de ne pas reconnaître La Voie lactée comme école spéciale et, par conséquent, de priver à l'avenir ses élèves du droit aux subsides de l'assurance-invalidité;

que la reconnaissance de La Voie lactée comme école spéciale susceptible de recevoir pour ses enfants les subsides de l'assurance-invalidité passe par la reconnaissance cantonale;

que cette décision place les parents dans une situation financière telle que certains ne pourront pas payer l'écolage de leurs enfants à La Voie lactée,

invite le Conseil d'Etat

1. à faire connaître les raisons qui ont conduit à la décision de non-reconnaissance;

2. à examiner le cas échéant sa position et à veiller à assurer à tous les enfants de La Voie lactée le versement de l'assurance invalidité et la subvention cantonale;

3. à reconnaître la Voie lactée comme école spéciale d'utilité publique;

4. à intervenir auprès de l'office fédéral des assurances sociales pour le faire revenir sur sa décision.