République et canton de Genève

Grand Conseil

No 45

 MÉMORIAL

DES SÉANCES DU

GRAND CONSEIL

53e LÉGISLATURE

Lundi 6 décembre 1993,

soir

en la cathédrale Saint-Pierre

Présidence:

M. Hervé Burdet,président

La séance est ouverte à 17 h, à Saint-Pierre.

Prennent place sur le podium :

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales;

M. Olivier Vodoz, vice-président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargé du département des finances;

M. Jean-Philippe Maître, conseiller d'Etat chargé du département de l'économie publique;

M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat chargé du département de l'action sociale et de la santé;

M. Philippe Joye, conseiller d'ETat chargé du département des travaux publics et de l'énergie;

M. M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat chargé du département de justice et police et des transports;

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat chargée du département de l'instruction publique.

M. Hervé Burdet, président du Grand Conseil;

Mme Françoise Saudan, première vice-présidente du Grand Conseil;

M. Philippe Schaller, deuxième vice-président du Grand Conseil;

Mme Fabienne Blanc-Kühn, secrétaire du Grand Conseil;

Mme Liliane Johner, secrétaire du Grand Conseil;

M. Pierre Stoller, sautier du Conseil d'Etat et du Grand Conseil;

Mme Bernadette Bolay-Dard, mémorialiste du Grand Conseil.

M. Pierre-Yves Demeule, président de la Cour de justice;

M. Alain Zwahlen, président de la Cour de cassation;

M. Yves Grandjean, président du Tribunal administratif;

M. Pierre-Herbert Engel, président du Tribunal des conflits;

Mme Renate Pfister-Liechti, présidente du Tribunal de première instance et de police;

M. André Dunant, président du Tribunal de la jeunesse;

M. Pierre Marquis, président du collège des juges d'instruction;

M. Roger Dami, président de la Chambre des tutelles et de la justice de paix;

M. Laurent Walpen, chef de la police;

M. Raphaël Rebord, commissaire de police;

M. Urs Rechsteiner, commissaire de police;

M. Roger Dami, président de la Chambre des tutelles et de la justice de paix;

Prennent place au pied du podium:

M. Guy Baer, commandant de la gendarmerie

M. Jean-Pierre Eclade, capitaine de gendarmerie

M. Hugues Pochon, capitaine de gendarmerie.

(A l'orgue, pendant l'entrée du Conseil d'Etat et jusqu'à ce que toutes les personnes prenant place sur le podium soient installées, «Toccata et fugue en ré mineur» de Jean-Sébastien Bach.)

1. Exhortation.

Le président. Je prie l'assistance de bien vouloir se lever.

Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Veuillez vous asseoir !

Ont fait excuser leur absence : Mme Sabine Haupt Secrétan et M. Laurent Rebeaud, députés.

2. Appel nominal des députés.

Le président. Je prie Madame la secrétaire de procéder à l'appel nominal des députés présents :

Bernard Annen (L)

Michel Balestra (L)

Florian Barro (L)

Luc Barthassat (DC)

Claude Basset (L)

Roger Beer (R)

Dominique Belli (R)

Janine Berberat (L)

Claude Blanc (DC)

Fabienne Blanc-Kühn (S)

Nicolas Brunschwig (L)

Thomas Büchi (R)

Fabienne Bugnon (E)

Hervé Burdet (L)

Micheline Calmy-Rey (S)

Pierre-Alain Champod (S)

Sylvie Châtelain (S)

Anne Chevalley (L)

Hervé Dessimoz (R)

Jean-Claude Dessuet (L)

Daniel Ducommun (R)

Pierre Ducrest (L)

Jean-Luc Ducret (DC)

Michel Ducret (R)

John Dupraz (R)

Laurette Dupuis (AG)

Henri Duvillard (DC)

Catherine Fatio (L)

Bénédict Fontanet (DC)

Pierre Froidevaux (R)

Jean-Pierre Gardiol (L)

Jean-Claude Genecand (DC)

Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Henri Gougler (L)

Isabelle Graf (E)

Nelly Guichard (DC)

Janine Hagmann (L)

Michel Halpérin (L)

Elisabeth Häusermann (R)

Claude Howald (L)

Yvonne Humbert (L)

Liliane Johner (AG)

René Koechlin (L)

Pierre Kunz (R)

Claude Lacour (L)

Bernard Lescaze (R)

Sylvia Leuenberger (E)

Armand Lombard (L)

René Longet (S)

Olivier Lorenzini (DC)

Pierre Marti (DC)

Michèle Mascherpa (L)

Alain Mauris (L)

Liliane Maury Pasquier (S)

Jean Montessuit (DC)

Geneviève Mottet-Durand (L)

Laurent Moutinot (S)

Chaïm Nissim (E)

Jean Opériol (DC)

Barbara Polla (L)

David Revaclier (R)

Martine Roset (DC)

Maria Roth-Bernasconi (S)

Françoise Saudan (R)

Andreas Saurer (E)

Philippe Schaller (DC)

Max Schneider (E)

Micheline Spoerri (L)

Jean-Philippe de Tolédo (R)

Claire Torracinta-Pache (S)

Pierre-François Unger (DC)

Olivier Vaucher (L)

Nicolas Von der Weid (L)

Michèle Wavre (R)

Le président. Nous passons le point 3 de l'ordre du jour - les quatre députés devant encore prêter serment n'étant pas là - et nous abordons le point 4 de l'ordre du jour.

3. Discours du président du Grand Conseil.

Le président.

« Dieu tout-puissant, protecteur de cette République, nous implorons sur elle et sur nous ta bienveillance paternelle.

« Bénis nos délibérations,

« Ecartes-en les pressions dangereuses,

« Fais servir nos travaux à l'avancement de ton règne, comme au bien de cette patrie qui nous a confié ses destinées.

« Seigneur, que sa félicité soit toujours notre but et notre récompense.»

Mesdames et Messieurs les députés,

Comme mon prédécesseur, il y a quatre ans, je souhaite renouer avec la tradition, vieille de trois ou de quatre cents ans, qui voulait qu'autrefois les séances du Grand Conseil débutent par cette exhortation.

Elle exprime, à l'image des plantes, et c'est un botaniste qui vous dit sa conviction, que l'être humain ne peut croître et prospérer que si ses racines sont profondes et solides.

Notre présence à Saint-Pierre doit ainsi nous faire prendre conscience de la continuité dans laquelle s'inscrit notre action. Dans leur sagesse, les pères de la constitution de notre République «moderne» ont voulu que ses serviteurs, investis de la tâche politique la plus haute, viennent prêter serment en ce lieu imprégné des prières de plus de soixante générations de croyants, dont la trace concrète est savamment préservée sous nos pieds. Nos ancêtres ont voulu que leurs élus viennent vérifier leur foi et placer leur engagement sous la protection de la Providence ou - sensibilité différente - sous celle de la force vitale qui les anime.

Je renonce en revanche à vous infliger, selon une tradition aujourd'hui bien vieillie, la longue litanie des travaux du Grand Conseil et de ses commissions au fil de la législature écoulée. Vous ne doutez pas, j'en suis sûr, que nous avons tous bien travaillé. Vous trouverez le détail de cette abondante activité parlementaire dans notre «Mémorial du Grand Conseil».

Les remerciements de nos concitoyennes et concitoyens, ainsi que les nôtres - ceux des députés au Grand Conseil qui les ont côtoyés, soutenus et parfois combattus pour leurs idées - s'adressent aux trois conseillers d'Etat qui quittent leurs fonctions aujourd'hui : MM. Dominique Föllmi, Christian Grobet et Bernard Ziegler. Ces trois magistrats ont accompli leur mission au sein du gouvernement avec dévouement et compétence. Nous leur exprimons ici solennellement la gratitude de la République.

Si l'Histoire ne se répète pas, Mesdames et Messieurs les députés, elle a parfois de curieuses coïncidences. Le 6 décembre 1992, le peuple genevois, fort de son expérience et de sa confiance en soi, avait choisi de se rapprocher de l'Europe avec laquelle il entretient depuis toujours des liens économiques, culturels et politiques sans doute plus étroits que bien d'autres cantons suisses.

La démocratie helvétique n'a pas permis que cela fût.

Un an plus tard, aujourd'hui, jour pour jour, dans un mouvement tout aussi historique, une large majorité de Genève, maîtrisant seule son destin, confirme à ses nouveaux magistrats, en venant prendre acte de leur serment, dans ce temple populaire et sacré, que la République a décidé de vous confier ses destinées, Madame et Messieurs les Conseillers d'Etat. Genève manifeste ainsi une attente et des besoins à la mesure du défi sans précédent que vous avez déjà commencé à affronter, sans plus tergiverser.

Chacune des générations qui nous ont précédés a dû faire face à son changement. En cela, nous ne sommes pas différents. Mais autrefois, l'évolution se faisait en douceur, imperceptiblement. Nos parents avaient le temps de l'absorber et de l'assimiler, de sorte que l'on pouvait parler de changement dans la continuité. Les points de repères étaient solides, les références claires et l'on pouvait faire des prévisions sans risquer de trop se tromper.

Certes, une guerre, une épidémie venaient parfois troubler la quiétude, mais, une fois l'orage passé, le cours des choses reprenait comme avant et l'oubli venait bientôt effacer toutes traces de l'événement malheureux.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un bouleversement tel que nos parents n'en ont pas connu. Ce bouleversement est caractérisé par quatre facteurs que l'homme déteste parce qu'il n'y est pas préparé et qui exigent de lui l'application de sa plus précieuse faculté: sa capacité d'adaptation, c'est-à-dire son intelligence.

Ces quatre facteurs sont :

le temps,

la rupture,

la complexité,

et la simultanéité.

Le temps :

Mesdames et Messieurs, c'est un truisme, le temps s'écoule de plus en plus rapidement. Bien sûr que les 24 heures ont toujours la même durée, mais on accomplit de plus en plus de choses en moins en moins de temps. Aussi longtemps que l'homme s'était contenté de prolonger ses muscles par des outils, il a conservé, dans une large mesure, la maîtrise de son temps. Le jour où il s'est mis à prolonger son cerveau par la technologie électronique, c'est elle désormais qui lui dicte son rythme.

La rupture :

L'évolution lente fait place à de brutales ruptures. Ce qui est vrai aujourd'hui ne l'est plus demain. Rupture entre les hommes - ceux d'ici et ceux de là-bas - entre les nantis et les démunis, entre les jeunes et les vieux, entre le Nord et le Sud, entre les modes de vie même.

Ce phénomène est attesté, tant par nos anciens, bornes vénérables dont notre société moderne semble bien à tort vouloir faire fi, que par les spécialistes éminents, sociologues et politologues, qui en permanence, observent, analysent et étudient notre société pour tenter de catégoriser nos comportements.

La complexité :

Chaque problème comporte tant de paramètres qu'il devient impossible de les appréhender tous dans leur globalité. Nous prenons conscience de l'interdépendance des choses. Une solution heureuse à première vue peut s'avérer avoir des conséquences fâcheuses à plus long terme.

«Un papillon qui bat des ailes au Népal, et c'est un ouragan dans les Caraïbes.»

La simultanéité :

Il semble que tous les problèmes nous assaillent en même temps: la conjoncture affaiblie, les entreprises qui périclitent, le chômage, la drogue, le sida, les maladies dégénératives, les réfugiés qui affluent, la pollution qui augmente, le vieillissement de la population, etc., et j'en passe...

Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs, prévoir, donc gouverner, est devenu plus difficile que jamais. Les vieilles recettes ne fonctionnent plus. Alors que faut-il faire ?

Tout d'abord, le message exprimé par la population genevoise est très clair :

Si difficile que cela soit, Genève veut être gouvernée. Elle s'est choisi un gouvernement homogène pour y parvenir.

Après Sénèque, repris par Guillaume d'Orange, campé sur notre Mur des Réformateurs, Genève vient d'affirmer que :

«Il n'y a pas de bon vent pour qui ne sait où il va.»

Pour gouverner il faut du temps et comme le temps a rétréci, faisons-en meilleur usage. Sachons le consacrer aux tâches primordiales en distinguant l'essentiel de l'accessoire, sans se perdre dans les détails, en supprimant vaines palabres, affrontements personnels usants et querelles partisanes stériles.

Nous ne pourrons pas, à nous seuls, politiciens, changer notre société. Mais il est clair que si les uns contre les autres nous nous mettons aux deux bouts de la corde à tirer en sens contraire, il y aura rupture. Tirons donc ensemble dans la même direction pour que nos forces, au lieu de s'annuler, s'additionnent.

Là où il y a rigidité, il faut de la flexibilité,

Là où il y a affrontement, il faut de la concertation,

Là où il y a individualisme, il faut plus de solidarité.

Je sais, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, que vous avez à coeur le bien-être de toutes les Genevoises et de tous les Genevois et que vous ne vous sentez pas seulement redevables à celles et à ceux qui vous ont élus mais à l'ensemble de la population de notre République. C'est donc véritablement un contrat de solidarité que vous allez passer avec toutes les citoyennes et tous les citoyens de ce canton, pour que notre société ne devienne pas, comme on dit, «à deux vitesses», avec les conséquences sociales dramatiques que l'on commence à mieux connaître, et dont on souffre même déjà.

Pour faire face à la complexité et à la simultanéité des problèmes, il faut du courage et de l'humilité, de la persévérance et de la souplesse. Vous avez montré, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, que vous possédez ces qualités, dans les fonctions que vous occupiez précédemment, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du gouvernement.

 En chinois, l'idéogramme qui signifie «crise» veut également dire, paraît-il, «chance» ou «opportunité». Et il est vrai que c'est en période de crise et de tension que souvent l'homme, faisant preuve d'une force de caractère insoupçonnée, se développe. Saisissons donc cette occasion pour tout remettre en question, à commencer par nous-mêmes. Osons arpenter des voies inexplorées. Sachons inventer des formules originales. En raison de sa taille, Genève peut tenter des expériences nouvelles qui pourraient être ensuite réalisées à l'échelon national, dans le domaine social par exemple.

Ayons de l'imagination, demandons-nous ce que nous voulons que soit Genève dans 20, 30, 50 ans. Créons une vision à laquelle toutes les Genevoises et tous les Genevois puissent s'identifier et consacrons toutes nos forces à sa réalisation. Ce ne sera certes pas un exercice facile, mais le moment n'a sans doute jamais été aussi propice.

Genève dispose d'atouts considérables. Au lieu de nous complaire dans la morosité, il faut en être conscient et en tirer profit. Nous avons tous découvert, au cours de la campagne «Genève gagne» qui va se terminer, l'une ou l'autre des facettes de notre canton que nous ignorions.

- La Genève internationale qui a tissé des liens avec le monde entier et grâce à qui nous jouissons d'une notoriété sans commune mesure avec la taille de notre région.

- La Genève agricole et viticole qui offre en abondance des produits de très grande qualité.

- La Genève industrielle dont le savoir-faire est reconnu partout et qui contribue largement à la prospérité de notre canton en exportant dans le monde entier.

- La Genève des services, entre autres bancaires, de réputation internationale.

- La Genève culturelle et universitaire dont la vie foisonnante se compare avantageusement à celle de cités bien plus grandes.

Et puis, ceux d'entre nous qui voyagent le savent: une qualité de vie exceptionnelle, des institutions qui fonctionnent et la sécurité. C'est sans aucun doute pour cette raison que, ces derniers mois, des dizaines d'entreprises étrangères sont venues s'établir dans notre canton.

Ces avantages n'ont pas été créés sans efforts, ni rapidement. Ils sont le résultat de dizaines, de centaines d'années de travail intense. Nous devons à nos prédécesseurs, à leurs efforts et à leur clairvoyance, une immense reconnaissance pour l'héritage qu'ils nous ont confié. A nous de le gérer efficacement pour le transmettre intact et solide à nos enfants.

Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, Genève ne demande qu'à vous suivre. Je suis certain que vous saurez guider notre cité vers le bien-être modeste et l'avenir ambitieux auxquels elle aspire.

Les attentes de nos concitoyens sont grandes, mais tous, j'en suis sûr, sont prêts à fournir des efforts importants, si vous savez les enthousiasmer et les unir, toutes et tous, pour un projet mobilisateur. Le pessimisme est une affaire d'humeur, dit-on, et l'optimisme une affaire de volonté. Madame et Messieurs les Conseillers d'Etat, c'est au pied du mur que Genève, avec confiance, vous attend..., le mur de Guillaume d'Orange, réformateur et navigateur habile sachant où aller...

(A l'orgue : Largo du Concerto en ré mineur, Vivaldi - Bach.)

E 713
4. Prestation de serment des conseillers d'Etat. ( )E713

Le président. Nous allons maintenant procéder à la prestation de serment du Conseil d'Etat.

Je prie l'assistance de bien vouloir se lever.

Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant cette lecture, vous tiendrez la main droite levée. Une fois cette lecture terminée vous baisserez la main. Puis, à l'appel de votre nom, vous vous approcherez des Saintes Ecritures, placées devant vous, vous lèverez à nouveau la main droite et prononcerez les mots «Je le jure» ou «Je le promets».

Veuillez lever la main droite.

«Je jure ou je promets solennellement :

»d'être fidèle à la République et canton de Genève, d'observer et de faire observer religieusement la constitution et les lois sans jamais perdre de vue que mes fonctions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;

»de maintenir l'indépendance et l'honneur de la République, de même que la sûreté et la liberté de tous les citoyens;

»d'être assidu aux séances du Conseil et d'y donner mon avis impartialement et sans aucune acception de personnes.

»d'observer tous les devoirs que nous impose notre union à la Confédération suisse et d'en maintenir, de tout mon pouvoir, l'honneur, l'indépendance et la prospérité.»

Veuillez baisser la main.

A l'appel de leur nom, Mme et MM. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat, Olivier Vodoz, vice-président, Jean-Philippe Maitre, Guy-Olivier Segond, Philippe Joye, Gérard Ramseyer et Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat, s'approchent des Saintes Ecritures et, la main droite levée, prononcent les mots «Je le jure» ou «Je le promets».

Le président. Le Grand Conseil prend acte de votre serment.

Nous entendons à l'orgue le «Cé qu'è lainô», que je vous invite à chanter.

(Le «Cé qu'è lainô» est entonné par toute l'assemblée.)

Vous pouvez vous asseoir !

La parole est à M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. 

5. Discours du président du Conseil d'Etat.

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat.

Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Chères concitoyennes,

Chers concitoyens et habitants de Genève,

Le gouvernement qui vient de prêter serment devant vous est celui de tous les habitants de ce canton.

Aux électrices et électeurs, il a présenté un programme qu'il entend réaliser en respectant les échéances annoncées, avec le souci constant de défendre l'intérêt général. Le Conseil d'Etat établira un dialogue permanent avec l'ensemble des partenaires économiques, scientifiques, sociaux et culturels.

Il sera proche de la population, à l'écoute de chacun en tenant particulièrement compte de la précarité de l'emploi et des conséquences humaines qui en découlent.

Il poursuivra l'effort de redressement des finances publiques pour ne pas hypothéquer l'avenir et faire supporter aux générations futures les dettes d'aujourd'hui.

1. L'analyse de la situation socio-économique.

Comme l'Europe, comme la Suisse, Genève affronte une situation économique difficile. Après avoir enregistré une croissance record durant les années quatre-vingt, le canton a perdu 20.000 emplois ces trente-six derniers mois et compte maintenant plus de 16.000 chômeurs.

Genève a déjà connu, au début du siècle, plusieurs décennies pénibles. Un nombre considérable de travailleurs ont dû aller chercher ailleurs un emploi qu'ils ne trouvaient pas dans leur canton. Les chômeurs se chiffrèrent par milliers. Une récession a marqué la période de 1920 à 1941, au cours de laquelle le nombre d'habitants a stagné. Et, dès 1921, Genève a été privée de ses grandes zones franches qui jouaient alors un rôle déterminant dans son approvisionnement.

Il a fallu beaucoup de volonté, de courage, d'esprit d'entreprise, de sens de la solidarité et d'amour du travail bien fait pour que les Genevois sortent de ces crises successives. Aujourd'hui, nous devons absolument retrouver cette force collective.

2. La protection sociale.

Gouverner, c'est être responsable et parler vrai. Notre première priorité sera l'emploi. L'homme et la femme sans travail deviennent vite solitaires, dévalorisés par notre société. Il faut s'opposer à ce cercle infernal, en redonnant espoir et raison d'être. C'est pourquoi l'occupation et la réinsertion des chômeurs sont aussi importantes que leur indemnisation, raison pour laquelle nous poursuivrons notre effort pour renforcer la prise en charge et le placement des chômeurs. Il est primordial que ceux-ci puissent entretenir leur savoir-faire et conserver un rythme de vie proche de celui des autres. C'est la clé de leur réintégration, qui, en cas de nécessité, sera facilitée par une allocation d'insertion.

Plus généralement, il s'agit de tout mettre en oeuvre pour que les femmes et les hommes de notre canton puissent conserver leur dignité humaine, quels que soient leur origine, leur âge, leur statut professionnel ou social. Nous défendrons avec fermeté les différentes aides sociales existantes, en veillant à ce qu'elles soient accordées à ceux qui en ont vraiment besoin.

3. La formation des jeunes.

Simultanément, il faut parier sur l'avenir. Les jeunes sont parmi les plus touchés par les rigueurs de notre temps. Non seulement leur vie personnelle a été modifiée par la problématique de la drogue et du sida, mais aujourd'hui certains d'entre eux, dotés d'une solide formation, ne trouvent pas d'emploi et deviennent même des chômeurs de longue durée. L'apprentissage de l'existence et la confrontation avec les réalités sont chaque jour plus rudes. Ce problème de société requiert la mobilisation de moyens exceptionnels assortis d'un esprit de tolérance.

Il faut tirer les leçons de trente ans de haute conjoncture. Pendant cette période euphorique, nous avons tous plus ou moins vécu dans une certaine facilité, perdant notre tempérament combatif. L'Etat n'a pas échappé à la règle. C'est dire l'importance, dans les années à venir, d'une éducation permettant de former des gens de caractère, actifs et inventifs, soucieux d'apporter leur contribution à la construction d'un monde plus prospère et solidaire. Le maintien d'un haut niveau de formation, adapté aux exigences nouvelles, est donc impératif.

4. La relance.

S'il est capital que l'Etat conserve son rôle social, il est tout aussi vital que les pouvoirs publics stimulent les activités économiques, ce qui, dans les circonstances présentes, peut se résumer en trois mots : assurer la relance.

Notre gouvernement est persuadé que la reprise deviendra réalité lorsque tous les acteurs socio-économiques conjugueront leurs efforts. Un climat de confiance doit s'instaurer entre eux et l'Etat. Celui-ci va continuer à mener une politique de promotion économique, destinée d'abord à mieux répondre aux besoins des entreprises existantes, ce qui implique la simplification de nos procédures. Cette volonté promotionnelle a également pour objectifs de valoriser la production industrielle et agricole ainsi que les services, de stimuler l'attrait touristique et de développer les secteurs de pointe déjà implantés à Genève, en mettant en valeur le potentiel scientifique exprimé par la recherche fondamentale et appliquée, conduite par l'université, les entreprises et certaines organisations internationales telles que le CERN.

C'est ce potentiel scientifique qui conduira le Conseil d'Etat à présenter au Conseil fédéral le projet d'exposition nationale, Swiss Expo. Préparée par un groupe de personnalités et consacrée au cerveau, cette manifestation donnera ainsi aux habitants de notre pays la certitude du rôle important de la Suisse dans la mise en oeuvre des fabuleuses découvertes de la science; elle rassemblera les Genevois autour d'un ambitieux projet, qui suscite dans notre pays et à l'étranger l'intérêt de partenaires scientifiques et financiers.

5. Les infrastructures de transports.

La relance passe naturellement par un programme de grands travaux, consacrés aux infrastructures de transports. La région genevoise a besoin d'un vrai réseau de transports publics combinés, desservant l'ensemble de l'agglomération, la France voisine et le pays de Vaud limitrophe. Cette mesure est la seule réponse aux mouvements pendulaires engendrés par 30.000 travailleurs frontaliers ou venant du canton de Vaud qui gagnent Genève chaque matin par la route. Nous visons donc à l'extension du réseau des Transports publics genevois, à la création d'un métro léger reliant Annemasse au pays de Gex en passant par Genève, et, avec l'appui de la Confédération et des CFF, nous réaliserons un RER desservant d'abord la rive droite du lac avant de s'étendre en Haute-Savoie dans le futur.

En outre, Genève ne doit à aucun prix manquer sa jonction au réseau T.G.V. C'est pourquoi le gouvernement demandera à la Confédération d'intensifier encore ses négociations avec la France pour arrêter un plan d'action définitif. D'ici la fin de la législature, il est essentiel de jeter les bases d'une gare internationale T.G.V. au sud du canton, élément déterminant pour ancrer la première étape du projet Mâcon-Genève et offrant également une perspective de liaison par le Sud, via Annecy et Chambéry.

Sur le plan des routes, il faudra comme prévu terminer le réseau autoroutier cantonal en réalisant, avec le soutien de la Confédération, l'évitement de Plan-les-Ouates, qui représente 420 millions de francs de travaux. Des dispositions seront prises, dans le cadre du plan de circulation, pour faciliter l'accès aux commerces du centre-ville, notamment par la création de plusieurs parkings, tout en maintenant l'objectif prévu qui vise à la suppression du transit et de certains mouvements pendulaires.

Quant à la traversée de la rade, le gouvernement a décidé d'interpeller formellement les autorités fédérales pour l'introduction d'un système de péages destiné à assurer le financement de cet ouvrage. Afin d'aller de l'avant et clarifier la situation, il lancera une consultation pour que la population se détermine entre un pont et un tunnel. Un projet pourra ainsi être choisi et enfin mis en route.

6. L'aménagement du territoire.

Dès le début du siècle, les autorités ont eu la sagesse de délimiter les différents secteurs d'activités humaines à l'intérieur du canton. Force est de constater que la planification actuelle doit être conçue désormais au niveau régional, avec le concours des cantons lémaniques et des départements français voisins. Il s'agit de mieux répartir, dans des espaces à déterminer, les activités socio-économiques et agricoles, les zones vertes, les lieux de loisirs, l'habitat et les équipements, afin de déboucher sur des projets concrets et cohérents. Ces travaux ont débuté dans le cadre des instances transfrontalières. La collaboration avec nos partenaires suisses et français doit se développer et se moduler également dans d'autres sphères d'activités, selon le modèle de collaboration intercantonale dans les secteurs hospitaliers et universitaires.

7. Le logement.

Dans le domaine de l'habitat, nous poursuivrons, sans relâche, avec les investisseurs habituels, la construction de logements à caractère social. Nous encouragerons parallèlement l'accession à la propriété, en particulier pour la classe moyenne - ce qui est aussi un acte social - de manière à offrir à la population des possibilités diversifiées. Nous veillerons également à étendre l'aide personnalisée aux locataires, afin de mieux prendre en considération les besoins de chacun.

8. Le redressement des finances.

Depuis trois ans, l'Etat remonte non sans difficulté la pente des déficits. Le gouvernement confirme sa ferme volonté de poursuivre le redressement des finances du canton. Il espère atteindre, par étapes successives, le point d'équilibre en l'an 2000, conformément à la loi votée par le parlement. Cette action vitale - condition sine qua non de notre réussite - s'inscrit donc dans la durée. Elle réclame de l'endurance, de la ténacité et du courage. Un Etat financièrement faible devient un Etat socialement faible.

9. Le Conseil économique et social.

Afin de favoriser le dialogue, le gouvernement a décidé de mettre sur pied un Conseil économique et social. Précieux appoint pour le Conseil d'Etat et le canton, il sera également une instance de créativité et de prospective. Sa démarche doit répondre à la volonté du gouvernement de renforcer la coopération et de rassembler toutes les énergies. Cet organisme sera formé d'un nombre restreint de personnalités. Ses travaux commenceront durant le premier semestre 1994.

10. Genève, centre international.

Genève est un centre mondial de négociations. Cette position doit être affirmée surtout en une période où s'intensifient les grands courants culturels, scientifiques et socio-économiques. 22 000 fonctionnaires internationaux vivent et travaillent dans notre région : les institutions internationales attirent plus de 100 000 délégués chaque année. En outre, plusieurs dizaines de multinationales ont leur siège à Genève.

En étroite collaboration avec la Confédération, et sur la base d'un programme commun, le gouvernement est prêt à compléter l'équipement du canton selon les attentes de l'Organisation des Nations Unies, de ses agences spécialisées, du GATT et des autres organisations. Il confirmera la vocation internationale de Genève dans les domaines humanitaire, économique, social et politique.

Genève veut, en outre, consolider sa place de centre de l'environnement, notamment avec l'ouverture de la Maison de l'Environnement dans le Palais Wilson, à proximité de la future salle de congrès.

Dans ce domaine, nous devons aussi promouvoir un enseignement technique et universitaire ainsi qu'une industrie spécialisés dans la gestion des questions écologiques.

Enfin, pour que notre canton conforte sa dimension internationale de centre de rencontres, de congrès, de tourisme et d'expositions, il est primordial que Genève-Cointrin conserve son rang d'aéroport intercontinental. Comme nous l'ont prouvé les péripéties du projet Alcazar, le monde de l'aéronautique est en constante évolution. Les aéroports doivent bénéficier d'une certaine marge de manoeuvre afin de pouvoir s'adapter rapidement à tout changement. Les autorités ont donc donné de nouvelles structures et une réelle autonomie à notre place aéroportuaire. Il s'agit de développer cet équipement qui dessert une région de plus d'un million et demi d'habitants. Tout projet nouveau concernant l'avenir de notre compagnie nationale ne doit pas compromettre le caractère intercontinental de Genève-Cointrin. Si nous devons contribuer à étoffer le réseau Swissair, il faut parallèlement accroître nos relations avec des compagnies aériennes étrangères, ce qui impliquera une attitude plus ouverte de la Confédération.

11. Appel à l'engagement de chacun.

Dans ses «causeries genevoises», Philippe Monnier décrivait notre canton en 1902 en ces termes : «Rien ne va plus à Genève. Il n'y a plus d'hommes de parole, plus de marchandises de bonne qualité, trop d'impôt. (...) La bonne foi et les idéaux se perdent. La ville est défigurée. Il n'y a plus d'enfants. (...) Bref, notre canton se meurt.». Genève a connu en effet des fortunes changeantes, mais elle a toujours su se mobiliser pour surmonter les obstacles.

Le gouvernement, comme nous l'avons déjà souligné, s'est fixé pour priorité de rassembler toutes les forces du canton, condition indispensable pour que l'intérêt général l'emporte. Nous avons besoin de l'apport de chacun pour passer un cap économique difficile. Certains signes encourageants doivent nous aider à persévérer, comme la stabilisation de l'inflation et la baisse des taux d'intérêts.

C'est dans cet esprit que nous lançons un appel. A vous, Mesdames et Messieurs les députés. Aux élus communaux. Aux collaborateurs des services publics. Aux responsables des milieux économiques, scientifiques, sociaux et culturels. A toute la population genevoise.

Mesdames et Messieurs les députés. Le Conseil d'Etat sait qu'il bénéficiera d'un large soutien de votre part pour mener à bien son programme de législature. Respectueux des prérogatives du pouvoir législatif, le gouvernement sera attentif à toute proposition allant dans l'esprit de son action. Il vous est d'ores et déjà reconnaissant de votre appui, sans lequel il ne pourra s'engager.

Mesdames et Messieurs les maires, conseillers administratifs, adjoints et conseillers municipaux. Vous êtes appelés à jouer un rôle grandissant. Une révision des dispositions légales renforcera l'autonomie de vos communes. Nous voulons vous confier de nouvelles tâches d'aménagement et de construction. Pour permettre de mieux répondre aux besoins quotidiens des habitants, une répartition plus harmonieuse des compétences entre le canton, la Ville et les communes sera recherchée. Ainsi, vous participerez plus activement et plus directement au renouveau de notre canton.

Mesdames et Messieurs les membres de la fonction publique. Aucune entreprise, privée ou publique, n'a de chance de succès sans une relation de confiance entre la direction et son personnel. C'est dans cette optique que nous concevons les rapports entre le Conseil d'Etat et ses collaboratrices et collaborateurs.

Nous avons besoin de votre enthousiasme, de vos forces vives et de vos idées. Nous sommes persuadés que nous pourrons compter sur un service public motivé, à disposition de l'ensemble de la population.

Mesdames et Messieurs les représentants des milieux économiques, scientifiques, sociaux et culturels. Vous détenez de sérieux atouts. Vos connaissances, votre volonté d'entreprendre, vos capacités financières, votre expérience du monde du travail figurent parmi les meilleures ressources de notre communauté.

Quant à vous, chères concitoyennes et chers concitoyens, sachez qu'une solide détermination habite le gouvernement genevois. Nous sommes conscients de l'ampleur des défis à relever. Mais notre canton dispose d'un formidable potentiel de réussite : son secteur international, son réseau de communications avec l'étranger, sa position centrale en Europe, son système bancaire et financier performant, sa tradition de chercheurs inventifs, le haut niveau de formation de sa population, ses institutions démocratiques, sa qualité de vie, son patrimoine naturel et culturel. Soyons fidèles à la mémoire de nos ancêtres qui ont triomphé de l'adversité avec des armes moins affûtées que les nôtres.

Gouverner, c'est agir. Nous agirons avec et pour le peuple genevois. Et nous réussirons tous ensemble.

Vive Genève !

Vive la Confédération suisse !

(A l'orgue : «Cé qu'è lainô», choral de Pierre Segond.)

Le président. A la fin de cette cérémonie, je désire saluer en particulier M. Pierre Segond, organiste de la Cathédrale, qui souhaite résigner ses fonctions à la fin de l'année, après plus de cinquante ans. Il a commencé sa carrière en 1942. Je le félicite de son immense talent musical et le remercie en votre nom de son dévouement et de sa longue fidélité.

M. Pierre Segond va maintenant exécuter, à ma prière, le Postlude de Lefébure-Wély, une oeuvre qui me semble exprimer, selon les instants que nous vivons, tout à la fois la joie de vivre, l'espérance du succès et le courage d'entreprendre.

Contrairement à l'usage, je prie l'assistance de bien vouloir rester assise pendant ce jeu d'orgue final pour marquer notre reconnaissance et notre estime à Maître Pierre Segond.

Puis, à l'issue du jeu d'orgue, Mmes et MM. les invités ainsi que le public sont priés de sortir de la cathédrale par les portes qu'ils ont utilisées à l'entrée. Les autorités et les corps des officiers se placeront dans l'allée centrale dans l'ordre prévu. Chacun voudra bien observer les instructions des commissaires.

(A l'orgue : Postlude de L.-J.-A. Lefébure-Wély.) (Très vifs applaudissements à l'issue de ce morceau, lorsque M. Pierre Segond salue l'assemblée.)

Le président. La séance est levée.