République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 6833-A
10. Rapport de la commission judiciaire chargée d'étudier le projet de loi de Mmes Claire Torracinta-Pache et Christine Sayegh modifiant la loi générale sur les contributions publiques (D 3 1) (secret de fonction). ( -) PL6833
Mémorial 1992 : Projet, 3156. Commission, 3161.
Rapport de Mme Françoise Saudan (R), commission judiciaire

1. Introduction

Déposé le 15 mai 1992, le projet de loi 6833 vise, comme le précise l'exposé des motifs, à favoriser une bonne administration de la justice en établissant la réciprocité dans la communication des renseignements pertinents entre le département des finances et contributions, ci-après le département, d'une part, et le Ministère public ainsi que les juges d'instruction, d'autre part.

En effet, en l'état de la législation, l'article 335 la loi sur les contributions publiques, ci-après LCP, fait obligation aux administration publiques cantonales et communales ainsi qu'aux institutions dépendant le l'Etat de fournir gratuitement au département lorsqu'il en fait la demande, tous les renseignements dont ils disposent propres à le renseigner sur le revenu et la fortune des contribuables.

La nouvelle norme proposée tend, en conséquence, à faire exception au secret de fonction qui n'est pas un principe constitutionnel mais le résultat d'une pesée d'intérêt, généralement faite par le législateur entre d'une part l'intérêt de l'administré à la confidentialité et d'autre part, l'intérêt des autorités à la transparence.

Dans notre canton, ce principe est prévu de manière générale pour les employés de l'Etat. Il en découle qu'en regard du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs qui place les autorités judiciaires et administratives sur pied d'égalité, qu'aucun fonctionnaire ne peut fournir de son propre chef des renseignements aux autorités judiciaires. C'est le Conseil d'Etat, autorité de surveillance des fonctionnaires qui procède ainsi à la pesée des intérêts en jeu, à savoir l'intérêt de la justice à la levée du secret et les intérêts publics ou privés à le maintenir.

En conséquence le projet vise à transférer cette pesée d'intérêt du Conseil d'Etat au Ministère public, respectivement au juge d'instruction.

2. Travaux de la commission

Réunie sous la présidence de M. Michel Jacquet, la commission judiciaire a examiné le projet de loi 6833 lors de ses séances des 23 et 27 septembre et 14 octobre 1993 en présence de MM. Bernard Ziegler, alors Conseiller d'Etat, chef du département de justice et police; Rémy Riat et Bernard Dupont, secrétaires adjoints du département de justice et police. La commission a procédé à diverses auditions.

2.1. Auditions

2.1.1. Audition de M. Laurent Kasper-Ansermet, procureur du 23 septembre 1993.

Le parquet soutient ce projet de loi. Il serait en effet logique de pouvoir bénéficier de la réciprocité en matière d'obligation de fournir des renseignements. En outre, la criminalité économique se développe sans cesse en matière de fraude dans la saisie, de banqueroute frauduleuse et de blanchiment d'argent sale.

Il faut relever que dans la plupart des pays qui nous entourent les lois de procédure permettent de recouper les diverses informations, notamment fiscales, sur une personne mise en cause afin d'augmenter l'efficacité des autorités judiciaires.

Il est non seulement dans l'intérêt de la justice de mieux connaître le profil des personnes mises en cause mais également d'alléger la procédure dont le poids se fait de plus en plus sentir.

Il faut également relever que la doctrine et la jurisprudence admettent que ce soit l'autorité judiciaire qui procède à la pesée des intérêts en cause.

La notion de poursuite pénale engagée amène les précisions suivantes. Cette notion vise déjà l'enquête préliminaire du ministère public. A ce stade les renseignements ne sont pas transmis aux parties.

La seule réserve serait le cas d'un recours en classement par devant la Chambre d'accusation ce qui ne pose en l'occurence aucun problème car il s'agit d'un type d'affaires qui, par leur nature, ne comportent pas de plaignants.

Lorsqu'il y a inculpation, deux stades sont à distinguer dans la pesée des intérêts. Le premier est de savoir si le juge veut effectuer les démarches pour obtenir les renseignements, le second celui de savoir s'il veut les verser à la procédure après les avoir obtenus. Dans ce dernier cas, si les informations sont délicates, on pourrait imaginer une solution de mise sous enveloppe scellée.

Il est bien évident que l'administration fiscale ne serait tenue de fournir des renseignement que si le parquet ou le juge d'instruction en fait la demande.

2.1.2. Audition de M, Flurin Koenz, chef du service judidique de l'administration fiscale cantonale du 23 septembre 1993.

M. Koenz précise d'emblée que le secret fiscal est une notion plus ample que le secret de fonction ordinaire. Ceci dans le but d'inciter les contribuables à faire preuve de sincérité dans leurs déclarations.

A Genève, le Conseil d'Etat est la seule autorité compétente dans ce domaine, ce qui selon lui, aurait été confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt (ATF 80 I 4 = JT 1954 p.336) cité dans l'exposé des motifs. Voir à cet égard l'arrêt du Conseil d'Etat figurant en annexe (Annexe I).

M. Koenz estime que le projet de loi n'est pas suffisamment précis quant à la nature des renseignements qui devraient être fournis, en particulier les termes «renseignements utiles» sont trop larges et le mélange entre les notions de renseignements et de témoignages peut être source de confusion.

Il est bien évidemment indispensable que la justice dispose des éléments nécessaires au niveau de l'instruction, mais c'est déjà le cas avec le système actuel. M. Koenz craint de voir ce projet ouvrir la voie à des demandes de renseignements prospectives qui iraient au-delà de ce qui est nécessaire à une bonne administration de la justice.

D'autre part certaines données peuvent être confidentielles, par exemple l'existence d'un enfant illégitime ou certains renseignements sur les conjoints des contribuables mariés. Ces personnes doivent pouvoir rester protégées par le secret fiscal si elles ne sont pas impliquées dans la procédure pénale.

En conséquence, le système actuel lui semble suffisant et la compétence du Conseil d'Etat en la matière la meilleure solution possible. Si le système devait être modifié, il faudrait une solution plus clairement définie.

2.1.3. Audition de M. Olivier Vodoz, Conseiller d'Etat, chef du Département des finances et contributions du 27 septembre 1993.

M. Vodoz précise que le Conseil d'Etat n'a pas débattu de la question soulevée par le projet de loi. A titre personnel, il est réservé , non pour des motifs de nature politique car sa collaboration avec la justice est excellente, mais pour les raisons suivantes:

a) Lors d'une réunion avec la procureur général intervenue en août 1990, une procédure accélérée de communication de renseignements a été mise au point.

Cette procédure est indiquée dans la lettre adressée par le procureur général à Mme Christiane Sordet, alors présidente du Collège des juges d'instruction en date du 16 août 1990 et citée en annexe II du présent rapport.

b) Depuis 1989, huit demandes ont émané du parquet et il a été donné suite à toutes ces demandes dans un délai d'environ quinze jours. Le Conseil d'Etat par ailleurs ne débat jamais de ces questions (Annexe III).

c) Une telle procédure ne dénote pas une volonté de cacher quoique ce soit à la justice, mais se justifie pour éviter que ces transmisssions de dossiers n'interviennent automatiquement par le biais de requêtes directes.

d) Il faut garder en effet à l'esprit que des problèmes peuvent se poser en relation avec la divulgation d'informations sur le conjoint ou l'entourage de la personne faisant l'objet de la procédure pénale. Les commissions rogatoires, dans le cadre de l'entraide internationale peuvent aussi poser problème. Il faut également relever que dans un certain nombre de pays, les infractions en matière fiscale sont érigées en crime. Des documents fiscaux suisses pourraient démontrer des crimes non punissables en Suisse ce qui n'est pas précisément le but de l'entraide internationale.

e) C'est la lecture des réquisitions détaillées du juge d'instruction qui fait apparaître clairement le besoin de collaboration.

f) En cas d'urgence, il a été prévu que les juges d'instruction s'adressent directement au chef du Département des finances et contributions qui peut répondre par fax, ce qui réduit substantiellement les délais.

En conclusion, aucun problème n'est à déplorer à ce jour car aucune doléance n'est parvenue du Palais de justice. Une automatisation de la procédure mériterait que soient prises des précautions, afin que le système fonctionne convenablement. En effet le terme «poursuite pénale engagée» est vaste. Le risque existe d'atteindre des personnes non visées à l'origine, si des déclarations fiscales sont remises au parquet, sans qu'une plainte ne soit précisément circonscrite. Le projet de loi devrait être plus précis sur ce point le cas échéant.

2.1.4. Position du Collège des juges d'instruction présidé par M. Pierre Marquis déterminée lors de sa séance du 6 octobre 1993 et transmise par courrier le même jour.

1. Sur le principe, nous sommes favorables à l'adoption de cette nouvelle disposition.

2. En effet, nous sommes saisis d'un nombre de plus en plus important de procédures financières, et en particulier d'affaires de banqueroute, de gestion déloyale, de fraude dans la saisie..., cas dans lesquels le «dossier fiscal» est susceptible de contenir des éléments utiles à la manifestation de la vérité.

3. A la lecture de l'exposé des motifs, il apparaît que la crainte de voir ce texte utilisé de manière abusive a été exprimée.

A ce sujet, il est bon de rappeler qu'il est fait obligation au juge d'instruction, dans le cadre de perquisitions et de saisies, de respecter le principe de la proportionnalité, qui a comme corollaire d'écarter de la procédure et de restituer à l'ayant droit les documents inutiles.

4. Il convient de modifier le libellé de l'alinéa premier de la nouvelle disposition qui parle de «poursuites pénales engagées» dans la mesure où, selon l'exposé des motifs, cette disposition ne s'appliquerait qu'après inculpation.

Une telle interprétation aurait pour effet de vider la nouvelle disposition de l'essentiel de sa portée pratique.

Il nous paraît que le terme «engagées» peut être purement et simplement supprimé.

Les renseignements doivent pouvoir être demandés à l'administration fiscale des contributions dès qu'il y a «poursuites pénales», c'est à dire dès l'ouverture d'une enquête préliminaire par le Parquet du Procureur général, soit avant même l'ouverture d'une information, a fortiori avant le prononcé d'une inculpation.

Dans son libellé actuel, la disposition signifie par exemple que le Ministère public ne peut obtenir des renseignements de l'AFC qu'après clôture de l'instruction préparatoire, ce qui est un non-sens.

5. Enfin, la création de cette base légale paraît logique dans la mesure où l'on voit mal que le Conseil d'Etat, qui n'a pas connaissance du contenu de la procédure pénale, décide en lieu et place du juge, de ce qui est ou non utile à la manifestation de la vérité.

2.2. Débats

Les débats ont permis aux commissaires de procéder à une délicate pesée d'intérêt entre le désir légitime de ne pas porter atteinte à la protection de la sphère privée et les exigences de transparence, de rapidité de transmission des informations, d'égalité de traitement entre les différentes administrations, conditions nécessaires pour une justice plus efficace et plus rapide que chacun appelle de ses voeux.

a) Interprétation de la disposition

Dans le cadre des arguments soulevés, il a été relevé que les craintes exprimées à l'égard d'une interprétation trop large de la disposition sont infondées. En effet, en matière de collecte de renseignements, les juges d'instruction doivent se conformer aux mêmes principes qu'en matière de perquisition et de saisie comme le précisent expressément les articles 178, alinéa 2, et 181 du code de procédure pénale. Par ailleurs, l'article 178, alinéa 2, a fait l'objet d'un commentaire détaillé dans le rapport concernant les importantes modifications du code de procédure pénale adoptées par notre Grand Conseil le 17 mai 1990 (Mémorial 1990, page 1952 et suivantes).

b) Fonds illicites

En ce qui concerne les fonds acquis illicitement qui sont visés par la disposition envisagée, il est vrai qu'ils ne figurent en général pas dans les déclaration fiscales. Néanmoins ces derniers peuvent être de précieux outils pour connaître la personnalité d'un inculpé. En ce sens, les déclarations fiscales sont des points de références importants. Ce sont par ailleurs les raisons pour lesquelles les données fiscales figurent dans les banques de données américaines.

c) Délais

Le délai d'environ quinze jours pour obtenir les renseignements de l'administration fiscale a retenu l'attention de la commission qui n'a pu déterminer - en l'absence de renseignements plus précis - dans quelle mesure il pourrait être dissuasif pour les juges d'instruction. Mais d'une manière générale, un délai de quinze jours peut s'avérer long, soit en raison d'une détention préventive, soit en raison de la nature de l'enquête pour éviter les risques de fuite de personnes et de capitaux.

d) Accès des tiers aux données concernées

La problématique de l'accès de tiers au dossier à déjà été étudiée par la commission juidiciaire. Le Parlement s'est prononcé en défaveur de l'introduction d'un tel secret dans le cadre du projet de loi traitant du transfert de la Chambre d'accusation à la Cour de justice.

Il est vrai que des renseignements éminemment personnels figurent au dossier, dont les tiers parties à la procédure peuvent prendre connaissance. La seule solution sertait d'exclure cet accès des parties civiles au dossier, solution qui a toujours été rejettée.

En ce qui concerne les autorités étrangères, le problème est plus délicat. Des protections sérieuses existent dans le cadre de l'entraide internationale. Le juge étranger est lié par les conditions auxquelles l'entraide est accordée.

Un problème semblable se pose en relation avec le secret bancaire. Les juges d'instruction trient les informations qu'ils communiquent et le système fonctionne très bien.

e) Nécessité de légiférer

La commission s'est interrogée sur la pertinence de légiférer pour un nombre aussi restreint de cas. Mais rien de permet d'affirmer que la pratique ne variera pas à l'avenir. D'autant plus qu'une procédure de consultation fédérale est en cours concernant les moyens d'accélérer les procédures et que le Conseil d'Etat a estimé que les mesures préconisées étaient trop timides. En fin de compte ce qui est essentiel c'est que les milieux maffieux ne soient pas objectivement protégés par le fisc.

2.3. Vote de la commission

Les arguments avancés en faveur et à l'encontre du projet de loi ont mis en évidence la nécessité de modifier la proposition initiale.

a) Alinéa l

En ce qui concerne l'alinéa l, la commission est entrée en matière sur la proposition du Collège des juges d'instruction de supprimer le terme «engagée» en fin d'alinéa. En effet, le terme «engagée» signifie que le Ministère public ne pourrait obtenir des renseignements de l'AFC qu'après clôture de l'instruction préparatoire alors que c'est dans le cadre de cette dernière que des renseignements fiscaux pourraient être déterminants par rapport au but visé par le projet de loi.

Un amendement tendant à remplacer le terme «fournit» par «est tenu de fournir» a été refusé par 6 voix contre 6, le département ayant précisé que les deux formules sont juridiquement équivalentes.

b) Alinéa 2

L'alinéa 2 a été profondément remanié en raison du fait que le seul titulaire du secret de fonction est le Conseil d'Etat. Il est en conséquence souhaitable que les échanges d'înformations entre les différents pouvoirs se fassent par l'intermédiaire des magistrats pour éviter tout risque de dérapage comme se fut le cas dans l'affaire des fiches au plan fédéral où la Confédération s'adressait directement aux fonctionnaires cantonaux pour obtenir les renseignements auxquels elle avait droit.

Il a en outre semblé judicieux à la commission de déléguer cette tâche au département concerné pour des questions de gain de temps. Il s'agit en fait d'une codification de la pratique actuelle.

Al. 2

Les demandes de renseignements et d'auditions sont adressées par écrit au chef du département. Elles précisent la nature des renseignements demandés.

Cette nouvelle teneur a été adoptée par 9 voix contre 3 voix.

c) Introduction d'un nouvel alinéa 3

Afin de bien préciser la portée et l'étendue de la nouvelle disposition un alinéa 3 a été introduit qui précise:

Al. 3

Tout document qui s'avère inutile est restitué immédiatement au département.

Cet alinéa a été adopté à l'unanimité.

3. Conclusion

Le projet de loi amendé qui vous est proposé marque une volonté d'améliorer et d'accélérer les procédures tout en prenant en compte le respect de la sphère privée. Même si cette proposition n'établit pas une réciprocité totale entre les diverses administrations ce qui exigerait la modification de l'art. 335 LCP, il vise à améliorer la transmission de renseignements et contribue ainsi à une meilleure efficacité de la justice.

C'est en conséquence à l'unanimité moins deux abstentions (l MPG, l L) que le présent projet de loi amendé a été adopté par la commission judiciaire et nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir en faire de même.

ANNEXE I

ANNEXE II

ANNEXE III

Premier débat

Mme Françoise Saudan, rapporteuse. Je voudrais apporter une correction en page 6, à la fin du quatrième paragraphe. Il faut le compléter comme suit : «comme le précisent expressément les articles 178, alinéa 2, et 181 du code de procédure pénale. Par ailleurs, l'article 178, alinéa 2, a fait l'objet d'un commentaire détaillé dans le rapport concernant les importantes modifications du code de procédure pénale adoptées par notre Grand Conseil le 17 mai 1990 (Mémorial 1990, page 1952 et suivantes).»

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Le travail en commission a démontré le débat important qui devait s'instaurer entre deux volontés : celle d'accroître l'efficacité de la justice et celle de conserver au secret de fonction, le secret fiscal en particulier, toute sa valeur. La commission judiciaire est parvenue à un bon accord de synthèse. Je n'ai rien à ajouter au rapport très clair de Mme Saudan.

Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

LOI

modifiant la loi générale sur les contributions publiques

(Secret de fonction)

(D 3 1)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit:

Exception en cas de poursuite pénale

Art. 347 A (nouveau)

1 Le département fournit au Ministère public et aux juges d'instruction tous les renseignements utiles à la constatation d'infractions et à la recherche de leurs auteurs dans le cadre d'une poursuite pénale.

2 Les demandes de renseignements et d'auditions sont adressées par écrit au chef du département. Elles précisent la nature des renseignements demandés.

3 Tout document qui s'avère inutile est restitué immédiatement au département.