République et canton de Genève

Grand Conseil

I 1895
10. Interpellation de Mme Elisabeth Reusse-Decrey : Enfant-argent ? Adoption-corruption ? Quels moyens de surveillance se donne le Conseil d'Etat ? ( )I1895

Le président. Vous avez la parole, Madame le député.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Merci, Monsieur la présidente. (Rires goguenards.)

Le président. Ça ne me fait même plus rire !

Une voix féminine. Il a dit «Madame la députée» ?

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Non, il a dit «Madame le député» !

La voix féminine sarcastique. Ça veut dire quoi ça ?

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. En préambule, j'aimerais rappeler quelques points essentiels pour moi dans le domaine de l'adoption.

Une adoption c'est avant tout une famille pour un enfant et non un enfant pour une famille comme on a trop souvent tendance à le croire. Une adoption c'est un drame, celui d'un enfant orphelin ou abandonné. C'est aussi souvent le drame d'un couple qui ne peut lui-même mettre au monde un enfant. Personne - je dis bien personne - n'a le droit de profiter de tels drames.

Une adoption c'est une histoire d'amour qui naît entre un enfant et une famille et personne, non plus, n'a le droit de s'enrichir avec une telle histoire. Une adoption, c'est une vie, un avenir en jeu et qui doit, plus que tout, répondre à des règles morales et éthiques : on n'achète pas un enfant. Une adoption, enfin, c'est la construction d'une personnalité, d'un être qui a vécu rupture, abandon et, peut-être, souffrance et nul n'a le droit de mettre cet avenir en péril en laissant s'installer la corruption dans ce domaine. Le jour où ce genre de scandale éclate sur les manchettes des journaux, chaque enfant, chaque adolescent adopté se posera immanquablement la question : «Ai-je été acheté, moi ? Combien ai-je été payé ?».

Voilà les quelques réflexions que je voulais soulever en préambule pour expliquer le pourquoi de mon inquiétude et le pourquoi de cette interpellation. J'aimerais dire au Conseil d'Etat que, depuis un certain nombre de mois, voire même plus d'une année, des bruits circulent à Genève concernant un bureau qui s'occupe d'adoption. J'aimerais dire au Conseil d'Etat que ce sont de futurs parents adoptifs, cherchant à adopter un enfant, et qui, choqués par les tarifs demandés par ce bureau - on parle de 15 000 à 20 000 F, avouez que ça fait cher la brassière dans laquelle arrivera l'enfant ! - ont renoncé à poursuivre leurs démarches avec l'aide de ce bureau. Mais, quand on est dans l'attente, on se tait par peur de mettre en péril la venue de l'enfant tant attendu.

J'aimerais dire au Conseil d'Etat que ce sont des parents qui ont adopté par l'intermédiaire de ce bureau qui témoignent de leur malaise face à certaines procédures et face à quelques avocats. Mais ils le chuchotent, car, s'ils souhaitent bientôt accueillir un deuxième enfant, il ne faut pas se mettre en conflit avec celles et ceux dont on aura besoin pour mener à bien cette nouvelle adoption. Petite parenthèse : je crois que nous n'avons pas le droit d'en vouloir à ces couples qui choisissent la loi du silence. Nous n'avons pas à juger de leur souffrance d'être sans enfant.

J'aimerais dire aussi au Conseil d'Etat que ce sont des hommes et des femmes de certains services de l'Etat, ainsi que des associations s'occupant d'adoptions internationales qui ont connaissance de filières douteuses utilisées par ce bureau mais qui ne peuvent intervenir. A tous les niveaux, il y a bien sûr la hiérarchie. Sont aussi au courant des organismes internationaux, particulièrement en ce qui concerne un pays d'Amérique centrale, mais qui ne peuvent rien faire, car il faut des preuves et personne ne veut les fournir.

Enfin, j'aimerais dire au Conseil d'Etat que même Berne a été alertée, mais, bien sûr, tout y est lent et la surveillance en matière d'adoption est uniquement de compétence cantonale. Alors les informations s'empoussièrent sur un quelconque bureau fédéral.

Voilà plusieurs mois que je réunis tous ces témoignages et tous concordent. Dès lors, je suis inquiète. Je crois qu'il n'y a pas d'intérêt personnel recherché par les personnes travaillant au sein de ce bureau, mais plutôt un «laissez-faire» permettant à des intermédiaires d'agir.

C'est pourquoi je souhaiterais demander au Conseil d'Etat qu'il me fasse savoir, d'une part, quels sont les moyens de surveillance et s'ils sont permanents, car cela est important aussi, et, d'autre part, quels sont les moyens que se donnent ces bureaux afin d'éviter d'en arriver à de telles situations.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. La spontanéité de la réponse montrait, Madame la députée, l'intérêt de la question et le voeu d'y répondre.

J'aimerais dire ceci à Mme la députée. Le Conseil d'Etat a les moyens d'agir pour autant qu'il connaisse les situations. Vous abordez ce problème par le biais d'une interpellation, mais je vous rappelle qu'il y a la possibilité d'aborder le département responsable et sa présidente en tout temps, ce que font certains citoyens de ce canton lorsqu'ils ont des problèmes. Ces problèmes ne devant pas être mis sur la place publique peuvent ainsi être examinés de manière confidentielle.

Le Conseil d'Etat doit surveiller les bureaux en question et aussi veiller à ce que ces bureaux ne pratiquent pas de tels tarifs et aient des contacts corrects avec les pays évoqués. Il a les moyens soit de demander à ces bureaux de supprimer ces contacts, soit, en dernier ressort, de leur retirer l'autorisation de pratiquer. Mais pour ce faire, toute intervention doit être étayée. Le problème, ce sont les rumeurs ou les bruits, alors qu'il serait plus simple, ce que je vous engage à faire dans les meilleurs délais et sous le couvert de la discrétion, de pouvoir donner à la personne de votre choix les informations que vous avez. Nous ne pouvons pas agir utilement si nous n'avons pas d'exemples précis donnés par des personnes précises.

Je comprends parfaitement que les parents que vous avez évoqués ne puissent pas venir directement pour des raisons qui sont humainement tout à fait compréhensibles. Mais pour faire cesser une situation dont vous avez connaissance et pour laquelle vous avez des preuves - et je le dis à ce Grand Conseil pour quelque dossier que ce soit - je préférerais nettement, au lieu de choisir la voie de l'interpellation, que vous me fassiez part, en toute discrétion, des problèmes qui surgissent pour que nous puissions les traiter. Vous n'avez pas officiellement mentionné le nom de ce bureau, nous avons pu le déterminer, mais nous n'avons pas connaissance des cas. De plus, je ne connais pas les fonctionnaires de mon propre département qui n'osent pas parler.

Je peux vous dire aussi que cela est fort regrettable, parce que, dans ce genre de circonstance, il serait beaucoup plus simple de pouvoir traiter le problème avec des éléments concrets. Encore une fois, Madame la députée, sous la forme qui vous conviendra, par la personne qui vous conviendra, je souhaite obtenir les renseignements ou que la personne qui traitera le dossier et opérera les contrôles les obtienne parce que, si la situation décrite est réelle, elle nécessite des interventions, mais nous sommes totalement démunis pour intervenir sur la base de bruits.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). A un moment donné, le choix se porte sur l'interpellation, parce que cette voie peut faire bouger les choses. Quant à avoir plus de précisions, il y a dans votre propre département, au sein d'un service, des rapports sur ces cas. Je pense que cette interpellation permettra peut-être de faire sortir ces rapports.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je crois qu'il n'est pas tout à fait correct d'imaginer qu'un département ne fonctionne que si des interpellations sont faites. Lorsqu'il y a la possibilité de poser des questions de différentes manières, lorsque, en tout temps, vous avez la possibilité d'interpeller le chef du département pour que le dossier soit traité, certaines voies sont plus adéquates. Je peux bien entendu consulter mes dossiers et demander le rapport, là où il s'est perdu, et découvrir quel est le fonctionnaire qui l'a égaré. Mais je crois qu'il aurait été plus sain que le département soit saisi de cette situation autrement, de n'avoir pas nécessairement à la traiter ici et sous cette forme, et que vous ayez une modeste confiance dans la volonté d'un chef de département de régler les problèmes qui le concernent ! (Applaudissements.)

Cette interpellation est close.