République et canton de Genève

Grand Conseil

M 839-A
19. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de M. Philippe Fontaine concernant les échanges culturels avec la Suisse allemande. ( -) M839
Mémorial 1992 : Développée, 8350. Motion, 8353.

La motion précitée a été déposée le 16 décembre 1992 et se présente en ces termes:

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

 le rejet récent de l'EEE par le peuple suisse avec les répartitions que l'on sait;

 la nécessité de poursuivre notre ligne politique d'ouverture à l'Europe;

 le maintien indispensable de liens solides entre nos communautés linguistiques;

 l'espoir et la foi en notre jeunesse sur ce sujet;

 l'ouverture bienvenue du département de l'instruction publique sur les échanges culturels à l'extérieur de notre pays,

invite le Conseil d'Etat:

 à raffermir et développer les échanges scolaires et culturels à l'intérieur de notre pays, en particulier en direction de la Suisse allemande;

 à étudier si une amélioration de l'enseignement de l'allemand s'avère nécessaire;

 à mandater le service de recherche sociologique du département de l'instruction publique sur la réalité de risques d'augmentation de la fracture entre les deux communautés linguistiques et sur les moyens d'y remédier.

La motion de M. Philippe Fontaine est bienvenue pour réaffirmer le soutien actif que notre Conseil entend apporter à tous les échanges culturels et scolaires à l'intérieur de notre pays, avec la Suisse alémanique et le Tessin. Le département de l'instruction publique s'emploie à promouvoir ces échanges avec le concours actif de la fondation «ch échanges de Jeunes» de Soleure patronnée par la Nouvelle société helvétique. La coordination de cette fondation entretient des contacts réguliers avec les directions générales et les directions d'établissements auxquelles elle communique toutes les demandes d'échanges et à l'intention desquelles elle a établi un vade-mecum destiné à faciliter la mise sur pied d'échanges de classes.

Des enseignants ont eux-mêmes établi des contacts directs avec des collègues d'autres régions linguistiques et entretiennent leur propre réseau de relations. L'enseignement primaire et le cycle d'orientation collaborent depuis plusieurs années à la formation des instituteurs saint-gallois chargés de l'enseignement du français.

A l'occasion du 700e anniversaire de la Confédération, de nombreuses classes se sont déplacées en Suisse alémanique et au Tessin pour des excursions, des voyages d'études et rencontres avec d'autres classes. Un important effort budgétaire a été réalisé au niveau du cycle d'orientation afin de faciliter ces déplacements et atténuer la chèreté des coûts de transports. L'exposition Euréka, à Zurich, a rencontré un très vif succès et nombre de classes ont participé à des événements et diverses manifestations telles que le Carnaval de Bâle. Des collèges secondaires ont pour leur part accueilli des groupes souvent importants venant d'autres régions du pays.

Il convient cependant d'être attentif aux freins hypothéquant les échanges de classes qui restent malheureusement fort modestes et se situent par exemple au nombre de 8 à 10 au niveau du cycle d'orientation sur un total de plus de 600 classes et d'environ 10 dans l'enseignement secondaire postobligatoire sur un total de 634 classes. Les maîtres éprouvent beaucoup de peine à convaincre leurs élèves de l'intérêt que présentent rencontres et échanges avec d'autres régions de la Suisse, et ce en particulier au niveau de l'enseignement secondaire où l'étranger présente une attractivité nettement supérieure. Le résultat du vote du 6 décembre montre d'ailleurs l'urgente nécessité de contacts avec l'étranger. L'organisation d'un échange de classes représente un investissement considérable de la part des enseignants tant dans la préparation que lors du déplacement proprement dit, puis pour l'accueil des hôtes. Enfin, nombre de familles, d'origine italienne, espagnole et portugaise en particulier, éprouvent des difficultés d'hébergement, tant pour des raisons de place, de gêne que des motifs de budget familial. La question du dialecte peut également constituer un frein, encore qu'il ne faille pas l'exagérer.

Les directions générales des trois ordres d'enseignement et les directions d'établissement ne reviennent pas moins, très régulièrement, auprès du corps enseignant pour soutenir et stimuler les échanges et susciter de nouvelles initiatives. A cet égard les conférences de chefs de département de l'instruction publique du nord-ouest de la Suisse, et de la Suisse romande et du Tessin ont convenu d'une action spéciale pour aider les enseignants qui n'ont jamais organisé ou participé à un échange à l'entreprendre la première fois dans les meilleures conditions de soutien possible.

La question de l'enseignement de l'allemand fait l'objet de soins constants et soutenus de la part des directions générales en liaison avec les groupes des maîtres d'allemand. C'est ainsi que de nombreux moyens auxiliaires ont été réalisés pour structurer et animer cet enseignement. Un groupe de travail du cycle d'orientation a recensé les méthodes disponibles sur le marché et tenté l'expérimentation de l'une d'elle au cours de l'année scolaire écoulée dans ses classes. Malheureusement, elle n'a pas tenu ses promesses et il a fallu se résoudre à son abandon. Une Commission romande de l'enseignement de l'allemand (CREA), sous l'égide de l'Institut romand de recherche et de documentation pédagogiques (IROP), a mis en consultation une série de recommandations en vue de la réalisation d'une nouvelle génération d'ouvrages pour l'enseignement de l'allemand tant au niveau primaire que du secondaire 1 et a lancé également diverses propositions d'expériences, telles l'avancement de l'âge du début de l'enseignement de l'allemand, l'immersion, consistant à utiliser la langue pour l'enseignement d'autres disciplines, et les contacts avec des locuteurs natifs par la voie de la télématique.

Les choses bougent assurément à de multiples niveaux. Il n'en demeure pas moins que pour l'immédiat aucune méthode ne s'avère disponible et apte à remplacer avantageusement le matériel en usage. L'effort à réaliser porte par conséquent sur le moyen terme. L'environnement peu porteur existant dans notre canton pour l'enseignement de l'allemand nécessitera, afin de progresser de manière significative, des expériences audacieuses, fondées sur le volontariat, dont il ne faudra pas attendre la généralisation, mais qui auront un effet de stimulation fort précieuse.

L'école, par ses enseignants et directions, se sent évidemment concernée par la consolidation des liens entre les communautés linguistiques. Son action sera d'autant plus efficace qu'elle pourra s'appuyer sur les effets porteurs de son environnement. C'est dire que les préoccupations exprimées par le motionnaire peuvent être relayées par l'ensemble de la communauté genevoise.

Débat

M. Laurent Moutinot (S). La question des liens confédéraux est particulièrement importante de nos jours, notamment dans le cadre du débat sur l'EEE. Le Conseil d'Etat a eu raison de qualifier de bienvenue la motion de Philippe Fontaine, mais je crains que les réponses qu'il a apportées à cette motion soient un peu insuffisantes. La motion pose trois questions.

Tout d'abord, la motion concerne la gestion des échanges scolaires avec la Suisse alémanique. Le Conseil d'Etat, tout en les encourageant, se borne à relever que ces échanges sont difficiles à organiser.

La deuxième invite de la motion porte sur l'étude d'une amélioration de l'enseignement de l'allemand. Là, et ce n'est pas une surprise, le Conseil d'Etat constate que les écoliers genevois n'ont pas un enthousiasme délirant pour l'allemand, mais cette triste constatation n'est pas suffisante et il n'y a pas, dans la réponse du Conseil d'Etat, de propositions concrètes pour améliorer cette situation.

Quant à la troisième invite, celle de demander au service de la recherche sociologique de creuser et d'approfondir cette question, cette demande est passée sous silence et n'obtient pas de réponse. C'est une question difficile, c'est une question importante que celle de nos rapports confédéraux. Le Conseil d'Etat trouve bienvenue cette motion. Je pense que, malgré la difficulté de la tâche, il faudrait manifester là davantage de volonté politique. Nous avons manifesté cette volonté lorsque les Chambres fédérales sont venues à Genève; c'est une volonté qui doit se poursuivre et c'est donc une question qui devra être reprise.

M. Armand Lombard (L). Mon collègue Moutinot me met dans un embarras certain en recevant ce rapport aussi positivement. Notre groupe a considéré avec une certaine consternation la motion à laquelle le rapport répondait et s'est demandé quelle mouche l'avait piqué d'accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.

La réponse du Conseil d'Etat nous satisfait, elle est sibylline, elle est rassurante, c'est un peu de cette langue de bois habituelle qui ne dérange personne. On mâche un peu la paille : «Le gouvernement a déjà tout fait. Ne vous en faites pas, braves gens soucieux ! Tout marche bien, nous sommes aux commandes.». Il faut bien dire que, si le gouvernement répond cela, c'est bien de la faute de cette motion, elle ne méritait qu'une pareille réponse.

J'aimerais me permettre trois remarques à ce propos puisqu'il est trop tard pour vous parler de cette motion et que nous recevrons bien entendu ce rapport avec silence et docilité.

Tout d'abord, la motion a été déposée le 16 décembre 1992. On peut donc la mettre sur le compte de l'émotion du vote du 6 décembre 1992, ce qui me fait remarquer une première chose, c'est que l'émotion est mauvaise conseillère, que les envolées lyriques sentimentales sont pénibles pour tout le monde, que le cri de peur, l'appel au secours est une espèce d'appel au gouvernement comme on appellerait sa maman et qu'il n'y a pas lieu de le faire dans ce Grand Conseil.

Deuxième travers, c'est que le motionnaire a demandé en fait un travail très important au Conseil d'Etat. La troisième invite est simplement monstrueuse et il ne sert à rien de demander des choses énormes au gouvernement quand on n'a pas un projet précis et que ce qu'on lui demande, c'est de mettre un sparadrap sur une blessure dont on croit qu'elle saigne.

Troisième et dernier travers, c'est de reporter systématiquement ses craintes, ses peurs, ses envies, ses projets ou son manque de temps pour travailler soi-même sur l'exécutif en lui demandant de régler des problèmes qui peuvent être parfaitement réglés par la société civile. Il y a une série de sociétés belles, saines et pas toujours très dynamiques à Genève, que ce soit la Nouvelle Société Helvétique, l'Institut national, la Société des Arts, la Société genevoise d'utilité publique qui sont là pour travailler sur ces problèmes de rapport avec la Suisse, de rapport avec les cantons, de savoir-vivre de ce pays.

Je crois que, pour nous, un des enseignements de cette motion, c'est que quand des problèmes de cet ordre se posent, un député peut se transformer en citoyen et essayer de les résoudre lui-même et ne pas les renvoyer directement au Conseil d'Etat simplement pour se satisfaire ou avoir un support médiatique. Voilà les quelques remarques que je voulais faire à la consternante lecture de ce rapport.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.