République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 16 septembre 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 7e session - 32e séance
M 870
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
que le chômage s'aggrave;
que les perspectives de reprise de l'emploi en cas de reprise de l'activité économique ne sont pas évidentes;
que de nombreuses mesures sont entreprises pour améliorer les prestations de chômage, introduire un revenu minimum d'insertion et d'existence, prévenir le chômage en donnant une formation aux chômeurs;
que si ces mesures sont indispensables, l'expérience de pays européens voisins avec le chômage de longue durée montre qu'elles n'ont pas d'effet palliatif en ce qui concerne la diminution d'emplois;
qu'il existe de nombreux besoins non satisfaits, notamment pour ce qui a trait aux emplois dans les services;
que ces emplois peuvent être créés sans investissements majeurs;
que cela implique, en sus de l'assistance accordée aux chômeurs, la prise de responsabilité de tous les acteurs de la vie sociale économique pour inciter à la création de tels emplois;
que l'une des voies ouvertes à cette prise de responsabilité est l'octroi de prêts aux personnes exclues du marché du travail afin de développer de nouveaux emplois;
que cela présuppose la création d'institutions de crédits capables d'exercer une activité en faveur des personnes exclues et au chômage, afin de leur permettre de prendre des responsabilités dans la création d'emplois pour eux-mêmes et pour d'autres,
invite le Conseil d'Etat
à procéder à une étude de faisabilité sur la création de systèmes de crédits destinés aux entrepreneurs qui sont au chômage et aux groupes d'entraide qui souhaitent créer des entreprises, et qui ne peuvent accéder aux crédits usuels des banques et des organismes de cautionnement mutuels, destinés à la création d'emplois dans les services locaux, par des micro-entreprises à faible capitalisation;
à établir, sur cette base, un rapport contenant des propositions concrètes ouvrant des perspectives de création d'emplois aux acteurs de la vie économique et sociale.
EXPOSÉ DES MOTIFS
A. L'impasse du chômage de longue durée
1. Le chômage ne va pas disparaître sitôt.
2. Face à la pauvreté et à l'exclusion suscitées par ce phénomène, le sentiment de justice implique les mesures suivantes:
développement de l'assurance chômage, des programmes d'occupation temporaire et de la retraite anticipée;
développement des possibilités de formation et de recyclage;
développement des mesures préventives du chômage, notamment en favorisant la capacité des personnes au chômage de créer des entreprises;
fourniture d'un revenu minimum d'insertion et d'existence aux personnes qui se trouvent exclues des filets existants de la protection sociale.
Ces mesures indispensables ont toutes été prises, sous une forme ou sous une autre, par nombre de pays industrialisés et à Genève. Toutefois, aussi nécessaires soient-ils, ces dispositifs ne répondent pas à la question lancinante de savoir où les nouveaux emplois vont être crès pour fournir une activité digne aux personnes qui se trouvent exclues du marché du travail. La sécurité sociale et les mesures d'assistance permettent d'éviter la pauvreté, mais non pas de créer des emplois, car telle n'est pas leur fonction. Par ailleurs, la logique de la protection sociale ne peut être répétée à l'infini, car elle tend à renchérir le facteur travail qui suscite, à son tour, des mesures de rationalisation et d'augmentation de la productivité, visant à réduire le travail humain.
3. Devant ce dilemme angoissant, le débat politique tend à se polariser. En effet, les néo-libéraux les plus catégoriques pensaient avoir trouvé la pierre philosophale dans une déréglementation massive, notamment par une baisse substantielle des salaires et de la protection sociale et/ou des normes protectrices de l'environnement. L'espoir est que les salaires suisses puissent, par exemple, faire concurrence aux salaires thaïlandais ou indiens. Outre le fait que cette approche témoigne d'une brutalité sociale économique certaine («capitalisme sauvage»), rien ne dit, ni ne prouve, qu'une telle issue à la crise du chômage soit réaliste. Les exemples récents de nombreux pays industrialisés qui ont connu un processus de déréglementation important ne sont pas concluants en raison des phénomènes de dislocation sociale grave qu'ils commencent à connaître. C'est l'une des raisons d'ailleurs qui pousse certains à proposer la constitution de grands blocs économiques (CE, NAFTA et Sud-Est asiatique), qui règleront sur une base plus stable leurs échanges commerciaux, dans le cadre du marché mondial, notamment par des clauses sociales et écologiques.
4. Il est dès lors urgent de réfléchir à de nouvelles pistes de lutte contre le chômage. A côté des efforts classiques et nécessaires de la relance et de la promotion économique régionale, trois pistes nouvelles apparaissent fréquemment dans les débats et les discussions actuelles, notamment grâce à l'action des écologistes:
le partage du travail;
la recherche de nouvelles sources de financement des systèmes de protection sociale par des taxes incitatives en matière d'environnement dont le but est d'éviter que les prélèvements sur le facteur travail augmentent, au détriment de la création d'emplois, tout en favorisant un rèquilibrage fondamental des rapports entre l'homme et la nature;
l'amélioration du niveau général et spécifique de la formation de chaque personne afin de favoriser le développement du savoir productif .
5. Une quatrième piste plus locale mérite d'être explorée et qui n'est pas exclusive des autres. Il s'agit de combiner la logique d'assistance et de protection de la sécurité sociale avec une logique de responsabilité de chacun pour la création d'emplois. A ce titre, la constitution d'organismes de crédits spécifiques destinés aux victimes du chômage de longue durée et de l'exclusion mérite réflexion. Car, selon les termes d'Anne-Sophie Boisgallais et d'Anne Le Bissonnais, les «...pratiques alternatives de crédits forment l'une des rares idées que l'on ait pour lutter durablement contre l'exclusion et le chômage, et pas seulement dans les pays du Sud» .
B. Quand le Sud peut inspirer le Nord
6. De nouvelles formes de crédits se développent dans plusieurs pays du Sud de notre globe. Leur objectif est de libérer les petits producteurs et aider les plus démunis à s'en sortir, coincés qu'ils sont entre le crédit inaccessible des banques officielles et le crédit inacceptable des usuriers. Et ça marche!
7. Comme le soulignent Anne-Sophie Boisgallais et Anne Le Bissonnais, après 30 ans d'échec des politiques Nord-Sud de développement, une interrogation est née sur la capacité des systèmes de crédits des pays du Sud de répondre aux exigences d'un vrai développement. Les systèmes bancaires officiels, bien souvent en grande difficulté, se révèlent incapables de répondre aux besoins de financements des communautés locales. Dans ces conditions, les usuriers traditionnels restent le seul recours, mais leurs taux exorbitants empêchent toute accumulation de richesse. Pris en tenaille entre un crédit inaccessible et un crédit inacceptable, les producteurs, et plus généralement tous les plus démunis, se trouvent condamnés au sous-développement. Proposer une alternative à cette situation et libérer les producteurs, tel est l'enjeu des nouvelles formes de crédits qui se développent aujourd'hui. Du Ghana au Bangladesh, de nouveaux réseaux se mettent en place et d'anciennes pratiques empiriques retrouvent droit de cité. Ces nouveaux outils d'épargne sont fondés sur le crédit et sur une épargne locale que l'on rembourse quoi qu'il arrive pour des raisons de pression sociale. Mais ce petit «argent chaud» peut-il se substituer et faire le poids face au gros «argent froid» que mobilise les institutions financières officielles? A considérer la masse des prêts engagés et les résultats flatteurs obtenus dans plusieurs pays, il y a tout lieu de penser que ces initiatives sont prometteuses.
8. De telles initiatives ont quelques caractéristiques communes:
a) Le prêt est accordé à des taux d'intérêts réels, et non pas subventionnés ou abaissés artificiellement.
b) Le crédit finance la production ou la création d'emplois, les crédits à la consommation ou au logement n'étant accordés que lorsque les emprunteurs ont fait leurs preuves avec le crédit productif.
c) Les femmes jouent un rôle majeur et déterminant dans ces institutions, notamment en raison du fait qu'elles remboursent beaucoup mieux que les hommes (!).
d) La plupart de ces institutions refusent une quelconque bonification ou subvention qui s'apparenterait à de l'assistance car le taux d'intérêts doit être rémunérateur.
9. Ces systèmes alternatifs ne fonctionnent pas totalement en dehors des systèmes de financement officiels. Dans les pays où ces systèmes marchent particulièrement bien, il y a reconnaissance et concertation organique entre les institutions qui, par leurs clientèles différentes, peuvent se compléter sans se concurrencer.
10. Un ancien directeur d'une telle institution alternative au Chili relève que ces efforts ne ressortent pas de l'économie informelle. Il vaut mieux parler d'économie populaire, qui fonctionne autrement que l'économie moderne. Les familles avec lesquelles l'institution qu'il dirigeait travaillait, avaient eu pour objectif d'optimiser leurs propres capacités de travail, et non pas d'augmenter leur capital. Les gens créaient des emplois pour la famille et s'arrêtaient là. Cette institution permettait de créer un emploi avec 500 dollars, montant moyen des prêts, tandis que dans les mines chiliennes, il fallait un million de dollars pour créer un emploi. Avec un minimum d'argent, on a eu un effet maximum sur l'emploi.
11. Bien entendu, il est aisé de retorquer que le Sud n'est pas le Nord et que, par conséquent, ces expériences n'ont aucune valeur pour nos problèmes de chômage. Une telle approche est inadéquate.
C. Les leçons du Sud appliquées à la création d'emplois locauxet à faible capitalisation au Nord
12. Jean-Louis Laville souligne que de nombreuses politiques de création d'emplois ont été développées dans les services aux personnes et les services collectifs, seuls domaines où apparaissent aujourd'hui de réelles opportunités. Aide à domicile, entretien de l'environnement, accueil des jeunes enfants, loisirs et culture, tels sont les principaux gisements d'emplois. Or, les mesures destinées à concrétiser ces gisements entraînent des effets pervers souvent occultés:
Le traitement social du chômeur, lorsqu'il devient massif, a des effets pervers. De plus en plus de collectivités territoriales se transforment progressivement en organisatrices d'ateliers de travail. Or, ces occupations temporaires se succèdent sans cohérence dans le temps et sans aboutir à une véritable reconnaissance sociale. Ces efforts tendent plus à promouvoir le droit au revenu que le droit au travail.
D'autres programmes, comme celui des emplois, jouent sur l'abaissement des coûts salariaux, soit par la baisse du salaire net, soit par des exonérations fiscales. Ces efforts favorisent l'établissement de rapports de gré à gré entre l'employeur et le salarié, sans possibilité de médiation ou de contrôle, d'où le risque de constituer une catégorie de «nouveaux serviteurs», pour reprendre la formule d'André Gorz.
Ces rares opportunités en matière d'emplois ont, pour contrepartie, d'accentuer la fragmentation sociale en diversifiant les statuts de l'emploi à l'extrême. L'obsession de la création d'emplois, couplée aux contraintes budgétaires, finit par sacrifier la cohésion sociale.
13. Pour sortir de ce cercle vicieux, il conviendrait, selon Laville, d'opérer un véritable renversement de perspectives: plutôt que de viser l'emploi à tout prix, il s'agirait de donner la priorité à la création d'activités conçues en fonction du vécu de ceux auxquels elles s'adressent. A ce titre, il existe une voie différente pour la création de services de proximité, soit la constitution d'entreprises d'un nouveau type, des entreprises solidaires basées sur la prise en compte du quotidien des usagers. C'est à partir de cet ancrage fondamental que ces entreprises solidaires peuvent ensuite fonctionner avec de «vrais emplois» grâce à des combinaisons entre vente de services, financements sociaux et mobilisation du bénévolat. Ces entreprises concernent déjà des centaines de milliers d'usagers en Europe: développement communautaire au Royaume-Uni, projets d'auto-assistance en Allemagne et coopératives de solidarité sociale en Italie. Toutes ces initiatives mettent en évidence les dynamiques locales engendrées. Bien loin des petits boulots, ces démarches contribuent à la fois à la cohésion sociale et à la création d'emplois.
14. C'est à ce titre qu'une Association pour le droit à l'initiative économique a été créée en France. Cette association est une «banque» qui a un statut d'association, mais qui ne fait pas de charité. Elle prête au taux de 10% et demande 2% de cotisations aux fonds de garantie. A petites entreprises, petits prêts: les crédits ne dépassent pas 30'000 FF. Grâce à cette association, des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) ont créé en France des entreprises artisanales. Et ils s'en sortent, Corinne, coiffeuse, se déplace chez ses clients, Amid tient à Paris une librairie spécialisée dans les livres d'art, Pierre vend des frites dans la rue, Céline a ouvert un salon de toilettage pour animaux.
Au total, ils sont 350 RMistes à s'être arrachés à la spirale de la pauvreté, aidés par le seul organisme bancaire en France qui prête avec l'autorisation expresse de la Banque de France de l'argent aux RMistes.
L'association assure le suivi des «micro-entrepreneurs locaux». Tous ne réussissent pas. Mais l'association doit rendre compte à ses différents pourvoyeurs de fonds et veille au grain.
L'association relève également qu'il faut débroussailler le maquis juridique et administratif qui entoure la création de micro-entreprises. En effet, l'environnement légal complexe, les charges sociales, la conception souvent mal adaptée des aides à la création d'entreprises sont autantd'obstacles pour les chômeurs pourtant souvent prêts à se mettre à leur compte.
L'ADIE a trouvé son inspiration auprès de ces organismes de crédits des pays du Sud, notamment la Grammeen Bank (Banque rurale), imaginée par un professeur d'économie Bangladeshi, convaincu lui aussi que l'on peut «grignoter» le chômage en tentant de créer autant de micro-entreprises qu'il y a de chômeurs.
D. Pourquoi une étude de faisabilité?
15. Il n'y a pas de baguette magique pour résoudre la crise de l'emploi. Tous les efforts sont nécessaires. La responsabilisation de l'Etat, de la société civile, des entreprises et des individus est indispensable. L'Etat local peut, pour sa part, favoriser la création de micro-entreprises à faible capitalisation dans les nouveaux secteurs potentiels d'emplois, en débroussaillant le terrain par des études exploratoires confiées par exemple à l'université et qui permettent de déboucher sur des premières conclusions pratiques. Celles-ci serviront de levier et d'incitation à tous ceux et à toutes celles qui commencent à réfléchir à leur responsabilité dans ce domaine (observatoire de l'emploi).
Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à la présente.
Débat
M. Jacques-André Schneider (Ve). Cette motion peut susciter deux types de réactions. A droite, on nous dira que nous ne sommes pas compétents pour nous occuper de problèmes de crédits. A gauche, on dira que prêter à des chômeurs est finalement indécent puisque faire crédit peut aussi entraîner le chômeur ou la chômeuse sur une pente savonneuse.
Cette motion est venue à partir d'une réflexion qui, au fond, est assez simple. D'une part, face au chômage, des efforts «classiques» liés à la protection sociale, à la formation professionnelle et, d'autre part, à la relance, à la protection économique et régionale sont nécessaires. Il ne faut pas les remettre en cause.
D'autre part, face au chômage, plusieurs pistes nouvelles de réflexion existent, notamment celles considérant qu'il faut déréglementer, baisser les salaires pour sauver l'emploi face à la concurrence internationale. Il existe également le partage du travail, puis les écotaxes et aussi une réflexion nouvelle dans le domaine de la formation et de l'utilisation du savoir dans une société qui sera de plus en plus fondée sur l'utilisation de «la matière grise».
Au fond, notre motion est très modeste. Elle suggère une piste de réflexion essayant d'associer une philosophie d'entraide et de responsabilité pour la création d'emplois au niveau local.
Cette idée est fondée sur l'idée suivante...
La présidente. On n'entend pas M. Jacques-André Schneider. S'il vous plaît ! (Protestations dans la salle.) Vous pouvez tenir vos conversations à la buvette.
M. Jacques-André Schneider. Cela ne m'importe guère car les petites idées trouvent finalement leur chemin sans que les parlements les écoutent ! (Rire de la présidente.) Nous proposons de faire tout d'abord une étude de faisabilité car nous ne sommes pas absolument certains de la justesse de ces idées. Nous aimerions donc qu'elles soient étudiées.
En second lieu, nous pensons qu'un potentiel existe pour la création d'emplois pouvant permettre de «grignoter le chômage». Ce potentiel réside dans les services de proximité dont l'idée, entre autres, a été développée dans cette motion. Je ne les reprendrai pas ici. Ce sont des services de proximité dans des entreprises à faible capitalisation qui ne nécessitent pas une mise de capital très importante.
Je signale à ceux et à celles qui seraient tentés de critiquer cette idée qu'elle est reprise et figure dans l'un des chapitres importants du projet de loi sur l'assurance-chômage, actuellement soumis à la consultation.
En plus de favoriser six indemnités journalières, nous proposons une autre idée, liée à cette notion de crédits pour que des chômeurs se responsabilisent et se lancent dans la création d'entreprises, donc d'emplois, c'est celle de créer des organismes d'entraide bancaire.
Si l'on parle de tels organismes, la première objection consiste à dire : «Vous voulez donner de l'argent gratuitement». Si vous avez lu attentivement la motion, vous constaterez que telle n'est pas la proposition. Nous prenons exemple sur des organismes existant dans les pays du Sud. Ils commencent aussi à exister dans certains pays du Nord. Ce sont des organismes de crédits particuliers, mais qui facturent des taux d'intérêt normaux.
Nous proposons l'idée suivante, toujours liée à cette notion d'entraide. Les grands organismes bancaires ne sont en effet pas en mesure de favoriser l'octroi de tels crédits, cela pour des raisons fort compréhensibles, par exemple l'étude des dossiers. Si vous accordez un crédit de 30 000 F, les frais d'études pour un grand organisme bancaire s'élèvent peut-être à la somme de 3 000 à 4 000 F. On se demande si cela vaut la peine de dépenser cet argent pour un crédit qui, somme toute, est très faible.
Nous prenons exemple sur ces organismes et vous disons que jusqu'à présent la Suisse n'a pas connu un chômage structurel de longue durée, mais nous entrons dans une phase où nous connaîtrons ce type de chômage. Les pays qui l'ont connu ont commencé à réfléchir à des dispositifs nouveaux particuliers qui ne sont pas des recettes miracles, mais qui contribuent à «grignoter le chômage», notamment cette idée des organismes de crédits.
A ceux et celles qui, sur les bancs de l'Entente, seront tentés de me «laver la figure» avec cette proposition qu'ils qualifieront probablement d'ingénue, je signale, en conclusion, que M. Alain Madelin qui avait, en 1968, une orientation politique tout à fait différente de la mienne, puisqu'il était à l'extrême-droite, a défendu cette idée qui d'ailleurs figure sur les plans de l'emploi de M. Balladur qui est un centre droit conséquent.
Cette idée d'une étude de faisabilité pour créer des organismes d'entraide en matière de crédits destinés à favoriser la création de petites entreprises à faible capitalisation n'est pas une grande idée. C'est une petite idée, mais nous souhaitons la voir sérieusement étudiée.
M. Michel Jörimann (S). Je tiens à rassurer tout de suite M. Jacques-André Schneider qui a prêté à la gauche des procès d'intention abominables concernant sa motion.
Mon cher collègue, le groupe socialiste a pris connaissance avec intérêt de votre proposition, et quand j'utilise le terme «intérêt», ce n'est pas une simple clause de style.
Certes, ce n'est pas la motion du siècle, mais elle a le mérite de faire réfléchir.
Et puis, son exposé des motifs, contrairement à tant d'autres, techniques, confus, parfois flous, a le mérite de la clarté, voire de l'originalité. J'en veux pour preuve la lettre B, page 4, «Quand le Sud peut inspirer le Nord» et son corollaire à la lettre C.
Cette motion nous propose donc un certain nombre de pistes, de réflexions, de perspectives. D'où son intérêt. Notre groupe soutient donc cette motion et, comme ses auteurs vous le demandent, votera son renvoi au Conseil d'Etat.
M. Armand Lombard (L). Comme cela se passe souvent lorsque la pensée des écologistes nous livre un texte, le titre interpelle l'esprit, le plaisir est bon à la lecture, le sujet est original, mais attention aux chutes en dévers, aux conclusions biaisées, aux associations d'idées fallacieuses.
Les trois idées qui interpellent sont les suivantes. Tout d'abord, la déréglementation massive proposée par l'intégrisme néo-libéral. Ensuite, le B.A-Ba de l'épargne capitaliste inventée par les femmes du Ghana. Troisièmement, la réinsertion des chômeurs compétents dans une économie locale simplifiée et financée par des moyens locaux.
Permettez-moi de revenir très brièvement sur ces trois idées qui ébouriffent. Je ne m'attarderai pas trop sur le néo-libéralisme dépeint par les écologistes. L'idée est tellement embryonnaire et caricaturale qu'on ne saurait lui accorder le moindre crédit.
M. Schneider, tout d'abord, donne comme objectif de ce prétendu libéralisme d'abattre les salaires suisses des ouvriers pour faire concurrence aux salaires, je cite, thaïlandais ou indiens. Voyons, Monsieur Schneider, un peu de jugeote !
Le deuxième objectif de ce libéralisme, qu'il a tellement bien compris, est qu'il va procéder à une dislocation grave de l'édifice social. Prenez, je vous en prie, la peine de lire le projet de budget cantonal 1994 et vous verrez vraiment l'insondable légèreté de votre affirmation. (Rires).
La troisième idée que j'aimerais relever de la part de M. Schneider est celle de l'épargne, inventée dans le tiers-monde et retirée, je cite : «des usuriers traditionnels, calvinistes - Merci au nom de la banque privée, Monsieur Schneider ! - à des taux qui ne sont pas subventionnés ou abaissés artificiellement». Mais voyez l'imagination !
Cette épargne, continue le document, des femmes du Ghana est bien utilisée parce que, dit M. Schneider, «Les femmes remboursent beaucoup mieux que les hommes». Nos écologistes, en quelques lignes magistrales, réinventent le système de la caisse mutuelle - je vous rappelle qu'il y en a près de quatre mille en Suisse - et redécouvrent le système Raiffeisen, énoncé en 1837 par l'économiste allemand.
Retournez à vos livres d'économie et à vos carnets d'épargne avant de nous assiéger si vainement, Monsieur Schneider!
Troisième étape de ce calvaire financier : (Rire de la présidente.) Jean-Louis Laville. Là, à l'évidence, vous êtes mieux «tombés», Mesdames et Messieurs les motionnaires. Une économie qui se porte mal ou se remplit de chômeurs redémarre sur de petites unités, c'est vrai. La Hongrie est un exemple frappant de renouveau économique partant de projets extrêmement précis et limités avec un entrepreneur créateur et quelques aides. En effet, ces projets grandissent d'expériences en production et de ventes en nouveaux marchés. La machine redémarre et, petit à petit, les chômeurs deviennent eux aussi des entrepreneurs. La banque et ses prêts, à ce stade, sont nécessaires pour accompagner le développement, pour l'accompagner et non pour l'initier, et c'est du petit crédit local, sur la vieille image des paysans d'une vallée assemblant leurs économies pour permettre, moyennant rémunération, la réalisation du projet d'un des leurs, qui va se faire également dans l'industrie. Ghana ou Raiffeisen, Monsieur Schneider, cela n'a guère d'importance, ce sont des postes de travail qui se créent.
Je conclurai en vous demandant pourquoi vous voulez l'Etat dans ce projet ? Au Ghana, si vous avez bien étudié, l'Etat ne crée pas la banque mutuelle, en Suisse non plus d'ailleurs; c'est l'économie de marché.
Alors, proposez votre étude de faisabilité à la Chambre de commerce, à une grande banque, mais pas à l'Etat. Votre idée, appliquez-la et lancez-la vous-mêmes, intéressez-y vos proches, animez-la vous-mêmes; cela ne sert à rien de toujours relancer sur les autres nos bonnes idées. L'Etat n'a rien à faire là au milieu. Il n'est pas dans son cahier des charges de créer des entreprises, des banques et des solidarités financières.
Le chômage touche tout le monde. Par conséquent, ce sujet doit être discuté, même sur une base aussi faible. Toute solution envisageable doit être entourée des meilleurs soins. Bien entendu, mon groupe sera d'accord de renvoyer cette motion à la commission de l'économie.
M. Philippe Joye (PDC). Le groupe démocrate-chrétien accueille cette motion avec intérêt. Il est d'accord de la renvoyer en commission. Cependant, quelques remarques importantes sont à faire.
Voici la première. Tout ce que l'on fait en faveur des chômeurs est positif. Par conséquent, votre idée de base est louable. Il nous semble nécessaire que votre projet de motion soit mieux coordonné avec le projet de loi sur les assurances fédérales en cours actuellement. Il doit être intégré dans les nombreuses mesures que le département de l'économie publique prend dans toutes sortes de domaines pour traiter des questions analogues.
La création d'emplois, c'est bien. Mais la reprise de la demande est probablement notre grand problème. Evidemment, l'idée des micro-entreprises à faible capitalisation mériterait d'être mieux définie. On devrait étudier comment l'insérer dans cette question de la demande dont on ne parle pas, malgré son importance cruciale.
Dans votre texte, j'ai relevé trois points : le premier se trouve à la page 4 et concerne la quatrième piste. Vous dites qu'il s'agit de combiner la logique d'assistance et de protection de la sécurité sociale avec une logique de responsabilité de chacun pour la création d'emplois. J'approuve l'idée, mais je ne vois pas très bien comment l'appliquer. Vous parlez en page 5, au point 8, du prêt accordé à des taux d'intérêt réels; Calvin disait que le taux d'intérêt moral était de 5%; est-ce à cela que vous faites allusion ?
Le dernier point qui me préoccupe se trouve à la page 6, au chapitre : «Les leçons du Sud». Je cite : «Aide à domicile, entretien de l'environnement, accueil de jeunes enfants, loisirs et culture». Ce sont les principaux gisements d'emplois. Or, les mesures destinées à concrétiser ces gisements entraînent des effets pervers souvent occultés. Malheureusement, ce sont des emplois parallèles qui ne contribueront pas à la remise en marche du système économique.
Enfin, une petite phrase au bas de la page 6 nous étonne. D'autres programmes comme celui des emplois jouent sur l'abaissement des coûts salariaux, soit par la baisse du salaire net, soit par des exonérations fiscales. Vous dites que ces efforts favorisent l'établissement de rapports de gré à gré entre l'employeur et le salarié sans possibilité de médiation et de contrôle, d'où le risque de constituer une catégorie de nouveaux serviteurs pour reprendre la formule d'André Gorz. Heureusement, je crois que nous n'en sommes pas encore là dans ce pays où il est encore possible d'avoir des rapports de gré à gré entre employeurs et salariés sans avoir forcément besoin de médiation et de contrôle. Cependant, je salue l'effort que vous avez fait, et je réitère notre accord de renvoyer cette motion à la commission de l'économie.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Les difficultés liées à la situation que nous connaissons sur le front de l'emploi font que toute idée mérite d'être accueillie sans a priori dogmatique, avec la simple volonté de progresser.
L'idée qui nous est proposée par le groupe écologiste consiste, si l'on veut être tout à fait transparent et prendre les mécanismes pour ce qu'ils sont, à faire prendre les charges par l'Etat, voire indirectement par ce dernier au travers d'un organisme ou d'une institution, à créer des crédits qui, en définitive, n'auraient été acceptés par aucun organisme financier.
De deux choses l'une, soit un projet est viable et nous avons des chances de le voir accepté par un organisme financier; à cet égard, j'aimerais vous rendre attentifs au rôle que ce parlement a voulu jouer, à juste titre, à la Banque cantonale; soit ce projet n'est pas viable et les crédits, quel que soit l'organisme financier auquel ses promoteurs se sont adressés, ne pourront vraisemblablement pas être libérés. C'est une question difficile de savoir s'il convient à l'Etat, dans ce contexte, de se substituer à un organisme financier, ce qui revient à une forme de subventionnement.
La question peut être posée, mais économiquement elle n'est pas susceptible d'être résolue sur la base des mécanismes que l'on connaît. Peut-être y a-t-il à l'origine de votre démarche une méconnaissance ou un manque d'information sur certains instruments existants qui pourraient fonctionner de manière plus large encore s'ils étaient mieux connus.
Je constate, pour avoir lu l'exposé des motifs accompagnant votre motion, que vous pensez surtout, par le système dont vous préconisez l'avènement, à de petits projets. C'est la micro-entreprise à laquelle vous avez fait allusion.
Dans ce contexte, il existe à Genève une institution qui pourrait jouer un rôle un peu plus important en répondant à une partie de ce type de problèmes concernant Genève; il s'agit de l'Office genevois de cautionnement mutuel. Ce dernier peut avoir cette fonction en servant d'interface à des petits projets dont le financement est difficile et à propos desquels il faut un coup de pouce financier. Je crois que c'est bien l'une des missions de l'Office genevois de cautionnement mutuel.
Dans ce contexte, vous savez qu'une réflexion approfondie est engagée. Tout d'abord sur la base d'un certain nombre d'initiatives genevoises face à des chômeurs qui, plutôt que de recevoir, dans une situation inactive, des indemnités de chômage, ont l'idée de monter un projet.
Nous avons créé à Genève, de manière un peu paralégale mais avec le consentement tacite de l'OFIAMT, un système permettant à certains égards de capitaliser des indemnités de chômage pour permettre l'éclosion d'un projet par un financement ainsi apporté. Vous aurez observé que cette idée est reprise dans le cadre de la révision de la loi fédérale sur l'assurance-chômage. Effectivement, c'est une des idées mises en consultation.
Nous pouvons donc approcher ce type de problèmes par des institutions telles que l'Office genevois de cautionnement mutuel qui pourrait être renforcé ou par les perspectives qui pourraient être offertes par la révision de la loi fédérale sur le chômage.
En revanche, je pense que ce serait une erreur ou une illusion d'imaginer qu'une sorte de banque spécialisée dans ce type d'opérations pourrait avoir l'ambition de la durée, sauf à admettre d'emblée qu'elle serait régulièrement recapitalisée par l'Etat. Ce n'est pas là le rôle de l'Etat. Vous en conviendrez tous.
Il est intéressant que cette motion soit renvoyée à la commission de l'économie afin de pouvoir engager un débat approfondi en écoutant également les gens de l'Office genevois de cautionnement mutuel nous expliquer à quels types de problèmes ils sont confrontés afin que vous soyez informés d'un certain nombre de lacunes et d'insuffisances du système actuel.
Mise aux voix, la proposition de renvoi de cette motion à la commission de l'économie est adoptée.