République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 11 juin 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 6e session - 23e séance
I 1862
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). (Mme Reusse-Decrey tente de s'exprimer. Elle est interrompue par un brouhaha indescriptible!)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, laissez parler Mme Reusse-Decrey! Si vous ne voulez pas l'entendre, allez à la buvette!
(Le brouhaha continue, les députés semblent ignorer les exhortations au silence de la présidente.)
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. J'attends, je n'ai pas envie de parler dans le vide!
La présidente. S'il vous plaît!
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Madame la présidente, j'attends que les personnes qui ne sont pas intéressées s'en aillent. Ce sera plus simple.
La présidente. Allez-y, Madame Reusse-Decrey s'il vous plaît, allez-y!
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Je vais essayer de me faire entendre, particulièrement du chef du département, puisque c'est à lui que s'adresse cette interpellation.
Le gouvernement genevois et le Grand Conseil ont toujours voulu éviter dans la mesure du possible que les procédures d'asile se passent et se fassent en vase clos et nous ne pouvons que lui en savoir gré.
L'année dernière encore, lors de l'ouverture du centre d'enregistrement de La Praille, le Conseil d'Etat n'a pas craint de dire tout haut son désaccord et il a même refusé de se joindre à l'inauguration dudit centre. (Chahut.) Cette ferme prise de position, malgré qu'elle n'ait pas été entendue, la mise en place d'un nouveau mobilehome devant le centre et la générosité d'un grand nombre de bénévoles ont tout de même permis d'assurer un minimum de transparence dans ce centre d'enregistrement, de préserver un accueil humain pour les requérants et de faciliter l'accès aux mandataires.
De récents exemples ont démontré que cette transparence et ces garanties minimales n'existent malheureusement pas dans les cas de demandes d'asile déposées à l'aéroport. Cela est d'autant plus regrettable que, justement en ce lieu, tout l'accès à la procédure dépend, dans un premier temps, des autorités genevoises et uniquement des autorités genevoises.
Je rappelle très brièvement les règles qui régissent une demande d'asile: il s'agit bien de l'expression de la volonté de rechercher protection et cela peut se faire même par gestes, si nécessaire.
A l'aéroport, le requérant est entendu par la police genevoise qui a l'obligation de communiquer les premières données à l'Office fédéral des réfugiés. Alors, la procédure suit son cours avec soit l'autorisation d'entrer en Suisse, soit le refus immédiat et le renvoi.
Cette dernière décision de renvoi immédiat est donc très lourde de responsabilité. On ne doit laisser aucune place à l'erreur, parce que les conséquences en seraient trop graves. Il faut se donner le maximum de moyens pour ne pas commettre d'appréciation hasardeuse et garantir une audition menée de manière irréprochable pour le requérant.
Depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté fédéral urgent sur l'asile, la procédure à l'aéroport n'échappe plus à la loi sur la procédure administrative et M. Kohler le dit lui-même dans un rapport du département fédéral: «Du point de vue de la procédure, la nouvelle réglementation apporte effectivement une amélioration pour le traitement des cas présentés aux aéroports dans la mesure où la procédure ne se déroule plus en dehors de la LPA».
Il ressort bien que, dès qu'un arrivant manifeste son désir de demander l'asile, il doit pouvoir être assisté d'un mandataire. Pour cela, il faut bien sûr lui en donner les moyens: l'information et les moyens de communiquer.
Je cite l'exemple tout récent qui a défrayé la chronique. Il s'agit d'un couple de Tunisiens avec un enfant en bas âge qui ont dû fuir leur pays. Ils ont décidé de se séparer pour des questions de sécurité. Lui est entré illégalement en Suisse, s'est présenté au centre d'enregistrement de La Praille à Carouge et sa demande a été enregistrée. La procédure suit son cours.
Elle et son fils choisissent la voie d'entrée légale. Avec un enfant n'est-ce pas le moyen le plus sûr? Aujourd'hui, elle se retrouve dans une situation précaire, expulsée en Algérie, séparée de son mari depuis plusieurs semaines. Elle a été renvoyée de l'aéroport de Cointrin par la police genevoise après avoir pourtant explicitement demandé l'asile.
Dans ce cas, la police a outrepassé ses droits puisqu'elle n'a pas averti les autorités fédérales comme la loi l'y oblige, et qu'elle a pris seule cette décision de renvoi.
Pour moi, cet exemple est très révélateur. D'un côté on pleure sur les entrées illégales des requérants, les passeurs, l'échec de la loi, l'asile et, d'un autre côté, on pratique une manière de faire qui ne peut qu'encourager les requérants d'asile à éviter les filières officielles, celles-ci ne leur accordant pas toutes les conditions de sécurité nécessaires.
Faute d'avoir une réelle possibilité de demander l'asile à l'aéroport, les requérants sont en fait contraints de choisir d'autres voies, illégales. Les chiffres qui nous ont été donnés lors de la visite au centre d'enregistrement à Cointrin sont assez révélateurs. Quatorze demandes d'asile présentées à l'aéroport depuis le début de l'année. Visiblement ce passage n'attire pas beaucoup les requérants parce qu'ils ont peur de se faire renvoyer. Trois cas sont connus des oeuvres d'entraide, mais combien ont été renvoyés dans l'anonymat le plus parfait puisque nous n'avons aucun contrôle sur ce lieu.
A ce propos, j'aimerais rappeler au département que M. Jacques-André Schneider avait déposé une question écrite sur ce point, il y a plus d'un an et qu'il n'y a toujours pas de réponse à cette question.
Une fois de plus, je redis dans ce parlement que la transparence serait bénéfique à toutes les parties concernées et éviterait des dérapages, des bruits qui courent et des plaintes administratives, comme celle qu'a reçue le Conseil d'Etat.
Le département pourrait-il nous dire s'il accepte à l'avenir trois choses?
Premièrement que l'étranger qui demande l'asile dans notre pays soit immédiatement informé de ses droits et devoirs. Actuellement ce n'est pas le cas et une simple feuille en plusieurs langues serait suffisante.
Deuxièmement que, préalablement à toute formalité, le requérant ait la possibilité, s'il le désire, de communiquer avec un conseil et d'accéder à un mandataire. M. Walpen nous a précisé l'autre jour qu'il craignait les risques de collusion. On pourrait très bien mettre un numéro de téléphone à disposition des requérants qui feraient leur demande sur un disque. Cette demande serait donc enregistrée et on éviterait ainsi tout risque de collusion.
Troisièmement que le mandataire constitué soit convoqué à temps aux auditions et puisse effectivement y participer et qu'en cas de décision de refus un délai suffisant soit accordé pour permettre un recours effectif avant le départ. On a vu des mandataires être convoqués dix minutes avant le départ de l'avion. Il est évident que c'est un peu court pour se rendre à Cointrin!
Ces mesures sont simples, faciles à mettre en place et ne chargeraient pas de manière trop importante la police de l'aéroport. Ce n'est que l'application de la loi voulue par Berne. Ces mesures permettraient en même temps d'éviter les soupçons qui pèsent sur les conditions de détention dans ces locaux de l'aéroport. On a reçu plusieurs témoignages décalés dans le temps et provenant de personnes d'origines tout à fait différentes qui attestent de conditions identiques: refus du droit de se doucher, de se changer, pas de nourriture, etc.
Depuis quelques semaines, le département semble abonder dans le sens d'une plus grande transparence dans les divers lieux de détention du canton et autoriser, entre autres, la commission des visiteurs officiels à faire un travail plus poussé. Je tiens à le remercier et je souhaite que ce dernier point noir, c'est-à-dire, le centre d'enregistrement de Cointrin, particulier, c'est vrai, par sa situation géographique puisque situé en zone internationale, puisse aussi faire l'objet d'un accord et d'une volonté accrue de transparence.
M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. L'interpellation de Mme Reusse-Decrey pose un problème général à partir d'un cas particulier. Je répondrai à l'un comme à l'autre.
En ce qui concerne le problème particulier, je vais vous dire ceci, Madame la députée. La police a commis une erreur qui doit être sanctionnée et il faut en tirer la leçon pour que cette erreur ne se reproduise plus; mais il ne faut pas non plus exagérer les conséquences de cette erreur et voici pourquoi.
Le 26 mars, une femme tunisienne et son enfant, les journaux l'ont appelée Leila, arrive à l'aéroport à 12 h 25 et se présente au contrôle des passeports à 21 heures, c'est-à-dire 8 heures plus tard. Leila arrive d'Alger et déclare d'emblée qu'elle a déchiré son passeport et son billet d'avion, qu'elle demande l'asile et qu'elle vient rejoindre son mari qui se trouve, précise-t-elle, en France ou en Italie. Leila, de nationalité tunisienne, exhibe une attestation du Haut Commissariat aux Réfugiés suivant laquelle elle est reconnue réfugiée sous le mandat du HCR en Algérie. Cette attestation datée du 22 décembre 1992 est valable pour l'Algérie jusqu'au 20 novembre 1993.
Sachant qu'elle venait rejoindre son mari dont elle n'a jamais dit qu'il était en Suisse, mais en France ou en Italie, qu'elle ne disposait d'aucune pièce d'identité ni d'aucun billet d'avion, qu'elle était porteuse d'une attestation qui la plaçait sous la protection du HCR en Algérie et valable jusqu'au 20 novembre 1993, les policiers ont décidé de la refouler sur l'Algérie par le vol de la compagnie algérienne qui l'avait amenée.
Cette décision, nos fonctionnaires de police n'avaient pas le droit de la prendre, parce qu'ils n'en ont pas la compétence, qui appartient à l'Office fédéral des réfugiés. Conformément à l'ordre de service, ils auraient préalablement dû soumettre le cas à l'Office fédéral des réfugiés qui tranche de l'admission ou du renvoi. L'Office fédéral des réfugiés nous a confirmé qu'il n'aurait pas pris une décision différente. Il aurait ordonné le renvoi de cette femme et de son enfant sur Alger; mais ce n'était pas aux fonctionnaires genevois de prendre cette décision. Ils n'auraient dû que l'exécuter. Le résultat aurait été le même, mais les policiers ont pris un raccourci de procédure qu'ils n'avaient pas le droit de prendre. Pour la sécurité du droit, il importe que les ordres de service soient scrupuleusement respectés. Ce raccourci est inadmissible, et c'est pourquoi il y a eu sanction.
Il faut maintenant tirer la leçon de cette erreur. Les règles ont été réaffirmées. Des contacts ont été pris avec l'Office fédéral des réfugiés pour améliorer la collaboration entre les fonctionnaires de police de l'aéroport et l'Office fédéral des réfugiés.
En l'espèce, la conséquence du manquement n'est pas grave puisque, le HCR nous l'a confirmé, Leila n'est pas en danger en Algérie où elle est placée sous sa protection et où elle a pu déposer une demande d'asile auprès de la représentation suisse avec l'aide efficace du réseau «ELISA».
Berne a décidé qu'elle doit attendre en Algérie l'issue de la procédure. Soit son mari, qui de fait se trouvait en Suisse et non en France ou en Italie, obtient l'asile et Leila sera autorisée à rejoindre son mari, soit son mari n'obtient pas l'asile et il sera renvoyé en Algérie et cette famille sera réunie. Dans tous les cas, une décision rapide est souhaitée.
Notre canton doit-il aujourd'hui demander à Berne l'autorisation d'entrer en Suisse, alors que l'issue de la procédure est imminente à en croire le «Journal de Genève» d'hier? Je ne le crois pas, d'autant que cette mesure aboutirait à un traitement plus favorable que si la procédure avait été normalement respectée.
Il n'y a pas de réparation à faire, car j'ai reçu l'assurance que Leila a été correctement traitée et hébergée, qu'elle a eu tout loisir de boire et de manger dans la zone de transit avec les 150 F suisses dont elle disposait et que le dortoir dans lequel elle a dormi est équipé d'un lavabo avec eau courante.
En l'espèce, le manquement de nos fonctionnaires n'a pas eu de conséquences graves heureusement, mais ce manquement, dans son principe, est grave et c'est pourquoi nous l'avons sanctionné. Il ne doit plus se répéter, d'où la réaffirmation des ordres de service et l'amélioration nécessaire des communications entre l'Office fédéral des réfugiés et les policiers de l'aéroport, à l'instar de la collaboration entre ces fonctionnaires et les représentants du HCR à Genève qui a déjà été améliorée.
Voilà donc pour le problème particulier. En ce qui concerne le problème général, Madame la députée, vous avez raison de constater qu'il n'est pas normal que les requérants préfèrent entrer illégalement en Suisse dans plus de 98% des cas en 1992 -- 300 cas sur 17 960 -- plutôt que de déposer une demande à un poste frontière, ce qui représente moins de 1,7% des cas, bien que, selon la loi et dans tous les cas, les requérants doivent déposer leur demande à un poste frontière.
C'est un problème très complexe. Il est vrai aussi que les aéroports sont des postes frontières d'un type particulier et qu'une plus grande transparence est souhaitable. Je ne suis pas sûr que toutes les mesures que vous proposez
soient acceptables ni même praticables. Je suis sûr en revanche qu'elles peuvent être discutées avec l'Office fédéral des réfugiés et, pour ma part, je suis prêt à en discuter et j'en discuterai avec les représentants des oeuvres d'entraide que je recevrai avec mon collègue, M. Segond, au tout début de ce mois de juillet.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). J'aimerais juste donner un exemple à partir de ce que vient de dire M. Ziegler sur l'importance de la transparence qui éviterait tous les quiproquos.
La personne dont vous avez raconté l'histoire s'est plainte de ne pas avoir pu boire pendant tout son séjour. Et vous nous répondez que, dans la cellule où elle a dormi, il y avait un lavabo. Eh bien, les quiproquos viennent de là! Elle arrive d'un pays où on ne boit jamais l'eau du robinet et c'est vrai qu'elle s'est évertuée à demander à boire et que les gardes lui ont répondu négativement. Voilà à quoi on arrive lorsqu'il n'y a pas de transparence et personne pour discuter avec les requérants.
D'où la nécessité d'une ouverture, qui encore une fois, servirait la cause de tout un chacun
M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. J'ai précisé, Madame la députée, que pendant son séjour à l'aéroport, elle avait tout loisir d'aller dans la zone de transit. Elle a eu tout loisir d'aller s'alimenter et consommer des boissons dans la zone de transit.
L'interpellation est close.
La séance est levée à 19 h 10.