République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 7 octobre 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 8e session - 35e séance
R 264
EXPOSÉ DES MOTIFS
On prend les mêmes, on recommence, et on redit la même chose...
En effet, il y a une année environ, les députés signataires de cette résolution étaient intervenus sur le même objet: requérants à la rue, orée de la mauvaise saison, durcissement des pratiques fédérales, etc. Pendant quelques mois, la situation s'était légèrement détendue.
Aujourd'hui par contre, les traitements inhumains reprennent et nous ne pouvons les tolérer, particulièrement puisqu'ils ont pour scène notre canton.
S'il est juste de demander fermement aux requérants de produire des documents d'identité ou de faire des démarches en vue d'en obtenir le plus rapidement possible, il est inutile par contre de les condamner à passer nuit et jour dans la rue pendant plusieurs semaines. Certains pays de provenance de ces requérants n'ont plus de système postal qui fonctionne et toute arrivée de documents est illusoire. Si après quelques jours d'attente (4 à 5), aucun document ne peut être fourni, alors le requérant doit pouvoir être enregistré et sa procédure d'asile suivre son cours. C'est d'ailleurs ce type de fonctionnement qui s'était instauré ces derniers mois.
Depuis peu, le ton est au durcissement. Pas de papiers ? Pas de demande d'asile ! Oublié le fait que dans de nombreux pays on ne peut obtenir ses papiers d'identité sans explication des raisons de cette demande. Evacuée la réalité qu'un individu en danger ne peut en aucun cas se présenter auprès des instances officielles de son pays pour annoncer qu'il veut fuir. Passée sous silence la situation administrative de certaines régions rendant toute venue de courrier impossible. Ignorée honteusement la présence d'hommes et de femmes rejetés dans nos rues.
Alors, les oeuvres d'entraide jouent une fois de plus aux «pompiers».
Mais il devient difficile de s'occuper de dix à douze personnes transies dans les quelques mètres carrés dont dispose l'AGORA, de trouver les moyens nécessaires pour leur assurer le minimum vital, d'accepter le mépris de la dignité à laquelle a droit tout être humain.
Voilà pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à voter cette résolution afin d'offrir l'appui de ce Grand Conseil aux démarches tentées par le département de justice et police en vue de trouver une solution rapide et humaine à ces situations douloureuses. Il en va du respect de la détresse d'hommes et de femmes, ainsi que du maintien de l'ordre public.
Nous demandons aussi que le Conseil d'Etat prenne immédiatement des mesures pour trouver un lieu d'accueil pour ces personnes. En un mot, recréer un mini-CHERANE (le CHERANE ayant malheureusement été fermé sur décision des autorités fédérales). Si les jours qui viennent ne voient aucune solution se dessiner et que dix à quinze requérants sont toujours laissés à la rue, une telle structure devient alors urgente.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). On pourrait commencer cette intervention en disant qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Malheureusement, la situation est un peu trop grave pour plaisanter. Je n'entrerai pas dans les détails afin de ne pas prolonger les débats, car je pense que le texte de cette résolution est suffisamment explicite.
Une seule réalité s'impose: à l'heure actuelle des gens sont contraints de vivre dans la rue, certains depuis plus de quatre semaines. Je crois que nous ne pouvons tolérer de tels agissements de la part des autorités fédérales. Les oeuvres d'entraide essaient de jouer aux pompiers mais n'arrivent plus à suivre, plus à assumer. Ce durcissement de la part des autorités fédérales n'a aucune justification et je crois qu'il est important que notre Grand Conseil prenne position par rapport à de tels agissements.
M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat l'a toujours dit, l'application de la procédure d'asile ne doit pas aboutir à laisser des requérants à la rue. A l'époque, nous avions été très fermes lorsque nous avions été confrontés au problème de l'insuffisance de la capacité d'accueil du Centre d'enregistrement fédéral de Cointrin. En effet, nous avions demandé de ne pas rencontrer chez nous des situations «tiers-mondesques».
A l'époque, vous vous souvenez que des requérants dormaient dans le cimetière de Meyrin. Nous avions insisté sur le fait que nous ne voulions pas de ce genre de situation. Nous ne voulons pas la banlieue du Caire à Genève. Les requérants doivent être hébergés par les soins de la Confédération qui en a l'obligation jusqu'à leur répartition dans les cantons, puisque l'enregistrement sert précisément à cela, afin de respecter la péréquation intercantonale.
Nous avions très fermement rappelé à la Confédération quels étaient ses devoirs et nous lui avons facilité sa mission en mettant le camp militaire à sa disposition. Il avait été exploité par un organisme ad hoc, constitué en catastrophe par les oeuvres d'entraide.
Nous avons connu des situations dans lesquelles environ huit cents requérants ne pouvaient pas être accueillis par le Centre d'enregistrement de Cointrin. Un organisme, qui s'est appelé le CHERANE, avait parfaitement rempli sa mission et fait face à toutes les difficultés saisonnières qu'on peut rencontrer dans ce genre de situations.
Nous avions constaté qu'en fin d'année, entre Noël et Nouvel An, nous pouvions avoir à assumer des centaines et des centaines de nouvelles arrivées. Il fallait trouver des solutions d'hébergement compte tenu des frimas de cette saison. Nous les avions trouvées grâce aussi à la très rapide réaction des services de M. Haegi et des différentes communes genevoises qui avaient mis à disposition du CHERANE des abris de protection civile.
Cet organisme a toujours su faire face à ces situations difficiles. A l'époque, la Confédération avait admis qu'elle devait assumer les frais de cet organisme. Elle l'avait indemnisé pour son activité. Vous vous souvenez sans doute que, lors du transfert du Centre d'enregistrement de Cointrin à la Praille, le Conseil d'Etat avait demandé que la Confédération continue à collaborer avec le CHERANE puisque cet organisme était en mesure de faire face à des situations de crête exceptionnelles.
La Confédération en avait décidé autrement. Le Conseil d'Etat a regretté cette décision. Nous avions demandé à la Confédération d'éviter à tout prix ce genre de situations. Or je constate à regret qu'aujourd'hui elles semblent se reproduire. Nous ne voulons pas être confrontés à ce que nous avions dénoncé à l'époque, c'est-à-dire la création d'une catégorie de «pré-requérants» d'asile. Nous refusons l'instauration de procédures avant même l'enregistrement du dépôt d'une demande d'asile. Malheureusement, on va dans ce sens.
En effet, j'ai appris qu'on délivrait une espèce d'attestation ad hoc pour les personnes souhaitant se présenter au Centre d'enregistrement alors que la loi sur l'asile permet à l'autorité fédérale de prendre des décisions rapides dans le cas de requérants qui ne voudraient pas collaborer. Dans un Etat de droit, ces procédures doivent se dérouler dans le cadre légal existant. Il ne faut pas créer de nouvelles procédures en amont de celles prévues par la loi. Le Conseil d'Etat veut absolument éviter cet état de fait. Il l'a dit très fermement à l'autorité fédérale. Nous devons éviter l'erreur de vouloir trop bien faire en donnant rapidement suite à la situation de fait, créée par l'application actuelle de la loi sur l'asile; nous devons éviter que le canton assume à nouveau une tâche fédérale.
Comme vous le savez, notre créance à l'endroit de la Confédération est lourde de dizaines de millions que nous n'arriverons jamais à recouvrer parce que l'exploitation de ces centres implique des frais importants. Le Conseil d'Etat ne voudrait pas que, par des décisions précipitées, on en arrive à accepter un transfert de charges sur un canton qui est spécialement exposé car il possède un des quatre centres d'enregistrement.
Je crois qu'il faut rester fermes sur cette question comme nous l'avions été à l'époque de la création du CHERANE. En tout cas, le Conseil d'Etat vous demande de le soutenir sur ce problème de répartition des compétences entre la Confédération et le canton. Il est important que chacun assume les responsabilités que lui donne la loi dans ce domaine.
Pour le surplus, il bien évident que nous acceptons votre résolution.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue:
RÉSOLUTION
concernant les requérants d'asile refusés au centre d'enregistrement
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
le durcissement des autorités fédérales face aux demandeurs d'asile dépourvus de documents d'identité et le refus de les enregistrer,
le fait que des êtres humains soient ainsi contraints de vivre dans la rue, sans aucun moyen de subsistance, livrés à la charité d'oeuvres d'entraide et dormant au gré des places trouvées dans les lieux d'accueil de nuit,
l'arrivée de la mauvaise saison, rendant encore plus inhumain et inacceptable le rejet de ces personnes,
le fait que pour certains requérants, cette situation dure depuis plusieurs semaines,
invite le Conseil d'Etat
à poursuivre avec vigueur ses démarches auprès des autorités fédérales afin d'éviter la réapparition de «pré-requérants» livrés à eux-mêmes et vivant dans la rue,
à prévoir des lieux d'accueil (PC par exemple) pour ces personnes, ainsi que les infrastructures nécessaires pour leur fonctionnement tant que les autorités fédérales refuseront de s'en charger.