République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1017-A
7. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition de l'Association de défense des chômeurs. ( -)P1017
Rapport de Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S), commission des pétitions

En date du 17 décembre, l'Association de défense des chômeurs adressait au Grand Conseil, suite à un licenciemeent massif à l'hôtel Lido, une pétition munie d'une trentaine de signatures dont le texte est le suivant:

«L'Association de défense des chômeurs a manifesté contre l'hôtel Lido ce jeudi 16 décembre 1993.

Cet établissement a changé de propriétaire en cours d'année et le nouveau patron a licencié 12 des 15 employés en l'espace de six mois. L'effectif du personnel est désormais plus faible et les nouveaux employés bénéficient de conditions moins avantageuses.

L'ADC attire votre attention sur un usage devenu courant et qui menace tous les salariés. La méthode des licenciements échelonnés, telle que pratiquée à l'hôtel Lido, vise à contourner l'obligation de l'annonce des licenciements collectifs au département de l'économie publique.

L'ADC demande donc que la loi soit modifiée afin d'empêcher la multiplication de cas semblables.»

Quand bien même l'objet de la pétition porte sur une modification de la loi, il est utile de faire un petit historique des événements de l'hôtel Lido qui ont conduit à une manifestation et au dépôt par l'Association de défense des chômeurs (ci-après ADC) de la pétition 1017.

«L'hôtel Lido a changé de propriétaire le 1er février 1993. Durant la période comprise entre le 30 mai et le 30 octobre de la même année, il a licencié le 80% de l'effectif, ce qui représentait 12 employés sur 15. Il s'est séparé d'un personnel fidèle afin d'engager un personnel moins nombreux pour effecter le même travail et pour des salaires inférieurs à ceux que percevaient les anciens.

Lors du changement de gestion de l'hôtel, l'ancienne propriétaire a fait signer à tous les employés une lettre de licenciement de sa part et un nouveau contrat avec le futur gérant. Selon les dires des patrons, cette procédure n'était qu'une formalité et les droits des employés restaient inchangés. Comme il ne s'agissait que d'un licenciement apparent (tous les employés étaient réengagés) l'ancienne directrice n'a pas demandé l'autorisation de licencier tout le personnel.

Les problèmes ont surgi lorsque le nouveau propriétaire a congédié avec un mois de dédite (au lieu de 2 mois pour ceux qui avaient plus de 5 ans de fidélité) et sans indemnités d'ancienneté pour des employés qui avaient jusqu'à 23 ans de service dans l'entreprise. Selon lui, les licenciements effectués par la précédente gérante étaient bel et bien réels et il n'avait donc que de «nouveau employés».»

Travaux de la commission

Sous la présidence de M. Bernard Lescaze, la commission des pétitions s'est réunie à trois reprises: le 31 janvier, les 7 et 28 février 1994.

La première séance nous a permis d'auditionner 5 membres de l'ADC, dont Mme Bolay-Cruz, permanente de l'association, qui nous a livré les réflexions de l'ADC à propos des licenciements collectifs et a formulé 5 propositions:

1. Annonce des licenciements

La loi actuellement en vigueur prévoit que la commission de surveillance doit être avertie lorsque 6 licenciements ont eu lieu durant le même mois. L'ADC estime que cet espace de temps devrait être allongé à 6 mois pour le même nombre de licenciements.

2. Changement de propriétaire

Lorsqu'une entreprise change de propriétaire, l'acquéreur doit avoir l'obligation de reprendre le personnel sous contrat avec l'ancien propriétaire. Les avantages d'ancienneté, la rémunération et la durée de travail doivent être garantis. Les projets de loi, au niveau fédéral, d'adaptation à la législation européenne prévoient des réformes allant dans le sens indiqué dans ce paragraphe (proposition de modification de l'article 333 du code des obligations). Alors, rien n'empêche le canton de Genève d'innover et de prendre les devants.

3. Contrôle fiscal lors des licenciements en nombre

Des entreprises, qui n'ont connu de baisse sensible ni dans leur chiffre d'affaires ni dans leurs bénéfices, pourraient être tentées de profiter du climat de crise pour faire baisser les coûts salariaux en licenciant des travailleurs «chers» (avec une longue expérience et qui retrouveront difficilement un emploi) pour engager un personnel (plutôt jeune) moins nombreux et pour des salaires très inférieurs à ceux que percevait le personnel remplacé. Pour dire les choses simplement: le climat de crise permettrait d'aggraver la crise sans que la situation comptable de l'entreprise ne le justifie.

L'ADC propose donc qu'un contrôle fiscal soit effectué lorsqu'une entreprise procède à de nombreux licenciements afin d'avoir l'assurance que ceux-ci sont la résultante de difficultés économiques réelles. Au cas où les experts fiscaux s'apercevraient que les licenciements sont injustifiés, une amende devrait être infligée à cette entreprise selon un barème qui tiendrait compte de l'estimation des frais engendrés à l'assurance-chômage par ces mises au chômage.

4. Contrôles par l'inspectorat du travail

La peur du chômage peut amener les travailleurs à courber l'échine devant des conditions de travail qui se détériorent, l'inspectorat du travail devrait effectuer des visites à l'improviste sur les lieux de travail afin de vérifier que les normes de sécurité sont respectées, que les travailleurs ne sont pas soumis à une surcharge de travail et que les heures supplémentaires ne dépassent pas un certain niveau (qui doit être fixé bas). Les entreprises qui licencient devraient être plus particulièrement soumises à ces contrôles.

5. Commission de surveillance

L'ADC doit y avoir sa place afin que cette commission soit pleinement sensibilisée au drame humain que représente le chômage et éviter ainsi une approche de la notion de travail seulement en termes de «coût variables».

D'autre part, un autre représentant de l'ADC, un ancien employé de l'hôtel Lido, a indiqué qu'il lui a été très difficile d'obtenir l'attestation de l'employeur. Le gérant de l'hôtel a attendu plusieurs semaines avant de s'exécuter. Légalement, le patron a 5 jours pour envoyer cette «feuille jaune», passé ce laps de temps, il est amendable.

Ce genre de situation entraîne des conséquences financières graves pour le chômeur qui ne peut recevoir des indemnités que lorsque son dossier est complet.

Le 7 février, la commission a reçu les représentants de l'office cantonal de l'emploi (ci-après OCE): M. Dominé, inspecteur du travail; M. Spaini, inspecteur adjoint; M. Furhmann, directeur administratif de l'OCE.

Ils ont été invités à s'exprimer sur les propositions de l'ADC.

M. Spaini a répondu au point 4: la loi sur le travail prévoit un certain nombre d'heures pour l'hôtellerie, soit 57 heures par semaine avec 20 heures supplémentaires par mois. En ce qui concerne la surcharge de travail, la notion diffère de cas en cas, certains employés s'en plaignent, d'autres l'acceptent comme normale. Lorsqu'il y a plainte, ils enquêtent et vérifient les normes de sécurité. Des enquêtes systématiques sont par ailleurs effectuées soit sur rendez-vous, soit à l'improviste.

M. Furhmann a donné son avis sur les autres points. En ce qui concerne l'annonce des licenciements, cette procédure est réglée, sur le plan fédéral, par la loi du 6 octobre 1989 (entrée en vigueur en 1991). Les dispositions de cette loi obligent les entreprises à annoncer des licenciements importants dès que possible, au plus tard lorsque les congés sont signifiés. Selon l'article 53 de l'ordonnance fédérale, l'annonce doit être faite lorsque 10 travailleurs sont concernés. Mais les cantons peuvent aller plus loin. C'est ainsi qu'à Genève la loi est plus restrictive: la commission de surveillance doit être avertie lorsque 6 personnes sont congédiées dans le même mois.

Pour M. Furhmann, l'idée de prolonger ce laps de temps est irréaliste car les entreprises ne sont pas à même de prévoir l'évolution de leurs affaires dans un délai si long.

Quant au licenciement apparent puis réengagement lors d'un changement de propriétaire, M. Furhmann a précisé que cette procédure est légale et que l'OCE n'est pas habilité à intervenir par rapport aux dispositions contractuelles. De plus, ce point étant soumis à la loi fédérale, la marge de manoeuvre est extrêmement faible, même s'il a admis qu'il y a une lacune dans la loi.

Pour le point 5, M. Furhmann a expliqué le fonctionnement de la commission de surveillance. Elle n'a qu'un rôle consultatif et il lui semble difficile qu'elle puisse intervenir dans un domaine qui relève de la gestion directe des entreprises. Quant à l'aspect humain, il a rappelé que l'OCE est en permanence en contact avec les partenaires sociaux.

Il a encore confirmé la possibilité qu'a l'OCE d'intervenir auprès des employeurs qui n'auraient pas renvoyé la «feuille jaune» dans les 5 jours.

Finalement, la commission auditionnait le 28 février Mme Urtasun, MM. Turker et Matthey, membres du SIT, syndicat qui s'occupe des ex-employés de l'hôtel Lido. Ils n'ont pas tenu à s'exprimer trop longuement sur ce point, car cette affaire est extrêmement complexe et malheureusement pas unique dans l'hôtellerie et la restauration. Par contre, ils ont préconisé diverses mesures (qui figurent dans leur bulletin de décembre 1993) pour que l'OCE intervienne en amont des licenciements. En particulier:

- si une entreprise licencie pour des motifs économiques ou pour procéder à des restructurations - les licenciements doivent être annoncés à l'OCE avec mention du salaire de chaque licencié(e) - une interdiction de réengager pour le(s) même(s) poste(s) doit être prononcée pour 6 à 12 mois selon les cas;

- lorsque les réengagements ont lieu (restructuration), les nouveaux engagés doivent avoir des salaires équivalant aux personnes licenciées.

En ce qui concerne les abus commis par des employeurs peu respectueux de la loi cantonale, ils souhaitent davantage de sévérité sur le montant des amendes. Les sommes leur semblent peu dissuasives puisqu'elles varient entre 500 et 3000 F.

D'autre part, ils ne pensent pas qu'il faille modifier le délai d'un mois à 6 mois pour l'obligation d'annonce, mais bien de veiller à l'application de l'esprit de la loi et trouver des modalités juridiques pour éviter le «saucissonage» (licenciements échelonnés).

Discussion de la commission

Dans l'ensemble, les commissaires s'accordent à dire que la loi est bonne, mais que certaines entreprises ne la connaissent que trop peu.

Des propositions faites par le SIT, seule celle concernant les amendes retient l'attention des commissaires.

Conscients que le Conseil d'Etat prend toutes les mesures nécessaires pour lutter contre le chômage et qu'au niveau cantonal la marge de manoeuvre est limitée, les commissaires souhaitent néanmoins que la loi cantonale soit appliquée avec davantage de sévérité et vous proposent, Mesdames et Messieurs les députés, le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.

Vote

8 voix pour: 2 PdC, 2 Soc., 3 All. g., 1 Ecol.

5 voix contre: 4 LiB., 1 Rad.

1 abstention: 1 Rad.

Débat

Mme Michèle Wavre (R). Ce rapport de la commission des pétitions indique clairement qu'en matière d'annonce de licenciements, la loi genevoise est encore plus restrictive que la loi fédérale. En effet, elle prévoit que la commission de surveillance doit être avertie dès que six personnes sont licenciées dans le même mois, contre dix pour le droit fédéral. De plus, les milieux concernés - on l'a entendu en commission - s'accordent généralement à dire que le Conseil d'Etat veille attentivement à son application.

Dans ces conditions, nous ne voyons pas pourquoi il faudrait lui renvoyer ce rapport. Nous vous engageons donc à le déposer à titre de renseignement sur le bureau du Grand Conseil.

Mme Michèle Mascherpa (L). En page 3 du rapport, il est fait mention du projet de modification des articles 333 et suivants du code des obligations en vue d'adapter la législation suisse à la législation européenne en matière de licenciement collectif et de transfert d'entreprise. On peut aujourd'hui parler de cette nouvelle réglementation au présent, car elle entre en vigueur le 1er mai 1994. Ces nouvelles dispositions visent à protéger les intérêts du travailleur, précisément en cas de licenciement collectif et lors de transfert d'entreprise, ce qui est la préoccupation des auteurs de la pétition. Ces nouvelles dispositions réglementent notamment la procédure d'annonce des licenciements, la consultation de la représentation des travailleurs et, en cas de transfert des rapports de travail, le respect pendant une année de la convention collective en vigueur avant le transfert. A cela s'ajoute la sanction légale en cas de licenciement abusif. L'auteur du rapport reconnaît que la loi actuelle est bonne. Gageons qu'elle sera encore meilleure avec les modifications qui entrent en vigueur après-demain.

Il me semble donc qu'un bon bout de chemin vient d'être parcouru dans le sens des préoccupations des pétitionnaires et que, dès lors, l'objet de la pétition est quelque peu - vous me passerez l'expression - dépassé par les événements.

Nous vous proposons donc de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.

M. Pierre Meyll (AdG). Il me semble que le but de cette pétition était beaucoup plus général. En effet, dans la dernière invite de la pétition, l'association des chômeurs demande que la loi soit modifiée afin d'empêcher la multiplication de tels cas. Vous constatez, dans le rapport, en page 5, qu'ils souhaitent davantage de sévérité sur le montant des amendes en ce qui concerne les abus commis par des employeurs peu respectueux de la loi cantonale. En effet, les amendes actuelles semblent peu dissuasives, puisqu'elles varient de 500 à 3 000 F. C'est un simple aperçu ! Cela signifie qu'il serait tout à fait convenant d'effectuer un toilettage de cette loi.

C'est pourquoi nous demandons que cette pétition soit déposée auprès du Conseil d'Etat pour qu'il puisse revoir cette loi et y apporter les modifications nécessaires.

Le président. Je mets aux voix le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Mise aux voix, la proposition de dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement est rejetée par 47 non contre 38 oui.

Mises aux voix, les conclusions de la commission (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.