République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 novembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 1re session - 41e séance
R 265
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Le 30 octobre 1993, Jean-Bertrand Aristide, président démocratiquement élu en Haïti, aurait dû rentrer dans son pays et reprendre sa fonction. Les responsables du coup d'Etat ont tout fait pour empêcher ce retour et y sont parvenus jusqu'à ce jour. Aujourd'hui, le temps presse. Chaque jour des innocents sont victimes d'exactions sommaires, et les autorités en place et l'armée sèment la terreur.
Plus que jamais, l'appui de toute la communauté internationale est indispensable et urgente. L'avenir d'Haïti se jouera ces prochaines semaines et, si nous le voulons démocratique, alors il nous faut encourager le Conseil fédéral à entreprendre toutes les démarches possibles dans ce sens. C'est pourquoi je vous invite, ainsi que tous les auteurs et signataires de cette résolution, à la voter.
Le président. Vous avez écrit, Madame, «invite le Conseil d'Etat fédéral». Ce sera lequel des deux ?
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Vous enlevez le mot «Etat».
M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat pense qu'il est utile de vous donner quelques informations sur l'implication du canton de Genève dans le processus de démocratisation en Haïti. Je n'étais malheureusement pas au courant du dépôt de cette résolution sinon j'aurais pris mon dossier dans lequel se trouve l'échange de correspondance que nous avons eu à ce sujet avec le Conseil fédéral et le président Aristide.
Vous vous souvenez qu'il y a deux ans et demi, la police cantonale genevoise avait été pressentie pour conseiller le gouvernement haïtien, et plus particulièrement le président Aristide, qui cherchait à constituer un corps de police professionnel. A la suite de la chute de la dictature Duvalier, l'organisation des fameux «tontons macoutes» avait été dissoute et il n'existait plus de force de police organisée distincte de l'armée. C'est l'armée qui, au moment de la dissolution de l'organisation des «macoutes», a assumé les tâches de police. Il s'agissait par conséquent de constituer un corps de police professionnel, c'est-à-dire séparer la police de l'armée. Cette opération assez délicate avait requis l'aide d'un consultant, accompagnant M. Laurent Walpen, chef de la police cantonale genevoise. Ce dernier s'est rendu sur place où il a réalisé tout un travail qui a été remis au père Aristide.
Alors qu'un certain nombre de fonctionnaires de la police cantonale genevoise se rendaient en Haïti, nous avons de justesse pu les retenir à Miami en apprenant le coup d'Etat, avant qu'ils ne prennent l'avion pour Port-au-Prince. Cela m'a d'ailleurs valu d'être la première personnalité genevoise a être au courant du coup d'Etat au moment même où il se produisait.
Vous vous souvenez également qu'à l'époque, le général Cedras, l'auteur du coup d'Etat et toujours chef de la junte au pouvoir là-bas, avait invoqué cette opération de séparation de la police et de l'armée, et avait même spécifiquement mis en cause l'assistance apportée par la police cantonale genevoise dans cette opération pour justifier le coup d'Etat. Par la suite, le président Aristide a eu l'occasion de revenir à plusieurs reprises en Suisse, puisque la Suisse n'a pas reconnu le régime issu du coup d'Etat et s'est même associée à l'embargo décrété par l'ONU. Nous ne sommes pas membres de l'ONU mais, comme dans l'affaire de l'Irak, le Conseil fédéral, par voie d'ordonnance, s'est associé aux sanctions prononcées par l'ONU contre le régime militaire d'Haïti.
A l'occasion de ses différentes visites en Suisse, le père Aristide nous a demandé si nous serions à nouveau disposés, une fois la démocratie rétablie en Haïti, à reprendre cette opération pour laquelle il nous avait consultés, et à l'aider à entreprendre la constitution d'un corps de police professionnel séparé de l'armée.
Cette demande nous a été confirmée au printemps dernier via le département fédéral des affaires étrangères. Dans cette affaire, nous agissions bien entendu avec l'aval de ce département et dans le cadre de l'ONU, qui a pris en charge cette opération devenue multilatérale. Ainsi, actuellement, le Canada, les Etats-Unis mais aussi la Suisse devraient participer à la mise en place provisoire d'une force de police multilatérale et de structures de formation pour constituer un corps de police professionnel en Haïti. D'ailleurs, des policiers de différents cantons suisses, dont Genève, ont suivi un stage de formation l'été passé afin de participer à cette opération, à la demande de l'Organisation des Nations Unies, sitôt rétablie la démocratie en Haïti.
Comme vous l'avez souligné, cette opération pour le moment n'a pas pu se dérouler puisque les accords conclus l'été passé sous l'égide de l'ONU n'ont pas été respectés. Je pensais qu'il était utile de vous signaler l'engagement de la Suisse et tout spécialement du canton de Genève. Le commandant de la police cantonale genevoise, le major Baer, était prêt à partir lui-même là-bas pour effectuer un certain nombre de tâches d'encadrement. Je tenais aussi à vous signaler que ce type d'aide au développement deviendra de plus en plus fréquent à l'endroit de certains pays du tiers-monde, où des élections démocratiques ont eu lieu, où l'alternance a joué.
Cette professionnalisation de la police est un objectif important dans leur processus de démocratisation et, de plus en plus souvent, des petits pays comme la Suisse sont sollicités pour participer à ces opérations, alors que traditionnellement, la police et l'armée étaient la chasse gardée des grandes puissances; mais ces grandes puissances, dans ce contexte, jouaient précisément leur jeu de grandes puissances. C'est la raison pour laquelle des pays comme Haïti se tournent vers des petits pays comme la Suisse, l'Autriche, la Belgique ou les Pays-Bas pour participer à ce type d'opérations. Je crois que c'est un des devoirs de la Suisse de répondre à ces sollicitations qui risquent de devenir de plus en plus fréquentes à l'avenir. Je tenais à le souligner à l'occasion de ce dossier.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue:
résolution
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
que l'Etat de droit en Haïti n'existe plus ;
que la population de ce pays vit l'horreur au quotidien : intimidations, arrestations, exécutions sommaires ;
que le retour du président démocratiquement élu, Jean-Bertrand Aristide, doit pouvoir se faire dans les plus brefs délais,
invite le Conseil fédéral
à soutenir M. Dante Caputo, représentant des Nations Unies à Port-au-Prince et principal négociateur entre les diverses parties ;
à intervenir, dans le cadre de ses responsabilités, en vue d'appuyer le rétablissement de la démocratie, de la paix et de la justice en Haïti ;
à faire savoir au président Aristide sa solidarité et son total soutien pour la reconstruction future de son pays.
La séance est levée à 22 h 30.