République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 18e séance
P 1016-A
Le Grand Conseil a reçu, en date du 2 décembre 1993, la pétition suivante:
PÉTITION
concernant Sebastian Hoyos
M. .
mandaté pour représenter cette assemblée auprès des autorités suisses, avec les pouvoirs qui lui ont été conférés le 4 novembre 1993 pour traiter de toutes les questions en relation avec la révision du procès dans lequel est impliqué le citoyen paranais Sebastian Hoyos,
et l'appui de 25 000 personnes, signataires au Brésil de la présente pétition, de députés et personnalités suisses.
Objet de la pétition
Ayant pris connaissance du rapport fait par M. le sénateur Almir Gabriel, sénateur fédéral pour l'Etat du Pará, après son voyage à Genève en juin 1993, au sujet de la procédure pénale dirigée contre M. Sebastian Hoyos à la suite du hold-up commis le 25 mars 1990 au préjudice de l'Union de Banques Suisses à Genève;
connaissant la longue tradition des droits de l'homme de la Suisse admirée au Brésil pour ses 700 années d'expérience démocratique;
sachant que M. Sebastian Hoyos, originaire de notre Etat, a consacré toute sa vie, depuis son plus jeune âge, à la lutte pour la protection des droits de l'homme et n'a cessé de s'engager aux côtés des plus déshérités pour promouvoir leurs droits,
- que ceux qui le connaissent sont unanimes à nous dire qu'il a toujours fait preuve d'une probité et d'une honnêteté sans faille et qu'il est habité d'un sens profond de la justice;
alarmés et inquiets d'apprendre que la procédure pénale dirigée contre M. Sebastian Hoyos n'a pas donné l'apparence d'un procès équitable et a été émaillée de nombreuses violations de ses droits, en particulier:
- que durant 2 ans le juge d'instruction a tu aux parties l'existence des contrôles téléphoniques opérés à la suite du hold-up et écarté des rapports de police du dossier;
- que toutes les requêtes de la défense visant à consulter les transcriptions des conversations téléphoniques pertinentes, notamment celles de M. Sebastian Hoyos lui-même, ont été rejetées;
- que durant une année entière la défense n'a pas été autorisée à consulter la procédure et que celle-ci n'a été numérotée qu'à la fin de l'instruction préparatoire, empêchant tout contrôle de sa régularité;
- que des inspecteurs de police genevois ont été enquêter en France sans mandat ni commission rogatoire et sans établir de procès-verbal ni de leur opération ni des dépositions des témoins entendus sur place;
- qu'un directeur de l'UBS, proche de certains acteurs de ce hold-up, et un employé de sécurité ont été associés à cette opération d'enquête préliminaire en violation du secret de l'enquête;
- que durant l'instruction préparatoire, de nombreux employés de l'UBS ont été entendus en l'absence des parties;
- que 3 ans et demi après le début de l'enquête, M. Sebastian Hoyos n'a toujours pas été confronté aux témoins entendus en France en présence des employés de l'UBS;
alarmés aussi par la durée de la détention préventive de M. Sebastian Hoyos, qui met gravement en péril le principe de présomption d'innocence;
enfin, choqués d'apprendre qu'à la suite de l'annulation par le Tribunal fédéral de sa condamnation, M. Sebastian Hoyos ne bénéficie plus aujourd'hui de l'assouplissement de son régime de détention, ni des congés dont il aurait pu bénéficier à Noël de cette année, ni des autorisations régulières de téléphoner à sa famille au Brésil, en particulier à sa mère très âgée, ni des facilités de visites qui lui étaient accordées antérieurement,
les pétitionnaires invitent très respectueusement le Grand Conseil
de la République et canton de Genève
à porter son attention sur les faits allégués qui constituent à leurs yeux des violations graves des droits de la défense et de la présomption d'innocence garantis par la constitution, la Convention européenne des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Brésil et la Suisse, à enquêter sur leurs causes et à agir en vue du respect futur des droits de Sebastian Hoyos.
N. B. 25 000 signatures
M. M. G. Bandeira
Avocat, député
et premier secrétaire
de l'assemblée législative
de l'Etat du Pará (Brésil)
Les travaux de la commission
La commission, présidée par M. Bernard Lescaze, a traité cette pétition les 10 janvier, 17 janvier, 7 février et 14 février 1994.
Elle a procédé à l'audition de M. le pasteur Philippe Reymond, aumônier à Champ-Dollon, de M. Jacques Vittori, membre du comité de soutien à M. Hoyos, et de Me Alec Reymond, défenseur de M. Hoyos.
Le pasteur Reymond et M. Vittori se sont dits convaincus de l'innocence de M. Hoyos, qui aurait été victime de circonstances contraires et de la malveillance des auteurs du hold-up. Me Reymond a renseigné la commission sur les développements judiciaires de l'affaire et l'état d'esprit de son client.
Les faits
M. Sebastian Hoyos, citoyen brésilien, est un opposant au régime de son pays qui, après maintes péripéties, s'est retrouvé à Genève. Il y était employé comme gardien-auxiliaire par l'Union de Banques Suisses, et c'est dans l'exercice de ses fonctions qu'il fut d'abord victime du hold-up perpétré contre cette banque le 25 mars 1990. Par la suite, le «cerveau» du hold-up l'impliqua dans l'affaire, le dénonçant comme complice et, de victime, M. Hoyos devint accusé. La Cour d'assises de Genève l'a condamné le 13 mai 1992 à sept ans et demi de réclusion. Après que M. Hoyos s'est pourvu en cassation et que le pourvoi a été rejeté, le Tribunal fédéral a, sur recours, cassé le jugement de la Cour de cassation. L'affaire devra donc être rejugée.
Depuis un an et demi, M. Hoyos était un détenu ordinaire, purgeant sa peine et bénéficiant de quelques assouplissements au régime pénitentiaire. De condamné, il est redevenu prévenu, à cause de la décision du Tribunal fédéral, et, en stricte conformité avec les règles du Code de procédure pénale genevois, il a vu ses conditions de détention s'aggraver.
Il est à noter que M. Hoyos a toujours nié toute complicité avec les auteurs du hold-up de l'UBS.
Ses amis se sont regroupés en comité de soutien, 25 000 de ses concitoyens brésiliens, emmenés par M. Gervasio Bandeira, député de l'Etat du Pará, au Brésil, ont adressé cette pétition-ci au Grand-Conseil.
Discussion
Pour l'heure, comme il a été dit plus haut, l'affaire est dans les mains de la justice genevoise. La commission des pétitions ne peut, ni ne veut donc vous recommander, Mesdames et Messieurs les députés, de prendre position dans ce cas précis. Ce serait une violation du principe de la séparation des pouvoirs, qui est un des fondements de notre démocratie.
La commission se refuse cependant à conserver par devers elle des pétitions en souffrance trop longtemps. Elle s'efforce d'examiner avec bienveillance chaque cas qui lui est soumis. Mais, surtout, la commission est soucieuse de témoigner aux 25 000 signataires brésiliens de cette pétition qu'elle a étudié leur demande, qu'elle a procédé aux auditions nécessaires, qu'elle s'est informée enfin de façon à se faire la plus juste idée possible de la situation de M. Hoyos. En l'occurrence, elle est d'avis que les droits de l'homme n'ont pas été violés et que les droits de M. Hoyos ont été entièrement sauvegardés.
Malheureusement, aller plus loin est, pour l'instant, impossible, en vertu des principes démocratiques qui régissent les rapports entre les différents pouvoirs dans notre pays.
La commission se plaît toutefois à espérer que le nouveau procès de M. Hoyos aura lieu le plus rapidement possible.
En attendant, elle vous suggère, Mesdames et Messieurs les députés, de déposer ce rapport sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement par 12 voix et par 3 abstentions.
RAPPORT DE LA MINORITÉ
Sous la présidence de M. Bernard Lescaze, la commission des pétitions a examiné durant plusieurs séances la pétition 1016.
A travers les témoignages de MM. J. Vittori (membre du comité de soutien à Sebastian Hoyos) et P. Reymond (pasteur à Champ-Dollon) et les explications juridiques de Me A. Reymond (avocat de M. Hoyos) les commissaires ont mieux pu appréhender la personnalité de M. Hoyos et vérifier les faits allégués par les pétitionnaires.
Qui est M. Hoyos ?
Il est né au Brésil, issue d'une famille modeste. Très jeune, il prend conscience de l'injustice sociale et se bat pour toutes les causes humanitaires liées à la pauvreté. Exposé par ses prises de position, il doit fuir son pays lors du coup d'Etat militaire. Après quelques années passées en Guyane, il est expulsé en direction de la France. Là, des amis l'aident à passer la frontière suisse et il arrive à Genève où il retrouve sa femme et ses enfants. Me Martin-Achard s'occupe de lui obtenir un permis de résidence. Dès lors, il travaille comme réceptionniste d'hôtel, dans des usines puis finalement à l'UBS comme transporteur de fonds durant plus de huit ans.
Accusation
Suite au hold-up du 25 mars 1990, M. Hoyos s'est vu emprisonner le 29 mai à Champ-Dollon. On lui reproche d'avoir participé à la préparation du hold-up en fournissant au «cerveau» de l'affaire un plan des alarmes indiquant la façon dont il fallait procéder pour les débrancher, de ne pas être intervenu au moment de l'exécution du hold-up et d'avoir accepté de se faire frapper par l'un des gangsters. (Depuis, M. Hoyos souffre d'une surdité partielle d'une oreille.)
En mai 1992, il est condamné à 7 ans et demi de réclusion pour brigandage.
Conditions de détention
M. Hoyos a séjourné à la prison de Champ-Dollon de mai 1990 à février 1993, date de son transfert aux Etablissements de la Plaine de l'Orbe en exécution de la peine. Compte tenu de son bon comportement, Sebastian Hoyos a bénéficié le 30 septembre 1993 d'une permission d'une durée de 4 heures à Orbe qui s'est bien déroulée. Transféré aux Etablissements de Bellechasse où il travaillait dans les champs et bénéficiait de nombreuses sorties dans le village accompagné d'un gardien, il aurait pu bénéficier d'un congé à Noël 1993 auprès de sa fille.
Mais à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral, il a été retransféré à la prison de Champ-Dollon dans l'attente d'un nouveau procès. Il redevient donc prévenu et par conséquent ne peut plus bénéficier des libertés dont il jouissait à Bellechasse en tant que condamné ! (Conformément au code de procédure pénale genevois.)
Auditions
Connaissant M. Hoyos de longue date, M. Vittori a très vite rejoint le comité de soutien formé par Mes Ziegler, Vibert et Martin-Achard. Ce dernier était très préoccupé par ce cas et pensait à une erreur judiciaire. Son épouse a rapporté devant le tribunal que le dernier mot de Me Martin-Achard avant de mourir a été «Hoyos».
M. Vittori a longuement parlé du système de sécurité de la banque dont il n'a jamais été fait mention au cours du procès.). Il s'est dit encore préoccupé pour la vie de M. Hoyos. (Ce dernier a été victime d'une agression en prison et n'a pas pu obtenir de certificat médical.) M. Hoyos a toujours contesté les accusations portées contre lui et clamé son innocence. De plus, aucune preuve matérielle de sa participation n'a pu être établie.
Le pasteur Reymond s'est dit surpris par la fragilité des accusations portées contre M. Hoyos, certains faits étant peu crédibles. Par exemple, il a expliqué que la condamnation repose sur les dires d'un de ses «complices», qui s'est rétracté par la suite. M. Hoyos ne connaissait pas le «cerveau» et c'est parce qu'il souhaitait que ses enfants fassent du sport que la seule rencontre eut lieu. Le jeune caissier, ami de M. Hoyos, l'emmena dans un club sportif dirigé par le «cerveau» (mari de la secrétaire du directeur des monnaies étrangères). Après la visite du club, M. Hoyos accepta de boire un café. Le caissier s'en alla un instant, puis M. Hoyos se retira définitivement. C'est alors que le «cerveau» réussit à convaincre le jeune de lui donner les codes, lui affirmant que M. Hoyos avait déjà fourni d'autres indications. Alors que ces gangsters corses n'ont jamais mentionné les noms de ces deux mouchards, qu'il est prouvé que le directeur des monnaies étrangères a des relations avec les Corses, toute l'accusation s'est centrée sur un coupable rêvé: réfugié politique brésilien, gardien auxiliaire.
Quant à Me A. Reymond, il a estimé que les droits de l'homme ont été violés conformément aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. Parmi la centaine de pages de recours de droit public, le Tribunal fédéral a retenu un des griefs pour casser le jugement et en a laissé de nombreux autres de côté. Pour lui, une détention de 3 ans et demi est inadmissible, le stade de la proportion étant largement dépassé; de plus, elle met en péril la présomption d'innocence. Quant aux conditions de détention, il a confirmé qu'après l'annulation du jugement, M. Hoyos s'est retrouvé en préventive et, comme c'est la règle à Genève, ses congés ont été supprimés, ses téléphones contrôlés.
Conclusion
Les commissaires ont pu prendre connaissance du recours adressé au Tribunal fédéral, ont reçu des documents du comité de soutien et, si chacun a pu exprimer ses sentiments personnels, aucun n'a pu clairement prendre position quant à des violations des droits de l'homme.
Si la commission n'a pas la compétence pour porter un tel jugement, elle a néanmoins le devoir de relever que cette affaire a démontré certains «dérapages» et qu'elle illustre les imperfections du code de procédure pénale genevoise (super-suspension d'un an, préventive de près de 4 ans, tri d'écoutes téléphoniques, etc.).
Le Tribunal fédéral en cassant le jugement genevois a reconnu un des dysfonctionnements de notre loi (jugement basé sur des témoignages indirects).
Il incombe à notre parlement de modifier les lois, c'est pourquoi la minorité vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, le renvoi de cette pétition à la commission judiciaire.
Débat
Mme Michèle Wavre (R), rapporteuse. Je voudrais simplement dire que M. Hoyos a demandé et obtenu sa mise en liberté le 10 mars dernier.
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S), rapporteuse. J'ai deux petites omissions à signaler dans mon rapport. A la page 6, à la fin du paragraphe concernant les conditions de détention, il faut lire : «Conformément au code de procédure pénale genevois.». A la page 7, deuxième paragraphe, il s'agit des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Mme Janine Hagmann (L). Il est évident qu'une pétition signée par 25 000 personnes nous interpelle. Le fait qu'un avocat, député et premier secrétaire de l'Assemblée législative de l'Etat du Pará, nous donne une leçon en nous disant que le procès de son protégé n'a pas donné l'apparence d'un procès équitable nous pose un problème. Je vous rappelle que le verdict du jugement de M. Hoyos a été décidé par un jury populaire. La commission des pétitions a auditionné plusieurs personnes, toutes solidaires de M. Hoyos. Il ne lui a pas été possible d'entendre l'avis de l'accusation.
Faut-il parler d'affrontement entre le politique et le judiciaire ? La séparation des pouvoirs est un principe démocratique régissant notre canton. Par respect et acceptation de ce principe, il n'est pas possible de renvoyer cette pétition à la commission judiciaire comme le demande le rapport de minorité, mais de la déposer sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.