République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 16e séance
GR 51-1 et objet(s) lié(s)
8. Rapports de la commission de grâce chargée d'étudier les dossiers des personnes suivantes :
M. B. C. E. A., 1937, Genève, relieur, recourt pour une réduction de la peine de réclusion d'une année afin que la libération conditionnelle intervienne le 29 juillet 1994.
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse. Je vais vous présenter le deuxième recours en grâce de M. B. C. E. A., le premier ayant été refusé par le Grand Conseil en novembre 1992. M. Bois de Chesne est suisse, genevois et bâlois, âgé de 57 ans, relieur de profession, actuellement à la maison de réinsertion pour fin de peine en Argovie.
Condamné par la Cour d'assises de Genève en 1984 à dix-huit ans de réclusion, avec, comme principal chef d'accusation, la séquestration. Certainement que la plupart d'entre vous se souviennent de ce procès très médiatisé. En effet, l'affaire dans laquelle M. B. C. E. A. fut impliqué défraya la chronique. Il s'agissait de la séquestration, pendant près de 48 heures, de Mlle D. J., fille de D. F..
Cette affaire, infiniment regrettable, fut sanctionnée par une peine de réclusion de dix-huit ans. La commission de grâce a reconnu l'immense gravité des faits et à aucun instant n'a minimisé l'importance d'un acte aussi vil que la séquestration d'enfant.
Comment M. B. C. E. A. a-t-il pu en arriver là ? Pour que vous puissiez mieux cerner le cas, je vais vous en rappeler quelques éléments.
Né à Bâle, dans une famille de niveau socio-culturel élevé, M. B. C. E. A. a eu une existence facile, même si son père, médecin très occupé, lui manifestait peu d'intérêt. Après sa jeunesse, marié et père de trois enfants, il aurait voulu continuer à vivre l'existence assez dorée qu'il avait connue. Son emploi de cameraman à la section de télévision du cycle d'orientation de Genève, de 1973 à 1983, exercé à 60%, ne le lui permettait pas.
Il a donc commis différents délits plus rocambolesques les uns que les autres, allant du vol d'oeuvres d'art dans des châteaux, au vol d'argenterie qu'il fondait en lingots dans son garage.
Las de cette double vie menée pendant dix ans, il a mis au point un grand coup qui devait lui permettre d'obtenir en une fois tout ce qui lui manquait : la séquestration de D. J..
Dès lors que les faits ont été constatés par un jury souverain, la commission n'entend pas revenir sur les circonstances de l'affaire. La peine extrêmement sévère n'a d'ailleurs pas été contestée par l'accusé qui a renoncé à se pourvoir en cassation, marquant ainsi sa volonté d'expiation.
Dès son arrestation, M. B. C. E. A. a pris conscience du mal fait. De son repentir est née sa volonté de réparer. Ses regrets et remords furent immenses. Complètement effondré, il se rendit compte de sa culpabilité écrasante. En prison, il a été en contact avec des aumôniers et des psychologues. Aujourd'hui encore, il démontre un intérêt soutenu pour les questions religieuses. Il a eu une conduite exemplaire, irréprochable, ayant une influence bénéfique sur les autre détenus. Il a fait un apprentissage de relieur, réussi, qu'il a pu mettre en pratique d'abord dans l'atelier de reliure de la prison puis à l'extérieur à l'entière satisfaction de ses employeurs.
Il s'est activement employé dans une association formée par des détenus ayant pour but une meilleure information des problèmes carcéraux. Du travail de ce groupe est issu un livre, puis les détenus, poussés par lui, éditèrent un livre pour les enfants dont les bénéfices ont été distribués aux enfants nécessiteux. Aujourd'hui, il rédige des articles dans un journal oecuménique.
Sa famille a tenu bon; elle est restée soudée et, ensemble, a essayé de l'encourager à supporter sa situation.
Il résulte de ce qui précède que la motivation de M. B. C. E. A. à demander la remise de sa peine a, en grande partie, pour corollaire sa capacité à se réinsérer. Quels sont les éléments nouveaux qui sont intervenus pendant cette longue période de détention - onze ans - et qui nous permettraient d'accorder la grâce sollicitée, grâce d'une année de remise de peine, c'est-à-dire une sortie en juillet 1994, puisque, vu sa conduite exemplaire, la remise du tiers sera accordée.
Personnellement, j'en vois trois. Premièrement, une régression psychique et une diminution de ses facultés mentales dues à la détention, bien évidemment. Deuxièmement, fait non négligeable, une paisible réinsertion possible grâce au soutien de sa famille. Son fils de quinze ans a besoin de lui et, surtout, il a la promesse d'un engagement comme relieur à Genève; j'ai téléphoné à son employeur et c'est une chose entendue.
Troisièmement, élément extrêmement important à mon avis, l'attitude de la famille D.. D. F. a déclaré : «Tout ce que je puis dire est que je demeure sans haine, quant à J., maintenant mariée, je cite ce qu'elle a écrit : Je suis disposée à accepter que la grâce sollicitée soit accordée au recourant.».
Onze ans, c'est long. Un an de moins pour lui, moralement, je pense que c'est beaucoup. La souffrance endurée par le recourant est à la mesure de celle, expiatoire, que la Cour d'assises entendait lui infliger. C'est pourquoi la commission préavise favorablement l'octroi de la grâce demandée qui réduit à dix-sept ans la peine de réclusion.
Mis aux voix, le préavis de la commission (réduction de la peine de réclusion à 17 ans) est adopté.
M. P. D. E., Valais, 1942, manoeuvre, recourt contre le solde des peines genevoises.
Mme Barbara Polla (L), rapporteuse. M. P. D. E., âgé de 52 ans, originaire du Valais est actuellement à la colonie pénitentiaire de Crêtes-Longues. Il est divorcé et a deux enfants de 16 ans et 11 ans.
Les motifs de sa condamnation sont de très nombreux vols, en particulier de voitures, de nombreux faux dans les certificats, en particulier des permis de conduire, des escroqueries, des dommages à la propriété, des infractions à la loi fédérale sur la circulation routière - il a circulé sans permis ou en état d'ivresse - et des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants, ainsi que des brigandages et des vols.
La peine infligée est de quatre ans de réclusion et de seize mois d'emprisonnement respectivement. Les antécédents judiciaires sont nombreux. La première condamnation pour vol et escroquerie remonte à 1964. M. P. D. E. avait à l'époque 22 ans. Il est condamné à six mois de prison avec libération conditionnelle. La libération conditionnelle sera révoquée en 1967 à l'occasion d'une nouvelle condamnation. Un premier recours en grâce qui est demandé à cette époque contre la réintégration est rejeté en 1968. En 1972, nouvelle condamnation à dix-huit mois de prison, puis, en 1980, à seize mois de prison toujours pour les mêmes motifs.
En 1981, condamné à quatre ans de réclusion. M. P. D. E. s'évade de la prison de Bochuz en 1981, il est repris et placé à Crêtes-Longues. Il s'évade à nouveau en 1983. Il est libéré en 1987 aux deux tiers de sa peine.
Mais un mois après sa sortie, il commet de nouvelles effractions et en particulier des vols de voitures. Le 7 janvier 1991, il est condamné à la réintégration ou révocation de la libération conditionnelle. En fait, cette peine ne prendra effet qu'en 1992, puisque dans l'intervalle M. P. D. E. a vécu en France. De plus, il est condamné le 8 juin 1993 à six mois d'emprisonnement qui ont été effectués en préventive.
Les motifs de la demande de grâce sont, d'une part, des problèmes psychologiques. M. P. D. E. souffre de névrose de caractère, de dépression et de claustrophobie, motifs pour lesquels il a été suivi régulièrement du point de vue psychiatrique. L'autre motif de la demande est la crainte des problèmes de réinsertion qui vont se poser pour lui à sa sortie puisqu'il a aujourd'hui 52 ans. Il aura alors 56 ans. Par ailleurs, il n'y a pas d'éléments particuliers à noter, intervenus entre le moment où la peine a été prononcée et aujourd'hui. Le rapport du directeur du pénitencier dit que depuis son arrivée à Crêtes-Longues sa santé psychique s'est nettement améliorée. Le préavis du procureur général est négatif et la proposition de la commission de grâce est à l'unanimité le rejet du recours dans la mesure où il n'apparaît à l'heure actuelle aucun événement particulier justifiant la réduction demandée.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.