République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 7 octobre 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 8e session - 35e séance
I 1870
M. Robert Cramer (Ve). Avant de développer cette interpellation, je dirai quelques mots pour planter le décor.
Nous sommes le dimanche 26 septembre au soir. Il fait une nuit pluvieuse comme on n'a pas de peine à se l'imaginer connaissant le temps à Genève ces dernières semaines. Trois militants d'un parti politique collent des affiches. Jusque-là, rien n'est insolite. En effet, ce matin en sortant de chez moi j'ai vu des affiches chantant les louanges du parti radical collées sur des réverbères. En l'occurrence, les colleurs d'affiches n'étaient pas trois militants du parti radical.
Revenons à nos trois militants qui, chemin faisant, arrivent aux alentours de la place du Bourg-de-Four où ils continuent leur activité. C'est alors que, n'écoutant que son courage, le policier en poste au Bourg-de-Four le quitte et interpelle nos colleurs d'affiches. Ce faisant, ce gendarme abandonne son poste laissant la porte ouverte. (Rires.)
Les trois militants en question seront relâchés deux heures plus tard après que l'officier de permanence a été atteint et a pu indiquer au gendarme en question qu'il devait les relâcher.
Jusque-là rien, à proprement parler, ne justifie une interpellation au Grand Conseil. Je n'entends pas demander au Conseil d'Etat s'il était bien raisonnable que cet agent de police laisse le poste du Bourg-de-Four tout seul pour aller interpeller les trois malandrins colleurs d'affiches. Je n'entends pas non plus demander au Conseil d'Etat si, oui ou non, il est licite de coller des affiches. Je sais bien que c'est licite, Mesdames et Messieurs les députés. C'est en tout cas licite pour autant que l'on ne commette pas de dommages à la propriété. C'est ainsi qu'en a récemment jugé le Tribunal de police.
J'en viens à ce qui motive mon intervention. A l'occasion du contrôle d'identité, le gendarme demande aux trois personnes interpellées si elles sont connues des services de police. Parmi elles se trouve Pierre Vanek, militant antinucléaire très connu, président de «Contratom» et également candidat au Grand Conseil pour les prochaines élections.
Comme les autres interpellés, Pierre Vanek répond qu'à sa connaissance, il n'est pas connu de la police. Le gendarme, après avoir pianoté sur son ordinateur, lui adresse la parole en disant : «Mais vous, Monsieur Vanek, vous êtes un extrémiste ! Vous auriez pu le dire lorsque je vous l'ai demandé !» (Rires.)
J'en viens aux questions posées au Conseil d'Etat. Elles sont toutes simples. Ma première question consiste à demander si les «extrémistes» sont fichés à Genève ?
Ma seconde question est la suivante : Qui a accès aux renseignements recueillis sur ces extrémistes ?
Je demande, dans ma troisième question au Conseil d'Etat, quelle est la définition qu'il donne au terme extrémiste ? En particulier, le Conseil d'Etat considère-t-il que le fait d'avoir des opinions politiques s'exprimant dans le cadre des institutions démocratiques, soit en faisant usage du droit d'association, du droit d'initiative et du droit de référendum, en organisant des manifestations, est constitutif d'un comportement extrémiste ?
Ma dernière question concerne la majorité de la population du canton de Genève qui partage les opinions de M. Vanek sur le nucléaire. Le Conseil d'Etat a-t-il pris les mesures nécessaires pour ficher les deux cent mille dangereux extrémistes de notre canton ? (Applaudissements).
M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. L'histoire était tellement «grosse» que j'ai tenu à la vérifier immédiatement. Je peux rassurer totalement M. Cramer, que je remercie de m'avoir averti quelques heures à l'avance du développement de son interpellation. Cela m'a permis de me faire apporter le «print» de l'ordinateur.
Comme vous l'avez rappelé, une seule personne parmi celles interpellées était connue de la police - je tiens le «print» de l'ordinateur à votre disposition, Monsieur Cramer, dans lequel il n'y a pas l'ombre d'une appréciation politique. Si tel avait été le cas, (Rires.) cela aurait été rigoureusement interdit par la loi genevoise sur les dossiers de police que vous connaissez parfaitement, Monsieur Cramer. Cette loi prohibe expressément tout fichage de caractère politique ou religieux. Toute mention des opinions personnelles des citoyens est strictement interdite dans les dossiers. Cette histoire ne peut qu'être démentie, car strictement aucune appréciation sur l'ordinateur ne concerne les opinions des citoyens. Il n'y a que des références au sujet de personnes ayant commis des infractions, qui peuvent ne pas être graves d'ailleurs - je tiens à vous rassurer. Dans le cas qui vous a alerté, il ne s'agit pas non plus d'un grave repris de justice.
Toutefois, lorsque des personnes commettent des infractions, par exemple à la loi sur la circulation routière, comme cela arrive à tout le monde - non pas pour des contraventions car, comme vous le savez, il n'y a plus de fiches à ce sujet - il existe un dossier de police pour ces contrevenants. C'est le cas pour tout citoyen commettant des délits entrant dans le cadre des lois ordinaires, soit le code pénal ou la loi sur la circulation routière, soit d'autres lois de répression. Ces dossiers ne comportent donc rien qui soit de nature politique. Je peux totalement vous rassurer à ce sujet.
J'ai réussi à démêler l'histoire dont vous nous avez fait part. Dans le cadre du dialogue avec les trois personnes interpellées, le gendarme a fait part de son propre sentiment à l'égard des affiches qu'on lui a mis sous les yeux. Il s'est dit qu'elles avaient un contenu extrémiste et a exprimé son opinion à ce sujet. C'était son opinion de citoyen. Vous connaissez le vieux débat entre le devoir de réserve du fonctionnaire qui ne devrait pas tenir ce genre de propos et le fonctionnaire qui est aussi un citoyen auquel il arrive d'exprimer des opinions. C'est un débat dans lequel on ne sait jamais où placer la limite.
Certains mettent l'accent sur le devoir de réserve. Ils sont en général plutôt de ce côté-là de cette enceinte, (M. Ziegler désigne les bancs de la droite) d'autres mettent plutôt l'accent sur la liberté d'expression des fonctionnaires. Récemment, une votation populaire a eu lieu sur cette problématique. Il en est ressorti que les citoyens colleurs d'affiches sont plutôt partisans de mettre l'accent sur la liberté d'expression des fonctionnaires. D'ailleurs, ce n'est pas le côté le moins cocasse de ce dossier de constater que ce sont ces derniers qui reprochent à ce policier d'avoir exprimé son opinion de citoyen, opinion qui, en aucun cas, ne résultait du contenu d'un fichier de police.
M. Robert Cramer (Ve). Je vous remercie de vos explications qui auront rassuré le Grand Conseil sur la pratique genevoise en matière de fichage. Je vous remercie également de me transmettre ces quelques documents auxquels vous vous êtes référé afin que je les remette à M. Vanek, de telle sorte qu'il soit entièrement rassuré quant aux renseignements qui sont recueillis sur lui.
L'interpellation est close.
23. Naturalisation : Demande de réexamen d'un dossier.
Cette demande est renvoyée à la commission des naturalisations.
La séance est levée à 19 h.