République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 6992
12. Projet de loi de Mmes et MM. Yvonne Humbert, Geneviève Mottet-Durand, Charles Bosson, Albert Maréchal, Gérard Ramseyer et Philippe Schaller modifiant la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (surfaces d'assolement) (L 1 17). ( )PL6992

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987, est modifiée comme suit:

Art. 8 A (nouveau)

Inventaire des surfaces d'assolement

1 Afin de satisfaire les exigences posées par l'ordonnance d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 2 octobre 1989 (ci-après: ordonnance), un inventaire des terrains considérés comme surfaces d'assolement au sens de l'ordonnance est inclus dans le plan directeur.

2 La procédure d'adoption de l'inventaire des surfaces d'assolement est celle prévue pour l'adoption du plan directeur (art. 3 à 8).

3 Le plan n'ayant qu'une valeur indicative, cet inventaire n'est pas opposable aux particuliers.

4 Seuls des terrains sis en zone agricole et cultivés peuvent être intégrés dans l'inventaire. Toutefois, l'inventaire peut comprendre des terrains sis en zone de verdure ou sportive, qui peuvent rapidement être cultivés en cas de nécessité.

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'ordonnance d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 2 octobre 1989 (ci-après: OAT) a introduit pour la première fois la notion de «surfaces d'assolement» (ci-après: SDA). L'OAT ne définit pas précisément la notion de SDA.

Cependant, l'article 16, alinéa 3, OAT indique que:

«...Une surface totale minimale d'assolement est indispensable pour assurer au pays une base d'approvisionnement suffisante comme l'exige le plan alimentaire, dans l'hypothèse où le ravitaillement serait perturbé.»

Les SDA peuvent dont être définies comme les surfaces agricoles cultivées nécessaires pour garantir un ravitaillement normal en cas de crise. L'idée est très proche du «plan Wahlen» établi pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'OAT impose aux cantons de circonscrire les SDA et de les fixer commune par commune (art. 18, al. 1, OAT). Les cantons doivent veiller à ce que les SDA soient classées en zone agricole (art. 20, al. 1, OAT).

Sur le plan genevois, le Conseil d'Etat a édicté le 1er juillet 1992 un règlement d'application de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (ci-après: Règlement), paru dans la Feuille d'Avis officielle (ci-après: FAO) du 8 juillet 1992.

Ce règlement institue une procédure particulière pour le projet de plan fixant le relevé des SDA. Par ce biais, le Conseil d'Etat a en réalité institué un nouveau plan d'affectation au sens de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (ci-après: LAT), sans base légale ou délégation législative.

En date du 9 septembre 1992, un avis du département des travaux publics est paru dans la FAO, informant que les plans des SDA pouvaient être consultés jusqu'au 9 octobre 1992 et que des observations pouvaient être émises durant ce même délai. Il était aussi rappelé qu'il était possible de faire opposition auprès du Conseil d'Etat jusqu'à la date précitée.

La parution de cet avis a soulevé une vague d'observations et d'oppositions, provenant aussi bien des communes que des particuliers.

Les raisons succinctement exposées sont les suivantes: les communes n'ont souvent pas été entendues pour la fixation de leurs SDA, certaines parcelles sises en zone à bâtir ont été inexplicablement incluses dans le plan des SDA. Enfin, celui-là donne l'impression de paralyser définitivement la zone agricole, telle qu'elle existe actuellement, alors qu'il est de notoriété publique que certaines parcelles situées en zone agricole n'ont plus d'agricole que le nom.

A la suite de ces événements, une motion, la M 829, a été déposée par-devant le secrétariat du Grand Conseil, demandant l'annulation du Règlement. Il est intéressant de constater qu'elle a été signée par des députés ayant tous des responsabilités sur le plan communal (maire, conseiller(ère) administratif(ve), etc.). Cela démontrait bien l'inquiétude des communes devant le projet tel que présenté.

Afin de clarifier une situation qui demeure peu claire, nous proposons de modifier la LALAT, afin de donner d'une part la base légale nécessaire pour toute procédure relative aux SDA et, d'autre part, permettre d'intégrer avec toute la souplesse nécessaire les SDA dans le plan directeur actuel.

Nous entendons d'abord rappeler cette règle élémentaire dans une démocratie parlementaire: l'Exécutif doit toujours disposer d'une base légale claire pour pouvoir édicter un règlement. Si celui-ci contient des normes primaires, c'est-à-dire des règles de droit ne se trouvant pas dans une loi au sens formel, il faut qu'une délégation législative claire à l'exécutif se trouve dans la loi.

Or, nous sommes dubitatifs quant à la réalisation, dans le cas d'espèce, de l'une ou l'autre des conditions citées plus haut. C'est pourquoi nous proposons d'intégrer ces règles dans une loi au sens formel, la LALAT.

Ensuite, nous soulignons que les SDA doivent être considérées comme un critère dont il faut tenir compte dans l'élaboration du plan directeur, c'est-à-dire dans l'aménagement global du canton. Elles ne doivent en aucun cas devenir un instrument de planification en soi.

Le Conseil fédéral lui-même va dans ce sens puisqu'il déclare, dans un extrait du document «Genèse et résultats» qu'il a publié le 8 avril 1992 et concernant la garantie des SDA, que:

«...Il incombe aux cantons et aux communes de garantir le respect des SDA dans leurs plans d'affectation. L'article 20, alinéa 1, OAT, précise que les surfaces d'assolement doivent être garanties par leur classement en zone agricole normale. La création de zones agricoles spéciales n'est donc pas nécessaire (c'est nous qui soulignons). L'ordonnance ne confère pas non plus à l'ensemble des SDA une protection juridique inconditionnelle, comme c'est, entre autres, le cas de la forêt. La pesée quasi exhaustive des intérêts en présence, telle que l'exige la LAT pour les activités ayant des effets sur l'organisation du territoire, n'est pas mise entre parenthèses. Au contraire, il faut dorénavant que les SDA revêtent une plus grande importance que jusqu'ici lors de la pesée des intérêts en présence. Le quota minimal de surfaces par canton doit en tous les cas être respecté.» (cf. chap. 10.2).

Il appert ainsi que les SDA doivent représenter un critère indispensable dans le cadre de l'aménagement du canton, mais non pas devenir une zone agricole spéciale.

Il est d'ailleurs intéressant de relever que certains des autres cantons romands ont mis sur pied des procédures similaires à celle que nous proposons. Par exemple, le canton du Jura a inscrit les SDA dans son plan directeur. Il s'agit d'un paramètre dont il faut tenir compte dans l'examen de chaque cas d'espèce. Dans le canton de Fribourg, l'inventaire des SDA a aussi été intégré dans le plan directeur. Les SDA représentent également un élément dont il faut tenir compte.

C'est donc dans le but de concilier les divers intérêts (économiques, écologiques, etc.) en présence que nous soumettons le présent projet à votre sagacité et vous remercions d'ores et déjà, Mesdames et Messieurs les députés, de la bienveillante attention avec laquelle vous l'examinerez.

Préconsultation

Mme Catherine Rapp-Jotterand (Ve). Le problème des surfaces d'assolement est étroitement lié à celui des zones agricoles et plus particulièrement à la protection de celles-ci. Nous adhérons à l'analyse faite par les auteurs de ce projet de loi indiquant que les surfaces d'assolement ne doivent pas forcément constituer des zones agricoles spéciales ou des zones en tant que telles, mais à certaines conditions seulement, qui sont loin d'être remplies pour l'instant.

Il faudrait commencer par redéfinir la zone agricole en établissant une surface minimum de terres, un certain nombre d'hectares à conserver absolument (L'oratrice insiste sur ce mot.) dans cette zone.

Au-delà de ce minimum garanti, il serait alors envisageable, moyennant compensation, de déclasser des terres situées en zone agricole, en fonction de critères d'aménagement tels que la situation de fait - par exemple, la mise en conformité de zones de certains terrains et bâtiments existants dont l'affectation n'a rien d'agricole - ainsi que des critères de développement écologiques et économiques. Il est évident que certains hameaux, certains bâtiments voués à l'artisanat ou à la petite industrie n'ont aucune raison de se trouver, comme c'est parfois le cas actuellement, en zone agricole.

Tant que l'on n'aura pas défini cette zone agricole strictement protégée, nous continuerons à nous opposer à tout déclassement, à moins, évidemment, qu'une compensation ne soit prévue, c'est-à-dire à moins que l'on ne restitue à la zone agricole une superficie équivalente dans un autre endroit de la commune ou du canton.

En effet, on déclasse au coup par coup, on grignote sans vergogne. Or, si les subventions fédérales encouragent la mise au repos de certaines terres, cela ne signifie pas que nos besoins en terres agricoles diminuent. Car à moyen terme, la seule manière de survivre pour une agriculture comme la nôtre - et pour l'agriculture européenne en général - c'est de se tourner vers une agriculture moins intensive.

Les espaces sont chez nous limités, la terre est coûteuse, les ressources du sous-sol quasi inexistantes. A techniques et organisation égales, les coûts de production sont supérieurs à ceux qui peuvent être obtenus dans de vastes plaines et sous d'autres climats. Notre agriculture n'est pas compétitive sur le marché mondial des denrées alimentaires. Faut-il continuer à tenter de la faire survivre artificiellement, à coups de subventions ?

Edgar Pisani, ancien ministre français de l'agriculture, écrivait en mai 1992 dans «Le Monde» : «Accepter que joue la seule loi du marché c'est, pour l'Europe, accepter la diminution de plus de moitié du nombre de ses exploitations agricoles; c'est accepter qu'un tiers supplémentaire de son territoire devienne un quasi-désert, c'est s'engager à faire face aux problèmes que lui poseront le manque d'eau, la consommation d'énergie, mais aussi la pollution, car plus elle est intensive, plus la production est polluante».

De nombreux agriculteurs se convertissent à une agriculture plus extensive, qui demande donc davantage de surfaces à exploiter, et se tournent vers l'agriculture biologique.

Pour des raisons touchant autant à l'économie qu'à l'écologie, nous avons besoin de maintenir une importante zone agricole dans notre canton. Tant que ce maintien ne nous sera pas garanti, nous nous opposerons donc à des projets de lois tels que celui qui nous est proposé ici. Et pour les mêmes raisons, nous ne pourrons accepter le projet de loi sur les hameaux proposé au point 63, à moins qu'une compensation ne soit envisagée. Il est urgent de mettre au point une politique d'aménagement du territoire qui offre à la zone agricole davantage de garanties.

La présidente. Ce point de l'ordre du jour sera donc repris à la séance de demain.