République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 17e séance
M 914
EXPOSÉ DES MOTIFS
En juin 1992, un groupe de travail, constitué à l'initiative du département fédéral de l'intérieur, déposait un rapport sur l'enfance maltraitée en Suisse.
Le mandat des experts se définissait comme suit:
«Le groupe de travail est chargé de présenter au Conseil fédéral un rapport qui renseigne sur les genres de mauvais traitements infligés aux enfants et sur l'ampleur du phénomène dans notre pays, et plus spécialement sur l'importance des sévices physiques, psychiques et sexuels que des enfants subissent dans leur famille. Les données seront recueillies auprès des divisions de pédiatrie des hôpitaux, des médecins légistes et des pédiatres.
Le rapport du groupe de travail doit également exposer et analyser les causes de ces mauvais traitements, c'est-à-dire leurs éventuelles relations avec la pauvreté, le chômage, l'alcoolisme, le divorce, l'urbanisation, les conditions de logements et l'isolement social.
Le groupe de travail est chargé de proposer des mesures propres à mettre fin aux mauvais traitements; à cet effet, il tiendra particulièrement compte des structures d'assistance auxquelles le public peut déjà faire appel dans les grandes villes et dans les cantons; il s'agit notamment des lignes de téléphones SOS et des services d'accueil d'urgence. L'attention se portera aussi sur la solution pacifique des conflits, la diminution des pressions socio-économiques, le lancement de campagnes d'information dans les médias et à l'école, ainsi que les mesures applicables au travail social, au monde du travail, en matière d'éducation, d'urbanisme et de construction de logements.»
Ce rapport préconisant toute une série de mesures et concluant à des recommandations générales et spécifiques pour mieux protéger les enfants des mauvais traitements, il apparaît important que les autorités cantonales prennent position à leur sujet.
C'est la raison pour laquelle je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer la présente motion au Conseil d'Etat.
Débat
M. Jean-Luc Ducret (PDC). J'ai sous les yeux le rapport final présenté au chef du département fédéral de l'intérieur par un groupe de travail qui a étudié le problème de l'enfance maltraitée. Je recommande à toutes les personnes intéressées par ce problème de se procurer auprès de la Chancellerie fédérale ce document remarquable. Il contient une foule de renseignements dont on pourra sans aucun doute tirer profit pour le traitement des motions précédentes. Dans le domaine de l'enfance maltraitée, chaque canton a été interrogé par le groupe d'experts. Toute une série de questions a été posée au sujet de la législation en vigueur, de l'équipement institutionnel, des recherches en cours ou à envisager concernant la prévention des mauvais traitements envers les enfants.
A ce titre, le document de travail du groupe d'experts posait, dans les années 90, la question suivante au gouvernement genevois : «A-t-on réalisé, dans votre canton, dans les cinq dernières années, des projets de recherche portant sur l'enfance maltraitée au sein de l'université, des écoles professionnelles, des organisations privées, etc. ? Pourriez-vous donner des informations à ce sujet ?». Le gouvernement répondait : «Un projet de recherche a été élaboré en 1984 par les professeurs Pasini et Ferrier avec la collaboration du service de la santé de la jeunesse. Ce projet a malheureusement été interrompu faute de ressources financières.». J'imagine que, depuis, les recherches ont été poursuivies et que le Conseil d'Etat sera à même de nous renseigner à ce sujet.
Les problèmes sont complexes. Pensons en effet aux mauvais traitements physiques et psychologiques infligés aux enfants, aux abus sexuels, à la violence en famille, aux séquelles à long terme des mauvais traitements, à la violence institutionnelle, à la violence structurelle liée à l'environnement, à la circulation routière, à l'utilisation des places de jeu, à la construction de logements parfois inadaptés, etc.
D'une façon générale, le groupe de travail constate que les autorités tutélaires doivent conserver leur position centrale dans le système de protection de l'enfant. Mais ce groupe constate également que l'application des mesures de protection de l'enfant présente des déficits non négligeables. Pour combler ces déficits, le groupe de travail fait de multiples recommandations, notamment à l'adresse des cantons.
Je vous demande dès lors de bien vouloir accepter cette proposition de motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.
Mme Fabienne Bugnon (Ve). D'une part, je suis très contente qu'on se préoccupe de l'enfance maltraitée. Actuellement, ce phénomène est un des pires de notre société. Il ne fait que s'aggraver en raison des conditions économiques qui plongent les parents dans le plus profond désarroi et qui transforment souvent l'enfant en bouc émissaire de tous les maux. Mais, d'autre part, je suis aussi très étonnée par l'absence de mémoire de mon collègue Jean-Luc Ducret, puisque, au cours de notre séance du 3 décembre 1992, le Grand Conseil avait déjà débattu de ce sujet lors de la proposition de motion que j'avais déposée avec notre collègue Hélène Braun et qui portait exactement le même titre.
Une voix. Il n'était pas encore là !
Mme Fabienne Bugnon. Il était là en 1992 ! Nous avions profité du dépôt du rapport d'experts auquel vous faites vous-même allusion pour demander à M. Föllmi d'indiquer au Grand Conseil combien de cas de maltraitance d'enfants étaient répertoriés à Genève et quelle en était la nature, d'inventorier les divers services, instances, associations, fondations ayant pour tâches de se préoccuper de ce problème sous l'angle psychologique, social, judiciaire, médical, d'évaluer quelle coordination existe, de présenter les différents types de formation dont disposent leurs collaborateurs, de dresser un bilan de la présentation aux élèves de notre canton de la pièce de théâtre «A bouche décousue» et, enfin, de définir, si besoin est, une politique cohérente en matière de prévention et de formation dans ce domaine.
Cette motion avait été adoptée par ce parlement, renvoyée au Conseil d'Etat et, depuis, elle fait malheureusement partie, avec ses nombreuses soeurs, des motions oubliées on ne sait où.
A l'époque, et vous pourrez le lire dans le Mémorial de la séance, M. Föllmi nous avait rappelé brièvement les moyens d'intervention dont dispose le département de l'instruction publique pour faire face au drame de l'enfance maltraitée, du moins en ce qui concerne les cas déclarés, car je vous rappelle qu'ils ne sont que la pointe de l'iceberg.
M. Föllmi s'était également engagé à prendre connaissance du rapport d'experts et à nous faire lui-même un rapport qui comprendrait également l'évaluation du spectacle «A bouche décousue» qui avait été présenté dans les écoles genevoises. A ce jour, aucun rapport du Conseil d'Etat ne nous est parvenu.
Votre motion, si elle n'apporte pas de questions nouvelles, aura peut-être le mérite de faire resurgir la motion 833 et la nouvelle cheffe du département de l'instruction publique pourra, je l'espère, nous informer sur les raisons pour lesquelles nous n'avons toujours pas obtenu ce rapport.
J'ose également dire que, si cette motion n'est pas nouvelle, le sujet est toujours plus d'actualité. Il semble, à lire la presse, qu'il y a quelques problèmes au niveau du service de protection de la jeunesse. Je pense que tant à travers cette proposition de motion que dans sa réponse à l'interpellation urgente de Mme Charrière Urben, Mme Brunschwig Graf pourra nous donner quelques explications, et je l'en remercie d'avance.
M. Dominique Belli (R). J'ai pris connaissance avec intérêt du projet de motion de notre collègue Jean-Luc Ducret sur un phénomène que je connais malheureusement bien, celui de l'enfance maltraitée. Ce problème doit provoquer chez nous tous une très grande inquiétude, car il est nettement plus grave que peuvent l'imaginer la plupart des députés dans cette salle.
A ce titre, le travail fédéral - que je connais parfaitement bien - est très bien fait et je pense effectivement qu'il est d'un intérêt primordial pour chacun d'entre nous d'en prendre connaissance en détail. Je suis certain que le Conseil d'Etat en connaît déjà l'existence.
J'en suis certain parce que, comme le relevait tout à l'heure Mme Brunschwig Graf à propos d'une autre motion, cette motion a de grandes faiblesses, puisqu'elle n'intègre pas la situation actuelle à Genève. En effet, les députés de ce Grand Conseil doivent savoir ce qui se passe à Genève et, suite à la motion antérieure, un travail de fond a déjà été effectué à Genève et a abouti à un rapport qui, j'en suis certain, sera communiqué très prochainement à ce Grand Conseil.
Par ailleurs, il y a eu création d'une structure qui s'appelle le CAN team - pour l'expression anglaise Child Abused And Neglected qui n'a pu être traduite en français - qui réunit des juges, des éducateurs, des personnes du milieu médical, des assistants sociaux, etc. Cette structure fait un travail formidable. J'entendais dire tout à l'heure qu'il n'y avait pas de projets de recherche à Genève, mais je ne suis pas de cet avis. Il y a des projets de recherche. En 1992 et en 1993, le CAN team a présenté ses résultats à la société suisse de pédiatrie.
Grâce à ce CAN team, nous savons qu'il y a plus de cent cas par année d'enfants maltraités à Genève, et je pense que les députés de ce Grand Conseil doivent absolument le savoir. Le phénomène est suffisamment important.
En conséquence, je trouve effectivement que la deuxième invite de cette motion semble pratiquement caduque et je pense que Mme Brunschwig Graf le confirmera tout à l'heure. Malgré cela je pense qu'il faut soutenir le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat puisqu'elle sera un rappel éventuel du problème de l'enfance maltraitée à Genève et en Suisse.
Pour terminer, je voudrais souligner que j'ai été extrêmement déçu ce soir de voir dans cette assemblée, lorsque nous parlons d'enfance et surtout d'enfance maltraitée, autant de personnes faire du bruit et se livrer à d'autres activités. Je trouve cela très regrettable, car la jeunesse est notre avenir et l'enfance maltraitée mérite mieux que notre indifférence. (Quelques applaudissements.)
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je ne crois pas avoir à vous dire les raisons pour lesquelles il n'a pas été répondu à la première motion sur l'enfance maltraitée (M 833). Cela m'intéresse assez peu. Qu'on y réponde m'intéresse davantage, tout comme d'ailleurs à la plupart des motions, résolutions, questions écrites qui ont été adressées à mon département. J'ai demandé qu'on fournisse une réponse d'ici fin juin à celles demandant peu de recherches ou dont les recherches étaient déjà très avancées et qu'on réponde aux autres pour la fin septembre. C'est donc une politique générale qui concerne l'ensemble des dossiers qui ont été déposés au département de l'instruction publique, quelle que soit leur date de dépôt.
La motion 833 était d'ores et déjà ressortie des tiroirs. Elle avait déjà fait l'objet de diverses analyses et il est vrai, comme l'a dit M. Belli, que les services concernés ne sont pas restés inactifs depuis. Il est d'ailleurs fort dommage qu'on ne vous ait pas répondu, car vous auriez pu vous en rendre compte.
Je vous propose donc, comme pour la motion précédente, que cette dernière motion soit intégrée à un rapport global qui sera probablement terminé d'ici fin juin et que vous pourrez traiter vraisemblablement à la session de septembre. Nous pourrons ainsi faire le tour de la question en tenant compte des derniers éléments et en montrant aussi bien les efforts faits que les difficultés rencontrées.
J'ajouterai, comme cheffe du département, que je n'aurais pas pu rester insensible à ce sujet, car il m'est donné trop souvent, malheureusement, de devoir signer des autorisations de témoigner pour des enseignants, des assistants sociaux et d'autres personnes censées aider la justice lorsque les maltraitances sont connues et donc susceptibles d'être sanctionnées.
Sans dramatiser les chiffres, c'est une réalité. J'ajouterai que l'amélioration et la transparence de communication de notre système font aussi que l'on connaît plus facilement des faits qui, jusqu'ici, étaient souvent cachés. Donc, dans l'évaluation des cas, il faut pondérer les chiffres en fonction de ces éléments, car il ne s'agit pas non plus de créer une impression exagérée d'un phénomène, certes grave, mais qui doit être traité avec discrétion et avec l'aide de tous les partenaires concernés.
Enfin, j'ajouterai, comme pour la motion précédente, que les enseignants sont concernés au premier chef et qu'il est important qu'ils soient, eux aussi, formés à ce type de problème, car l'une des difficultés que nous rencontrons consiste non pas à détecter la maltraitance évidente, mais la maltraitance larvée, celle qui n'est pas accompagnée de gestes suffisamment clairs ou de dégâts suffisamment évidents pour que, spontanément, on passe à la dénonciation. Dans ces cas aussi, les problèmes sont extrêmement graves et exigent d'être dénoncés, car entre le respect de la personne, de ses collègues, de l'entourage, des parents et la gravité ou la gravité supposée de certains cas, il faut mettre l'enfant au centre des préoccupations et non pas les autres éléments. Ce pas n'est pas toujours fait et ce n'est pas toujours facile à faire. Il faudra aussi prendre en compte cette problématique dans le rapport qui vous est destiné.
Je vous remercie de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, et vous avez mon engagement, comme pour les autres objets qui concernent mon département, qu'elle sera traitée dans les délais que je vous ai annoncés.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
concernant l'enfance maltraitée
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le rapport du groupe de travail consacré à l'enfance maltraitée en Suisse;
- les conséquences qui peuvent être tirées des conclusions de ce rapport sur l'état de ce phénomène dans le canton de Genève,
invite le Conseil d'Etat
- à prendre connaissance de ce rapport;
- à présenter à son tour un rapport indiquant l'état du phénomène à Genève, ainsi que les mesures, législatives au besoin, qui peuvent être prises sur le plan cantonal et en collaboration avec les communes pour prévenir et traiter les situations de mauvais traitements envers les enfants.