République et canton de Genève

Grand Conseil

M 893
12. Proposition de motion de Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Fabienne Bugnon, Christian Ferrazino, Luc Gilly, Pierre-Alain Champod et Dominique Hausser concernant la taxe militaire. ( )M893

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

 la volonté exprimée à plusieurs reprises par le Grand Conseil de ne plus juger et envoyer en prison les refuseurs de taxe ayant déjà payé par un emprisonnement leur choix d'objecter à l'armée;

 le fait que les handicapés n'ont pas choisi leur sort, sont exclus automatiquement de l'armée et ultérieurement soumis injustement au paiement de la taxe militaire;

 le souhait exprimé par certains d'entre eux de rendre malgré leur handicap un service à la communauté,

invite le Conseil d'Etat

 à ne pas dénoncer à l'autorité pénale les cas de défaut de paiement de la taxe militaire:

a) concernant les handicapés déclarés inaptes au service militaire et exclus de l'armée pour ces motifs;

b) concernant les objecteurs de conscience condamnés selon l'article 81, alinéas 1 et 2 du code pénal militaire. Les poursuites pour dettes devant être maintenues à l'égard des débiteurs récalcitrants;

 à prévoir une possibilité d'activités de remplacement au sein de la protection civile pour les handicapés exclus de l'armée et qui souhaiteraient jouir d'une telle possibilité.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Cette motion aborde deux aspects différents concernant la taxe militaire.

1. Les handicapés

L'exemple d'un jeune handicapé récemment cité dans la presse a une nouvelle fois montré les difficultés et les injustices auxquelles peuvent être confrontés ceux qui n'ont pas eu la chance de naître «comme tout le monde» ou qui ont été victimes d'un accident grave ou atteints d'une maladie de type dégénératif.

Considéré comme inapte au service et exclu de l'armée, l'handicapé voit son sort réglé de manière identique par les services de la protection civile, son dossier étant ensuite automatiquement transmis au service de la taxe militaire. Dans plusieurs cas, de jeunes handicapés, exerçant malgré tout une activité professionnelle, ont proposé leurs services tant au sein de la protection civile qu'auprès du service de la taxe militaire. Les refus ont été systématiques: «cela ne se fait pas, et donc ne peut se faire».

Dans une société où les handicapés ont souvent beaucoup de peine à s'intégrer, dans une société qui se déclare prête à venir en aide aux exclus, il n'est pas admissible qu'un citoyen qui a une formation, qui exerce une activité professionnelle et qui exprime le désir de rendre service à la communauté en remplacement de son service militaire, n'ait aucune possibilité de le faire, en raison de son seul handicap. Au contraire, une telle proposition devrait leur être faite automatiquement, ces hommes étant des êtres humains à part entière malgré leur handicap, et la société devant leur reconnaître des droits et non seulement des obligations.

Voilà le sens d'une des invites de cette motion, en précisant bien que ces quelques jours de travail que ces personnes handicapées pourraient fournir à la P.C. ne seraient pas obligatoires, mais soumis à leur libre choix.

Quant à la taxe militaire pour les handicapés nous estimons qu'elle est indigne de notre pays. (La Suisse est le seul pays d'Europe à exiger le paiement d'une taxe militaire.) Faire payer les handicapés qui ont fait l'effort de suivre une formation, d'exercer une activité professionnelle et de devenir autonomes est une forme de récompense qui laisse songeur (n'oublions pas que même si certaines de ces personnes gagnent correctement leur vie, elles sont confrontées à des dépenses souvent importantes occasionnées par leur handicap, dépenses qui ne font souvent l'objet que d'un remboursement partiel). C'est pourquoi nous estimons que les handicapés ne doivent plus être poursuivis pour dettes lorsqu'ils ne paient pas leur taxe militaire.

2. Les objecteurs de conscience

Durant la dernière législature, le Grand Conseil s'est prononcé à plusieurs reprises sur la taxe militaire. Il a en effet estimé que les objecteurs de conscience qui refusaient de payer leur taxe militaire étaient en fait conséquents avec eux-mêmes, et qu'ils n'avaient plus rien à faire derrière les barreaux. Dès lors la majorité des députées et députés avait souhaité que le Conseil d'Etat ne dénonce plus à l'autorité pénale les cas de défaut de paiement de la taxe militaire concernant les objecteurs de conscience, tout en maintenant les poursuites pour dettes.

Si dans l'esprit des membres de la commission de l'objection de conscience, qui avait proposé le texte définitif de cette motion, les termes «d'objecteurs de conscience» étaient clairement attribués à tous les objecteurs, quelle que soit la qualification juridique retenue par le jugement, le chef du département militaire les a interprétés de manière plus restrictive, estimant qu'il ne s'agissait que des personnes condamnées pour de graves conflits de conscience. S'il faut remercier le chef du département d'avoir déjà pris des mesures de non-dénonciation pour cette petite catégorie d'hommes (les tribunaux militaires ne retenant que très rarement le grave conflit de conscience), il nous semble important de solliciter, par cette motion, que cette décision concerne désormais tous les objecteurs. En effet, comment nous parlementaires pourrions décider qu'il s'agit de bons ou de mauvais objecteurs, ayant de bonnes ou de mauvaises consciences. Une certitude: toutes ces personnes ont payé leur choix par de l'emprisonnement, parfois très lourdement et justement plus particulièrement ceux qui sont jugés être «de mauvais objecteurs». Et les conséquences ne s'arrêtent souvent pas simplement à l'emprisonnement: perte d'une activité professionnelle, fréquemment aussi d'une vie affective, et casier judiciaire à «porter» toute sa vie sont souvent le lot des objecteurs condamnés. Que l'on partage ou non le choix de ces jeunes, une chose doit leur être reconnue, à savoir le courage de suivre leurs opinions jusqu'au bout, même au risque de très nombreuses difficultés.

Refuser par la suite de payer leur taxe militaire s'inscrit dans le prolongement de leur choix initial. Continuer à les envoyer en prison est donc choquant. Même si juridiquement dans ce cas concret, l'impossibilité de condamner plusieurs fois pour un même motif n'est pas reconnue, le principe de base et l'esprit en sont bien les mêmes. C'est dans une même logique et pour des motifs identiques que chaque année ces jeunes refusent de s'acquitter du paiement de leur taxe militaire. Au surplus cette procédure est inutile et coûteuse, puisque de toute façon le montant de leur taxe sera saisi sur leur salaire. Une procédure de jugement puis l'emprisonnement représentent des frais importants pour l'Etat et dans le cas d'espèce ne lui rapporte strictement rien.

Pour toutes ces raisons et dans l'espoir que ce nouveau Grand Conseil ne reniera pas l'esprit des choix votés par ses prédécesseurs, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir cette proposition de motion.

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). En préambule à cette intervention, j'aimerais lire quelques lignes d'une lettre qu'un handicapé, refuseur de taxe, a adressée aux juges.

«...mais être taxé sur l'amputation de mes deux pieds à l'âge de 20 ans, non Madame, non Monsieur, je ne l'accepterai jamais, même si vos lois s'érigent contre moi, même si votre connaissance des textes de la loi fédérale vous permettent toujours de me gifler d'un revers d'article. La lutte est inégale, mais je lutte pourtant, je lutte contre l'absurdité et l'indécence de certains de vos articles.»

J'ai assisté au procès de ce jeune homme et je dois dire que j'en suis sortie avec un sentiment de malaise profond. Le mépris qu'a dû subir cet homme face à la bataille qu'il a livrée, comme il le dit lui-même, dans les couloirs de l'hôpital, pour reprendre une vie normale, pour retrouver une occupation professionnelle et ensuite pour fonder une famille, ce mépris était inadmissible et intolérable. J'estime que l'on doit avoir un peu plus de respect devant ces hommes qui, après avoir récupéré leur indépendance, se retrouvent sur les mêmes bancs des accusés que des voleurs et autres malfrats, à quelques centaines de mètres d'ici. Cet homme a été condamné il y a peu à un jour de prison ferme et il est sorti en larmes du Tribunal. Voilà le pourquoi de la première partie de cette motion. Nous estimons qu'il est indigne de poursuivre sur cette voie à Genève.

Dommage que M. Ramseyer ne soit pas là, parce que je lui aurais demandé s'il était prêt à préparer ses policiers à aller chercher ces jeunes condamnés, qui ne se rendront bien évidemment pas de leur plein gré en prison, à porter des handicapés pour les mettre dans une voiture et ensuite les amener dans une cellule.

Quant à la deuxième partie de cette motion, je n'y reviendrai pas très longuement puisque nous en avons déjà fait état à plusieurs reprises. Elle ne fait que reprendre une ancienne motion qui, de l'avis de ceux qui l'avaient déposée, devait toucher tous les objecteurs quel que soit le type de condamnation et simplement par le fait qu'ils avaient déjà payé par un emprisonnement. Le Conseil d'Etat en a fait une lecture plus restrictive. C'est vrai que la motion et les invites pouvaient prêter à une interprétation ou à une autre. C'est pourquoi nous redéposons un nouveau texte avec une deuxième invite qui précise bien notre attente. Je vous remercie de réserver un bon accueil à cette motion.

M. Max Schneider (Ve). Je serai très bref. Il y a une terminologie fasciste qui dit que tout Suisse naît soldat. Mais, malheureusement, il y a des Suisses qui sont taxés parce qu'ils n'ont pas la chance d'être soldat.

Une voix. T'appelles ça une chance !

M. Max Schneider. Ce sont notamment des handicapés et des gens ayant des problèmes physiques, des sourds, des aveugles, etc. Puisque certains députés aimeraient donner des pouvoirs au Conseil d'Etat, voilà un pouvoir qu'il peut avoir, à savoir de ne plus dénoncer à l'autorité pénale les cas de défaut de paiement de la taxe militaire. Voilà donc un acte concret que l'on pourrait faire. Les handicapés physiques ont bien souvent des réductions pour le paiement de leur taxe militaire s'ils sont à l'AI, mais ceux qui travaillent à plein temps, parce qu'ils essaient de sortir de leur handicap et font l'effort de travailler tous les jours, eux, sont taxés. Voilà pourquoi je demanderai au Conseil d'Etat de faire preuve de tolérance et que cette motion soit bien reçue.

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. A propos de la motion 893, j'aimerais vous dire ce qui suit. Tout d'abord, concernant ce que l'on appelle les objecteurs de conscience, il est vrai qu'à la suite du vote de la première des motion, la motion 809, le 2 octobre 1992, vous avez invité le Conseil d'Etat à ne pas dénoncer à l'autorité pénale les cas de défaut de taxe militaire concernant les objecteurs de conscience. Près d'une semaine plus tard, j'ai donc écrit à M. Otto Stich, conseiller fédéral, responsable sur le plan fédéral de l'application de la taxe militaire, puisque ce n'est pas une affaire dépendant du département fédéral militaire mais du département fédéral des finances. M. Stich m'a répondu le 21 décembre 1992. Cette lettre, que j'avais en son temps communiquée à la commission, précise que, si la motion invite certes le gouvernement à ne plus faire application de la dénonciation à l'autorité pénale à l'endroit des objecteurs de conscience condamnés et exclus de l'armée, il y a toutefois dans ces cas-là violation d'une loi fédérale. C'est pourquoi j'espère qu'à l'avenir aussi l'autorité chargée de la perception de la taxe militaire proposera le renvoi au juge pénal de tous les assujettis ne s'acquittant pas de leur taxe.

Comme l'a dit Mme Reusse-Decrey, j'ai interprété au plus près de ma conscience ce que je considérais comme juste de faire par rapport aux objecteurs de conscience condamnés en application de l'article 81, alinéa 2, de la loi pénale militaire. Depuis décembre 1992, mes services, en effet, n'ont dénoncé aucun cas d'objecteur de conscience condamné aux termes de l'article 81, alinéa 2, ayant purgé sa peine et exclu de l'armée, pour refus de taxe découlant de ce premier refus de faire du service militaire. Or aujourd'hui, vous demandez à l'autorité cantonale chargée d'appliquer les lois fédérales d'aller plus loin et de demander que les condamnés à teneur de l'article 81, lettre 1, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas animés par un grave motif de conscience, puissent également bénéficier de ces dispositions.

Alors, même si ça ne vous intéresse pas, ces problèmes sont suffisamment importants et délicats, et reviennent suffisamment fréquemment devant ce Grand Conseil, pour que je vous dise ici très clairement ceci. En ce qui me concerne, j'ai mission d'appliquer la loi. J'ai pris sur moi, je viens de vous le dire, de faire une exception. Il m'apparaît difficile en revanche de ne pas dénoncer, eu égard au principe d'égalité, les autres cas de personnes qui, pour d'autres motifs, refusent de faire du service militaire. Mais, dans cette République, d'autres personnes ont des pouvoirs. Sans violer la loi, c'est M. le procureur général qui bénéficie du principe de l'opportunité de la poursuite. Il peut parfaitement bien, après l'analyse des cas qui lui sont transmis automatiquement, à teneur de la loi fédérale, par le canton qui est chargé d'appliquer la loi, renoncer à transmettre le dossier à l'autorité de jugement comme il le fait dans des dossiers ô combien plus importants ! Je me suis d'ailleurs entretenu de ce problème-là avec M. le procureur général. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, je souhaiterais sans que cela constitue une mesure dilatoire, que cette motion reparte devant une commission pour que vous puissiez également entendre le procureur général, car il faut qu'il puisse vous dire lui-même ce qu'il pourrait envisager de faire par rapport à ce principe.

Par conséquent, comme conseiller d'Etat, j'appliquerai bien entendu au plus près de ma conscience, à teneur de l'article 81, alinéa 2, les décisions que j'ai prises et que je confirme aujourd'hui. En revanche, en ce qui concerne l'alinéa 1 du même article, l'opportunité de la poursuite m'apparaît incomber à M. le procureur général. Sur ce plan-là, je pense qu'il y a une solution qui peut être intéressante. Je dois ajouter que la nouvelle loi fédérale qui devrait être votée encore cette année sur la taxe militaire et en principe entrer en vigueur au 1er janvier 1995, abroge l'article 33, alinéa 3, de la loi actuelle, qui nous oblige à dénoncer à l'autorité pénale les cas de refus de paiement de la taxe militaire. Si la loi fédérale, dans la teneur qui est proposée, devait aboutir, nous ne serions plus confrontés à ce type de problème. Voilà en ce qui concerne la problématique relative à l'article 81 et aux objecteurs de conscience.

Quant au problème des handicapés, il y a également lieu de préciser un certain nombre de points, ce que je souhaiterais également faire avec plus de détails devant la commission. Je vous explique néanmoins déjà ce qui suit. Il est vrai que la loi fédérale sur la taxe militaire permet l'exonération des invalides au bénéfice d'une rente AI, d'une rente d'impotent ou d'une rente CNA d'au minimum 50 %, pour autant que l'invalide ne puisse pas gagner sa vie. L'interprétation de ces données est extrêmement difficile pour le service de la taxe militaire, car nous ne recevons aucun dossier militaire au niveau médical sur ce plan. Or, je vous rappelle qu'aux termes de la loi militaire une personne qui, après un passage devant une commission sanitaire, est déclarée inapte au service militaire pour tel ou tel handicap, ne l'est pas forcément dans la terminologie que l'on a l'habitude d'entendre au niveau de l'handicapé. Nous savons, par exemple, qu'il suffit d'avoir les pieds plats ou une vue très défaillante pour être considéré comme ayant un handicap, mais néanmoins assujetti à la taxe militaire. Sans faire de la casuistique, je différencie ces éléments-là de l'handicapé au sens où Mme Reusse-Decrey l'a abordé tout à l'heure par rapport à un cas que je connais particulièrement bien.

Mais ce que vous devez savoir, c'est que, nonobstant l'absence de dossier médical sur tous ces cas, lorsque nous recevons des informations sur tel ou tel cas, soit d'un service social, soit de la caisse cantonale de compensation, soit d'autres organismes sociaux, j'ordonne immédiatement ce que l'on appelle en jargon militaire une enquête, mais en réalité c'est une brève investigation. Je peux vous dire qu'en 1993 nous avons ainsi pu exonérer de la taxe militaire 1 756 personnes assujetties parce que, effectivement, à la suite de renseignements qui nous ont été donnés, il ne nous paraissait pas possible de devoir les assujettir à la taxe, voire, le cas échéant, les renvoyer devant une autorité pénale.

Par conséquent, vous pouvez constater que, dans ce domaine également, le département militaire cantonal, sur un sujet difficile et généralement douloureux, ne reste pas inactif. A propos d'ailleurs du cas cité par Mme Reusse-Decrey, et que je connais bien, m'étant moi-même occupé de handicapés, il était difficile pour l'administration de la taxe militaire de penser que ce cas ferait désormais l'objet d'une contestation, puisque, pour les années d'assujettissement 85 à 89, les taxes militaires ont été intégralement payées sans contestation aucune. Pour les années suivantes, et le 11 novembre 1993 encore, l'intéressé a demandé et obtenu des arrangements pour s'acquitter de sa taxe militaire par mensualité. La première mensualité vient d'ailleurs de parvenir au service de la taxe militaire. Bien entendu, ce cas, dont nous ignorions la gravité - personne ne nous l'ayant signalée - n'aurait probablement pas dû passer devant l'autorité pénale. Il n'en demeure pas moins que nous essayons d'éviter ces problèmes et que, dans ce domaine, nous essayons encore une fois d'être attentifs aux situations.

Voilà pourquoi je souhaiterais que cette motion, indépendamment des explications que je viens de vous donner, puisse repartir en commission pour qu'en ce qui concerne les objecteurs de conscience vous puissiez entendre M. le procureur général et, deuxièmement, que nous puissions également approfondir encore quelque peu ces problèmes de handicap. Ainsi, je pourrais vous donner des explications complémentaires espérant que la loi sur la taxe militaire fédérale, qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 1995, nous permettra désormais d'éviter ce type de problèmes.

M. Luc Gilly (AdG). J'aimerais savoir qui, dans ce parlement, a déjà assisté à des procès pour défaut de paiement de la taxe militaire ? Monsieur Vodoz, ce n'est pas seulement le cas de ce monsieur handicapé, dont les pieds ont été amputés et qui s'est présenté il y a quinze jours au Tribunal de police pour son problème de taxe militaire, dont il est question ce soir. Cela fait des années que nous informons la presse de la tenue des procès. Il y a quinze jours, en trente minutes, trente personnes ont été condamnées. Parmi ces condamnés, il y a eu des peines de prison d'un jour, deux jours, trois jours, quatre jours. Il y avait également des personnes en fin de droit, vivant avec 800 F par mois et desquelles on exigeait le paiement d'une taxe militaire ! Le premier souci pour ces gens, c'est d'abord de manger, de payer un loyer et, éventuellement après, de payer une taxe. Avec 800 F, faites le calcul, Monsieur Vodoz !

Pour revenir aux personnes handicapées, cela fait une douzaine d'années que nous avons dénoncé ce procédé scandaleux. Il faudrait que Genève soit capable de décider maintenant, dans un geste de courage, avant même que les Chambres fédérales décident peut-être d'un changement éventuel de la loi, d'exonérer tous ces gens de la taxe militaire. Ce serait faire preuve d'un minimum d'humanisme envers ces personnes. Quand on les entend essayer de se défendre pendant les procès, expliquer leur handicap, décrire tous les efforts qu'elles ont faits pour se réintégrer et, finalement, quand on les voit être condamnées à quelques jours de prison tout en devant continuer à payer leur taxe militaire, cela est inadmissible. Je n'ai pas envie de rire ce soir comme certains adversaires de la droite l'ont fait à la buvette tout à l'heure, car ces cas sont extrêmement graves.

Quant aux objecteurs de conscience, Monsieur Vodoz, j'attends une réponse claire. Moi, je suis un inconscient puisque je n'ai pas de conscience ! Je suis considéré comme réfractaire et cela fait vingt ans que je vais en prison pour non-paiement de taxe militaire. (Murmures.) Nous sommes des milliers en Suisse dans ce cas-là. Est-ce que ce soir des gens auront le courage de voter cette motion pour qu'on arrête de demander un franc aux handicapés de les mettre en prison ? Quant aux objecteurs, évidemment, on va continuer à les poursuivre et je pense que l'an prochain, je serai une fois de plus en prison, Monsieur Vodoz, à moins que vous ne fassiez des petits papiers spéciaux pour Luc Gilly, député !

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Très brièvement suite à l'intervention de M. Vodoz. Je partage tout à fait avec lui cette problématique de juger à partir de quand un homme doit être taxé d'handicapé et je crois qu'en effet cela mérite réflexion de manière que l'on puisse préciser ce point. Je ne m'opposerai donc pas à un renvoi en commission.

Juste une petite parenthèse, l'application de la loi fédérale peut donner lieu à quelques interprétations, comme on le constate dans le cadre de l'avortement.

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Je voudrais simplement dire à M. Gilly qu'il n'est pas question de faire des exceptions ou d'imaginer remonter dix ans en arrière dans un combat que vous conduisez, que je respecte, comme je respecte les différentes opinions. Ce que j'ai dit, c'est que, depuis le vote de ce Grand Conseil d'octobre 1992, j'ai pris personnellement un certain nombre de décisions malgré l'avis négatif de l'autorité fédérale alors que l'on a des lois fédérales à respecter et que j'ai prêté serment de faire respecter, comme vous, les lois. De ce point de vue, j'agis au plus près de ma conscience. Elle seule me dicte mes comportements et, en ce qui concerne les condamnés au terme de l'article 81, alinéa 1, je viens de vous expliquer que je considérais qu'à Genève, M. le procureur général, responsable de l'opportunité de la poursuite, pouvait, lui, bien prendre ces décisions. Je préfère que ce canton respecte la légalité mais fasse progresser les causes plutôt que de faire voter une motion que je ne pourrais de toute façon pas appliquer.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). La commission judiciaire étant extrêmement chargée, ne pourrait-on pas renvoyer cette motion à cette commission ad hoc qui s'appelait «commission de l'objection de conscience» ?

Le président. La commission ad hoc a terminé ses travaux, elle n'existe plus.

Mise aux voix, la proposition de renvoi de la motion à la commission judiciaire est adoptée.

 

La séance est levée à 23 h.