République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7031-A
11. Rapport de la commission judiciaire chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi d'application du code pénal et d'autres lois fédérales en matière pénale (E 3 3). ( -)PL7031
Rapport de Mme Christine Sayegh (S), commission judiciaire

Dans sa séance du 27 septembre 1993, la commission judiciaire, présidée par M. Michel Jacquet, a étudié le projet de loi 7031. Elle était assistée dans ses travaux par M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat alors chef du département de justice et police, ainsi que par MM. Rémy Riat et Bernard Duport, secrétaire adjoint au département de justice et police.

But de la loi

En raison de la modification du code pénal suisse en matière d'infractions contre l'intégrité sexuelle, le Conseil d'Etat a proposé d'adapter l'article 4 de la loi d'application du code pénal et d'autres lois fédérales en matière pénale et d'attribuer de nouvelles compétences au Tribunal de police pour connaître des infractions prévues aux articles 188 CPS (actes d'ordre sexuel avec des personnes dépendantes), 192 CPS (actes d'ordre sexuel avec des personnes hospitalisées, détenues ou prévenues) et article 193 CPS (abus de la détresse).

Le Conseil d'Etat proposait en outre une adaptation technique de l'article 4, chiffre 24, aux motifs que le code pénal a remplacé le terme «publication obscène» par «pornographie» et modifié la numérotation, la teneur de l'ancien article 204 CPS étant contenue dans le nouvel article 197 CPS.

Travaux de la commission

L'article 4 de la loi d'application du code pénal (LACP) précise quels sont les délits, à savoir les infractions sanctionnées par l'emprisonnement comme peine la plus grave, qui sont de la compétence du Tribunal de police.

Cette liste est exhaustive.

En effet, c'est la Cour correctionnelle qui connaît des infractions passibles de l'emprisonnement et les exceptions à cette règle, énumérées à l'article 4 LACP, permettent de soulager la Cour correctionnelle.

Les commissaires se sont posé la question de savoir s'il était judicieux de «tribunaliser» des délits contre l'intégrité sexuelle, sachant que la procédure devant le Tribunal de police est beaucoup moins solennelle que devant la Cour correctionnelle.

Psychologiquement, il est, effectivement, plus impressionnant pour un accusé de comparaître devant la Cour correctionnelle plutôt que devant le Tribunal de police.

Malgré l'argument selon lequel le législateur fédéral a quelque peu réduit la gravité des infractions d'ordre sexuel dans les nouvelles dispositions entrées en vigueur le 1er octobre 1992, la majorité des commissaires estimèrent qu'il ne fallait pas, de surcroît, minimiser le formalisme de la procédure, notamment pour des infractions dont les victimes sont dans une relation de dépendance avec l'accusé, comme c'est le cas en l'espèce.

Après un vote d'entrée en matière accepté à l'unanimité, l'amendement tendant à abroger les chiffres 22, 23 et 23 bis de l'article 4 LACP a été accepté par 7 voix (2 S/2 E/2 R/1 DC), 3 oppositions (2 L/1 MPG) et une abstention (1 L).

Commentaires article par article

Article 4 - chiffre 22

Cette disposition donnait compétence au Tribunal de police pour connaître des infractions à l'ancien article 198, alinéa 1 CPS relatif au proxénétisme.

Ces infractions étant maintenant contenues dans le nouvel article 195 dont la peine menace est de 10 ans de réclusion, elle ne peut plus être de la compétence du Tribunal de police selon le système procédural actuellement en vigueur.

Article 4 - chiffre 23

Mêmes remarques que pour le chiffre 22.

Article 4 - chiffre 24

Il s'agit d'une modification purement technique, l'article 204 ayant changé de numérotation pour devenir 197 et la note marginale «publication obscène» ayant été remplacée par «pornographie».

** *

Ainsi et au bénéfice des explications qui précèdent, la majorité de la commission judiciaire vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter le projet de loi 7031 ainsi amendé.

Premier débat

M. Claude Lacour (L). La question posée par ce projet de loi peut se résumer comme suit : faut-il «tribunaliser» - je m'excuse du mot, il est paraît-il officiel - c'est-à-dire faire juger par le Tribunal de police les infractions sexuelles commises à l'encontre de personnes dépendantes hospitalisées ou en détresse ? La réponse de la majorité de la commission judiciaire est négative, car si je reprends les arguments de cette commission, la Cour correctionnelle normalement compétente apporte un plus en ce sens que la procédure de la Cour correctionnelle est plus solennelle, elle est plus impressionnante pour l'accusé et elle ne minimise pas le formalisme procédural. C'est du moins les arguments que j'ai trouvés dans le rapport.

Alors, la question que je vous pose est la suivante : Pensez-vous qu'un délinquant sexuel, soit par définition un être qui agit sous l'empire d'une violente passion physique ou autre, va renoncer en pensant à la solennité de la Cour correctionnelle par rapport au Tribunal de police ? Le vrai problème est de savoir quelle différence il y a entre la Cour correctionnelle et le Tribunal de police au point de vue de la justice. Or, je crois qu'il faut savoir que ces deux tribunaux appliquent exactement les mêmes lois, peuvent infliger exactement les mêmes peines et, finalement, dans leur composition se ressemblent beaucoup.

En effet, le Tribunal de police est constitué par un juge et deux assesseurs quasi professionnels puisqu'ils restent là de nombreuses années, alors que la Cour correctionnelle, vous me direz, est composée de six jurés. Mais en fait il y a deux Cours correctionnelles : une avec jury et une sans jury. Je puis vous assurer que pour toutes les infractions dites de type sexuel, le délinquant choisit toujours d'être jugé par la Cour correctionnelle sans jury, c'est-à-dire par trois juges professionnels, soit donc le même nombre et la même qualité de juges. Les seules différences qu'il y a entre ces deux tribunaux sont simplement que la procédure devant le Tribunal de police est plus simple, plus rapide, autrement dit le délinquant est jugé plus rapidement et elle revient, dans l'absolu, moins cher. Un autre avantage : il est plus facile d'obtenir un huis clos devant le Tribunal de police.

Finalement, je crois qu'il faut revenir à la question fondamentale. Qu'est-ce qui dissuadera un criminel de commettre ce genre d'infraction ? Parce que c'est cela que l'on veut obtenir. Or toutes les statistiques, tous les théoriciens, tous les praticiens de la justice vous répondront que ce qui dissuade un criminel de commettre un crime ce n'est pas la gravité ou la durée de la peine. Il n'y a qu'à voir les pays qui connaissent et ceux qui ne connaissent pas la peine de mort, les statistiques n'ont absolument pas changé qu'on la maintienne ou non. Deuxième argument, est-ce que vraiment la solennité ou la classe du tribunal va détourner un criminel ? Je me permets d'en douter. La dureté de la détention ? Tout le monde sait que le criminel ne pense jamais à cela avant d'agir. Alors, qu'est-ce qui empêche vraiment un criminel d'agir ? Tous les spécialistes vous le diront, il n'y a qu'une seule chose, c'est les «chances d'être pris». C'est le seul fait, si bête soit-il, qui dissuade les criminels d'agir et qui réduit la criminalité.

Dans ce genre de délits sexuels qui est l'objet de notre problème aujourd'hui, comment est-on pris ? Ces délits, par définition, ne se commettent pas dans la rue ou en public. On est pris uniquement lorsque la victime dénonce son agresseur. Donc, la poursuite n'existe pratiquement que sur plainte de la victime. Or les victimes, vous le savez, dans les délits sexuels hésitent beaucoup à dénoncer leur agresseur. Pourquoi ? Parce que cela n'est pas facile. Premièrement, elles sont déjà victimes d'une agression extrêmement pénible, ensuite elles doivent aller réexpliquer leur malheur devant un juge d'instruction, puis aller de nouveau devant un tribunal réexpliquer ce qui leur est arrivé et être victime d'un battage médiatique qui n'est guère agréable.

Si je reviens au problème du Tribunal de police et de la Cour correctionnelle, je pense pour ma part que les gens qui seraient jugés plutôt par le Tribunal de police que par la Cour correctionnelle dans ces cas-là bénéficieraient, en ce qui concerne la victime cela me paraît important, de la même justice et de la même sévérité de peine, mais par contre l'atteinte à leur vie privée et intime serait moins violente. Sachant cela, ils hésiteraient moins à déposer plainte et, par conséquent, plus de criminels de ce type seraient enfin jugés et seraient l'objet des foudres de la justice. C'est la raison pour laquelle je pense, pour ma part, qu'amender le projet de loi qui vous est soumis c'est aller à fin contraire du but que nous recherchons tous.

M. Laurent Moutinot (S), rapporteur ad interim. Le problème n'est pas exclusivement du point de vue du condamné. Nous avons un système qui classifie les infractions en fonction des juridictions qui ont à les connaître et la commission judiciaire a voulu montrer que ce type d'infractions sexuelles sont d'un degré de gravité certain, raison pour laquelle a été choisie la Cour correctionnelle plutôt que le Tribunal de police. D'autre part, c'est une reconnaissance, à l'égard de la victime, de la gravité de ce qu'elle a subi que de lui dire : «la personne qui a commis un acte contre vous va passer devant la Cour correctionnelle, ce n'est pas de la simple broutille renvoyée au Tribunal de police.». Je crois que sous ces deux angles, la proposition de la commission judiciaire mérite d'être suivie par le Grand Conseil.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Les remarques pertinentes de M. Lacour ont été développées en commission. Je n'y reviens donc pas. Il s'agit d'un projet visant à adapter la loi genevoise d'application du code pénal à la suite de diverses modifications de certaines de ses dispositions. La commission judiciaire, certes, n'a pas entièrement suivi les propositions du Conseil d'Etat pourtant entérinées par le pouvoir judiciaire. C'était bien entendu son droit le plus strict et cela n'affectera en tous les cas pas la bonne marche de la justice. En résumé, nous considérons qu'il s'agit d'un projet de caractère technique, nous n'avons pas d'autres remarques particulières à formuler et, pour ma part, je partage donc les conclusions du rapporteur.

Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

LOI

modifiant la loi d'application du code pénal et d'autres lois fédérales

en matière pénale

(E 3 3)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi d'application du code pénal et d'autres lois fédérales en matière pénale, du 14 mars 1975, est modifiée comme suit:

Art. 4, ch. 22 (abrogé)

Art. 4, ch. 23 (abrogé)

Art. 4, ch. 24 (nouvelle teneur)

24. pornographie (art. 197, code pénal);