République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 23 juin 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 8e session - 25e séance
PL 7084-A
La commission du logement du canton sous la présidence de Mme Geneviève Mottet-Durand a étudié ce projet de loi au cours de la séance du 16 mai 1994.
Assistaient également aux travaux: M. Claude Haegi, conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, ainsi que MM. Pierre Ischi, directeur général du logement, M. Louis Cornut, chef de division des études d'aménagement au département des travaux publics et de l'énergie (DTPE).
1. Généralités
Le présent projet de loi a pour objet de permettre aux propriétaires de mettre sur le marché de la location du logement des surfaces commerciales, en particulier celles vacantes, reconverties temporairement dans ce but, et ce sans perdre l'affectation commerciale.
2. Historique
Dans l'exposé des motifs, les signataires de ce projet de loi relèvent que les contraintes de la loi actuelle figent les possibilités d'affectations des différentes surfaces. En effet, la LDTR fixe dans ses articles 1, 2, 3 et 5 les objectifs de la loi et les restrictions en matière de changement d'affectation. Les conséquences de la crise économique ont eu pour effet de créer une offre de surfaces commerciales largement supérieure à la demande. Par ce projet de loi, les auteurs demandent que la perte du droit de revenir à l'affectation commerciale après avoir loué une surface pour du logement, selon l'esprit de la LDTR, soit supprimée au profit de la dynamique de mise sur le marché de logements.
Concrètement et selon les statistiques de l'OCSTAT du 1er juin 1993, qui recensent, tout confondu, 230 000 m2 de surfaces commerciales, cette possibilité, si elle se voyait confirmée par le présent projet de loi, pourrait inciter les propriétaires de surfaces commerciales à mettre en tout cas un potentiel à la location de 115 000 m2 de plancher (de bureaux), soit l'équivalent d'environ 1000 appartements de 5 pièces. Cette forme de souplesse dans l'application de la LDTR va dans la ligne de mesures imaginatives propre à défendre le marché du logement.
3. Audition du rassemblement pour une politique socialedu logement (RPSL), représenté par MM. Lachat et Brunn
Le RPSL considère ce projet de loi comme mineur, ne visant que quelques cas. Le régime dérogatoire serait plus approprié. Il regrette l'incertitude juridique du caractère provisoire de l'affectation en logement et suggère d'introduire une limite dans le temps à cette affectation qui, une fois cette limite dépassée, deviendrait définitivement à fin de logement. D'autre part, les logements qui auraient été transformés en surfaces commerciales sans autorisation trouveraient dans ce projet de loi une forme de «prime à l'illégalité».
D'autre part, le RPSL s'interroge sur la qualité et l'habitabilité des logements proposés, sur les conséquences urbanistiques de l'implantation de logements en zone industrielle et sur les changements d'affectation dans certains quartiers en terme de transports et d'infrastructure publique.
4. Audition de la chambre genevoise immobilière (CGI),représentée par MM. Müller et Siegrist
La CGI relève que ce projet de loi ne vise en aucun cas les logements existants et ne porte pas atteinte à la LDTR actuelle. La CGI rappelle que la LDTR ne s'applique pas à la zone industrielle, donc que la création de logements par le biais de ce projet de loi dans cette zone est impossible. Les cas concrets d'application se trouveront plus aisément dans les immeubles anciens que récents, mais que, malgré tout, l'investissement consenti pour la reconversion verra les propriétaires conclure des baux de durée suffisamment longue pour amortir les travaux. Le bail stipulera vraisemblablement toutes les modalités de location et les droits du locataire seront préservés, notamment la possibilité de demander des prolongations en cas de congés. Enfin, les vacances de locaux commerciaux ne le sont pas uniquement en fonction du prix mais aussi de la demande qui actuellement fait défaut.
5. Discussion
Le département des travaux publics et de l'énergie et le Conseil d'Etat accueillent favorablement ce projet qui a le mérite d'apporter de manière souple et simple une offre plus importante de logements.
Certains députés s'inquiètent de l'habitabilité des logements alors même que les dispositions légales en matière (la LCI notamment) ne sont pas visées par cet article de loi et restent applicables.
Une proposition de l'alliance de gauche visant à limiter la portée de ce projet de loi aux surfaces légalement affectées à l'usage commercial ne trouve pas de majorité. En effet, cette limitation entraînerait, tout simplement pour les logements illégalement reconvertis en bureaux, et ce pour autant que l'illégalité puisse être vérifiée, de la part du propriétaire l'abandon de les proposer pour du logement. De ce fait, la majorité de la commission considère qu'il serait dommageable de se priver de mettre quelques appartements de plus sur le marché.
Une proposition du parti socialiste proposant de limiter à 10 ans la validité du changement d'affectation provisoire est également rejetée. La majorité de la commission considère qu'il serait dommageable de faire planer sur la tête du locataire le couperet de l'échéance du bail.
6. Conclusion
La commission est entrée en matière sur ce projet de la loi par 8 oui (lib-rad-pdc-peg), 2 non (adg) et 2 abstentions (soc).
Elle a rejeté les 2 amendements décrits ci-dessus par 7 non (lib-rad-pdc) contre 5 oui (adg-soc-peg) et a voté le projet de loi tel quel par 7 oui (lib-rad-pdc-peg), 4 non (adg-soc) et 1 abstention (peg).
Nous vous recommandons donc, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre les recommandations de la majorité de la commission et de voter ce projet de loi.
Premier débat
M. Florian Barro, rapporteur. Juste un petit correctif que j'aurais souhaité apporter en page 2 de mon rapport. Il s'agit de dissiper une interprétation de ce projet de loi, en particulier du rapport, qui pourrait être fausse. Les 230 000 m2 de locaux commerciaux, industriels et de bureaux vacants à Genève, selon l'office cantonal de la statistique, ne peuvent pas tous se prêter à l'exercice de ce projet de loi, soit parce que la zone dans laquelle se trouvent certaines surfaces ne permet pas le logement, en particulier la zone industrielle, soit que l'habitabilité de ces surfaces ne peut être reconnue. Quoi qu'il en soit, les requêtes de transformations détermineront précisément quelles reconversions provisoires pourront être autorisées. C'est pour cela que j'ai fait mention d'un potentiel de 115 000 m2 de bureaux, puisque la commission a estimé que c'était essentiellement ce type de surface qui serait concerné par ce projet de loi. En l'état, il s'agit bien d'un potentiel et non pas d'une future mise sur le marché de mille appartements.
M. Chaïm Nissim (Ve). Au cours des deux ou trois séances que nous avons consacrées en commission à ce projet de loi, j'ai remarqué, une fois de plus, une chose assez étonnante quant à notre groupe, c'est que vraiment, nous ne sommes ni de gauche ni de droite ! (Rires et quolibets.) J'aimerais revenir sur le contenu de ce projet de loi. En gros, il dit, pour ceux qui n'étaient pas en commission, qu'il y a de nombreux bureaux qui aujourd'hui sont vides à cause de la conjoncture et qui risquent d'être vides encore quelques années. Ce projet de loi vise à permettre de relouer ces bureaux comme appartement pendant quelques années avec un bail, et, à l'issue de celui-ci, si la situation économique va mieux, que le propriétaire puisse les relouer comme bureaux, donc a un meilleur prix, sans redemander une autorisation.
Par rapport à ce projet de loi, j'ai déjà remarqué pourquoi nous ne sommes pas de gauche. Les gens de la gauche, en commission, avaient, premièrement, une méfiance assez grande à l'égard de tout ce qui concerne l'argent, les promoteurs et les milieux immobiliers, et ils ont finalement voté «non» à ce projet de loi, ce qui veut dire - si je le traduis dans mon langage - mieux vaut rien du tout que des appartements précaires, mieux vaut pas d'appartements que des appartements juste pour cinq ans. Je trouve cela assez curieux.
Pourquoi ne sommes-nous pas de droite ? Parce que la gauche avait déposé deux amendements. Les deux étaient raisonnables, surtout le premier visant à limiter à dix ans la durée au bout de laquelle on pouvait remettre l'appartement en bureaux sans autorisation. J'ai vu une hésitation dans les yeux de M. Dessimoz - c'est un des auteurs de ce projet de loi - il avait l'air de dire : «Ah, mais ça on pourrait l'accepter.» Il a hésité quelques minutes et ensuite il s'est dit : «Ah, mais non, ça fait rien, de toute façon nous sommes la majorité, on peut imposer ce que l'on veut, on écrase ces gens-là.». Ils ont décidé de nous écraser une fois de plus, alors que l'amendement était parfaitement raisonnable.
Si des gens, par hypothèse, étaient restés, admettons dix ans, dans un appartement et qui, au bout de ces dix ans, avaient peut-être fait des enfants, qui seraient allés à l'école, ces gens n'auraient peut-être pas eu envie de déménager à ce moment-là. Que l'on puisse leur permettre, dans ce cas-là, au bout de dix ans, d'obliger les propriétaires à redemander une autorisation semble bon. C'est un amendement parfaitement raisonnable qui a été refusé par la droite avec ce que j'appelle de la morgue. Je trouve cela assez dégoûtant, et c'est pour cela que nous nous sommes abstenus. Pourtant, ce projet de loi est mieux que la situation actuelle, mais le manque de dialogue m'a un peu chiffonné dans cette commission.
M. Christian Ferrazino (AdG). Dans le prolongement de ce que vient de dire notre collègue Nissim, je rectifierai tout de suite ses propos en précisant que ce projet de loi n'est pas «mieux», pour reprendre les termes de M. Nissim, que la situation actuelle, pour la bonne et simple raison qu'il n'y a pas besoin de légiférer pour permettre aujourd'hui la transformation de locaux commerciaux en appartements. Vous me direz que, une fois n'est pas coutume, il est un peu paradoxal de voir que ce sont précisément les milieux de l'Entente qui souhaitent légiférer dans ce domaine pour mettre noir sur blanc dans la loi la possibilité pour le propriétaire de ne plus avoir à demander l'autorisation lorsqu'il voudra, dans un deuxième temps, réaffecter à des fins commerciales les locaux qu'il aura transformés en logement.
Simplement, et M. Nissim y a fait allusion, nous avons proposé deux amendements non sans au préalable avoir relevé deux choses. La première, c'est le mouvement naturel se dessinant aujourd'hui chez les propriétaires, c'est-à-dire que le propriétaire ne va pas laisser vides ses bureaux en se croisant les bras; il va constater que la situation telle qu'elle se présente ne permet pas de les louer et, par conséquent, il va tenter de les transformer en appartements. Ce processus se réalise aujourd'hui déjà. Les amendements que nous avons proposés sont doubles et j'en ai déposé un tout à l'heure que je me permets de commenter brièvement maintenant et qui consistait simplement, comme l'a relevé Chaïm Nissim, à rajouter un mot dans le projet de loi qui nous est soumis, à savoir :
«Il n'y a pas de changement d'affectation lorsque des locaux légalement destinés à usage commercial...»
Pourquoi rajouter «légalement destinés» ? Parce que, et vous le savez, il y a surtout au centre-ville, et en particulier dans la Vieille-Ville, de très nombreux logements qui, à l'époque, ont été transformés de façon totalement illégale en bureaux. On parle de plusieurs milliers, voire de 10 000 logements, dans cette situation. Il serait particulièrement choquant que, par le biais de cette loi, on permette à ces propriétaires, qui ont obtenu cette affectation illégale, d'utiliser leur logement à des fins commerciales, de les reconvertir aujourd'hui, parce que la conjoncture économique les y contraint, en logements et, le jour où la conjoncture économique le permettra, de revenir en pleine légalité à cette affectation commerciale.
Si c'est ça le projet de loi que vous voulez nous soumettre, c'est simplement une prime à l'illégalité, puisque vous permettez à ces gens-là - et les cas sont nombreux puisque, je l'ai rappelé, ils se chiffrent par plusieurs milliers - de légaliser une situation inadmissible. C'est pour cela que nous proposons un amendement, «parfaitement raisonnable», pour reprendre les termes de notre collègue Nissim.
M. Laurent Moutinot (S). Le projet de loi qui nous est soumis pose le principe d'une dérogation provisoire au régime de la LDTR. Il s'agit en l'occurrence d'inciter à convertir des surfaces commerciales en logements en autorisant leur retour, à terme, en surfaces commerciales sans autorisation particulière. En soi, l'idée est bonne, le problème est qu'il lui faut deux garde-fous. Le premier a été évoqué par Christian Ferrazino : il s'agit de s'assurer que cette loi ne permette ce processus que pour les surfaces commerciales devenues légalement des surfaces commerciales, afin d'éviter, par ce processus, de légaliser des acquis illégaux. Cela paraît simple, mais c'est un amendement nécessaire.
Le deuxième amendement que je souhaite développer est l'aspect provisoire des choses. On disait, dans l'exposé des motifs à l'appui de ce projet de loi, je cite : «L'affectation provisoire à des logements doit pouvoir être d'une durée illimitée.». Si le provisoire est illimité, ça me fait penser aux baraquements que l'on voit à la place Sturm ou au collège Rigot, mais ça n'est pas une formule juridique de dire que le provisoire est illimité. Nous proposons, par conséquent, que cette faculté soit limitée à dix ans. C'est d'ailleurs une demande qui a été faite par le Rassemblement pour une politique sociale du logement, lorsqu'il a été entendu en commission.
L'idée n'est évidemment pas d'inciter à donner des congés. L'idée est d'une clarté juridique. Pourquoi ? Pour refuser l'amendement déposé par Christian Ferrazino, la majorité de la commission a estimé qu'il n'était pas possible aujourd'hui de savoir si un local commercial l'était devenu légalement ou pas, c'est-à-dire qu'on ne sait pas très bien ce qui s'est passé. Je crains, si l'on ne limite pas l'application du projet de loi à une période de dix ans, que l'on ne sache plus non plus, dans vingt ou trente ans, si tel ou tel logement a été ou non transformé de manière légale, raison pour laquelle, par souci de clarté juridique, il faut limiter à dix ans cette faculté qui est consentie au propriétaire de revenir à une surface commerciale sans autorisation. Rien ne l'empêche, par la suite, de demander le retour à une surface commerciale, mais par les règles ordinaires.
Si on laisse de manière indéterminée le provisoire durer, on aboutit à deux catégories de locataires et à deux catégories de bailleurs. Il y a ceux dont les locaux ont été une fois transformés au bénéficie de cette loi, et les autres. On ne saura plus, dans quinze ou vingt ans, quelle situation prévaut, et vous savez que l'insécurité juridique est la pire menace pour un Etat de droit. Si on lit le projet de loi lui-même, on observe d'ailleurs que le texte qui nous est proposé dit : «...lorsque des locaux ont été temporairement affectés à l'habitation...». Il est donc déjà clairement précisé que cela doit être temporaire. Ce n'est donc, par conséquent, qu'une précision de date que je vous demande d'ajouter en mettant à la fin de l'article 3, alinéa 3 :
«...dans les dix ans au plus.»
L'idée de base est juste, mais elle nous a été présentée comme une réponse de type conjoncturel à une situation conjoncturelle. Il s'agit, effectivement, de lutter contre un excès de surfaces commerciales et, par là même, de répondre à une pénurie de logements. Il y a une logique de vases communiquants qui est parfaite, mais c'est conjoncturel. Restons au conjoncturel et au provisoire, puis revenons au régime légal ordinaire; raison pour laquelle il faut limiter le provisoire à dix ans.
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Il y a des mots qui ont un poids tout particulier, et celui qui vous est proposé par M. Ferrazino a précisément ce poids-là. Cela a été dit en commission. Aujourd'hui, que tentons-nous de faire, que tentez-vous de faire, à travers ce projet de loi ? C'est d'inciter tous ceux qui, précisément, avaient destiné des locaux à un usage administratif ou autre, à les reconvertir en logements. Vous n'avez cessé de le souhaiter. Plutôt que de se préoccuper de savoir si ces affectations ont été faites dans la légalité ou l'illégalité - il ne s'agit pas d'attribuer un certificat d'illégalité - il faut être incitatifs de manière à redonner un caractère locatif résidentiel à ces locaux.
Si vous ajoutez ce mot, que se passerait-il ? Tout simplement aucun changement. Vous n'atteindrez pas l'objectif poursuivi par ce projet. Ultérieurement, d'autres mesures pourront peut-être être prises pour inciter ceux qui ont à gérer ces immeubles de manière que ces derniers gardent ce caractère locatif. Aujourd'hui, saisissez l'occasion qui vous est donnée pour permettre, précisément, aux locaux que vous signaliez tout à l'heure, Monsieur Moutinot, de redevenir locatifs ! Ce serait dommage de laisser passer cette occasion.
Mis aux voix, le projet est adopté en premier débat.
Deuxième débat
Le titre et le préambule sont adoptés.
Art. 3, al. 3 (nouveau), de l'article unique
Le président. Nous sommes en présence d'un amendement de M. Ferrazino consistant à dire :
«Il n'y a pas de changement d'affectation lorsque des locaux légalement destinés à usage commercial...»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté.
Le président. Nous avons un deuxième amendement de M. Moutinot visant à ajouter, à la fin de l'alinéa, la phrase :
«...dans les dix ans au plus.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté.
Mis aux voix, l'article unique est adopté.
Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
LOI
modifiant la loi sur les démolitions, transformations et rénovations
de maisons d'habitation
(L 5 9)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, du 22 juin 1989, est modifiée comme suit:
Art. 3, al. 3 (nouveau)
3 Il n'y a pas de changement d'affectation lorsque des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel ont été temporairement affectés à l'habitation et qu'ils retrouvent leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle antérieure.