République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 novembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 1re session - 41e séance
M 756-A
La motion de Mme Bobillier et de M. Vial a été déposée le 10 octobre 1991 et renvoyée en commission lors de la séance du Grand Conseil du 28 novembre 1991 (Mémorial des séances du Grand Conseil 1991, p. 5165).
Réunie sous la présidence de Mme Françoise Saudan, la commission judiciaire a examiné cette motion lors de sa séance du 2 avril 1992. Assistaient aux travaux de la commission M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat, chef du département de justice et police, lequel était accompagné par M. Bernard Duport, secrétaire adjoint du département de justice et police et M. Guy Baer, major de police, commandant de la gendarmerie.
Intervention de M. Bernard Ziegler
S'exprimant au nom du Conseil d'Etat, M. le président Ziegler déclara d'emblée que les considérants de la motion étaient inacceptables.
Sans qu'il y ait lieu d'épiloguer longuement, il apparaît que les attaques personnelles dirigées contre le procureur général sont inadmissibles.
De même, concernant la notion d'«intérêt public», M. Bernard Ziegler rappela que la pratique des autorités en matière d'occupation d'immeubles a été établie d'entente entre le Conseil d'Etat et le procureur général. A cet égard, M. Bernard Ziegler remit à la commission la copie d'un mémoire réponse adressé par le procureur général au Tribunal fédéral dans le cadre d'une affaire d'occupation d'immeubles (il est à relever que, depuis la date à laquelle la commission judiciaire a traité la motion, le Tribunal fédéral a statué et qu'il a approuvé la pratique des autorités cantonales).
Poursuivant son intervention, M. Bernard Ziegler répondit aux diverses questions dont fait état l'exposé des motifs de la motion (voir annexe).
Les réponses données aux questions sont les suivantes :
Ad 1 Environ 150 appartements répartis sur une vingtaine d'immeubles étaient squattés au 10 octobre 1991.
Ad 2 Approximativement 300 squatters les occupaient.
Ad 3 Aucune plainte de propriétaires n'a été déposée faisant état de dégâts commis dans les immeubles occupés, lesquels, il convient de le rappeler, sont voués à la démolition ou à la transformation. Par ailleurs, aucune action en dommage et intérêts n'a été introduite contre l'Etat, alors que cela arrive en matière de non-évacuation de locataires pour des raisons humanitaires.
Ad 4 Seuls deux sous-brigadiers s'occupent à temps partiel du contact continu avec les milieux du squat. Bien entendu, de plus amples effectifs sont mobilisés lorsqu'il s'agit de faire intervenir la force publique pour une évacuation.
La nécessité de garder un contact, de tenir des listes des occupants à jour, s'explique par le fait qu'il faut éviter que des îlots ne se soustraient au contrôle de l'Etat et ne deviennent des refuges pour les hors-la-loi en tous genres. Le département de justice et police est intransigeant sur ce point.
En ce qui concerne les frais d'eau, de gaz et d'électricité, les Services industriels les estiment à F :
600'000.
de 1978 à 1980
30'000.
en 1989
100'000.
en 1990
90'000.
en 1991
Ad 5 Les Services industriels coupent les fluides seulement dans les immeubles qui ne sont plus occupés par des locataires réguliers et quand les rapports d'usage sont résiliés. Les squatters peuvent demander le rétablissement des rapports d'usage, si le propriétaire y consent par écrit, ce qui est parfois le cas. Dans les autres situations, les squatters rétablissent eux-mêmes les fluides avec la conséquence que les Services industriels déposent plainte auprès des autorités compétentes.
Ad 6 Le Conseil d'Etat n'entend pas fournir l'identité des occupants d'immeubles. Il peut toutefois préciser que les squats sont occupés par des étudiants ou de jeunes travailleurs. Il arrive que parmi eux se trouvent des jeunes gens appartenant à des familles de magistrats ou de hauts fonctionnaires et des personnes sans occupation définie.
Ad 7 On ne voit pas à quoi se réfère le terme «collusion» employé par les motionnaires. Cela étant, dans le cas cité, les squatters ont eux-mêmes reconnu avoir été renseignés par des locataires évacués.
Ad 8 Le fait de communiquer le montant d'une amende ayant fait l'objet d'un arrêt du Tribunal administratif dont les jugements sont publics n'est pas constitutif d'une violation du secret de fonction.
Ad 9 Renseignements pris auprès des PTT, aucune coupure de téléphone n'est intervenue.
Ad 10 Cette question apparaît en contradiction avec la précédente. Cela étant, le Conseil d'Etat est en mesure d'indiquer qu'aucune écoute téléphonique n'a eu lieu.
Ad 11 L'assistance de la force publique est assurée aux propriétaires qui désirent avoir accès à leur bien, par exemple pour faire des relevés.
Ad 12 L'Etat n'entend prendre aucune mesure pour éviter de nouveaux squats, car il s'agit d'un problème dont les propriétaires sont exclusivement responsables. Ces derniers peuvent faire surveiller leurs immeubles vides par des agences privées ou les louer provisoirement à l'AGECAS.
En conclusion, M. Bernard Ziegler releva que la motion est inutile dans la mesure où, à Genève, la politique de l'Etat en matière d'occupation d'immeubles est clairement définie et qu'elle a été exposée à plusieurs reprises publiquement. Tel n'est pas le cas dans d'autres cantons, tels Berne ou Zurich, qui, de fait, traitent de la même manière les questions liées aux occupants d'immeubles sans le dire explicitement.
Discussion et vote de la commission
Le commissaire mpg. présent justifia la dureté des considérants par l'émotion qu'avaient suscité, au moment du dépôt, les questions liées aux squats.
Il releva que l'invite de la motion était imprécise dans la mesure où les motionnaires ne réclament pas la création d'une commission d'enquête. En conclusion, considérant que le Conseil d'Etat avait répondu à la motion, il estima que celle-ci devait être acceptée par la commission, sans renvoi au Conseil d'Etat.
Tel n'a pas été l'avis de la majorité de la commission qui a considéré qu'il ne fallait pas entrer en matière et que, dès lors, la commission n'avait pas à répondre en détail aux questions posées par les motionnaires, ce d'autant que la question des occupations d'immeubles a été abondamment traitée par le Grand Conseil, notamment par la commission législative.
Conformément à la décision de la commission, le rapporteur entend donc préciser que les réponses données par le Conseil d'Etat aux motionnaires n'engagent pas la commission.
Le vote d'entrée en matière a donné les résultats suivants : 1 pour (mpg.), 6 contre (1 pdt., 3 soc., 2 éco.), 5 abstentions (2 rad., 2 lib., 1 dc.).
Voilà les raisons pour lesquelles, Mesdames et Messieurs les députés, la commission judiciaire vous propose de ne pas entrer en matière sur la motion concernant le problème du squat à Genève.
Annexe : M 756
ANNEXE
PROPOSITION DE MOTION
concernant le problème du squat à Genève
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
qu'il est patent que le procureur général se refuse à appliquer les lois ou prétend pouvoir les appliquer quand cela lui convient ;
qu'il invoque pour ce faire un intérêt public à ménager les squatters ;
que la question de savoir s'il y a un intérêt public à ménager les squatters n'est pas de la compétence du procureur général mais du Grand Conseil qui peut décider des mesures adéquates à prendre,
invite le Conseil d'Etat
à créer une commission d'enquête aux fins d'élucider complètement le problème.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames etMessieurs les députés,
Pour faire suite aux travaux qui ont été menés à bien par la commission législative relatifs à une affaire particulière de squat, la commission d'enquête devra faire toute la lumière sur les zones d'ombre qui subsistent encore dans la façon dont sont réglés actuellement les problèmes de squat à Genève.
En effet, il est impératif que les réponses aux questions suivantes nous soient fournies par les autorités compétentes :
1. Combien d'immeubles étaient partiellement ou totalement squattés au 10 octobre 1991 ?
2. Combien de squatters occupaient ces locaux ?
3. Quels ont été les dégâts commis dans les immeubles occupés au 10 octobre 1991 par les squatters ?
4. A combien s'élèvent les frais occasionnés pour l'Etat par les squatters : indemnités aux propriétaires, frais d'eau, de gaz et d'électricité, salaires des fonctionnaires s'occupant des squatters, à quel titre que ce soit y compris de la police ?
5. Dans le cadre des Services industriels de Genève, qui prend la responsabilité de rétablir les raccordement du gaz ou de l'électricité ?
6. Quelle est la situation personnelle de chaque squatter, y compris leur formation professionnelle, la qualité et la durée de leurs études, leur situation de fortune, afin de déterminer ce que coûterait la prise en charge par un service social des personnes vraiment nécessiteuses ?
7. Y a-t-il eu collusion entre les fonctionnaires du département des travaux publics et la police dans l'affaire du 75, rue des Eaux-Vives ?
8. Qui a commis une violation du secret de fonction en communiquant l'amende prononcée contre le propriétaire du 75, rue des Eaux-Vives ?
9. Qui a coupé le téléphone de la dernière locataire du 75, rue des Eaux-Vives et pendant combien de temps et à quel téléphone était-elle reliée dans l'intervalle ?
10. S'il s'agit de la police, a-t-elle suivi la procédure prévue concernant les écoutes téléphoniques ?
11. Quelle mesure la police entend-elle prendre pour que les propriétaires puissent en tout temps faire les constatations nécessaires quant à l'état de leur immeuble jusqu'à l'évacuation des squatters ?
12. Quelles mesures le département de justice et police prend-il pour empêcher de nouveaux cas de ce genre ?
En conclusion et afin de permettre une enquête complète, nous demandons au Conseil d'Etat de délier les fonctionnaires de leur secret de fonction à l'égard de la commission.
Pour que nos institutions retrouvent leur entière crédibilité auprès des citoyens, nous vous remercions de l'accueil que vous voudrez bien réserver à cette proposition de motion que nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, la motion est rejetée.