République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 25 mars 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 5e session - 11e séance
R 269
EXPOSÉ DES MOTIFS
Notre Grand Conseil se souvient certainement avoir fait une ovation à MM. Akin Birdal et Ecran Kanar, respectivement président et vice-président de l'association des droits de l'Homme de Turquie (IHD), le jeudi 2 décembre dernier.
Ces deux messieurs ont ensuite exposé la situation des droits de l'Homme en Turquie à un certain nombre de député-e-s réuni-e-s durant la pause pour un entretien informel. Ils ont fait part entre autres des entraves mises au bon fonctionnement de la démocratie en Turquie et des exactions dont les députés du DEP étaient les victimes.
Suite à cette entrevue, une trentaine de parlementaires genevois ont envoyé une lettre au gouvernement suisse et une autre à celui de Turquie pour exprimer leurs préoccupations.
Depuis lors, la situation s'est encore aggravée.
Le 2 mars 1994, le parlement turc a levé l'immunité parlementaire de six députés d'origine kurde inculpés de «séparatisme» et d'«atteinte à la sécurité de l'Etat». Il s'agit de Mme Leyla Zana et de MM. Hatip Dicle, Orhan Dogan, Sirri Sakik, Ahmet Turk, tous membres du Parti de la démocratie (DEP), parti qui occupe 17 sièges sur 450 au parlement. Le sixième député est M. Mahmut Alinak, ancien membre du DEP. Deux autres députés ont subi le même sort depuis cette date. A noter que tous ces députés ont été élus démocratiquement et que tous les observateurs attentifs de la situation en Turquie relèvent que ce parti jouit de soutiens certains dans la population kurde.
En tant que parti, le DEP est d'ailleurs aussi poursuivi pour séparatisme par la Cour constitutionnelle, et il est accusé d'être le porte-parole au Parlement du parti des travailleurs du Kurdistan. Or ce parti a solennellement annoncé à plusieurs reprises qu'il n'aspirait en aucune manière au démantèlement de l'Etat turc.
L'exercice des droits démocratiques nous semble ne pas être respecté en Turquie, et les tensions sont vives à la veille des élections. Tous les moyens sont bons pour empêcher certains représentants de partis qui défendent les droits de la population kurde d'accéder à des responsabilités politiques.
Les délégations étrangères présentes en Turquie dans le but d'observer le bon déroulement des élections en ont d'ailleurs fait l'amère expérience. Les Allemands ont été ramenés manu militari à Ankara et défense pour eux de rester dans les zones du Sud-Est. Quant aux Suisses, ils ont purement et simplement été arrêtés à Van et empêchés de faire leur travail d'observateurs.
Dans ce contexte, des prises de position de gouvernements ou parlements étrangers sont extrêmement importantes à faire parvenir au gouvernement turc, ceci dans l'espoir d'obtenir un apaisement de la tension déjà très vive. Au surplus, nous nous devons, en signe de solidarité avec d'autres députés et d'attachement au respect de l'exercice démocratique, de faire savoir aux autorités turques que notre Parlement condamne fermement le sort réservé aux députés du DEP cités ci-dessus.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accueillir favorablement cette résolution.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Tout à l'heure, nous avons pris trois ou quatre minutes pour faire un appel nominal. J'aimerais que l'on prenne encore une minute pour cette résolution, que je ne vais pas développer puisqu'elle a été déposée sur vos tables. Ce texte exprime notre solidarité envers des députés qui, en exerçant leurs simples droits d'expression, simples droits démocratiques, sont aujourd'hui incarcérés et risquent d'être condamnés à mort. Je souhaite que l'on mette au vote cette résolution.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue:
résolution
concernant la levée d'immunité de députés kurdes prononcée par le Parlement turc ainsi que leur arrestation consécutive
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la levée de l'immunité parlementaire de six députés d'origine kurde (parti de la démocratie DEP) qui a été prononcée par le Parlement turc le mercredi 2 mars 1994, ainsi que leur arrestation;
- les risques réels de voir ces députés déférés devant la Cour de Sûreté de l'Etat, jugés pour «séparatisme et trahison à la patrie» pour avoir tenu des discours sur les violations des droits de la population kurde, et condamnés à la peine de mort,
- le déroulement hors de toutes normes démocratiques de la campagne en vue des prochaines élections municipales du dimanche 27 mars 1994 en Turquie, en particulier dans le Sud-Est du pays,
- l'arrestation, dimanche dernier, des membres de la délégation suisse mandatés comme observateurs dans le cadre des élections et les entraves mises au travail d'autres délégations internationales;
invite les autorités fédérales
- à faire part au gouvernement turc de sa préoccupation quant au bon déroulement des élections, de sa désapprobation totale face à la levée de l'immunité parlementaire et à l'arrestation de députés kurdes, de son souhait de voir les autorités turques respecter la volonté démocratique des citoyens et citoyennes kurdes et de sa demande de les voir entreprendre avec la partie kurde des négociations de paix sérieuses et ouvertes.
La séance est levée à 23 h 35.