République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 19e séance
P 1026-A
En date du 16 février 1994, Greenpeace-Genève remettait la pétition suivante munie de 1250 signatures au Grand Conseil:
PÉTITION
«Sauvons nos arbres»
Première action de la Maison de l'environnement
Dans le courant de l'été 1994, 2 séquoias plantés entre 1872 et 1875 seront abattus; 2 platanes, 1 hêtre et 1 tilleul subiront le même triste sort.
Cela pour faire place aux voitures des usagers de la Maison de l'environnement.
Vous avez dit grotesque ?
Nous demandons que ce projet ridicule soit modifié afin de préserver ces arbres respectables. Si cela était impossible, nous demandons l'abandon pur et simple de la construction d'un tel parking. Les usagers de la Maison de l'environnement peuvent montrer l'exemple et utiliser les transports publics.
La commission a étudié l'objet de cette pétition lors de ses séances des 7 et 21 mars 1994, sous la présidence de M. Bernard Lescaze. Pour ce faire, elle a procédé aux auditions de MM. Philippe de Rougemont et Salvator Pitarch, représentants de Greenpeace, de M. Roger Beer, directeur du service des espaces verts et de l'environnement (SEVE) et de M. Claude Morel, architecte.
Pour le maintien des séquoias ou contre la construction du parkingde la Maison de l'environnement ?
On peut en effet s'étonner de la réaction aussi tardive des pétitionnaires, puisque l'autorisation d'abattage de ces arbres a été délivrée le 26 août 1991 et qu'elle a été prolongée jusqu'en 1995. Au cours de la discussion, il est assez rapidement apparu que le phénomène le plus préoccupant pour Greenpeace était la menace de voir arriver 210 voitures supplémentaires capacité totale du parking qui provoqueraient à elles seules l'émission de 840 tonnes de CO2 par an dans le quartier des Pâquis.
Selon les pétitionnaires, la construction du parking de la Maison de l'environnement risque de jeter le discrédit sur les organisations vertes, le PNUE, d'autant qu'il y aurait selon eux des solutions de rechange bien moins onéreuses et plus respectueuses de l'environnement. Et de citer l'exemple de cette grande firme bâloise qui a préféré offrir à ses employés un vélo et un abonnement aux CFF plutôt que de construire un parking. En l'occurrence, offrir un abonnement TPG aux employés de la Maison de l'environnement ne coûterait que 120'000 F et l'abonnement général pour tous les transports publics en Suisse que 525'000 F.
Il est évident que si l'on compare ces chiffres au coût devisé du parking 12 millions de francs cela peut donner à réfléchir !
Les pétitionnaires relèvent en outre qu'il existe des places de parking disponibles dans le quartier: le parking du Prieuré offre 40 places qui sont souvent inoccupées car trop chères; celui de l'église de la Trinité où 180 places sont disponibles pour les mêmes raisons. Pourquoi ne pas étudier la possibilité de les louer aux employés du PNUE ?
Les séquoias de l'esplanade du Palais Wilson
Revenons à ces deux arbres respectables. Soulignons au passage que la pétition «Sauvons nos arbres» vise à protéger six arbres: outre les deux séquoias, il y est fait mention de 2 platanes, 1 hêtre et 1 tilleul également appelés à disparaître. C'est quasiment déjà fait, car il n'en fut jamais question au cours des discussions et des auditions !
Censément plantés entre 1872 et 1875, ces arbres devront être abattus pour permettre la construction et l'accès au parking de la Maison de l'environnement. Désireux d'en savoir plus sur ces arbres, les membres de la commission ont entendu M. R. Beer, directeur du SEVE.
On compte 300 séquoias en ville de Genève (450 sur tout le canton), dont une grande partie date du siècle dernier. Ces arbres ont, pour la plupart, été plantés dans le cadre de l'exposition nationale en 1896. Le séquoia est un arbre robuste qui pousse très vite en pépinière; en quelques années, il prend de l'allure et son écorce un aspect adulte. Il s'acclimate bien à Genève, malgré le sol peu profond qu'il a pour s'enraciner: 2 mètres seulement alors qu'aux Etats Unis il trouve des sols profonds de 10 à 15 mètres ce qui pourrait expliquer sa longévité de 1000 à 2000 ans.
A Genève, un séquoia commence à montrer des signes de faiblesse vers les 100 ans. Pour avoir des arbres toujours en bon état, il faudrait en remplacer 4 ou 5 par an. On plante des arbres de 3 à 4 mètres ne posant pas de problème de reprise. 7 séquoias viennent d'ailleurs d'être plantés le long de la route de Meyrin.
M. Beer estime que les 2 séquoias du quai Wilson pourraient encore largement vivre une dizaine d'années. Pour les conserver au-delà, il serait nécessaire de faire un aménagement du sol. L'un des deux, celui qui est proche de la rampe d'accès du parking a souffert lors de l'incendie du Palais Wilson mais surtout dans son feuillage, l'écorce est encore bonne.
Pour terminer, M. Beer relève la nécessité d'informer la population lorsque des arbres doivent être abattus. Il cite le cas d'un cèdre du Liban vieux de 275 ans qui a dû être abattu pour des raisons de sécurité. Des explications ont été données aux habitants du quartier, qui ont ainsi pu comprendre les enjeux de l'opération à laquelle ils ont été invités à assister, sans que cela donne lieu à des manifestations d'incompréhension. Le même jour, un «jeune» cèdre du Liban d'une quarantaine d'années a été planté, assurant ainsi la relève!
Le parking de la Maison de l'environnement
L'audition de M. C. Morel, un des architectes mandatés par la Confédération pour la construction de la Maison de l'environnement, permettra finalement de faire le tour des questions: Pourquoi un parking sous la Maison de l'environnement ? Existe-t-il une alternative ? Peut-on sauver les séquoias et maintenir le parking ?
M. Morel présente aux commissaires le plan de l'aménagement de l'esplanade. Nous reviendrons plus loin et pour l'anecdote sur cette photo.
Le parking est une exigence de la Confédération et de la Société des hôtels Président. Il est conçu sur deux niveaux: 105 places au niveau supérieur sont destinées au Centre des congrès et 105 places à l'étage inférieur à la Maison de l'environnement. En fait, les clients sont demandeurs d'un nombre beaucoup plus important de places de parking.
300 à 320 fonctionnaires du PNUE occuperont les bureaux de la Maison de l'environnement. Il y aura donc 1 place de parc pour 3 personnes, ce qui est encore insuffisant aux yeux de la Confédération. Mais il n'est pas envisageable vu les coûts déjà très élevés d'augmenter la capacité du parking.
La construction du parking fait partie de l'ensemble des négociations. Dès le début, la viabilité du projet global a été conditionnée par sa construction.
Le plan en annexe permet de bien visualiser l'implantation des deux séquoias. Le plus touché par l'incendie est situé au niveau de la rampe d'accès au parking; l'autre en bonne santé est en plein sur l'emplacement du garage. Vouloir conserver ces arbres signifierait renoncer à la construction du parking en raison de l'espace occupé par leur surface racinaire. Maintenir les arbres et le parking n'est pas réaliste non plus, car leurs racines seraient inévitablement touchées et blessées lors des travaux et par conséquent leur viabilité mise en danger.
Par ailleurs, l'emplacement de la rampe d'accès au parking qui compromet la survie d'un des deux séquoias, est le seul possible. D'autres approches éventuelles auraient été moins pratiques et n'auraient de toute façon pas permis la sauvegarde de l'arbre.
Enfin, M. Morel apporte quelques précisions sur l'aménagement futur de l'esplanade. Il y aura 1,50 m. de terre au-dessus du parking, ce qui permet la plantation de grands arbres, mais pas de séquoias. Le concept général d'aménagement n'est pas encore arrêté, mais le paysagiste mandaté a imaginé la création d'un parterre végétal selon un dessin de Jacques Elysée Goss, l'architecte qui a conçu l'Hôtel National au début du siècle. Ce parterre pourrait également être minéral, dans le style d'un jardin japonais sec.
Enfin, les commissaires se sont fait préciser un point, qui sort peut être du cadre direct de la pétition, mais qui nous semble important: le bâtiment de la future Maison de l'environnement ne sera pas climatisé, contrairement aux assertions de certains.
Avant de conclure, revenons à la photo non datée, mais censée représenter le site en 1920 et sur laquelle on voit à peine trace des deux séquoias qui auraient été plantés entre 1872 et 1875 selon les pétitionnaires. Soucieux de vérité historique, les commissaires guidés par leur président historien, se sont livrés à de savantes déductions et en ont conclu que cette photo doit plutôt dater des environs de 1910. Dans ce cas, si ces arbres avaient été plantés en 1875 comme les pétitionnaires le prétendent, ils auraient dû être nettement plus visibles sur la photo. Ceci pour l'anecdote !
Conclusions
L'ensemble de la commission regrette que dans cette affaire, une information adéquate n'ait pas été diffusée auprès de la population.
L'enjeu est clair et l'intérêt évident. La construction de la Maison de l'environnement amènera trois cents emplois à Genève. Or, cette construction passe obligatoirement par la création d'un parking, ce qui implique l'abattage de deux arbres vénérables, auxquels certainement bien des Genevois sont attachés.
«Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas...»
C'est donc la raison qui a guidé la majorité des membres de la commission à voter par 10 voix pour, 1 contre (E) et 1 abstention (S) le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.
Nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'en faire de même.
DÉPLIANT
Débat
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Si cette pétition soulève la question de l'abattage des arbres, le vrai problème reste l'exigence de réaliser un parking lié à l'octroi de la subvention fédérale pour rénover le Palais Wilson, parking dont la mauvaise conception oblige à abattre des arbres centenaires. Il est absolument inconcevable d'imaginer qu'on nous impose cela sans aucune discussion. Ce sont des commissions parlementaires fédérales qui en débattent, qui votent, qui auditionnent les gens intéressés. Je ne peux pas imaginer que la Confédération qui, d'un côté, impose des ordonnances très sévères au canton en matière de taux de pollution de l'air et du bruit oblige - et cela sans débat - d'un autre côté, la réalisation d'un parking sous la Maison de l'environnement, en plein centre-ville, alors que Genève ne respecte déjà pas les mesures imposées par l'OPair.
Comment se fait-il que le Conseil d'Etat ne se soit pas battu pour obtenir d'autres solutions pour transporter les fonctionnaires concernés, comme, par exemple, l'utilisation des parkings avoisinants ou la distribution d'abonnements des TPG ? Je suppose que dans cette décision la société des Hôtels Président a eu beaucoup plus de poids que la Confédération ou que des considérations d'ordre écologique. D'ailleurs, les mêmes remarques pourraient être faites concernant la façon de rénover ce bâtiment. Une Maison de l'environnement devrait être un modèle type en matière de conception écologique de l'habitat, du style économie d'énergie, énergie solaire, matériaux respectueux de l'environnement, matériaux non polluants, etc.
Je ne pense malheureusement pas que ce sera le cas ! Je voudrais connaître quel est le véritable enjeu pour le Conseil d'Etat : réaliser une Maison de l'environnement dont le rayonnement pratique et théorique dépasserait nos frontières ou toucher des subventions pour fournir du travail aux entreprises genevoises ? On pourrait être honnêtes en répondant que ces deux objectifs sont intéressants, mais l'on pourrait au moins se battre contre une aberration telle que ce parking souterrain et engager des architectes qui ont des notions de construction et d'aménagement respectueuses de l'environnement !
Ma question subsidiaire, soufflée par un de mes collègues, est la suivante : en cas de surcoût et de dépassement du montant de la subvention, qui payera ?
Pour toutes ces raisons, nous proposons le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
Le président. La lecture d'une lettre de Greenpeace-Genève a été demandée. Madame la secrétaire, je vous prie de bien vouloir lire cette lettre.
Concerne : pétition 1026 : Sauvons nos arbres !
Madame, Monsieur,
L'abattage des arbres situés sur l'esplanade du Palais Wilson n'est pas une fatalité. Des solutions ne manquent pas pour sauvegarder ces arbres, faciliter les déplacements des futurs utilisateurs de la «Maison de l'environnement» et du Centre de congrès et éviter une congestion plus grande du trafic pendulaire dans le quartier des Pâquis :
- Une rapide enquête dans le quartier a permis d'évaluer à plus de deux cent dix le nombre de places de stationnement vacantes, parking de la Sainte-Trinité, parking du Prieuré. Ces places sont boudées par les habitants et pourraient être louées par le PNUE et le Centre de congrès.
- Une ligne de transports publics relie le Palais Wilson à la gare et au centre-ville. Des parkings d'évitement sont situés en périphérie de la ville reliée au centre par les CFF et les TPG.
L'abattage de ces arbres, dont deux séquoias plantés en 1872 et faisant partie intégrante du site, nous mène à la solution la plus coûteuse : 10,5 à 12 millions de francs, la plus enlaidissante pour le site, la plus contraire à l'esprit du PNUE et à sa mission.
Ce sera à partir d'actes concrets tels un aménagement responsable du Palais Wilson, future Maison de l'environnement, que Genève pourra prétendre au titre de «capitale de l'environnement».
A vous de jouer !
Mme Anita Cuénod (AdG). A titre personnel, je tiens à dire que je souscris à l'action de Greenpeace qui a pu - il faut le rappeler - mobiliser plus de mille deux cents personnes en 48 heures pour tenter de sauver ces deux séquoias centenaires. Ce sont deux symboles qui seront abattus pour faire place à un parking.
Quels funestes augures pour une maison de l'environnement !
M. Bernard Lescaze (R). La lettre qui vient d'être lue reprend les arguments des pétitionnaires. Or, si vous avez lu le rapport tel qu'il est sorti de la commission des pétitions, sous la plume de Mme Mascherpa, vous avez pu constater que les arguments avancés par les pétitionnaires ont tous été, d'une manière ou d'une autre, écartés, parce que non relevants. (L'orateur insiste sur ce dernier mot.) Nous en voulons simplement pour preuve la date de plantation de ces deux séquoias, dont le mauvais état n'est signalé nulle part - je vous rappelle que l'un d'entre eux a été gravement brûlé le 1er août 1987, lors de l'incendie du Palais Wilson. Ces séquoias n'ont pas du tout été plantés entre 1872 et 1875 comme on le prétend, puisque nous avons retrouvé dans la collection du Vieux Genève une photographie qui a dû être prise dans les années 1910, peut-être même au moment de la première guerre mondiale, et sur laquelle ces petits séquoias apparaissent comme de minuscules arbustes plantés à l'évidence quelques années auparavant. Vous savez, en effet, que les séquoias sont des arbres qui poussent rapidement.
Evidemment, une autre solution aurait été d'attendre encore un siècle ou deux et de faire, comme en Californie, un tunnel sous le tronc des séquoias ! Malheureusement, le Palais Wilson et sa restauration ne peuvent pas attendre autant de temps ! Il est tout à fait surprenant d'avancer l'argument des séquoias à propos de la Maison de l'environnement, alors que l'on sait depuis le début du dossier de restauration du Palais Wilson que ces arbres devront céder la place au parking. En effet, celui-ci n'a pas été prévu pour la Maison de l'environnement seulement, il était déjà prévu au moment où le Palais Wilson devait être transformé en centre de congrès et hôtel. Le Centre de congrès, d'ailleurs, continuera à se faire à côté de l'hôtel Président, et le bâtiment même du Palais Wilson, lui, changera d'affectation, et d'hôtel il deviendra Maison de l'environnement. Mais le programme en ce qui concerne le parking n'a pas varié.
On oublie un peu un dernier argument, c'est que, sans parking de deux cents places situé sous la Maison de l'environnement et le Centre de congrès, les voitures qui amèneraient les congressistes stationneraient dans le quartier des Pâquis. Or, les habitants des Pâquis, à plusieurs reprises, ont précisément demandé que leur quartier soit allégé d'un certain nombre de charges routières. C'est pour cela que, notamment, la Ville de Genève a fait fermer la place Chateaubriant et que le trafic a été en partie détourné sur le quai Wilson. Et tout d'un coup on voudrait, pour deux arbres dont l'un est brûlé et malade et qui, de toute façon...
Une voix. Arrête !
Une autre voix. C'est pas vrai !
Une autre voix. Faites-le taire !
Le président. Continuez, Monsieur Lescaze !
M. Bernard Lescaze. Monsieur le président, je souhaiterais pouvoir parler, mais si les conversations continuent, je prendrai tout mon temps !
Alors, nous sommes donc d'accord... (Eclat de rires général.) ...ces deux arbres ne sont pas sains - je le maintiens - après examen effectué par des gens compétents, même si certains ne voient pas combien ils ont été endommagés par l'incendie. D'ailleurs, les séquoias plantés en Europe ne peuvent pas atteindre la longévité des séquoias d'Amérique, chacun le sait. Je vous rappellerai - argument supplémentaire - que chaque année la Ville plante quelques séquoias. Ce ne sont donc pas des essences rares. Dans ces conditions, je crois que le bon sens veut que l'on prenne en considération les intérêts de la collectivité qui exigent que le Palais Wilson soit rénové, que le programme prévu depuis plusieurs années soit élaboré et que le parking soit réalisé.
C'est pourquoi, je vous invite à accepter les conclusions de la majorité de la commission des pétitions. (Applaudissements.)
M. Michel Balestra. Tu es nommé professeur honoris séquoias !
Mis aux voix, le préavis de la commission (dépôt sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) est adopté.