République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 17 juin 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 8e session - 23e séance
M 928
EXPOSÉ DES MOTIFS
En date du 18 septembre 1987, notre Grand Conseil adoptait un nouvel article constitutionnel, l'article 2A, consacrant aussi dans notre canton le pricipe de l'égalité des droits entre hommes et femmes et les obligations y relatives.
Le but de cet article n'est naturellement pas de rester un principe vain, mais d'appuyer des réalisations progressives en vue de cette égalité. Le Bureau de l'égalité en particulier a pour mandat de dynamiser ce travail.
Diverses mesures ont déjà été adoptées, nous pensons notamment aux mesures introduites à l'université, mais nous savons que de nombreuses inégalités subsistent. Ainsi s'agissant des salaires, les statistiques fédérales continuent de montrer des écarts importants entre hommes et femmes. D'autres faits empiriques sont connus, notamment en matière de moyens de prise en charge des tâches éducatives, etc.
Cependant, il n'existe aucune photographie complète et fiable de la situation genevoise, permettant de montrer l'état réel de la situation, les efforts encore à entreprendre et de manière générale d'évaluer l'efficacité de la politique déjà mise en place.
Pour ces motifs, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer la présente motion au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Le 14 juin 1981, le peuple suisse a accepté l'article constitutionnel consacrant l'égalité entre hommes et femmes dans notre loi fondamentale. La même année, la motion 143 a été déposée au Grand Conseil, pour demander au Conseil d'Etat de dresser un inventaire complet des inégalités juridiques entre hommes et femmes figurant dans la législation genevoise et de proposer les modifications nécessaires pour rendre ces textes conformes à la Constitution fédérale.
En 1984, le Conseil d'Etat a fait un rapport assez complet qui dressait la liste des lois dans lesquelles il fallait enlever des discriminations. Dans le même temps, le Grand Conseil avait accepté la motion 278 qui est la base du bureau de l'égalité, tel que nous le connaissons. En 1987, le peuple genevois a adopté l'article 2 A de la constitution genevoise qui consacre, au niveau cantonal, le principe de l'égalité entre hommes et femmes. La même année, le bureau de l'égalité a été institué et avec lui une commission consultative concernant ces questions. En 1989, ce même parlement a adopté une loi sur l'université, progressiste en matière d'égalité, loi citée comme exemplaire même dans des cours de droit dispensés dans d'autres universités suisses.
Au niveau de l'approche juridique, le canton de Genève est donc exemplaire. Il a fait un travail conséquent et intéressant. De plus, un portrait statistique de la situation des femmes à Genève est sorti en février 1988, basé sur le recensement populaire de 1980. Un nouveau portrait statistique est en préparation, basé sur le recensement de 1990.
A notre avis, l'inégalité entre hommes et femmes a deux aspects. D'une part, l'inégalité des droits dans la législation et, d'autre part, l'inégalité dans les faits, dans les grands domaines que sont la famille, la formation, le travail et le chômage, les rapports sociaux entre les sexes, notamment en ce qui concerne la violence.
Nous aimerions aborder ce deuxième aspect aujourd'hui. Au niveau suisse, nous avons l'impression que l'article constitutionnel sur l'égalité est plus utilisé en défaveur des femmes qu'en leur faveur. Il s'agit d'une égalité dans le malheur, alors que l'humanité aspire plutôt au bonheur. Pensons à l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes. Le Conseil d'Etat a décidé la semaine dernière - et cela malgré une pétition signée par plus de 40 000 citoyens et citoyennes et malgré une manifestation à Berne - de relever l'âge de la retraite des femmes, alors qu'elles ont toujours et encore des salaires d'environ 30% inférieurs à ceux des hommes et qu'elles se retrouvent largement seules pour assumer la double charge des activités familiales, ménagères et du travail non rémunéré dans notre société.
Au niveau genevois, nous pensons que plus personne ne conteste aujourd'hui qu'il y a des domaines de la vie sociale et professionnelle dans lesquels les femmes rencontrent des difficultés considérables. Celles-ci sont d'autant plus grandes que la conjoncture économique est défavorable. Les motionnaires désirent une photo complète et fiable de la situation genevoise en matière d'égalité. Il s'agit de dresser un bilan de la vie sociale, via une «problématisation» des chiffres. Plusieurs études sur la situation des femmes par domaine spécifique ont déjà été élaborées par le bureau de l'égalité, mais nous aimerions qu'un état des lieux général sur la situation soit dressé, et cela sous la responsabilité du Conseil d'Etat. Une délégation du Conseil d'Etat étudie cette question depuis 1987, et il nous semble extrêmement important que le Conseil d'Etat fasse un rapport au Grand Conseil sur une tâche qu'il a acceptée en la déléguant.
En deuxième lieu, le Conseil d'Etat devrait proposer un plan d'action en suggérant des moyens pour pallier à un éventuel déficit, car nous sommes certaines qu'il y en a encore. Nous pensons notamment à une politique d'information et de sensibilisation de la population, afin de créer un climat favorable à l'égalité. L'Etat doit également montrer l'exemple en la matière en réfléchissant aux mesures qu'il peut prendre dans les domaines qui sont de sa compétence. Je pense, par exemple, à l'instruction publique, qui peut grandement influencer le changement des mentalités. Je me réjouis, par ailleurs, de lire le rapport concernant la motion sur les moyens pédagogiques non sexistes. Il serait également intéressant de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour tenir compte du travail effectué à la maison, lors d'engagement de personnel administratif. Ce ne sont que des exemples et nous sommes persuadés que vous pouvez nous proposer d'autres mesures.
Pour toutes ces raisons, nous vous prions de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mme Michèle Wavre (R). Il n'est pas nécessaire d'être une ardente féministe - je n'en suis pas une - pour s'inquiéter des progrès de l'égalité entre les hommes et les femmes, telle qu'elle est consacrée dans notre constitution genevoise.
Si des progrès notables ont été réalisés, comme l'a dit tout à l'heure Mme Roth-Bernasconi, dans la législation, si pour les fonctionnaires le principe : «à travail égal, salaire égal» est acquis depuis longtemps - nous avons un bureau de l'égalité efficace et dynamique - et si dans de nombreux domaines les choses bougent dans le bon sens, il semble bien que dans d'autres secteurs d'activités tout soit loin d'être satisfaisant. La situation paraît évoluer de façon inégale, lente et incertaine. Nous manquons d'éléments pour avoir une vision nette et précise de l'état actuel de la question, et, comme ces informations sont rares et lacunaires, le flou qui domine laisse largement place à la rumeur et à l'exagération. Ces dernières sont préjudiciables à la cause de l'égalité.
C'est pourquoi nous soutenons cette motion et demandons au Conseil d'Etat un rapport précis et complet sur la situation qui prévaut actuellement, ainsi qu'un catalogue des mesures qu'il compte prendre, pour faire du principe de l'égalité une réalité et non un article décoratif de la constitution ! Nous voudrions savoir ce qui reste à faire et pourquoi cela n'a pas encore été fait, de façon que le Grand Conseil, dûment renseigné, puisse prendre à son tour les mesures législatives qui s'imposent.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je remercie les quatre couples qui en toute égalité ont proposé cette motion !
Mme Roth-Bernasconi l'a rappelé, le peuple genevois, en 1987, se prononçait en faveur de l'inscription dans la constitution genevoise du principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes. Ce nouvel article donne pour mission au Conseil d'Etat, notamment, de promouvoir et d'encourager par des mesures concrètes l'égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines de la vie. Une des premières mesures que le gouvernement a d'ailleurs prise dans ce domaine fut la création du bureau de l'égalité en février 1987, qui s'est vu, par délégation du Conseil d'Etat, confier la mission de veiller à l'élimination des discriminations contenues dans la législation genevoise, d'effectuer des études et des enquêtes, de constituer une documentation, d'établir des données relatives à la condition féminine et aux questions qui concernent l'égalité entre les hommes et les femmes et d'informer la population sur l'ensemble des questions concernant l'égalité des droits entre hommes et femmes.
La situation en matière d'égalité des droits entre hommes et femmes a été documentée, notamment par des publications du bureau de l'égalité, sur des points précis : formations scolaire et professionnelle, situation professionnelle, paupérisation, violences conjugales et harcèlement sexuel sur les lieux de travail. Mais il est vrai que, par absence de photographie de la situation, il y a effectivement un manque qu'il faudrait combler. Mme Roth-Bernasconi a mentionné un document de 1984; c'est un rapport du Conseil d'Etat sur une motion concernant l'application de l'égalité des droits entre hommes et femmes. Il serait intéressant de réactualiser et de dresser le bilan des améliorations apportées à ce jour à notre législation cantonale. Elle a également évoqué, en ce qui concerne la réalité chiffrée, un document publié par l'office cantonal de la statistique «Les femmes à Genève : portrait statistique». Ces statistiques sont dépassées, puisqu'elles proviennent principalement du recensement fédéral de 1980.
Il nous semble, par conséquent, intéressant et utile de rendre compte de la situation dans ce domaine. Le bureau de l'égalité est en mesure de rassembler toutes les informations nécessaires, de dresser un état général de la situation en matière d'égalité et de formuler un certain nombre de recommandations. Je dois cependant mentionner que le bureau de l'égalité sera, comme tous les services de mon département, durement touché par les restrictions budgétaires. Il lui appartiendra donc de recentrer son activité, entre autres, sur la réponse à cette motion, de sorte que le rapport attendu ne doit pas l'être dans un délai trop bref.
Sous les réserves qui précèdent, le Conseil d'Etat accueille favorablement et volontiers cette motion.
Mme Claire Chalut (AdG). En lisant cette motion, je pense que le DMF a plus de chance que le principe de l'égalité entre hommes et femmes inscrit dans notre constitution. En effet, lorsque le DMF exige quelque chose, il l'obtient dans les meilleurs délais. Un exemple tout à fait au hasard : le F-A/18 !
Pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, on aurait pu penser, puisque cette égalité est inscrite dans la loi fédérale aussi bien que dans la loi cantonale, que nous aurions les outils d'analyse nécessaires sans avoir besoin de les réclamer, ce qui aurait permis d'aboutir à des faits concrets. Si je dis que le DMF a plus de chance que le principe de l'égalité, c'est pour vous rappeler que malgré les actions, tant au plan fédéral que cantonal, ce dernier n'est toujours pas appliqué.
Mieux, ne vient-on pas de voter au plan fédéral la retraite à 64 ans pour les femmes ? Merci du cadeau ! Au cours de ce vote, aussi bien au Conseil national qu'au Conseil des Etats, les députés, à l'exception honorable de quelques-uns, ne se sont pas montrés très progressistes en la matière; au contraire, leur décision a soulevé l'indignation populaire. Savez-vous que dès 40 ans une femme - c'est valable également pour les hommes - est déjà trop vieille pour trouver un emploi. Alors, que penser de la retraite à 64 ans ! Ce que l'on constate au plan fédéral vaut aussi pour le plan cantonal. Les inégalités face à l'emploi et les salaires sont encore bien trop nombreuses, comme nous le rappelle cette motion. Pour nous, la récession d'aujourd'hui ne saurait être un prétexte pour remettre indéfiniment au lendemain l'application de cet article 2 A de notre constitution. Cette manière de faire reviendrait à dire que l'on se permettrait de violer impunément les lois votées par le peuple. Il est maintenant urgent d'y mettre fin !
Ce sont les raisons pour lesquelles je vous invite à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
Egalité de droits hommes-femmes; plan d'action
- Vu une récente publication de l'Office fédéral de la statistique signalant que l'égalité entre hommes et femmes était loin d'être réalisée en Suisse, notamment sur le plan des rémunérations,
- vu le vote, par le Grand Conseil, le 18 septembre 1987, puis par le peuple, d'un nouvel article constitutionnel 2A, sur l'égalité de droits au plan cantonal,
- vu la nécessité de rendre compte de la situation à Genève sur le plan de l'égalité de droits et de son évolution,
LE GRAND CONSEIL,
désireux de veiller à une bonne application de l'article 2A,
invite le Conseil d'Etat à lui présenter un rapport sur :
1. L'état de la situation en matière d'égalité de droits entre hommes et femmes dans le canton de Genève;
2. Les mesures qu'il envisage de prendre ou de soutenir pour remédier aux déficits constatés;
3. Un plan d'action à plus long terme.