République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 février 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 4e session - 5e séance
M 894
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la nécessité d'inventer et de réaliser en Suisse des technologies d'avant-garde afin de conserver une place de pointe dans le développement;
- le besoin de mettre en chantier des ouvrages importants afin de créer des emplois;
- les possibilités offertes par des financements mixtes de grands travaux dans un développement commun des infrastructures;
- le besoin de renforcer les liaisons transfrontalières et européennes de notre canton, en y rattachant Genève;
- les polémiques qui accompagnent comme souvent en Suisse un projet innovateur,
invite le Conseil d'Etat
- à prendre un intérêt actif à l'élaboration du projet Swissmétro et à lui apporter le soutien des autorités genevoises;
- à mettre au point avec les cantons romands un programme de promotion du projet Swissmétro, et à faire à ses auteurs des propositions concrètes dans ce sens;
- à faire rapport au Grand Conseil en 1994 encore sur les supports apportés et sur l'état d'avancement du projet.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La situation de crise économique que nous traversons souligne à l'évidence la nécessité pour une économie socio-libérale de rester constamment en recherche de projets et de nouveautés. Au moment où près de 3 milliards d'êtres humains ont devant eux la possibilité, par une production propre, d'accéder de manière réelle à la satisfaction de leurs besoins de consommation, il faut, en Occident, se concentrer sur des technologies avancées et abandonner les productions simples de masse devenues non rentables et provoquant l'onde de chômage actuelle. C'est en subissant la concurrence mordante des pays en voie d'industrialisation que nous perdons des postes de travail, alors que notre excellence est dans l'innovation, la curiosité du nouveau et la production de forte valeur ajoutée.
Il faut, pour créer neuf et visionnaire, avoir un courage certain et accepter le risque de telles entreprises. La normalité, la garantie, l'acquis et les habitudes doivent être bannis au profit de la découverte et d'un certain goût de l'aventure.
Malgré jalousies en contestations au sein même de l'EPFL, exprimées sans considération ni retenue, l'équipe de recherche poursuit sa tâche au-delà des conservatismes.
Le professeur Rodolphe Nieth fait partie de ces gens-là. Dès 1974, il a imaginé la création d'un métro souterrain reliant les principales cités de Suisse. Il propose de creuser deux tunnels de 5 m de diamètre chacun, dans lesquels se déplaceront des rames de 200 m de long. Ces véhicules, aux cabines pressurisées comme dans les avions, pourront transporter 800 personnes à 400 km/h.
Lorsqu'il fut lancé, ce projet fut jugé inventif par les autorités mais, surtout, par trop utopiste. Pour que Swissmétro devienne réalité, il faudrait créer un vide d'air dans les tunnels afin que les rames puissent se déplacer grâce à un système de sustentation et guidage magnétiques, un procédé qui paraissait beaucoup trop compliqué à l'époque.
Cependant, le professeur lausannois et d'autres collègues n'ont cessé de perfectionner Swissmétro. Sa construction coûterait 13 milliards de francs suisses pour la ligne Genève/Saint-Gall. Les travaux, pour leur part, s'étaleraient sur dix ans et alors, la région franco-genevoise ne serait plus qu'à une heure de métro de Zurich.
Une société anonyme a été créée en 1992 afin de poursuivre ces travaux. Plusieurs villes, comme Nyon par exemple, ont apporté leur soutien financier. Les Chemins de fer fédéraux, d'abord sceptiques, viennent d'annoncer leur intérêt. Swissmétro prend de l'ampleur, en acquérant une dimension européenne; il pourrait se muer en Eurométro reliant Lyon à Munich, en passant par Genève, Zurich et Saint-Gall. Par la voix de plusieurs de ses représentants, le gouvernement genevois a, lui aussi, marqué son intérêt pour ce projet d'Eurométro.
Swissmétro/Eurométro incarne l'avenir des relations transfrontalières en Europe. Il importe donc que Genève relève ce défi.
C'est pour ces raisons que nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Débat
M. Armand Lombard (L). Je suis extrêmement malvenu de parler d'un projet si terre à terre, et même si souterrain, après les envolées glorieuses que nous avons eues devant nous avec la présentation des astronautes tout à l'heure. Il s'agit quand même là d'un projet d'ouverture, de relance et bousculant un certain nombre d'habitudes et de pratiques.
Le projet Swissmetro présente des technologies d'extrême avant-garde. On a pu le taxer d'utopie et de projet risqué et, à l'évidence, c'est un projet qui a une certaine utopie, qui a un certain nombre de risques, mais je pense que parallèlement il a un potentiel remarquable dans ses applications futures. Il est une incitation pour la Suisse et pour les milieux concernés par son étude, et après, par sa réalisation, à redevenir compétitifs, à venir sur les marchés internationaux avec un projet tel qu'on ne l'a jamais vu jusqu'ici. Il est aussi la possibilité, quand bien même ce n'est pas une possibilité à très court terme, d'ouverture de chantier et d'ouverture d'emplois intéressante.
Si nous avons jugé bon de présenter cette motion, c'est au vu de la grande mollesse de la réception du projet. Il y a longtemps que l'on parle de ce projet de Swissmetro, et ses promoteurs, les chercheurs, les quatre ingénieurs qui s'occupent de ce projet à l'EPFL, ont recherché - vous le savez et je ne vous referai pas tout l'historique - 14 millions pour une première étude de faisabilité de ce projet. 7 millions ont été trouvés dans les milieux privés et, petit à petit, lentement et en se faisant extrêmement tirer l'oreille, le Conseil fédéral a finalement lui aussi accepté une participation de 7 millions pour cette première étude de faisabilité.
Ça a été lent. Pendant ce temps, vous aurez aussi lu dans la presse que le projet global qui était estimé à 13 milliards aurait trouvé son financement auprès des Japonais. Il n'a bien sûr pas été accepté par les promoteurs qui en sont restés à leurs positions acquises puisqu'à l'évidence ce projet serait alors totalement vendu à l'étranger et n'aurait plus une base helvétique. Vous avez vu également que ce projet a récemment été salué par une opposition intérieure, comme on sait si bien le faire chez nous, mais d'une sommité très respectable et très respectée en la personne du professeur Bovy. Je considère cela comme extrêmement regrettable et comme à l'image bien trop fréquente de nos facultés et de nos universités qui ne savent pas s'ouvrir, s'attacher et s'unir autour d'un projet qui promet beaucoup, quand bien même il est risqué.
Nous avons évoqué dans l'exposé des motifs la position du professeur Nieth. Je vous rappelle que ce professeur, qui est à la base de ce projet, ne dispose même pas d'un secrétariat pour faire son travail et se trouve en fait tout seul pour mener son opération sur le plan administratif. Cette motion a pour but de donner un encouragement actif à ces promoteurs et à l'équipe qui les entoure, de donner un encouragement actif à ceux qui, dans l'économie, devront soutenir ce projet et donner un encouragement actif à cette nécessité d'un travail en commun du secteur privé, du secteur public et des mass médias et de la pression populaire qui devront tous s'unir autour d'un pareil projet aussi lourd et aussi important pour pouvoir le faire réussir.
Le but de cette motion est donc une stimulation, de dire allons de l'avant, de dire on peut encore croire à des choses chez nous, à des projets nouveaux bien davantage d'ailleurs qu'une motion qui donnerait un certain nombre de conseils techniques qu'à l'évidence nous ne sommes pas capables de donner. Je souhaite ainsi que vous puissiez suivre les motionnaires en renvoyant cette motion au Conseil d'Etat dans l'idée simplement d'un appui à court terme très psychologique, surtout psychologique, et par la suite d'un soutien à envisager pour ce projet très enthousiasmant.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). C'est bien dommage pour la Suisse que les auteurs de cette motion n'aient pas été présents à la descente olympique de Lillehammer. Nous aurions certainement gagné quelques médailles, tant ils sont rapides ! A les lire, on a le sentiment que Swissmetro est un projet déjà prêt pour la réalisation alors que l'on en est encore au stade de la recherche et que, d'après M. Ogi, la réalisation sera pour l'an 2040, voire l'an 2050 ! Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas soutenir ce projet de recherche, car l'idée présente en effet quelque intérêt.
Swissmetro pourrait constituer une alternative au trafic aérien sur les moyennes distances sous forme d'un Eurometro. Avec 500 kilomètres de liaisons rapides, on pourrait par exemple relier des villes comme Milan, Munich ou Lyon. Un Eurometro qui accélérerait les temps de transports publics de l'Europe alpine serait un atout commercial majeur pour la Suisse et pour Genève en particulier.
Le Swissmetro, ou l'Eurometro, est aussi un projet industriel important, et il n'est d'ailleurs pas sûr que la Suisse puisse s'offrir toute seule ce type de technologie. Mais une telle entreprise, à n'en pas douter, favorisera la créativité et l'avance technologique.
Dans la mesure où nous sommes convaincus qu'il est indispensable que la notion de croissance qualitative qui inclut les critères sociaux et écologiques doit devenir une norme de référence, l'avenir dépend d'une reconversion écologique nécessitant une utilisation optimale des capacités d'innovation et d'amélioration de la productivité. C'est pourquoi un pays comme le nôtre doit investir dans la productivité, dans les infrastructures, dans la recherche et dans la formation, et Swissmetro entre en plein dans cette cible-là.
Reste néanmoins que Swissmetro n'a pas que des aspects positifs. Un certain nombre d'arguments nous viennent d'opposants à ce projet. Ils craignent, premièrement, que ce type de moyen de transport ne se fasse qu'au bénéfice de quelques centres et au détriment du trafic régional. Le Swissmetro relierait les grands axes comme Genève, Saint-Gall, Zurich, en gros les lignes intercity, et ne laisserait au CFF que les lignes régionales et les lignes directes, c'est-à-dire les lignes actuellement déficitaires. Soyons alors clairs sur la mission des CFF et sur leur mode de financement. Si nous souhaitons que les CFF continuent à assurer un réseau de base, il faudra les subventionner plus qu'actuellement dans le cas où Swissmetro serait réalisé, car ce réseau de base ne pourra plus être couvert par le bénéfice des lignes intercity.
Le deuxième argument avancé est que, si l'idée d'un Eurometro est attachante, elle se heurte néanmoins aux différences de technologies développées dans les pays qui nous entourent. Tous les autres réseaux qui nous entourent sont en effet axés sur des technologies lignes à grande vitesse et non pas sur Swissmetro.
Il semble donc que le besoin pour un Swissmetro n'existe pas à l'extérieur des frontières suisses. On peut se demander d'ailleurs si le gain de temps procuré par le Swissmetro par rapport aux lignes à grande vitesse mérite des investissements aussi conséquents et un système différent. Il s'agit donc de se renseigner sur les potentialités européennes de Swissmetro.
Troisièmement, Swissmetro s'intégrera dans un ensemble de transports existants. Il ne s'agit pas de tout faire, d'empiler les moyens de transports, simplement pour faire quelque chose, mais il s'agit bien de privilégier l'instrument qui pollue le moins et ce compte tenu des effets sur l'environnement de la mobilité.
Théoriquement, en réduisant la pression dans un tunnel, on peut atteindre entre 400 et 500 km/h sous terre sans utiliser plus d'énergie que le chemin de fer. Dès lors, Swissmetro pourrait viser un transfert modal des utilisateurs de l'auto et de l'avion. Actuellement, aucune discussion n'a lieu sur ce point et pourtant les mesures d'accompagnement de Swissmetro sont un sujet fondamental pour les protecteurs de l'environnement. De plus, c'est un sujet qui mérite également d'être étudié.
Enfin, les opposants nous disent : «Est-ce vraiment si important de gagner du temps ?». Si l'on met Zurich à une demi-heure de Genève, que deviendra Genève ? une banlieue de Zurich ? La question n'est évidemment pas sans intérêt pour Genève.
En conclusion, la motion telle que présentée ce soir n'est pas réaliste, parce qu'elle parle d'un projet alors qu'en réalité on en est au stade de la recherche et parce qu'elle ignore complètement les aspects de type écologique, urbanistique ou sociologique qui devaient légitimer une telle recherche.
C'est la raison pour laquelle nous vous proposons le renvoi de cette motion en commission. Pour être en mesure de soutenir le projet de recherche Swissmetro dans ses implications techniques, économiques, sociologiques et environnementales, nous souhaitons en effet pouvoir modifier la première invite.
M. Laurent Rebeaud (Ve). Nous ne pouvons pas accepter telle quelle la motion de notre collègue M. Lombard, notamment pour les raisons que vient d'exposer Mme Micheline Calmy-Rey et auxquelles j'aimerais ajouter une considération concernant le Conseil d'Etat. Si nous transmettons cette motion au Conseil d'Etat, nous lui donnons le devoir de prendre parti maintenant, de manière catégorique, dans une polémique scientifique qui vient de commencer. C'est beaucoup trop tôt !
Monsieur Lombard, vous aviez l'air - et entre les lignes on peut le comprendre comme cela - de considérer M. Bovy - quels que soient par ailleurs son honorabilité et le respect qu'on lui doit - un peu comme un savant jaloux d'un de ses collègues qui aurait acquis une certaine notoriété grâce à ce projet révolutionnaire. Il ne s'agit pas du tout de cela, et j'espère que, tout comme moi, vous avez lu le commentaire de M. Bovy, il est extrêmement convaincant. La critique qu'il fait du projet est fondée scientifiquement, c'est vraiment du travail de savant. La discussion au niveau scientifique ne fait que commencer à l'intérieur de l'Ecole polytechnique.
Si M. Bovy a fait cette intervention, c'est qu'il n'avait pas envie que le prestige de l'école soit engagé totalement dans un projet pouvant se révéler vain et qui pourrait aller à vau-l'eau. Vous dites qu'en Suisse on ne sait pas faire de grands projets. On est prudent, et avec juste raison, parce que l'on est un pays minuscule. Je vous rappelle que les Suisses ont lancé quelquefois de grands projets. Il y a eu le P 16 qui a fini, comme vous le savez, dans le lac de Constance. Il y a eu, dans les années 50, la filière suisse en matière de production d'énergie nucléaire, qui a terminé sa carrière à Lucens dans les conditions peu glorieuses que vous connaissez, après que la Suisse, dans ce projet trop prétentieux pour le petit pays qu'elle était aussi bien du point de vue financier qu'au point de vue technique, eut perdu quelques millions et un petit peu d'enthousiasme.
Je crois qu'il est juste de cultiver l'enthousiasme, mais il ne faut pas soutenir avec enthousiasme un projet dont on maîtrise mal les dimensions et dont le professeur Bovy nous montre qu'il a toutes les chances d'être trop ambitieux pour la Suisse. Je veux bien que l'on encourage la recherche, je suis prêt à soutenir la motion dans la forme que vous propose maintenant Micheline Calmy-Rey, mais je ne veux pas donner au Conseil d'Etat le devoir maintenant, en toute méconnaissance de cause, de se lancer à corps perdu dans un projet enthousiasmant, mais encore tellement plein d'inconnues et tellement prétentieux dans tous les sens du terme pour nous, Monsieur Lombard, que vraiment c'est lui demander d'assumer une tâche impossible.
J'ajoute que si vous voulez faire de la relance avec ce projet, c'est vraiment une pure illusion. Il n'y aura pas de chantier Swissmetro avant 30 ans, si jamais ça se réalise en Suisse. Vous voyez loin, Monsieur Lombard, mais pour les années qui viennent il n'y aura pas de grands travaux dans ce sens !
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne reprendrai pas les propos qu'ont tenus mes préopinants à l'instant. Je prends note, dans l'exposé des motifs, que MM. les motionnaires pensent qu'il s'agit aujourd'hui de bannir la normalité et de redécouvrir un certain goût de l'aventure. J'aimerais quand même que l'on revienne à une procédure un tant soit peu normale par rapport à un objet aussi important que celui-ci. A l'évidence, la normalité voudrait que l'on ait un débat de fond sérieux, prenant en compte les critiques, les oppositions formulées par rapport à ce projet. L'exposé des motifs de cette motion est traité avec légèreté et manque de sérieux.
Il est absurde qu'après un quart d'heure de débat ce soir, nous engagions les autorités de la République et canton de Genève à soutenir ce projet. Il demande évidemment à être débattu, il demande à l'être sur la base de rapports un peu plus complets que ce petit feuillet et, à l'évidence, on devra revenir sur cette question. Mais pour le moment, je crois que les motionnaires sont en train d'essayer de nous mener en bateau...
Des voix. En métro !
M. Pierre Vanek. ...et à l'évidence il s'agit de refuser cette motion. (Protestations.)
M. Chaïm Nissim (Ve). Je voudrais juste amener quelques lumières...
L'assemblée. Aaah !
M. Chaïm Nissim. ...les modestes lumières d'un ingénieur dans ce débat. Vous savez qu'au «poly», dont je suis un ancien étudiant, le débat fait rage. Je ne prétends pas moi trancher ce débat. Je voudrais simplement vous dire un petit peu de quoi on parle au «poly» depuis cinq ans, car le débat est violent et il y a dans toutes les revues professionnelles des questions posées et des réponses apportées, le débat est vraiment ardu. Je voudrais juste vous parler de deux des questions essentielles dont nous débattons en ce moment. La première, c'est celle de la sécurité. Certains se demandent ce qui se passerait si, dans ce boyau souterrain où il y aura le vide d'air, cette espèce de fusée qui va circuler dans ce boyau...
Une voix. Suppositoire !
M. Chaïm Nissim. ...tombait en panne et qu'il n'y ait plus de courant pour la faire avancer ou reculer. Comment ferez-vous pour aller sauver les gens qui seront coincés ? D'autres ont des réponses partielles à apporter, convaincantes ou non.
Le deuxième débat qui fait rage également concerne le problème des portes. Vous savez que cette espèce de suppositoire, comme dit mon collègue, vole dans le vide. Mais pour faire le vide dans le couloir et pour que les gens puissent entrer quand même dans la fusée, il faut qu'il y ait des sas. Ces sas vont ressembler à des portes d'avion. On sait faire des portes d'avion qui résistent bien au vide, ce n'est pas un problème, mais le problème c'est l'étroitesse de ces portes. Comment allez-vous procéder pour faire entrer les gens qui vont monter à Lausanne ou descendre à Berne ? Comment vont-ils faire pour monter à travers des portes qui seront relativement étroites, à travers deux sas, un qui va leur permettre d'entrer dans la fusée et l'autre qui leur permettra de passer au dehors ? Comment vont-ils faire en deux minutes ? C'est le calcul qui est fait par les promoteurs du projet.
Une voix. Est-ce qu'il y aura des stores ou des fenêtres ? (Rires, quolibets.)
M. Chaïm Nissim. On ne sait pas ! N'empêche que c'est un débat très sérieux, sur lequel de doctes ingénieurs se penchent en ce moment, et on ne connaît pas la réponse. Certains disent que c'est impossible en deux minutes, d'autres qu'il n'y a aucun problème, on peut le faire en deux minutes. Tout ça pour vous dire que le débat n'est pas tranché. En dernier lieu, j'aimerais vous parler de quelques doutes philosophiques qui ne sont plus techniques.
Des voix. Aaah !
M. Chaïm Nissim. Nous avons besoin d'aventure, besoin d'espoir et c'est parfaitement vrai. Cela nous stimulerait et nous en avons tous besoin. Nous sommes coincés dans un manque de perspectives, un manque d'aventure. Cela dit, je me demande si c'est dans cette aventure-là que j'ai envie de risquer mon temps et mon argent juste maintenant. Je vais vous dire pourquoi. Dans des aventures mal pensées, on investit beaucoup d'argent, cela pour permettre à quelques hommes d'affaires pressés de gagner deux heures sur le trajet Genève-Zurich. On perd quelquefois de vue tous les gens qui ont besoin d'aller à Sallanches et qui n'ont pas de moyens parce qu'il n'y a pas d'argent investi dans ces moyens-là. Quelquefois on fait gagner beaucoup de temps à quelques privilégiés qui vont très vite de Genève à Zurich et, pendant ce temps, des centaines de gens ne peuvent pas aller très vite de Genève à Sallanches et il arrive quelquefois que dans des projets mal pensés on y perde globalement socialement dans l'ensemble.
Cette question-là est aussi une question importante, ce n'est pas une question d'ingénieur mais une question de philosophe. Pour ces trois questions-là, je crois que nous aurions intérêt à réfléchir un petit peu comme l'ont dit certains de mes préopinants, éventuellement accepter l'amendement de notre camarade Micheline, mais en tout cas pas nous précipiter la tête dans un sac.
M. Jean-Luc Ducret (PDC). Je veux revenir sur terre. Je ne suis ni ingénieur ni philosophe. Je veux simplement vous dire que le groupe DC approuve les considérants des motionnaires, avec toutefois une seule réserve. Si cette motion devait être acceptée, je trouverais dommage que les motionnaires aient limité leur réflexion au canton de Genève et aux cantons romands en particulier.
L'amendement que je me propose de déposer vise simplement à supprimer dans les considérants l'allusion au canton de Genève et, dans la deuxième invite, à se borner à parler «des autres cantons», sans parler des cantons romands.
M. Jean-Pierre Lyon (AdG). Il y a des choses intéressantes dans cette motion. On apprend ce soir beaucoup de choses, notamment qu'il y a un changement d'attitude du parti libéral vis-à-vis des transports publics et c'est quelque chose d'important qu'il faut relever. On a eu des adversaires farouches contre les transports publics. (Protestations des députés libéraux.) Alors, ce soir, nous avons un élément positif. J'espère retrouver ces motionnaires pour un projet concernant les transports auquel je pourrais m'associer.
En 1988, le peuple genevois avait voté un programme fixant le développement et le financement des transports publics. Depuis deux ans, on ne l'applique plus puisque l'on a réduit de plus de 10 millions la subvention aux TPG. Chaque année, nous avons donc réduit de 20 millions et nous ne pouvons pas appliquer ce programme. Alors, essayons quand même de favoriser le déplacement des Genevois rapidement et vous verrez que ce sera intéressant parce que, pour aller prendre Swissmetro, s'il faut attendre devant sa maison pendant un certain temps, ça n'ira pas. Il faut aussi parallèlement soutenir les transports publics genevois. On a appris quelque chose de formidable ce soir, c'est que nous étions dans une économie néo-libérale; depuis aujourd'hui, nous sommes dans une économie socio-libérale !
Des voix. Bravo !
M. Jean-Pierre Lyon. C'est quand même intéressant. C'est un changement profond dans la vie genevoise et je m'interroge. J'espère que M. Lombard pourra me répondre. Que pensent les chefs de l'Association Feu-Vert de cette initiative ? Eux qui ne sont pas très transports publics. Qu'en pensent-ils puisqu'ils sont dans vos rangs ?
Mme Marlène Dupraz (AdG). Pour «atterrir» dans la salle du Grand Conseil, je me pose la question suivante. Faut-il des rames pressurisées pour atteindre des vitesses intéressantes, ne faudrait-il pas attendre pour prendre son train, son métro devant la porte que toutes les conditions soient requises avant que l'on puisse y pénétrer ? Attendre comme devant un avion et encore attendre trois quarts d'heure pour en sortir ? Si je veux me rendre à Zurich, je mettrai trois quarts d'heure pour prendre le train, trois quarts d'heure pour le quitter, et cela pour la vitesse de 400 km/h.
Je pense que l'on peut faire plaisir à M. Lombard en renvoyant cette motion en commission. Il en discutera pendant deux ou trois séances, mais, personnellement, ce projet tel qu'il est rédigé, tel que l'exposé des motifs est présenté, me semble assez stérile. C'est un projet qui coûtera cher aux contribuables, vu le nombre de séances que nous passerions dessus.
M. Armand Lombard (L). Je suis passionné, moi aussi, par le débat que soulève cette motion et, à l'évidence, certaines remarques faites sont intéressantes, sans toutefois pouvoir être d'accord avec toutes. Je relève un intéressant puzzle aux couleurs normales de notre Grand Conseil. M. Nissim, première réaction, parle sécurité. Attention, on pourrait tomber du train ! (Ton sarcastique de l'orateur.) (Rires.) M. Vanek parle normalité et acquis : Défendons ce qui existe, mon Dieu, restons conservateurs parce que l'avenir ce n'est jamais précis avec de nouvelles choses ! M. Rebeaud, qui avait légèrement dit dans la presse qu'après tout pourquoi pas, pourquoi ne pas faire ça plutôt qu'autre chose ! (Légère ironie dans le ton de l'orateur.) (Sourires.) Il a tout à coup trouvé M. Bovy. S'il y a M. Bovy, je rappelle qu'il y a aussi quatre autres professeurs et qu'effectivement ils sont en train de se trucider à l'intérieur de l'EPFL.
Je voudrais également dire que la parole de M. Bovy n'est pas plus fondamentale que celle des autres. Je l'ai plutôt entendu sur des traversées de rade, des histoires de voitures, je ne l'avais pas encore vu jusqu'à maintenant dans des problèmes de haute technologie pour lesquels les quatre autres professeurs me paraissaient plus compétents et destinés à mieux mener à bien cette recherche.
En ce qui concerne M. Lyon, l'ennui c'est que Mme Dupraz dit le contraire et a défloré sa belle remarque sur l'ouverture libérale aux transports publics. Pour moi, les associations Feu-Vert, Feu-Rouge ou Feu-Orange quelles qu'elles soient, devraient pouvoir s'allier si elles ont un minimum de dynamique, d'espoir et de vue à long terme derrière ce projet qui est un beau projet de transports publics. A l'évidence, c'est un projet de transports publics longue distance. Vous avez vu que maintenant il y a une extension, je dirais rêvée pour ne pas avoir l'air d'être trop matérialiste, de Lyon ou Munich.
Cela ne règle effectivement pas le problème pour la personne qui veut aller à Sallanches ! Je suis désolé, Monsieur Nissim, il faudra trouver autre chose. Si vous prenez un long courrier ou un Boeing 747, il ne pourra pas non plus vous poser à Sallanches et ce n'est pas une raison pour que le Boeing ne soit pas utile pour certaines personnes. Quant aux remarques de Mme Calmy-Rey, que ce soit un projet ou de la recherche, je m'entendrai avec elle sur «projet de recherche», si vous le voulez bien !
Sur la deuxième partie consistant à élargir la base d'étude de ce projet, de l'envisager sous plusieurs de ses composantes, je pense effectivement que c'est très nécessaire. Je pensais simplement, en vous proposant de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, créer un choc, un enthousiasme, un soutien à cette équipe qui travaille sans aucun soutien, qui ne travaille qu'avec des remarques comme celles que vous venez de faire pendant un quart d'heure.
Si l'on veut, on peut changer l'objectif et ouvrir une discussion. Vous voyez l'intérêt de discuter technique avec M. Nissim et moi-même ! D'ailleurs, sur les problèmes de savoir si l'on pourra sortir de ce train ou faire couler l'eau pour se laver les mains quand on sera coincé dans un wagon, (Rires.) je veux bien aller en discuter en commission. Il y aura peut-être un certain nombre d'apports intéressants, mais je ne crois pas que ce sera le soutien et le support que nous souhaitions. Mais ce dernier viendra un petit peu plus tard, je l'espère !
M. Jean Opériol (PDC). Je ne peux pas m'empêcher d'invoquer une certaine tristesse à l'audition du débat qui s'est instauré sur cette motion. Je suis triste, mais j'ai le secret espoir que l'on mette fin à ce débat en renvoyant cette motion au Conseil d'Etat. Il y a une heure environ, il y avait dans cette salle M. Nicollier, astronaute, et je suis bien content qu'il ne soit pas resté à la tribune pour écouter nos débats parce que M. Nicollier incarne et synthétise aujourd'hui une évolution technologique que nous avons tous applaudie tout à l'heure. Nous étions tous debout, à gauche comme à droite, pour applaudir à l'évolution technologique que ce personnage synthétise.
Cette motion, je l'ai signée, parce qu'il m'a plu que, dans notre République et dans ce pays, il y ait une idée peut-être un peu folle, peut-être un peu utopique, mais en tout cas enthousiasmante, qui réveille un tout petit peu la classe politique et qui la fasse un peu phosphorer sur ce qui se trouve être un petit peu décoiffant pour certains. Vous m'excuserez d'être un peu amer, mais je trouve dommage qu'au moment où nous applaudissons à une évolution technologique qui envoie des hommes dans l'espace, nous nous battions dans un manichéisme de bas étage sur des couleurs de portes ou sur des acheminements de voyageurs à la gare de Berne, alors que le problème est bien ailleurs.
Je demande que l'on fasse un retour sur soi-même et que l'on renvoie cette motion au Conseil d'Etat simplement pour qu'il nous aide à réfléchir sur un grand projet. Ils ne sont pas aussi nombreux que ça.
M. Jean Spielmann (AdG). Je pense qu'il convient quand même de repréciser un certain nombre d'éléments par rapport à la politique globale des transports dans laquelle entend s'intégrer ce projet. Premièrement, il y a une nécessité urgente de poursuivre les investissements pour finir la réalisation de Rail 2000 qui a été échelonnée dans le temps. Il est clair que si l'on procède au niveau des transports sur le plan fédéral de la même manière qu'on le fait sur le plan cantonal, en avançant des projets intéressants et novateurs dans le but de faire retarder l'application du plan des transports et la mise en place de réelles prestations à la population, cela posera bon nombre de problèmes.
Il n'est pas surprenant que cette proposition vienne du côté de ceux qui tentent de retarder les applications et qui ont même remis en cause - par exemple pour la votation de dimanche - des décisions prises par le peuple concernant le transport et le transfert sur le rail du transit des marchandises par la route alors que le peuple a décidé de trancher. On essaie aujourd'hui, par des mesures dilatoires, de dire que personne ne s'occupe de ce projet. Cela est totalement faux puisque ce projet a le soutien des CFF et de nombreux organismes nationaux pour tenter de le faire avancer au niveau théorique et de le rendre concret.
La sustentation magnétique n'est pas un phénomène extraordinairement nouveau. Ce qui est nouveau, c'est le tunnel, mais la sustentation magnétique existe déjà en Allemagne et au Japon puisque des lignes sont à l'essai. Sur le fond, il y a certainement un intérêt à séparer le trafic à grande vitesse du trafic normal des trains pour permettre simplement le maintien du trafic régional. Il y a, en effet, une incompatibilité entre les trains à grande vitesse et le trafic régional sur les mêmes lignes, mais tout cela ne veut pas dire que l'on doit aujourd'hui se lancer dans cette direction-là et vous suivre dans votre volonté de retarder politiquement et financièrement l'application de Rail 2000 au niveau national, de remettre en cause le trafic régional, de diminuer les subventions des CFF et de réduire les prestations à la population.
Il y a là une contradiction importante et ce n'est pas en vous réfugiant derrière des projets d'avenir extraordinaires que vous arriverez à sauver la mise qui est votre responsabilité politique dans les retards que prennent aujourd'hui les transports publics dans notre pays. Il y a là deux éléments. Je ne suis pas opposé à ce que l'on fasse de grands projets, mais si cela vous conduits à prendre des mesures dilatoires et à ne pas faire face à vos responsabilités, nous ne sommes pas prêts de vous suivre.
C'est exactement ce qu'a également dit M. Bovy. Il a dit qu'il y avait aujourd'hui d'autres urgences, mais cela ne veut pas dire que l'on ne doive pas examiner ce projet. Toutefois, on le réalisera dans 30 ans seulement, dans le meilleur des cas. Ces projets sont en route et ont des soutiens financiers. Il n'est pas question que le politique tranche aujourd'hui des objets qui sont des propositions d'avenir et des progrès technologiques qui ont de toute manière le soutien qu'ils méritent.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. On discute à perte de vue sur cette motion, mais j'ai l'impression que l'on n'est pas très éloigné les uns des autres. Le projet Swissmetro en est au stade de la recherche de fonds pour financer l'étude principale, c'est donc bien dire que l'on est au stade de l'étude d'un projet. Le canton de Genève, concrètement, pourrait soutenir le projet Swissmetro de deux manières.
Il pourrait, par exemple, souscrire à des actions de Swissmetro SA, actions qui seraient à fonds perdus puisque les buts de Swissmetro SA sont de faire la promotion du projet et d'obtenir une concession fédérale. D'autres collectivités publiques sont déjà devenues actionnaires de Swissmetro. Ce sont, pour mémoire, la commune de Nyon, celle de Lausanne, Bâle-Campagne et l'Etat de Fribourg. Autre possibilité, l'Etat de Genève pourrait manifester son intérêt à participer à cette étude avec un apport de fonds propres, mais il pourrait, par exemple, utiliser ces fonds en les affectant au travail de notre université ou de nos Services industriels.
Nous pouvons donc accepter que cette motion soit renvoyée pour examen à la commission des transports. Lors de cet examen, la commission pourrait inviter une personne compétente - et elles sont nombreuses - sur le plan technique ainsi qu'une personne de Swissmetro pour s'informer sur les différentes possibilités de soutenir ou non ce projet. Le Conseil d'Etat devrait pouvoir, quant à lui, présenter en 1994 encore un rapport au Grand Conseil sur l'état d'avancement du projet.
Pour terminer, permettez-moi deux remarques. La première pour dire qu'effectivement les motionnaires se font des illusions lorsqu'ils parlent de relance au sujet de ce projet. Vous l'avez vu, c'est un projet extraordinairement novateur et donc complexe et ce n'est pas demain que l'on creusera. La deuxième remarque rejoint ce qu'a dit M. Ducret. Je regrette que l'on ne parle que des cantons romands au moment où, précisément, ce projet a besoin d'un impact au niveau de l'ensemble du pays. Nous pourrons cependant, ultérieurement et si vous le souhaitez, rectifier le tir.
En conclusion, le Conseil d'Etat accueille favorablement cette motion. Il souhaite effectivement que la seconde invite soit modifiée puisqu'il ne souhaite pas être contraint d'assurer la promotion avant que nous ayons étudié le projet, mais si ce projet est renvoyé à la commission des transports, c'est très volontiers que nous l'étudierons ensemble.
M. Laurent Rebeaud (Ve). Je soutiens cette motion si elle est renvoyée en commission. J'aimerais, puisque j'ai la parole, profiter de m'excuser auprès de M. Opériol pour l'avoir attristé. Ce n'est pas vraiment le but. Le but c'est que l'on y voie clair et, dans le cas particulier, votre motion demandait quelque chose d'impossible. J'aimerais vous dire, Monsieur Opériol, que j'ai participé comme vous à la cérémonie de tout à l'heure et que si nous avions ici à soutenir la NASA pour un projet de cette ampleur j'aurais moins d'hésitations. Toutefois, il ne s'agit pas d'un projet mondial, mais d'un projet suisse et nous devons mesurer nos capacités à engager des forces rares et modestes dans un projet de cette ampleur. Renvoyons ce projet en commission et l'on en discutera plus tard.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette motion à la commission des transports est adoptée.