République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 16e séance
I 1892
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Le titre de mon interpellation pouvait laisser croire que j'allais demander à M. Ramseyer si la loi fédérale sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers serait appliquée dans notre canton, et de quelle manière elle le serait.
Mais, depuis le dépôt de cette interpellation, la situation a quelque peu évolué et un référendum a été lancé contre cette loi fédérale. Mon parti soutient ce référendum. J'espère donc, avec tous les autres référendaires, que la question posée dans le titre de mon interpellation n'aura jamais lieu d'être posée.
Cela dit, j'ai tout de même souhaité maintenir mon interpellation parce qu'il m'a semblé nécessaire de profiter du lancement de ce référendum pour faire le point sur la situation actuelle à Genève, six ans après la mise en vigueur des lois d'application des lois fédérales sur l'asile et sur le séjour et l'établissement des étrangers.
En effet, je vous rappelle que le 18 septembre 1987, le Conseil d'Etat proposait un projet de loi en deux volets. L'un concernant l'application de la loi fédérale sur l'asile, et l'autre l'application de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers.
Envoyé dans une commission ad hoc, ce projet de loi a fait l'objet d'un premier rapport. Le volet se référant à la loi sur l'asile a été adopté par le Grand Conseil, le 18 décembre 1987, alors que la loi concernant le séjour et l'établissement des étrangers a été renvoyée en commission, notamment parce qu'elle faisait l'objet de critiques importantes et de nombreuses propositions d'amendement.
Après un certain nombre de nouvelles séances, et grâce aux propositions constructives de notre ancien collègue, Robert Cramer - je ne fais que citer le rapport de Mme Vali - une solution de compromis a été soumise à la séance du Grand Conseil du 16 juin 1988, sous forme de deux nouveaux rapports, et la loi sur l'application de la loi fédérale sur l'établissement et le séjour des étrangers a pu ainsi être votée dans son ensemble.
Si, à l'époque, cette loi avait suscité tant de discussions chez les députés, c'est principalement parce que le nouveau principe, inscrit dans la loi fédérale, qui consistait à procéder à des internements administratifs, choquait la plupart d'entre nous. Nous nous demandions comment une telle loi pourrait être appliquée dans un canton comme le nôtre, extrêmement soucieux du respect des libertés individuelles. Pour preuve, il n'y a qu'à se référer à notre constitution et au grand nombre de dispositions qu'elle contient visant à protéger la liberté personnelle.
Cette introduction concernant la loi actuelle me paraissait importante pour pouvoir dénoncer le fait que, six ans après la promulgation d'une loi dure et restrictive concernant les étrangers, le Conseil fédéral en propose une nouvelle qui accentue, cette fois-ci de manière insoutenable, les restrictions de la précédente.
Je ne m'attarderai pas sur le contenu de cette nouvelle loi, votée par le Parlement fédéral le 18 mars 1994 et intitulée : «Loi sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers». La presse en a beaucoup parlé et je pense que M. Moutinot le fera dans son interpellation.
J'aimerais tout de même rappeler brièvement quelles sont les modifications principales et inadmissibles par rapport à la loi actuelle :
1) L'internement d'un étranger sera possible pendant la préparation de la décision concernant sa demande. Il pourra l'être sur simple conviction d'un fonctionnaire qui estime que l'étranger est susceptible de se soustraire à une éventuelle expulsion qui pourrait être prononcée à son égard.
2) Cet internement sera possible dès l'âge de quinze ans.
3) Cet internement pourra durer jusqu'à une année, répartie comme suit : trois mois lors de la préparation de la décision, trois mois pour exécuter la décision et six mois de prolongation s'il y a des obstacles à l'exécution de la décision.
On pourra donc enfermer dans notre pays, durant une année, des gens qui n'ont commis aucun délit, simplement parce que l'on devait examiner si l'on pouvait leur accorder un permis de séjour ou d'établissement, et cela, je le rappelle, dès l'âge de quinze ans. A titre de comparaison, un citoyen de notre pays de moins de dix-huit ans ayant commis un délit d'une extrême gravité, comme un homicide par exemple, ne peut être privé de sa liberté à titre de sanction pénale que durant une année, dans le pire des cas.
J'en viens maintenant à mes questions. Après six ans, j'imagine que l'on peut tirer un certain bilan de l'application des dispositions cantonales sur l'internement administratif, et, à cet effet, j'aimerais poser à M. Ramseyer, les questions suivantes :
Depuis la mise en vigueur de cette loi, le 15 août 1988; combien de personnes ont-elles été internées à Genève ?
Quelle a été la durée moyenne des internements qui ont été prononcés ?
Est-ce que cette loi fonctionne de manière satisfaisante ? M. Ramseyer pourra, je l'espère, nous donner ces réponses, puisque je les lui ai transmises préalablement.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. S'agissant des mesures de contrainte possibles à l'égard des étrangers, je rappellerai tout d'abord qu'elles existent déjà du fait du droit fédéral actuellement en vigueur.
La loi sur le séjour et l'établissement des étrangers prévoit la mesure d'internement d'une durée maximale de deux ans visant l'étranger indésirable qui mettrait gravement en danger l'ordre public par sa présence.
La mesure de mise en détention, en vue du refoulement, d'un étranger qui ferait l'objet d'une décision de renvoi exécutoire et qui voudrait se soustraire à son refoulement, ne pourrait durer plus de 48 heures sans faire l'objet d'un contrôle judiciaire et ne pourrait pas excéder trente jours.
A cet égard, je puis vous communiquer les chiffres suivants :
Le nombre de personnes internées à la demande de l'autorité genevoise par l'autorité fédérale est égal à zéro. Il n'y a jamais eu de cas semblables pour Genève. Les nombres de mise en détention, en vue du refoulement, sont les suivants : en 1990, 758; en 1991, 827; en 1992, 573; en 1993, 576; en 1994, pour quatre mois, 162.
Ces chiffres sont à apprécier par rapport aux vingt mille refoulements annuels qui ont lieu depuis les frontières genevoises. Dans 90% des cas, la durée de détention ne dépasse pas quatre jours. Dans 20% des cas, elle est comprise entre cinq et vingt-huit jours. Ces mises en détention concernent en permanence un nombre de cas restreints, de quinze à vingt en moyenne. Il s'agit, dans la règle, de cas pénaux. La mise en détention se fait sur la base d'une décision écrite, motivée et notifiée par écrit à l'étranger concerné et, le cas échéant, à son mandataire. Elle est contrôlée par le juge dans les 48 heures l'étranger concerné par la mise en détention peut être mis au bénéfice de l'assistance juridique.
Je constate que la pratique de mes services est satisfaisante. Elle n'a pas été critiquée jusqu'ici et mes services n'ont pas le souvenir d'une polémique à ce sujet.
J'en viens maintenant au nouveau droit fédéral. Je ne m'y étendrai pas trop, puisqu'il fait actuellement l'objet d'un référendum. S'il devait entrer en vigueur, il primerait le droit cantonal qui devrait, dès lors, s'adapter. Mais, Madame la députée, la question à se poser est de savoir si ce nouveau droit correspond aux besoins genevois.
Je vous réponds que ce nouveau droit ne correspond pas aux besoins genevois. S'il entre en vigueur, il élargira les possibilités de mise en détention et donnera plus de souplesse à l'autorité cantonale pour ce faire. Mais, justement, il ne fait que donner une possibilité laissée à l'appréciation de l'autorité cantonale. J'affirme ici que la pratique cantonale ne changera pas. Le recours à la mise en détention ne se fera, comme jusqu'ici, que dans les cas justifiés d'abus graves, et pour un nombre extrêmement restreint de cas.
La meilleure preuve de notre volonté de continuer à utiliser la mise en détention avec discernement est que le Conseil d'Etat n'a pas l'intention de construire une prison spécialement pour ce genre de cas. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de dire aux cantons romands qu'à mon sens chaque canton devait régler ses problèmes, et que Genève, en tous les cas, n'était pas favorable à la construction d'un établissement d'envergure romande sur son territoire.
Que se passera-t-il si le nouveau droit entre en vigueur ? Le Conseil d'Etat devra édicter un règlement d'application intermédiaire, comme la loi fédérale lui en fait le devoir, en attendant que votre Conseil vote la nouvelle loi d'application.
Ce règlement, qui sera édicté après consultation des représentants des parties concernées, sans oublier les oeuvres d'entraide, se tiendra aussi près que possible de la loi d'application raisonnable, actuellement en vigueur, que le Grand Conseil a votée en 1988.
Ensuite, le Conseil d'Etat prend l'engagement de soumettre à ce Grand Conseil, dans les meilleurs délais, le projet d'une nouvelle loi d'application qu'il soumettra également pour consultation aux organismes directement intéressés par la protection des droits de l'homme. C'est cette fameuse transparence qu'appelle de ses voeux M. Saurer, en faisant allusion à mon parapluie !
En conclusion, si le nouveau droit fédéral entre en vigueur, le Conseil d'Etat entend jouer la transparence dans la procédure d'adoption de la nouvelle législation sur les mesures de contrainte, transparence dans l'application qui serait faite de la mise en détention. Le Conseil d'Etat s'engage à faire appliquer avec retenue les nouvelles prescriptions fédérales et fera aussi en sorte que le respect des droits constitutionnels genevois et des conventions d'ordre général signées par la Suisse soit assuré. La politique genevoise en matière d'asile et à l'égard des étrangers doit rester ce qu'elle est, rigoureuse, libérale et humaine, mais aussi responsable et sans faiblesse. Telle est la position du présent Conseil d'Etat. Telle est également ma réponse à Mme Bugnon pour son interpellation, à M. Moutinot pour son interpellation 1893, ainsi qu'à l'interpellation urgente de M. Vanek Par ces propos, j'espère avoir traité des trois sujets qui m'étaient soumis.
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je remercie M. Ramseyer d'avoir répondu à mes questions. Nous prenons note avec satisfaction que, quoi qu'il arrive, il devance les futures questions. Nous espérons l'aboutissement du référendum, afin qu'il nous permette de corriger cette grave erreur du Conseil national, et nous avons entendu que le canton de Genève n'appliquera pas ce qui est prescrit par cette loi.
L'interpellation est close.