République et canton de Genève

Grand Conseil

M 900
16. Proposition de motion de Mme et MM. Gilles Godinat, Bernard Clerc, Jean Spielmann et Micheline Calmy-Rey invitant le Conseil d'Etat à établir une statistique sur les réserves de crise et leur dissolution pour préserver l'emploi dans l'économie privée de 1989 à 1993. ( )M900

EXPOSÉ DES MOTIFS

La récession économique que nous visons encore aujourd'hui a pris l'ampleur d'une réelle crise avec la perte, pour le canton de Genève, de 20 000 postes de travail. Parmi les dispositions prises par les pouvoirs publics pour lutter contre le chômage, il existe des lois fédérales et cantonales mises en place dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

En effet, à la fin 1949 - début 1950, une récession économique ralentissait les activités dans notre pays et le commencement de la guerre de Corée, en juin 1950, laissait planer un sentiment d'incertitude sur la croissance économique.

Le Conseil fédéral a proposé en août 1951 une loi sur la constitution de réserves de crise par l'économie privée, qui fut adoptée le 8 octobre 1951. L'Etat fédéral proposait alors de faciliter la constitution de ces réserves dites «de crise» en promettant la restitution de la part d'impôts sur le revenu afférent à ces réserves, dès l'instant où ces dernières seraient utilisées dans la lutte contre le chômage. Les dispositions légales sur ces réserves restaient soumises au pouvoir fédéral, lequel pouvait décréter la lutte contre le chômage et fixer les délais pour la ristourne de l'impôt prélevé - sur les réserves constituées et dissoutes dans le cadre de mesures anticrise. Tous les cantons suisses ont alors mis en place des lois cantonales sur ces réserves destinées à la lutte contre les effets d'une dépression économique.

Notre Grand Conseil a adopté le 8 mars 1952 la loi sur la constitution de réserves de crise par l'économie privée (D 3 8). A l'époque déjà, des parlementaires s'étaient inquiétés de ce privilège fiscal accordé aux entreprises pouvant assurer une marge de liquidité suffisante pour constituer des réserves, à savoir les grandes entreprises du canton.

Une nouvelle loi fédérale du 20 décembre 1985 sur la constitution de réserves de crise bénéficiant d'allégements fiscaux a modifié la procédure: désormais, la constitution de réserves de crise pouvait être opérée en franchise d'impôt. Toutefois, si les réserves venaient à être utilisées d'une manière non conforme à leur destination ou en cas de liquidation, ou de transfert de l'entrepirse à l'étranger, l'impôt serait perçu à un taux maximum. Le 16 décembre 1988, notre Grand Conseil adoptait la loi sur les allégements fiscaux pour les réserves de crise (D 3 8,5).

Conformément à la loi fédérale, les entreprises habilitées à constituer des réserves de crise doivent compter au moins 20 travailleurs. Pour Genève, cela concerne, d'après le recensement de 1991, environ 2000 entreprises (10% de l'ensemble), lesquelles emploient environ 160 000 personnes, soit les 2/3 des travailleuses et travailleurs du canton.

Depuis l'adoption de cette loi, l'économie cantonale a été confrontée à la crise, avec un taux de chômage de 7,8%.

Dans cette situation, il nous paraît légitime d'évaluer la validité des dispositions légales en question. Une connaissance par branche économique de l'utilisation des réserves de crise pour préserver l'emploi nous paraît indispensable pour apprécier l'efficacité de telles mesures.

Si l'on considère que pendant quelques années les plus grandes entreprises du canton ont pu bénéficier d'allégements fiscaux sur ces réserves, il est d'autant plus indispensable aujourd'hui de faire le bilan de ce privilège fiscal.

Soit nous avons la preuve du bien-fondé des dispositions concernées, soit les réserves de crise n'ont pas été constituées ou n'ont pas été dissoutes pour maintenir l'emploi et dans ce cas les lois sur les réserves de crise ne sont qu'un privilège fiscal pour les grandes entreprises.

Afin de clarifier la discussion sur la fiscalité dans ce canton nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir soutenir la présente motion.

Débat

M. Gilles Godinat (AdG). L'objectif de cette motion est très simple. Il s'agit d'évaluer, d'une part, la validité et, d'autre part, l'efficacité d'une mesure qui dépend de la législation fédérale et cantonale.

Je fais un bref rappel historique en deux points :

- Un premier temps d'après-guerre. En août 1951, le Conseil fédéral propose une loi sur la constitution de réserves de crise par l'économie privée, adoptée le 8 octobre 1951.

- Un deuxième temps. Notre parlement cantonal adopte, le 8 mars 1952, une loi qui s'inspire du principe fédéral. Ce principe est le suivant : pour faciliter la constitution de réserves de crise, le Conseil fédéral proposait qu'une fois ces réserves constituées, elles devraient permettre, lors d'une situation de chômage, de lutter pour créer des emplois, renforcer les possibilités des entreprises de résister à la crise économique et de bénéficier d'un allégement fiscal au cas où ces réserves de crise étaient utilisées à ces fins.

Les dispositions fédérales ont changé en 1985, sous prétexte d'une complication de procédure. En fait, une franchise d'impôt sur ces réserves de crise était alors proposée. Notre parlement s'est adapté à la législation fédérale en 1988 et, actuellement, les entreprises de plus de vingt travailleurs peuvent effectivement bénéficier d'un allégement fiscal en cas de réserves de crise. Ces entreprises pour le canton de Genève représentent à peu près deux mille entreprises, soit 10% de l'ensemble des entreprises qui regroupent les deux tiers des salariés du canton.

Or, la question est simple : soit ces réserves ont été constituées, et nous aimerions savoir à quelle hauteur par branche économique, soit elles ont été dissoutes, et, dans ce cas, l'ont-elles été dans les branches économiques qui ont eu le plus de difficultés ? Cela nous permettrait d'estimer si ces mesures sont réellement efficaces ou pas. La crainte qui avait été exprimée à l'époque, dans les années 50, est que derrière ces dispositions qui devraient permettre de lutter contre le chômage se cache en fait un privilège fiscal ! C'est l'objet de notre souci et nous aimerions élucider cette question.

M. Daniel Ducommun (R). Toutes sortes d'initiatives liées à des tentatives de préserver l'emploi ne peuvent que susciter l'intérêt de notre groupe. Nous n'avons donc aucune raison de nous opposer à cette motion, et nous soutenons son renvoi au Conseil d'Etat. Un traitement en commission est totalement inutile puisqu'il s'agit d'établir une statistique dont les données ne peuvent être rassemblées que par l'autorité exécutive.

Nous suggérons également que le département compétent soit plutôt celui des finances que celui de l'économie, s'agissant en l'occurrence d'inventorier des entreprises ayant bénéficié d'allégements fiscaux lors de la constitution de réserves de crise en compte bloqué, soit auprès de la Confédération soit auprès des banques. Ne nous berçons toutefois pas d'illusions, ce sont les entreprises qui dégageaient un bénéfice substantiel qui avaient usé de cette possibilité. Compte tenu de la dégradation conjoncturelle de ces dernières années, les réserves ainsi récoltées sont, semble-t-il, modestes, voire inexistantes ! Aussi, une action de sauvegarde de l'emploi nous paraît, Monsieur Godinat, à regret, bien marginale. Cela n'exclut bien évidemment pas les données statistiques réclamées par nos collègues de gauche.

Nous suivrons donc avec intérêt la réponse du Conseil d'Etat.

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Messieurs Vodoz et Maitre ont déjà examiné cette motion et nous l'acceptons très volontiers pour étude.

Le président. Le Bureau et les chefs de groupe préconisent le renvoi à la commission fiscale.

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, je crois que le contenu de la motion et les propos tenus pendant ce débat nous montrent que la sagesse voudrait que l'on renvoie cette motion au Conseil d'Etat. C'est ce que nous vous suggérons !

M. Daniel Ducommun (R). Pour une fois, nous sommes tous très clairs ce soir, Monsieur le président ! Nous souhaitons renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue:

MOTION

invitant le Conseil d'Etat à établir une statistique sur les réserves de crise et leur dissolution pour préserver l'emploi dans l'économie privée de 1989 à 1993

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- l'ampleur de la crise économique actuelle;

- la nécessité de préserver les emplois existants et d'encourager la création de nouveaux emplois;

- l'existence de réserves de crise encouragées par les dispositions légales cantonales et fédérales,

invite le Conseil d'Etat

à établir une statistique détaillée par branche économique sur le montant des réserves constituées et le montant des réserves dissoutes pour préserver l'emploi, ainsi que les ristournes accordées selon la loi du 16 décembre 1988 (D 3 8/8,5) pour les années 1989 à 1993.