République et canton de Genève

Grand Conseil

M 929
5. Proposition de motion de Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Fabienne Bugnon, Philippe Schaller et Dominique Belli concernant l'introduction progressive d'une «pédagogie des valeurs». ( )M929

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- l'article 4 de la loi sur l'instruction publique;

- la plaquette éditée par le département de l'instruction publique, s'intitulant: «L'an 2000, c'est demain, où va l'école genevoise ?»;

- la nouvelle montée du racisme, du nationalisme, de l'intégrisme;

- la difficile construction de l'Europe sur fond de crise économique;

- le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil, du 13.09.1991, sur la pétition «Ecole et développement» de la Jeunesse étudiante chrétienne, Genève. (P 694-B)

- la motion M 905 sur la violence en milieu scolaire,

invite le Conseil d'Etat

- à étudier la possibilité de mettre en place progressivement au sein de l'école genevoise, tous degrés et types confondus, une pédagogie dite «pédagogie des valeurs».

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'école est un lieu de vie et d'apprentissage, elle ne peut donc pas se couper de l'univers social et fonctionner dans un univers clos. Elle doit s'ouvrir au monde en évitant de suivre des modes ou de céder à des groupes de pression. Elle doit donc impérativement se définir, trouver une identité propre, un état d'esprit.

Cette identité est définie dans des textes officiels comme l'art. 4 de la LIP:

«l'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun:

(...)

d) de rendre chaque élève progressivement conscient de son appartenance au monde qui l'entoure, en développant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération»

ainsi que dans la plaquette «L'an 2000 c'est demain, où va l'école genevoise ?»

«Aujourd'hui, plus que jamais, elle doit favoriser chez chacun le développement de l'identitié dans la diversité, l'ouverture à l'autre et l'enracinement dans une collectivité cantonale et nationale sans enfermement ni exclusion. Elle doit contribuer à développer la tolérance à l'égard des minorités, des immigrés, des réfugiés et favoriser l'ouverture aux cultures...» (p. 9).

Les grands principes qui fondent l'éducation sont clairement connus:

la solidarité, l'esprit critique, la tolérance, la coopération, la responsabilisation, le respect, sont autant de valeurs qui esquissent un modèle de société. L'école a dans ce sens un rôle primordial à jouer. Cependant ces valeurs ne s'enseignent pas en tant que telles, elles ne peuvent être l'objet d'un cours, d'une discipline spécifique. Les manuels ne contiennent pas d'exercices dans ce sens. Le seul moyen de les transmettre est de les vivre et de les faire vivre. La classe, microcosme de la société, permet de partager une expérience sociale, de donner à ces valeurs la possibilité d'émerger, d'exister, de se charger de sens. Comment est-il possible d'orienter une action éducative qui tende à développer les valeurs de tolérance, de coopération, de solidarité, si préalablement la question n'est pas posée de savoir ce qu'est la tolérance, la coopération, la solidarité, dans l'institution, dans la classe ?

Comprendre pour mieux agir. Se responsabiliser pour ne pas accepter le racisme comme une fatalité, la faim comme l'affaire des autres, la dégradation de l'environnement comme une fatalité. Etre soi-même pour être avec les autres, première étape pour un monde plus solidaire, pour agir en tant que citoyen responsable, libre de ses jugements et conscient de ses choix. Pour cela, il ne suffit pas de donner aux jeunes quelques «cours de tolérance et d'ouverture», il ne s'agit pas d'en faire une discipline à part, mais bien de concevoir une école qui doit être LE LIEU où l'on apprend à respecter, à écouter, à faire preuve de tolérance et de responsabilité, en mettant en place une pédagogie de la solidarité, une pédagogie des valeurs. Le DIP n'est bien sûr pas resté inactif dans ce domaine. Avec l'appui notamment de la Déclaration de Berne, de l'Ecole Instrument de Paix, de l'UNICEF, etc, et sur l'initiative de quelques enseignants, les élèves des écoles genevoises ont pu suivre un certain nombre d'activités pédagogiques d'éveil à la solidarité. Mais au vu de l'actualité et de l'évolution de notre société, ces actions ponctuelles nous semblent aujourd'hui insuffisantes. (La réflexion en cours appelée «Formation Equilibrée des Elèves», FEE, apportera peut-être quelques éléments nouveaux dans ce domaine, mais aucune concrétisation ne semble se dessiner à l'horizon pour l'instant).

Conclusion

Le monde balance entre l'indifférence et l'intolérance. Refus de s'écouter, de se parler, de se respecter, d'échanger. De plus en plus nous assistons à un repli sur «soi», à un refus de l'autre pour ce qu'il est, ce qu'il fait, ce qu'il pense. Que faire? L'école peut-elle, doit-elle jouer un rôle dans la prise de conscience de ces différentes réalités ?

Nous croyons fermement que la réponse est positive et c'est pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accueillir favorablement cette motion.

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Lors de notre dernière séance, nous avons longuement évoqué le triste et grave problème de la violence à l'école. Le manque d'instruction civique dispensé aux jeunes a été également soulevé.

J'avais alors expliqué que si des cours sur ce sujet ne pouvaient être que positifs, ils n'étaient cependant pas suffisants, car ils devaient s'accompagner d'une pédagogie globale. L'enfant ne pourra pas être respectueux, conscient de ses propres responsabilités dans la construction de son entourage immédiat et du monde, conscient aussi des possibilités de choix qui lui incombent, s'il ne reçoit que des cours cloisonnés, un peu comme des casiers qui s'ouvrent pendant une heure pour enregistrer des mathématiques, puis la non-violence, puis l'allemand, et ainsi de suite. Il faut que l'école soit un lieu dans lequel toutes ces valeurs sont omniprésentes.

A la motion sur la violence, Mme Brunschwig Graf avait d'ailleurs très justement répondu qu'il était important de travailler dans le cadre de la formation continue des enseignants, afin de leur donner les moyens d'enseigner dans ce sens. Il en va de même, bien évidemment, pour cette proposition de motion encourageant l'introduction progressive d'une pédagogie des valeurs à l'école.

Aujourd'hui, les signes de repli et d'égoïsme autour de nous sont inquiétants et l'école ne doit plus se fonder sur la seule raison encyclopédique, mais aussi sur la paix, la tolérance, la solidarité et la responsabilisation. L'avenir des jeunes et du monde ne se construira pas que sur le savoir, mais aussi dans l'apprentissage de ces valeurs. C'est pourquoi nous vous demandons, par l'intermédiaire de cette motion - même si des efforts ont déjà été entrepris dans ce sens - de nous engager encore un peu plus sur le chemin d'une école de l'humanité.

Enfin, concrètement, nous proposons le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'enseignement, afin qu'elle y soit traitée conjointement avec la motion concernant la violence à l'école.

M. Dominique Belli (R). Récemment dans cette enceinte, nous avons accepté deux motions importantes pour le monde de l'enfant, celle relative à l'enfance maltraitée et celle concernant la violence en milieu scolaire, dont j'ai eu un exemple frappant cette semaine - si j'ose dire - avec un bras cassé !

Il semble clair pour chacun d'entre nous que, dans ce domaine encore plus que dans d'autres, la prévention aura un rôle prépondérant à jouer. D'ailleurs, Mme Brunschwig Graf s'est très justement exprimée récemment dans ce sens, en demandant de pouvoir examiner les motions dont je viens de parler en commission, pour pouvoir dégager un concept global dans cette direction.

La proposition de motion que nous vous faisons aujourd'hui se situe exactement dans cette optique. Il s'agit d'étudier la possibilité d'intégrer dans l'enseignement un comportement social où l'on apprenne à respecter la différence. L'apprentissage de l'écoute, de la tolérance et des valeurs humaines est à mon sens le garant d'un comportement ultérieur digne et intelligent, aboutissant à une prévention de divers comportements non acceptables et pourtant bien réels.

Le fait d'être capable d'écouter, de tolérer et de comprendre quelqu'un d'une culture ou surtout d'une idéologie différente de la sienne est la base même de la démocratie éclairée. Vous en conviendrez, notre parlement en est constamment un exemple vivant !

C'est dans cet esprit que nous avons déposé cette motion, dont je vous demande de soutenir le renvoi à la commission de l'enseignement, puisqu'elle pourra être traitée globalement avec les autres objets dans une optique de conception globale de l'enseignement.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Tout a été dit pour cette entrée en matière. Nous aurons l'occasion de nous exprimer davantage et de clarifier le terme de «valeurs». En effet, cela paraît simple, mais ça l'est moins lorsqu'il s'agit de le définir. Je rappelle que l'article 4 de la loi sur l'instruction publique en contient de très importantes. Il sera intéressant, en commission, de savoir ce que les auteurs en pensent et si nous devons dépasser ces définitions.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.