République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 8 octobre 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 8e session - 38e séance
P 992-A
En date du 26 avril dernier, la commission était saisie d'une pétition intitulée «contre le démantèlement des studios de la Radio suisse romande» et qui avait la teneur suivante:
PÉTITION
contre le projet de démantèlement des studiosde la Radio Suisse Romande à Genève
Les personnes soussignées, profondément préoccupées par la suppression des emplois sur le territoire du canton de Genève, notamment dans le domaine culturel, exigent des autorités et de la Société de Radiodiffusion et Télévision de Genève que soient honorés les engagements pris les 31 janvier et 13 mars 1978 de garantir «l'équilibre de la production radiophonique en Suisse romande».Les pétitionnaires attendent des autorités cantonales et municipales:
1. Qu'elles affirment publiquement leur attachement à la présence d'une radio de service public dans le canton.
2. Qu'elles interviennent immédiatement pour que soit interrompu le processus de démantèlement de la Radio Suisse Romande à Genève, engagé par la SSR sous le couvert d'un projet intitulé OPERA.
3. Qu'elles prennent les mesures adéquates qui permettront de restaurer le volume et la diversité des activités des studios de Genève, garantis dans l'accord annexé.
4. Qu'elles veillent à ce que la SSR maintienne les installations techniques des studios de Genève et les adapte aux évolutions technologiques actuelles.
5. Qu'elles obtiennent de la SSR la restauration immédiate des studios d'ores et déjà détruits.
Les personnes soussignées attendent des autorités qu'elles prennent toutes les mesures complémentaires nécessaires pour revitaliser les activités culturelles du canton. En outre, les promoteurs de la pétition souhaitent être reçus par la commission des pétitions pour exposer leurs motifs.
N.B.: 5'219 signatures
ORFEE
c/o SSM case 811211 Genève 8
Audition des pétitionnaires
Le 17 mai 1993, sous la présidence de Mme Fabienne Bugnon, la commission a procédé à l'audition des pétitionnaires, à savoir MM. Knöpfel et Kleinmann.
M. Knöpfel fait un historique de la situation: le problème du déménagement des studios de la SSR à Lausanne n'est pas nouveau. En 1978 déjà, lors d'une restructuration, les Genevois ont craint que la totalité de la SSR ne déménage dans le chef-lieu vaudois. Appréhendant également ce départ, la «Fondation de la radio-télévision de Genève» avait stipulé comme clause à sa donation des studios et du droit de superficie des terrains où elle se trouve toujours aujourd'hui que la SSR s'engage à ne pas modifier le lieu de ses émissions radiophoniques. Une condition impérative qui fut acceptée par la SSR dans un courrier daté du 25 février 1977 et qui donnait la garantie qu'elle ne déplacerait pas les studios genevois.
Si les pétitionnaires n'ont réagi au démantèlement des studios que cette année, en fait une désaffection «douce» était déjà engagée depuis 1989, notamment par abandon de certains studios, de transfert de personnel, etc.
A cette date, la SSR était déjà revenue sur ce qu'elle avait décidé en 1978. Au 1er avril 1993, tout le personnel de la première chaîne avait été transféré à Lausanne. Mais la direction minimise ce transfert.
Ce sont des impératifs économiques et financiers qui le justifient aux yeux de la SSR. Mais, estiment les pétitionnaires, Genève sera perdante.
M. Georges Kleinmann, ancien membre du comité directeur de la SSR, met l'accent sur le fait que notre ville sera notamment perdante, au plan culturel, à l'heure même où le slogan «Genève gagne» fleurit un peu partout.
La «première» étant déjà transférée à Lausanne, il ne reste, en nos murs, qu'«Espace 2». La déplacer dans le canton de Vaud, c'est priver Genève d'une voix.
Il s'ajoute à ce manque culturel évident, des questions d'ordre pratique et professionnel: perte de temps pour le personnel qui devra se déplacer. Perte d'un certain nombre d'emplois de la radio, c'est-à-dire perte d'un savoir-faire certain et d'emplois pour les jeunes. D'où appauvrissement à la fois culturel et économique.
Audition de représentants d'ORFEE (Organisation de résistancecontre les fuites de l'emploi à l'extérieur)
Le 24 mai 1993, la commission des pétitions procédait à l'audition de représentants de cette organisation, à savoir MM. Y. Court, journaliste à la SSR, A. Fasel, ancien président de l'ARG, C. Gygi, chef de l'entretien technique à la SSR et A. Zumbach, musicien à la SSR depuis 1965.
M. Fasel, tout comme M. Knöpfel lors de l'audition précédente, souligne les garanties données comme clauses de rigueur et conditions essentielles de cessions des bâtiments genevois à la SSR, du 31 janvier 1978. Il fait remarquer que Lausanne ne dispose pas de studios suffisants pour loger ceux de Genève. Or la SSR à Lausanne a obtenu de la direction générale de Berne le financement de la construction d'un bâtiment supplémentaire dans le chef-lieu vaudois. Il qualifie de «très grave» cet appui.
M. Gygi souligne que la pétition a été lancée notamment en raison du fait qu'au mois de septembre 1992, l'un des studios spécialisés a été démoli et est devenu inopérant. Des investissements consentis tous les cinq ans, en vue de la rénovation de ces studios, ont été bloqués. Une situation inquiétante, selon lui, car certains des studios sont en bon état et d'autres pas. Le matériel devient désuet voire obsolète.
M. Court attire l'attention sur le fait que, durant ces cinq dernières années, les contrats passés avec les journalistes sont, en réalité, des mandats de correspondants, stipulant que Genève n'est qu'un lieu de travail provisoire. Pourtant, notre cité possède en la Maison de la Radio du boulevard Carl-Vogt un «outil précieux» soutenu tant par la Ville que par l'Etat.
M. Zumbach précise que «le coeur de la radio genevoise est en train de se dégrader». Déplacer à Lausanne tous les studios genevois de la SSR reviendrait à avoir une seule voix vaudoise à la radio, Genève devenant une petite antenne secondaire. En Suisse alémanique, il y a trois studios qui fonctionnent très bien: Berne, Bâle et Zurich. Pourquoi ne pas accepter un tel équilibre en Romandie?
Audition de M. Gérald Sapey,directeur de la Radio suisse romande à Lausanne
Le 7 juin 1993, toujours sous la présidence de Mme Fabienne Bugnon, la commission des pétitions entend M. Gérald Sapey, directeur de la Radio suisse romande à Lausanne.
Ce dernier explique que toute cette affaire s'articule à partir d'un projet intitulé «Opéra» et qui porte sur la restructuration de la SSR. Il date d'une quinzaine d'années, à l'époque où il était question de regrouper toutes les forces de la radio en un seul endroit.
Le projet «Opéra» comporte trois volets: 1) exploitation et rentabilisation; 2) personnel; 3) aspect programmatique.
Il s'agit d'un projet de réorganisation, de gestion et d'équilibre financier. Les plans de planification font apparaître des «écarts très graves». La radio ne peut plus compter sur les recettes provenant de la publicité; elle doit survivre grâce aux seules recettes provenant des redevances. La simple compensation des coûts de renchérissement ne suffit pas à couvrir les frais de la progression. Grâce à «Opéra» l'équilibre financier devrait être rétabli dès 1996. La SSR n'a plus les moyens d'entretenir deux studios en Suisse romande. On est, par ailleurs, à la veille de développements très importants dans le domaine radiophonique et cette évolution risque d'entraîner des modifications dans les métiers mêmes de la radio.
M. Sapey tient à préciser qu'«Opéra» n'est pas son projet et qu'il «ne met pas d'affectivité dans son étude».
La direction de la SSR a étudié plusieurs variantes. Elle a finalement retenu l'option selon laquelle les studios de la radio seraient regroupés à Lausanne, à l'exception de trois d'entre eux et un petit centre de formation aux métiers de la radio.
Venant au volet «personnel» il précise que la SSR employe actuellement 561 personnes: 148 à Genève et 413 à Lausanne. Environ 85 personnes seront transférées dans le canton de Vaud et il n'est pas en mesure de dire combien resteront ici.
M. Sapey rompt une lance en faveur de la vocation romande de la SSR tout en reconnaissant que Genève doit obtenir de continuer à faire entendre sa voix.
Quant au troisième volet, il se divise entre l'information et les programmes.
Audition de M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat
Le 14 juin 1993, la commission des pétitions reçoit M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat, chef du département de l'instruction publique.
D'emblée, le magistrat attire l'attention sur le terme de «déman-tèlement» figurant dans le titre de la pétition et qu'il estime «juste». Il peut, certes, comprendre la volonté de la direction de la SSR de rationaliser. Mais il est préoccupé par les problèmes touchant le personnel. Il est possible que des licenciements aient lieu. Il note aussi que les garanties données par la direction de la SSR restent «très relatives et difficilement mesurables».
Lors d'une réunion qu'il a eue avec MM. Demartines, président de la SSR, Sapey, directeur de la Radio à Lausanne et Vaissade, conseiller administratif de la Ville de Genève, il a fait remarquer que les thèses de la SSR n'avaient pas été présentées aux milieux culturels genevois.
M. Föllmi confirme son opposition au projet «Opéra» tout en précisant bien qu'il dispose de peu de marge d'action dans cette affaire. Par ailleurs, Genève ne bénéficie pas du soutien des autres cantons romands.
Visite des studios de la Maison de la Radio
Le 21 juin 1993, la commission des pétitions, à l'invitation de M. Gérald Sapey, est reçue dans les studios de la Maison de la Radio où elle est accueillie par ce dernier ainsi que par MM. L. Jeanguenat, adjoint au responsable du département technique; G. Tschopp, directeur de l'information, R. Dahler, responsable de la phonothèque et Mme E. Jouhet, chef du département Espace 2.
Elle procède à une visite commentée des studios à l'issue de laquelle elle a l'occasion de s'entretenir, de manière informelle, avec toutes les personnes qui l'ont reçue avec le souci de l'informer de la manière la plus objective possible.
Débats de la commission
Le même jour, la commission ouvre la discussion concernant cette pétition.
Des commissaires mettent l'accent sur le «double discours» qu'ils ont pu entendre. Discours alarmiste de la direction de la SSR et préoccupations des pétitionnaires.
Au plan sécurité de l'emploi, plusieurs commissaires font remarquer qu'aucune garantie n'a été offerte par la direction de la SSR.
L'ensemble de la commission est d'avis que la présence d'une radio de service public s'impose absolument dans notre canton et vu l'urgence et la gravité de la situation, décide d'en informer tant le plénum du Grand Conseil que l'exécutif par une résolution et ceci même avant de déposer son rapport sur la pétition qui risque, en effet, d'arriver lorsque l'irréparable sera déjà fait. Elle charge l'auteur du présent rapport de rédiger une résolution qui est acceptée à l'unanimité.
Cette résolution (R 262) est discutée lors de la séance du Grand Conseil du 24 juin 1993 (nuit) et acceptée. (Voir Mémorial no 26, pages 3725 à 3728).
En date du 31 août 1993, la présidente de la commission reçoit de M. Willy Knöpfel, au nom d'ORFEE, copie d'une lettre du procureur général Bernard Bertossa, datée du 24 juin 1993, et adressée à la direction de la SSR. Le procureur général agissant en qualité d'autorité cantonale compétente pour poursuivre l'exécution d'une charge imposée à un donataire, dans l'intérêt public attire l'attention de la SSR sur la donation de 1978 et de ses conditions particulières. Si le projet «Opéra» devait prendre corps, la charge imposée par la cession des studios ne serait pas respectée. Et le procureur général d'évoquer qu'il pourrait assigner en justice la SSR pour ce fait.
Ce nouveau élément apporté au dossier a paru assez important pour être mentionné dans le présent rapport.
Le 20 septembre 1993, la commission des pétitions dans un dernier échange de vues, a considéré qu'en l'état du dossier, les deux invites figurant dans la résolution 262 et acceptée par le Grand Conseil le 24 juin précédent avaient valeur de conclusions à son rapport concernant cette pétition.
Par voie de conséquence et à l'unanimité la commission des pétitions renvoye la pétition 992 au Conseil d'Etat en l'invitant à:
affirmer publiquement son attachement à la présence d'une radio de service public dans notre canton;
à intervenir auprès des autorités fédérales concernées afin qu'elles obtiennent de la SSR les garanties que les programmes culturels et l'information genevoise soient préservées dans les futures négociations.
M. Michel Jörimann (S). Je n'ai rien à vous dire en ce qui concerne la pétition. Mais comme dans quelques instants, Madame la présidente, vous prononcerez le discours de fin de législature, vous rendrez hommage aux députés et députées qui se retirent - je suis de ceux-là après seize ans passés parmi vous - vous remettrez le cadeau-souvenir à tous les députés qui s'en vont, j'ai pensé bien faire en offrant un cadeau aux membres du Bureau.
Il s'agit d'une page originale de l'hebdomadaire satirique genevois de la fin du siècle passé, «Le Carillon», qui s'intitule : La commission du compte rendu visitant la route de Saint-Georges. Vous y verrez de graves Messieurs - à l'époque, les dames n'étaient pas représentées - qui sont nos prédécesseurs dans cette enceinte, être à moitié embourbés. L'un d'eux est encordé comme s'il gravissait le Mont-Blanc, un autre possède un Alpenstock, tandis qu'un dernier s'accroche à son piolet. La légende est la suivante : elle concerne deux dames, deux touristes anglaises qui considèrent avec étonnement ce spectacle et demandent, avec leur accent anglais : «La Suisse est un bien curieux pays. Y aurait-il eu là un tremblement de terre ?».
Et le Genevois de répondre, avec l'accent que vous me connaissez : «Vous pataugez, chère Madame, vous voyez ici la route de Saint-Georges ouverte au public depuis dix mois. Tout a été prévu, tout a été calculé».
Cent ans plus tard, Mesdames et Messieurs les députés, rien n'a changé. Ce qui relativise notre action, et cela sera mon testament politique dans cette enceinte : «Ne nous prenons pas trop au sérieux et continuons à cultiver le doute de nous-mêmes». (Applaudissements, remarques d'admiration.) (La présidente éclate de rire, alors que M. Jörimann lui remet le tableau.)
Mises aux voix, les conclusions de la commission (renvoi au Conseil d'Etat) sont adoptées.