République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 17 février 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 4e session - 4e séance
I 1879
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Pardonnez-moi, Monsieur le président du département, de vous interpeller sur un certain nombre de points dont vous venez de dire que vous vous occupiez activement !
L'office cantonal de l'emploi traite, on vient de le dire, tous les mois plusieurs centaines de ces dossiers qui affectent la vie, le destin d'une femme, d'un homme, de leur famille. On a parlé de 16 310 chômeurs pour la fin de l'année 1992. On ne sait pas combien se trouvent en fin de droit pour les raisons que l'on vient d'évoquer.
Est-ce en raison de l'insuffisance du personnel tant en nombre qu'en compétence que cet office fonctionne mal ? Pour traiter chacun des dossiers, il utilise des délais exagérément longs. De plus, l'accueil des chômeurs est souvent déplorable. Je suis favorable à une étude portant sur l'expérience des demandeurs d'emploi et des chômeurs en fin de droit demandeurs de placement temporaire. Bien sûr, les déclarations de ces personnes sont souvent empreintes de la détresse ou de l'angoisse que suscite leur situation. Elles peuvent être exagérées. Il serait également intéressant de connaître l'expérience des employeurs qui se sont impatientés pendant des mois avant d'obtenir une réponse à leur demande d'emploi temporaire.
Je traiterai ici de trois points seulement, particulièrement importants.
Le premier concerne, comme l'a évoqué ma collègue Claire Torracinta-Pache, la formation spécifique des placeurs et des placeuses. Selon les témoignages recueillis, il arrive très souvent que ces derniers n'ont aucune idée de la qualification, de l'expérience professionnelle, des capacités des chômeurs et des chômeuses à placer. Ils n'engagent aucune démarche ni ne disposent d'aucune méthode spécifique pour cerner ces qualifications. Il y a là manifestement là un manque de compétence professionnelle pour orienter les interlocuteurs. Il en résulte très souvent des propositions de placement - j'ai recueilli toute une série de témoignages de chômeurs en fin de droit - quasi au hasard, souvent en contradiction avec tout bon sens ! On a par exemple proposé à un licencié universitaire de travailler en cuisine, alors qu'il existe certainement des places dans des bibliothèques ou dans des administrations publiques où ses compétences pourraient être plus utilement employées.
Le deuxième problème concerne tout simplement les caractéristiques de l'accueil. L'accueil des chômeurs et chômeuses qui arrivent à l'office cantonal de l'emploi est souvent de nature plus répressif qu'accueillant. Il est certainement indigne d'un service public. Les citoyens et citoyennes au chômage sont souvent traités comme des importuns - surtout lorsqu'on les voit à plusieurs reprises - comme des assistés infantilisés, voire comme des malfaiteurs en puissance !
Je donne un exemple qui corrobore celui de Mme Torracinta-Pache. Lorsque les chômeurs se pressent devant les murs où sont affichées les indications de placement, de cours, etc., quelqu'un les fait reculer, mettre en rang ou asseoir, car ils font du bruit en discutant. On les traite comme à l'école enfantine ! C'est extrêmement vexatoire pour un certain nombre de personnes qui en sont à leur Xème démarche pour trouver un emploi. L'office de l'emploi n'a pas une fonction punitive, mais une fonction d'accueil, de conseil et d'orientation. Il faudrait que les chômeurs et les chômeuses puissent s'exprimer, discuter, trouver un accueil humain et un appui qualifié à l'office. Je le sais, la tâche est très difficile, mais cette difficulté est le propre de toute activité de soutien social aux personnes dans la difficulté et la détresse.
Je demande donc au Conseil d'Etat, et plus précisément au conseiller d'Etat Jean-Philippe Maitre, de poursuivre ses efforts de réforme de ce service le plus rapidement possible, puisque, visiblement, il ne fonctionne ni à satisfaction des demandeurs d'emploi ni à satisfaction des employeurs potentiels. Lorsque ces derniers demandent une secrétaire, ils reçoivent successivement trois comptables ! Les personnes qui leur répondent au téléphone sont manifestement peu qualifiées et disent qu'elles n'ont personne à placer ! Il est souvent arrivé que les employeurs potentiels repèrent, par eux-mêmes, les chômeurs susceptibles de correspondre à leurs besoins, s'adressant ensuite à l'office cantonal de l'emploi pour que le dossier soit orienté dans leur direction..
Le troisième problème à résoudre est un peu différent de celui que je viens d'évoquer, mais il émarge à celui évoqué par Mme Claire Torracinta-Pache. La réglementation actuelle de l'assurance-chômage ne permet pas aux chômeurs et chômeuses de se réorienter véritablement dans une autre profession. Les cours de plus d'un an ne sont pas pris en charge. Les reconversions ne sont pas financées. Le chômeur admis dans une école professionnelle de plus d'un an perd toutes ses allocations. L'OCE verse quatre cents allocations, plus cinquante allocations pour terminer un cours.
Il faudrait donc permettre des reconversions pour des personnes issues de secteurs professionnels réellement bouchés dans des métiers offrant des possibilités de travail à long terme. Je pense au social, aux professions de la santé, par exemple. Les textes de lois actuels sont suffisamment souples pour pouvoir mettre en place des procédures de reconversion courtes, mais elles excluent les reconversions à long terme, celles de plus d'une année. J'aimerais donc qu'on examine cette proposition pour permettre à certains chômeurs et chômeuses de suivre une formation de base de longue durée tout en continuant à percevoir les allocations de chômage.
Je me réserve, le cas échéant, de revenir sur ce dernier sujet à travers une motion.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Dans votre interpellation, Madame la députée, vous soulevez un certain nombre de points importants. Votre conclusion globale et amalgamée est parfaitement injuste ! Prétendre de façon générale que les collaborateurs de l'office cantonal de l'emploi ne sont pas compétents et que rien ne marche me paraît tout à fait incorrect ! Effectivement, les procédures d'un certain nombre de points doivent être améliorées, cela ne fait pas l'ombre d'un doute ! Je m'emploie non pas à couvrir les défaillances, mais plutôt à les résoudre. Je trouve injuste de tirer des conclusions très générales qui pourraient être démotivantes si, par ailleurs, les employés de l'office cantonal de l'emploi n'en n'avaient pas déjà vu d'autres !
A cet égard, probablement qu'un séjour de votre part à la commission de l'économie du Grand Conseil serait instructif. En effet, celles et ceux parmi vos collègues qui siègent dans cette commission ont eu l'occasion au cours de ces dernières séances de prendre contact de manière plus directe, à ma demande, avec l'office cantonal de l'emploi pour organiser un certain nombre de visites dans des agences, pour avoir des renseignements sur ce qui se fait, sur ce qui se passe sur les forces, mais aussi, de manière tout à fait lucide, sur les faiblesses de la structure actuelle, et en sont revenus avec des conclusions singulièrement plus nuancées - c'est un euphémisme - que les vôtres !
En réalité, la plupart des membres de la commission de l'économie du Grand Conseil, vos collègues, ont constaté qu'il y avait un certain nombre de choses qui devaient être améliorées à l'office cantonal de l'emploi - c'est incontestable - mais qu'il y avait également un degré d'engagement du personnel, des procédures, des prestations, qui étaient probablement exemplaires et uniques en Suisse.
Je vous en prie, afin de progresser tous ensemble, évitons l'amalgame parce qu'il est particulièrement démotivant, et attaquons-nous aux amélio-rations à apporter dans certains secteurs !
La caisse cantonale genevoise de chômage est considérée comme l'une des caisses les plus performantes en Suisse. A l'époque, il y a environ deux ans, il y a eu des problèmes que nous avons corrigés et cette caisse est actuellement à jour. J'aimerais bien, Madame - je le dis sans polémique - que toutes les caisses syndicales soient à l'image de la caisse cantonale genevoise d'assurance-chômage. Je n'ai jamais entendu vos milieux dénigrer le fonctionnement de certaines formations syndicales !
Prenez le service de la main-d'oeuvre étrangère. Il est exemplaire ! Tous les partenaires sociaux s'en félicitent. Prenez le régime des occupations temporaires. Il fonctionne parfaitement !
A cet égard, Madame, vous avez évoqué, s'agissant des occupations temporaires, le fait que certaines personnes sollicitées pour des occupations temporaires étaient envoyées à des postes qui ne correspondaient pas nécessairement à leurs qualifications. C'est un problème qui est dans la nature des choses. Nous avons effectivement des occupations temporaires à proposer qui ne sont pas forcément en adéquation avec le profil professionnel de la personne concernée. Mais vaut-il mieux proposer à quelqu'un un travail aussi près que possible de son profil professionnel ou ne rien lui proposer du tout et l'envoyer à l'Hospice général ? Poser la question, c'est y répondre ! Il est vrai que nous devons parfois assumer des occupations qui ne correspondent pas toujours au profil professionnel de la personne, mais c'est mieux que rien ! De ce point de vue, le système mis en place par le législateur genevois est bon.
D'ailleurs, je vais vous donner un exemple tout à fait concret. Nous avons dû accueillir, il y a quelque temps, au département de l'économie publique, un architecte en occupation temporaire pour un travail tout à fait ciblé dans le cadre de la promotion économique. Dieu sait si les profils professionnels sont pourtant différents ! Eh bien, cette personne a tellement été emballée par le travail qui lui a été demandé - il s'agissait de creuser un certain nombre de comparaisons internationales sur les coûts de certaines prestations économiques à Genève - et son bagage professionnel s'est tellement enrichi qu'elle a pu retrouver un emploi dans un secteur un peu différent, toujours lié à l'industrie du bâtiment, mais plus en rapport avec la gestion. Cette occupation temporaire lui a ouvert de nouveaux horizons !
Les placeurs ont une tâche difficile. Madame, j'aimerais que vous soyez attentive à cette constatation de base qui est, hélas, incontournable : vous pourriez avoir les meilleurs placeurs du monde - et je ne prétends pas qu'il n'y ait pas de progrès à faire dans ce domaine - vous ne feriez pas de miracle dès lors que vous n'avez, grosso modo, qu'une place de travail à offrir pour dix-huit à vingt chômeurs ! C'est la réalité des chiffres actuels entre le nombre de places vacantes et le nombre de demandeurs d'emploi. On ne peut pas faire de miracle, et je vous demande simplement d'avoir l'honnêteté de tenir compte de ces considérations.
Enfin, vous avez évoqué les questions relatives à la réglementation actuelle sur l'assurance-chômage et, notamment, sur les problèmes liés à la formation courte et au recyclage ciblé permis par le droit actuel. Il y a une lacune ! Le problème se situe au niveau du droit fédéral. Vous savez que ce problème est actuellement en cours d'examen, puisque dans la révision partielle de la loi fédérale sur l'assurance-chômage, qui est actuellement à l'examen devant la commission du Conseil des Etats, il est expressément proposé que, désormais, la loi fédérale sur l'assurance-chômage puisse financer des formations de base plus longues que les simples perfectionnements professionnels. Le débat est donc déjà en cours et votre préoccupation à cet égard est justifiée. Je serais tenté de dire que c'est l'une des rares propositions vraiment satisfaisantes de la nouvelle loi fédérale sur l'assurance-chômage, dont la modification est proposée actuellement aux Chambres fédérales. Nous espérons voir l'aboutissement de cette proposition le plus rapidement possible.
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Merci, Monsieur le conseiller d'Etat, de vos réponses.
J'ai insisté au début de mon interpellation pour dire que l'expérience dont je faisais part était fondée sur des témoignages de chômeurs et de demandeurs potentiels, en soulignant la possible exagération de leurs propos. Je n'ai pas enquêté moi-même dans les offices de placement, dont je connais par ailleurs quelques-uns des placeurs et leur compétence. N'empêche que le sentiment général, très largement partagé - je l'ai dit, dans des situations de détresse et de difficulté, ce sentiment peut être exagéré - n'est pas bon !
C'est ce qui m'a amenée à dire qu'un dysfonctionnement général était à la base de ce mauvais sentiment. Je n'ai pas du tout critiqué toute la caisse cantonale. Les critiques portent toujours sur l'accueil, sur la formation spécifique et sur les compétences des orientateurs et des placeurs et placeuses. C'est un problème qui doit être saisi, car il est non seulement ressenti par les chômeurs et les chômeuses, mais encore davantage par les employeurs qui s'adressent à l'office cantonal pour avoir des chômeurs en fin de droit. Ils s'impatientent au bout de quelque temps, ils cherchent par eux-mêmes et ils trouvent presque toujours. Ils reviennent ensuite à l'office cantonal de l'emploi pour dire qu'ils ont trouvé la personne qu'il leur faut et qu'ils désirent obtenir son dossier. Ce n'est pas tout à fait normal ! Le mécontentement est général !
L'interpellation est close.