République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 102-A
b) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative populaire instituant un fonds de solidarité «Solidarité fiscale». ( -)IN102

Le Conseil d'Etat a constaté l'aboutissement de cette initiative par un arrêté du 15 septembre 1993, publié dans la Feuille d'avis officielle du 22 septembre 1993. De cette date court une série de délais successifs qui définissent les étapes de la procédure en vue d'assurer le bon exercice des droits populaires.

Le premier de ces délais a trait au débat de préconsultation qui doit, de par la loi, intervenir à la séance du Grand Conseil du 16 décembre 1993. C'est en vue de ce débat que le Conseil d'Etat soumet le présent rapport.

A. La validité de l'initiative

Le Conseil d'Etat est d'avis que l'initiative instituant un fonds de solidarité «Solidarité fiscale» (IN 102) pourrait poser un problème de recevabilité au niveau de son exécutabilité, ainsi que cela résulte de la brève analyse qui suit.

I. Recevabilité formelle

1. Unité de la matière

Le respect de ce principe postule que l'on présente au suffrage du corps électoral une question unique à laquelle il puisse être répondu par «oui» ou par «non».

L'initiative 102 comporte comme seule et unique proposition l'institution d'un fonds cantonal affecté aux dépenses de solidarité, en priorité dans les domaines de l'aide aux personnes âgées et aux chômeurs, de l'aide humanitaire, de la construction de HBM et de l'extension des transports publics. Ce fonds cantonal sera alimenté par une contribution prélevée sur la fortune des personnes physiques.

Le principe de l'unité de la matière est ainsi respecté (art. 66, al. 2, de la constitution).

2. Unité de la forme

Le principe de l'unité de la forme (art. 66, al. 1, de la constitution) exige que les initiants choisissent soit l'initiative non formulée, soit l'initiative formulée, mais pas un mélange des deux formes, faute de quoi le traitement de l'initiative serait difficile, voire impossible, compte tenu des dispositions légales applicables.

S'agissant en l'espèce d'une initiative rédigée de toutes pièces, au sens de l'article 65 B de la constitution, l'initiative répond à cette condition.

3. Unité du genre

L'unité du genre ou l'unité normative (art. 66, al. 1, de la constitution) exige que l'initiative soit du niveau d'une norme législative ou de celui d'une norme constitutionnelle, sans mélange des deux.

Ce principe est respecté en l'espèce, le choix des initiants s'étant porté sur la rédaction d'une nouvelle loi.

II. Recevabilité matérielle

1. Conformité au droit

Le respect de ce principe suppose qu'une initiative cantonale doit avoir un contenu compatible avec le droit supérieur. Dès lors que l'on a affaire en l'occurrence à une initiative législative, l'initiative doit respecter la constitution cantonale ainsi que l'ordre juridique fédéral (force dérogatoire du droit fédéral), voire intercantonal ou international.

Cette initiative vise à instituer un fonds qui sera alimenté par une contribution prélevée sur la fortune des personnes physiques. Il s'agit d'un impôt d'affectation, domaine dans lequel les cantons sont souverains.

La proposition des initiants relative à l'institution de ce fonds demeure ainsi du ressort exclusif du canton. A cet égard, il apparaît que le projet ne se heurte en outre à aucune disposition contraire tant au niveau constitutionnel cantonal qu'au regard du droit fédéral.

2. Exécutabilité

Ce principe veut qu'en cas d'acceptation par le peuple, l'initiative puisse être réalisée, c'est-à-dire traduite concrètement dans les faits et dans un délai raisonnable.

Il convient de relever à cet égard que si l'initiative 102 déclare, dans la formulation de son but, que le fonds est affecté à des dépenses de solidarité, elle ne donne en revanche ni une définition de ce terme générique dans le contexte légal proposé, ni ne dresse de liste exhaustive des affectations visées, ni ne fixe de critères permettant de définir ou de cerner les domaines d'affectation entrant en ligne de compte.

L'initiative se borne à énumérer certains domaines de dépenses (de solidarité) considérées comme prioritaires. Le fait même que ces objectifs soient désignés comme prioritaires suppose, logiquement, l'existence d'autres objectifs, non prioritaires ceux-là. Aucune énumération quelconque n'en est toutefois donnée.

Or, la seule référence à la notion de solidarité pour qualifier la nature des dépenses prises en compte ne permet guère de circonscrire a priori les domaines d'affectation du fonds. Le mot solidarité, dans l'acception non juridique utilisée dans le texte, recouvre un concept très général, au contour indéfini, signifiant «dépendance mutuelle entre les hommes», «aide mutuelle» (Petit Larousse), «communauté d'intérêts», «assistance» (Petit Robert), «responsabilité mutuelle» (Littré).

D'ailleurs, les domaines assez composites cités comme prioritaires dans l'initiative allant de l'aide aux personnes âgées à l'extension des transports publics en passant par l'aide humanitaire contribuent à corroborer ce sentiment et laissent présager un éventail d'objectifs potentiels aussi nombreux qu'hétérogènes.

En raison de ce flou juridique, on ne saurait écarter la probabilité de voir surgir des difficultés d'interprétation au niveau de la concrétisation de l'initiative, sinon dans un premier temps, du moins dans une seconde phase d'application, lorsqu'il s'agira d'aborder les domaines d'affectations non prioritaires.

Ce grief ne saurait cependant constituer un obstacle tel à la concrétisation de l'initiative qu'il faille considérer celle-ci comme irréalisable et, partant, l'invalider pour cause d'inexécutabilité manifeste.

Enfin, il est intéressant de relever, subsidiairement, que selon l'exposé des motifs, les usagers de ce fonds devraient être associés à sa gestion. Certes, ce concept ne figure pas expressément dans la loi, mais il n'est pas inutile de préciser que sa considération serait difficilement réalisable, ce notamment en raison du fait que, comme indiqué plus haut, la liste des destinataires de ce fonds est à la fois indéfinie, extensible et évolutive.

B. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DE L'INITIATIVE

1. Le Conseil d'Etat recommande le rejet de l'initiative 102

Le Conseil d'Etat considère qu'en l'état et dans sa forme actuelle, l'initiative instituant un fonds de solidarité «Solidarité fiscale» ne peut pas être prise en considération pour les mêmes raisons que celles exposées dans le cadre de l'initiative 101 «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques», à savoir l'inadéquation du moyen proposé (l'affectation des impôts) au but poursuivi, l'inopportunité d'augmenter la charge fiscale et, partant, de creuser davantage encore le différentiel d'impôt avec les autres cantons suisses au détriment de Genève.

L'opportunité n'étant pas démontrée, le Conseil d'Etat a renoncé à un examen détaillé portant sur la faisabilité, ainsi qu'à l'exposé des conséquences économiques, sociales, politiques et administratives prévisibles qui découleraient de la réalisation de l'initiative.

2. Contre-proposition

Toutefois, le Conseil d'Etat est d'avis que cette proposition pose une série de questions pertinentes qui méritent d'être considérées dans une réflexion plus globale qu'il a d'ores et déjà engagée et qui porte sur:

 le mode de financement des services publics,

 la situation particulière du canton de Genève du fait de l'exiguïté de son territoire (contribution des personnes actives résidant en France et dans le canton de Vaud),

 les effets et les risques socio-économiques d'un endettement excessif de l'Etat,

 la nécessaire redistribution de la prospérité commune,

 le rôle stabilisateur de l'impôt,

 l'usage incitatif de l'instrument fiscal à des fins de politique économique et écologique,

 la réforme des finances fédérales, du régime fiscal fédéral (TVA, initiative pour la suppression de l'IFD, motion Ruesch/Cavadini) et des règles de péréquation.

A l'initiative du département des finances et contributions ainsi que de l'université, cette réflexion est en cours depuis deux ans. Un rapport commandé par le DFC au département d'économie politique de la faculté des sciences économiques constitue une première approche de la question. Ce document de 200 pages analyse successivement la dégradation des recettes, la progression des dépenses, la problématique de l'endettement. On en trouvera la conclusion en annexe.

Cette conclusion n'engage que ses auteurs et ne reflète pas l'avis de tous les experts en économie ou en finances publiques. S'agissant de l'impasse financière que connaissent la plupart des budgets publics, le Conseil d'Etat considère, à l'encontre de l'opinion des auteurs, qu'il y a péril en la demeure et qu'il serait irresponsable d'attendre que la dette prenne des proportions «insupportables» pour agir avec la détermination requise.

Le plan d'assainissement du gouvernement prévoit un retour à l'équilibre financier en deux étapes. La première échéance est fixée, faut-il le rappeler, en 1997, soit huit ans après l'apparition des premiers déficits. A cette date, seul le petit équilibre devra être atteint (couverture des charges avant amortissements). La seconde échéance est fixée trois ans plus tard. Ce parcours ressemble plus à une course de fond qu'à une épreuve de vitesse. Il est donc parfaitement abusif de dénoncer une quelconque précipitation du gouvernement, comme de le soupçonner d'une intention de démantèlement de l'Etat, alors qu'au contraire toute son action vise à consolider l'édifice social construit depuis des décennies.

3. Opportunité de l'IN 102

L'initiative propose la création d'un fonds cantonal dont les ressources alimentées par un impôt supplémentaire progressif sur les fortunes d'un montant supérieur à 500'001 F viendraient s'ajouter à celles que l'Etat consacre déjà aux dépenses de solidarité. La motivation des initiants est triple:

 rétablir la dynamique des recettes fiscales, en perte de vitesse depuis 1987 par rapport au revenu cantonal, tandis que, selon les initiants, les dépenses n'auraient pas augmenté plus vite que cet indicateur de la prospérité cantonale,

 redistribuer la richesse,

 financer les tâches prioritaires de l'Etat dans le domaine de la solidarité.

a) Rétablir la dynamique des recettes

Se reporter sur ce point au chapitre correspondant du rapport sur l'initiative 101.

b) Redistribuer la richesse

1. Répartition de la fortune en Suisse

La dernière statistique de l'administration fédérale des contributions sur la fortune des personnes physiques a été publiée en avril 1993. Cette statistique décennale considère la fortune nette déclarée (actifs moins passifs, avant les déductions sociales), au 1er janvier 1991, par les contribuables domiciliés dans les cantons. La statistique englobe donc tous les biens déclarés des contribuables, y compris ceux qu'ils possèdent dans d'autres cantons ou à l'étranger.

En raison de la diversité et de la particularité des régimes fiscaux, le recensement présente certaines lacunes dans l'évaluation des éléments de la fortune (valeur des biens-fonds, assurances sur la vie susceptibles de rachat, capitaux de retraite accumulés dans les caisses de prévoyance, notamment) sans toutefois que ces exceptions altèrent gravement la pertinence des informations reflétées.

En 1991, 2'532'216 contribuables ont déclaré une fortune, 1'227'934 se sont annoncés sans fortune. Parmi les contribuables sans fortune figurent une partie des 877'892 propriétaires de leur logement dont la valeur fiscale est égale ou dépasse le montant de leur dette hypothécaire.

44,5 % des contribuables «fortunés» disposent en fait d'un capital inférieur à 50'000 F. 31 % ont déclaré une fortune entre 100'000 et 500'000 F et 5 % entre un demi-million et un million. En 1991, la Suisse comptait 73'000 millionnaires, soit moins de 3 % des contribuables «fortunés».

La situation est assez contrastée d'un canton à l'autre. Genève se caractérise à la fois par une forte proportion de contribuables sans fortune et un nombre relativement élevé de contribuables déclarant une fortune nette supérieure à un million de F (voir tableau en annexe).

L'analyse temporelle de la répartition de la fortune entre 1981 et 1991 est délicate en raison de l'inflation notamment (40 % sur la période). Néanmoins, elle ne semble avoir enregistré ni concentration, ni déconcentration durant la dernière décennie.

2. Impôt sur la fortune

Parmi les fonctions que remplit la fiscalité, celle de la redistribution des revenus est importante. Contrairement aux autres formes de financement de l'Etat (taxe sur la consommation, vente des prestations publiques), qui frappent plus fortement les personnes à revenus modestes que celles à revenus élevés, l'impôt sur les revenus et la fortune des personnes physiques est perçu en fonction d'un barème progressif. Les contribuables sont taxés en fonction de leur capacité économique, en dehors de tout lien entre les prestations publiques qu'ils reçoivent et les impôts qu'ils paiente.

Y a-t-il lieu, comme le demandent les initiants, d'aggraver la charge fiscale des contribuables fortunés? En deçà des aspects purement politiques de cette question, l'analyse comparative de la charge fiscale en Suisse livre quelques informations utiles au débat.

L'indice global de la charge grevant la fortune des contribuables genevois, publié chaque année par l'administration fédérale des contributions, se situait, en 1992, à 13,7 points au-dessus de la moyenne nationale conventionnellement fixée à 100 points. En moyenne donc, les Genevois acquittent un impôt sur la fortune 14 % plus élevé que dans le reste du pays.

A première vue, Genève ne paraît pas appartenir au club des cantons les plus gourmands en matière d'impôt sur la fortune. En fait, l'analyse détaillée montre que les fortunes nettes supérieures à un million de F sont nettement plus taxées à Genève que dans la plupart des autres cantons. L'indice du canton de Genève atteint, en effet, 131,7 points pour ces catégories de contribuables, plaçant notre canton à la troisième place dans le classement de la charge fiscale en Suisse, juste derrière le Valais (139,6) et Bâle-Ville (132,1), mais loin devant Vaud (115,2), Berne (110,5) et Zurich (68,7).

L'administration fédérale des contributions dresse également des tableaux comparatifs selon le taux d'imposition des fortunes nettes (avant déductions sociales). Ce tableau publié en annexe montre le rang de Genève pour différents niveaux de fortune.

c) Financer les tâches de solidarité

Les dépenses de l'Etat sont classées selon différents critères économiques, administratifs, comptables, fonctionnels, etc. Chaque nomenclature répond à une logique propre et permet une lecture et une analyse précise des dépenses de l'Etat sous différents angles de vue.

Le classement des dépenses de l'Etat par fonction ou par destination renseigne sur le coût des prestations publiques. L'administration fédérale des contributions exploite ces données à des fins statistiques. L'analyse de ces séries révèle l'ampleur de l'action sociale de l'Etat de Genève comme le démontre le graphique ci-dessous.

A l'occasion de la présentation du projet de budget 1994, le Conseil d'Etat a regroupé les charges de fonctionnement en cinq catégories: les charges d'exploitation, les charges d'intérêt, les dépenses prioritaires, les dotations aux hôpitaux, établissements autonomes et aux TPG et les autres charges.

L'exercice avait pour but, par comparaison des chiffres du budget 1994 aux comptes de l'année 1991, de focaliser l'attention des députés et de l'opinion, sur les causes de l'impasse budgétaire. Cette ventilation démontre la maîtrise en cours des charges d'exploitation, les conséquences des déficits sur l'explosion des charges d'intérêt et l'incidence des obligations de solidarité sur les charges sociales prioritaires.

Conformément à l'engagement du Conseil d'Etat, les dépenses sociales constituent une des priorités majeures de la politique gouvernementale concurremment avec le rétablissement nécessaire des grands équilibres financiers qu'impose l'augmentation coûteuse de la dette publique.

En introduisant la notion de dépenses de solidarité, les initiants proposent un critère qui recouvre largement celui des dépenses prioritaires retenues par le Conseil d'Etat. De ce point de vue, l'initiative n'apporte aucune innovation.

d) Institution d'un fonds spécifique

Pour des raisons analogues à celles qui ont été développées dans le cadre de l'examen préliminaire de l'initiative 101 «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques», le Conseil d'Etat estime que la constitution d'un fonds spécial n'est pas un instrument adéquat de gestion des deniers publics. L'impôt est une ressource générale de l'Etat. Son affectation, s'agissant des tâches principales de l'Etat, appartient au Grand Conseil sur proposition du Conseil d'Etat.

Déroger à cette règle, non seulement remet en cause un principe acquis de gestion financière, mais crée une confusion des niveaux de responsabilités entre le souverain, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Imaginons que cette technique d'affectation des impôts devienne pratique courante, elle reviendrait à priver le gouvernement et le parlement de toute marge de manoeuvre et donc de la responsabilité politique et financière.

e) Modifications proposées par l'IN 102

1) Impôt supplémentaire sur la fortune

L'impôt supplémentaire proposé par l'initiative 102 sera prélevé sur les personnes physiques dont la fortune imposable est supérieure à 500'001 F. L'initiative relève les taux maxima des tranches supérieures à ce montant selon un nouveau découpage qui ne correspond pas à celui des articles 51 et 51 A de la loi sur les contributions publiques.

Il en résulte la charge fiscale suivante (valeurs exprimées en francs):

Fortune

Impôt

Impôt

Nouvel

Ecart

imposable

actuel

IN 102

impôt

en %

100'000

338

0

338

0,0

200'000

783

0

783

0,0

300'000

1'328

0

1'328

0,0

400'000

1'937

0

1'937

0,0

500'000

2'597

0

2'597

0,0

600'000

3'256

148

3'404

4,5

700'000

3'984

295

4'279

7,4

800'000

4'712

516

5'229

11,0

900'000

5'492

738

6'230

13,4

1'000'000

6'272

959

7'231

15,3

1'200'000

7'976

1'549

9'525

19,4

1'500'000

10'692

2'434

13'126

22,8

2'000'000

15'597

4'278

19'875

27,4

3'000'000

25'407

7'965

33'372

31,3

5'000'000

45'477

15'340

60'817

33,7

10'000'000

95'652

33'778

129'430

35,3

15'000'000

145'827

52'215

198'042

35,8

A noter que les initiants prévoient expressément de prélever les centimes additionnels cantonaux sur cet impôt supplémentaire (al. 4 du texte de l'initiative), ce qui laisse supposer que les centimes additionnels communaux ne seraient pas perçus, ainsi que le prescrit l'article 51 A LCP.

2) Incidence sur les recettes fiscales

Selon les estimations de l'administration fiscale cantonale, la contribution supplémentaire sur les fortunes imposables supérieures à 500'001 F rapporterait, au mieux, 48 millions de F et non 80 millions comme escompté par les initiants.

L'augmentation de l'impôt sur la fortune oscille entre 7,45 % pour une fortune nette de 800'000 F et 33,8 % pour une fortune nette de 5 millions de F.

Les contribuables qui ont une fortune imposable supérieure à 2 millions de F sont au nombre de 2'187. Ils ont acquitté, en 1992, un impôt cantonal et communal sur la fortune de 149 millions de F et sur le revenu de 363 millions. Au total, ces 2'187 contribuables ont donc payé 512 millions de F d'impôt. Autrement dit, 23 % des recettes fiscales sur le revenu et la fortune des personnes physiques sont financées par 0,8 % des contribuables.

Si 10 % de ces contribuables quittaient Genève la perte de recettes serait de 52 millions de F, à laquelle il faut encore ajouter la part cantonale à l'IFD de 3 à 4 millions, soit davantage que la recette fiscale escomptée par les initiants.

C. CONCLUSIONS

Le régime fiscal est un critère important de l'attractivité économique d'une région. Les entreprises, notamment les plus performantes, recherchent en permanence à optimiser leur charge fiscale. Elles sont sensibles non seulement à la fiscalité qui frappe leurs bénéfices et leur capital, mais de plus en plus à la fiscalité indirecte, ainsi qu'à la fiscalité qui frappe leurs collaborateurs, en particulier leurs cadres supérieurs. Certaines sociétés sont même directement touchées par une augmentation de l'impôt sur les personnes physiques, dans la mesure où elles prennent en charge le supplément d'impôt payé par certains collaborateurs expatriés à Genève par rapport à leur lieu de domicile habituel.

Toute modification absolue ou relative de la charge fiscale des personnes morales, mais aussi des personnes physiques peut donc entraîner des conséquences directes ou indirectes sur la compétitivité économique du canton et donc directement sur les recettes fiscales d'un canton.

L'analyse comparée de la charge fiscale à Genève et en Suisse montre sans conteste que notre canton dispose déjà d'un régime fiscal particulièrement social. Le Conseil d'Etat considère qu'une saine politique consisterait plutôt à réduire la charge fiscale des contribuables les plus entreprenants à des fins de relance économique. L'initiative 102 va manifestement à sens inverse.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser l'initiative 102 instituant un fonds de solidarité «Solidarité fiscale» dans sa forme actuelle. Il souhaite toutefois que, dans la perspective de l'assainissement des finances publiques, lequel ne pourra pas se réaliser sans un relèvement marginal, mais nécessaire, de certaines recettes, votre Grand Conseil recherche, d'entente avec le gouvernement, les solutions susceptibles de recueillir une large adhésion de l'opinion.

Sur le fond, le Conseil d'Etat examine toutefois l'opportunité de présenter un contreprojet et se réserve donc la possibilité de saisir le Grand Conseil, après examen de la recevabilité de l'initiative par la commission législative.

ANNEXE

Débat

M. Gilles Godinat (AdG). Dans mon intervention, j'avais séparé les deux initiatives qui, en fait, ont des objectifs un peu différents.

L'objectif de l'initiative 102 est évident. Il s'agit de créer un fonds de solidarité cantonal venant appuyer les dépenses de l'Etat. Même si nous sommes conscients que la solidarité existe déjà, il convient de définir des priorités pour ce fonds dans un cadre légal afin de renforcer l'effet redistributeur de l'Etat. Les affectations principales ont déjà été soulignées dans d'autres interventions.

En constatant le résultat des discussions au niveau fédéral, le risque de voir baisser les indemnités de chômage est constant. L'augmentation du chômage de longue durée et le vieillissement de la population concourent à la paupérisation des couches sociales les plus défavorisées et impliquent l'augmentation des besoins humanitaires pas seulement dans notre pays. La construction de logements sociaux HBM et, enfin, le soutien aux transports publics, assurant des possibilités de déplacement aux personnes âgées, nous paraissent absolument nécessaires.

Nous estimons que ces besoins sociaux prioritaires doivent être définis dans une politique budgétaire et fiscale et doivent bénéficier d'un fonds affecté. Nous pensons qu'une telle politique budgétaire est tout à fait possible.

Pour alimenter ce fonds, nous avons prévu de taxer les fortunes à partir de 500 000 F. A Genève, cela touche 5% des contribuables, à savoir neuf mille quatre cents contribuables, dont cinq mille millionnaires. Il faut savoir que la fortune de ces cinq mille millionnaires, déclarée à Genève, correspond à 20 milliards environ, soit le revenu cantonal sur les 40 milliards de fortune actuelle. La concentration de fortunes de ce canton est tout à fait inquiétante. (Brouhaha.)

Cela signifie qu'à Genève 63,1% de la fortune déclarée ne concerne que cinq mille personnes. C'est inquiétant, surtout lorsque l'on sait que Genève est au quatrième rang des indices de concentration de fortunes et en troisième position dans ce pays pour le nombre de millionnaires par rapport à l'ensemble des contribuables. Enfin, il faut savoir que Genève est en quatrième position par rapport aux contribuables qui ne déclarent aucune fortune, c'est-à-dire 43,8% des contribuables.

On doit enfin souligner la progression de la fortune déclarée dans ce canton. Entre 1959 et 1983, la progression annuelle était de 5,1%. Entre 1983 et 1991, elle était de 7,6%, alors que pour la Suisse, et Zurich notamment, elle se trouve en dessous de 1%.

La taxe que nous proposons est la suivante. Voici deux exemples. Pour une fortune déclarée de 800 000 F, cela correspondrait à 145 F de taxe mensuelle, pour 5 millions, à 1 500 F. Ces taxes nous paraissent tout à fait supportables. Cela ne représente qu'une augmentation de 2 à 3 %o par rapport aux cantons de Vaud et de Bâle-Ville.

Il faut rappeler également que nous sommes confrontés au problème de l'évasion fiscale. Les chiffres ne peuvent être que des estimations, mais l'évasion fiscale est effarante. Elle se chiffre à plusieurs dizaines de milliards.

Vous avez raison, Messieurs Dames de l'Entente, les gens qui «votent avec leurs pieds», cela existe ! Mais nous aimerions savoir, par la transparence fiscale, combien ils sont, car nous n'avons jamais obtenu de chiffres précis concernant le départ de contribuables pour des raisons fiscales. Nous estimons qu'ils se chiffrent à plusieurs dizaines, mais certainement pas à plusieurs centaines.

Enfin, face à l'accroissement des richesses dans ce canton pour une partie de privilégiés, et face à l'appauvrissement croissant d'autres couches de la population, nous estimons que cette initiative est une oeuvre de salubrité publique.

M. Pierre Kunz (R). Je désire faire savoir à mes collègues députés que l'intervention de M. Godinat me rappelle quelque chose que Ramuz avait déjà constaté au tout début de ce siècle. Il disait : «Le problème, avec la gauche, c'est qu'elle ne se contente pas de mépriser l'argent, mais qu'elle hait ceux qui en ont.» (Rires.).

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. L'avantage, parmi de nombreux désavantages de la nouvelle procédure que nous étrennons aujourd'hui, est que le Conseil d'Etat, dans un délai extrêmement bref, a dû vous présenter un rapport, non seulement sur la recevabilité de ces deux initiatives, mais également sur leur opportunité.

Le Conseil d'Etat a fourni deux rapports importants qui devraient vous permettre d'avoir des débats de fond et de qualité en commission, puisque ces deux initiatives y sont automatiquement renvoyées.

En effet, le Conseil d'Etat considère que ces deux initiatives ne sont pas acceptables dans leur teneur actuelle, cela non pas par rapport au but qu'elles entendent rechercher - qui est important car nous ne pouvons négliger aucune piste en ce qui concerne les buts touchant à la problématique de l'emploi - mais par rapport aux moyens qui nous sont proposés et qui mettent en cause une série de problèmes touchant à la fiscalité. Or, qui dit fiscalité dit immédiatement compétitivité de notre économie locale en regard des combats entre cantons sur le plan fédéral, sans compter le plan international pour la localisation d'entreprises. Cela pose, en matière de fiscalité, la problématique du poids global de l'impôt.

On ne peut pas faire de comparaison dans ce canton en prenant la fiscalité secteur par secteur. Il faut la voir globalement. Sur ce plan et à réitérées reprises, j'ai eu l'occasion de vous dire que vous ne pourrez pas faire abstraction de la fiscalité fédérale car, finalement, ce sont toujours les mêmes contribuables qui doivent débourser les montants nécessaires.

Voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat, encore une fois, considère que ces deux initiatives ne sont pas acceptables en tant que telles, mais a voulu laisser la porte ouverte à un éventuel contreprojet sur la base des discussions de fond que vous aurez en commission.

Voilà pourquoi ces deux initiatives, conformément à votre loi et à la constitution, doivent partir en commission.

Cette initiative ainsi que le rapport du Conseil d'Etat sont renvoyés à la commission fiscale.