République et canton de Genève

Grand Conseil

M 823-A
17. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Jeannik Dami, Jean-Pierre Rigotti, Maurice Giromini, Jacqueline Jacquiard, Vesca Olsommer, Monique Vali et Geneviève Mottet-Durand concernant la création d'un centre de gestion de soins (CGS) fondé sur le système de plan de santé Health Maintenance Organization (HMO) en faveur des étudiants de l'université. ( -) M823
 Mémorial 1992: Annoncée, 6450. Développée, 6783. Motion, 6798.

Débat

M. Maurice Giromini (R). Je tiens tout d'abord à remercier le Conseil d'Etat pour son rapport qui a le mérite d'être clair.

Cette motion aura eu le double mérite de nous montrer quel est le sentiment profond du Conseil d'Etat vis-à-vis des HMO et d'être parvenue à obliger la caisse-maladie l'Avenir à se conformer à la loi. En ce qui concerne le premier point, notre parti prend bonne note des réticences affichées par le Conseil d'Etat vis-à-vis des expériences HMO en général. Il se sent par ailleurs rassuré par sa volonté d'exiger que l'expérience HMO de l'Avenir se fasse dans les limites strictes des législations fédérale et cantonale avec la suppression des réserves, d'une part, et la possibilité d'accès à toutes les catégories de la population et non plus seulement aux étudiants, d'autre part. Nous notons également la volonté du Conseil d'Etat de regarder cette initiative de l'Avenir comme une expérience pilote menée à titre temporaire, répondant strictement aux critères imposés par la Confédération, contrôlée scientifiquement par l'institut de médecine sociale et préventive et surveillée de près par le département de la santé et de la prévoyance sociale.

Nous avons également pris bonne note de la possibilité pour les patients de sortir librement du système HMO pour rejoindre l'assurance individuelle de l'Avenir ou toute autre caisse-maladie. Permettez-moi simplement de m'étonner qu'il ait été nécessaire de présenter cette motion au Grand Conseil pour que l'Avenir soit mise en demeure par le Conseil d'Etat de se soumettre à la loi. C'est précisément ce manque de réaction de la part du Conseil d'Etat qui nous avait fait douter de son attitude par rapport à cet essai d'«escroquerie» que l'Avenir a tenté de nous imposer!

Mme Jeannik Dami (S). M. Giromini remercie le Conseil d'Etat pour sa réponse qui donne en grande partie satisfaction aux questions que se posaient les motionnaires. En effet, le contrat de l'assurance l'Avenir devra se conformer aux exigences de l'Office fédéral des assurances sociales et, comme mon collègue, je m'étonne tout de même que le département n'ait pas réagi plus tôt. En effet, ce contrat d'assurance ouvrait une brèche à la nouvelle loi instaurant une solidarité dans le canton, et, si la loi fédérale prévaut sur la loi cantonale, il me semble étonnant que l'Office fédéral des assurances sociales n'ait pas au moins au préalable demandé l'avis du canton.

Cependant, quelques questions restent encore un peu «brumeuses». L'Avenir, dans une publicité fallacieuse publiée dans «Le journal des étudiants», offrait aux étudiants des soins soi-disant prodigués par les médecins de la Clinique de l'Arve. Or, après enquête, il n'en était rien, il s'agissait bien de médecins de permanences. Ces derniers, en général, n'ont pas bénéficié de la même formation que les médecins suisses et ne bénéficient pas du droit de pratique. Je ne présumerai pas de la qualité des soins, mais, si l'on veut comparer un HMO à un autre HMO dans notre pays, c'est un élément de biais pour l'étude sérieuse qui nous est annoncée à la fin de cette expérience. Le biais sera d'autant plus grand que les médecins d'une permanence sont eux-mêmes employés et ne sont donc pas des praticiens indépendants. Pour lever ce biais supplémentaire, il faudrait bien évidemment comparer les soins administrés par ces mêmes médecins à des patients qui ne font pas partie du HMO à ceux prodigués aux étudiants.

Enfin, l'étude prévue par l'Office fédéral des assurances sociales, et qui sera assurée par l'université de Genève, sera discutable sur un autre point. En effet, elle porte sur une population de jeunes gens exclusivement, même si celle-ci devrait être mélangée à partir de la fin de cette année. Mais je doute que l'Avenir fasse une publicité comme elle l'a faite pour les étudiants afin d'attirer les personnes âgées dans son groupe. L'échantillonnage sera donc incorrect. Enfin, au début, ces étudiants sous contrat de l'Avenir étaient soumis à des réserves concernant les traitements psychothérapeutiques, l'expérience sera donc biaisée une fois de plus pour cette période.

Je regrette que le rapport du Conseil d'Etat n'ait pas été accompagné du nouveau règlement de l'Avenir. Je prends note de sa promesse de nous le communiquer. Il serait surtout intéressant, à la fin de cette expérience, que le rapport de l'université ainsi que ceux obtenus dans le reste du pays puissent être communiqués à ce Grand Conseil, ou du moins à la commission de la santé, afin d'en apprécier le contenu.

Nous ne sommes pas opposés aux expériences HMO, mais il faudrait qu'elles soient réellement fiables et mieux contrôlées. Nous souhaitons que le Conseil d'Etat, dorénavant, prenne davantage de précautions lors de nouvelles expériences de ce type.

M. Jacques-André Schneider (Ve). Toutes mes félicitations à mes collègues Dami et Giromini pour être passés de la science médicale à la science du droit avec une maestria redoutable, surtout s'il s'agit du droit médical. Moi, je n'y arriverais pas!

 Il faut bien sûr s'interroger sur de nombreux points, très précautionneusement. Les deux interventions que nous venons d'entendre montrent bien que la réforme du système de santé, qui est un système de sécurité sociale en Suisse, est un processus extrêmement lourd. Il faut quasiment se préparer à l'idée qu'il s'agira d'un des sept travaux d'Hercule.

 Je vous rappelle que cette réforme repose sur trois piliers que l'on retrouve à des titres et à des degrés variables dans tous les pays occidentaux confrontés à ce genre de problèmes.

 Premier pilier de la réforme: la solidarité réaffirmée, étendue, corrigée. C'est un pilier fondamental d'une réforme des systèmes de santé. Nous en avons la démonstration éclatante aujourd'hui avec les Etats-Unis qui reviennent d'une médecine par trop privée.

 Deuxième pilier: la maîtrise de l'offre de biens et de prestations en matière de santé. Cette maîtrise fait évidemment souffrir, ce qui est paradoxal dans un système de santé. On le voit dans le rapport de CADUCEE puisque des réformes sont proposées pour l'hôpital, on le voit pour les pharmaciens lorsque M. Prix intervient. On le voit également en examinant les projets de réforme de l'administration Clinton qui vise à contrôler davantage les prix des médicaments fixés par les grandes entreprises. Ce sujet fait couler beaucoup d'encre, mais c'est bel et bien le deuxième axe de la réforme et nous n'y échapperons pas.

 Le troisième pilier -- je m'étonne de ne pas l'avoir entendu dans la bouche de M. Giromini -- est la maîtrise des coûts par les assurés eux-mêmes. Loin de moi la volonté de donner un brevet de génie particulier au système HMO. Je relèverai d'ailleurs en passant qu'aux Etats-Unis 55% de la population sont organisés en HMO, si j'en crois le «Wall Street Journal» paru récemment. Toujours est-il que la maîtrise des coûts par les assurés eux-mêmes a été mise sur pied sous trois formes par la législation fédérale, certes de manière expérimentale: les franchises variables, le système bonus-malus et le système HMO. Il faudra bien passer par ce troisième pilier de la réforme!

Je voudrais susciter une réaction. Le système HMO s'apparente, dans une certaine mesure, aux médecins généralistes des communautés d'antan qui officiaient soit dans une commune, soit dans une région de campagne, soit dans un quartier, et qui recevaient la plupart des patients qui étaient insérés dans une population stable. Ils les dirigeaient ensuite vers des spécialistes. Au fond, le système HMO est une tentative de réunir un certain nombre d'assurés sur une base volontaire, dans le but de contrôler la consommation par cette communauté des biens et services médicaux. Bien entendu, ce faisant on remet en cause, je dirais, presque une pierre philosophale dans ce domaine: le libre choix du médecin. Mais ne faudra-t-il pas y arriver à un certain moment? C'est la question posée par les HMO.

 En ce qui concerne ce rapport, je dirai que toutes ces réserves, qui sont souvent exprimées avec un juridisme à la virgule près -- c'est un compliment -- me mettent moi sur la réserve, et je me dis que, finalement, il sera difficile de réformer ce système. Pourtant il faudra bien y arriver. Je crois, Monsieur Giromini et Madame Dami, que le temps viendra où vous reconnaîtrez que le libre choix intégral du médecin par le patient est une figure de la sécurité sociale à ses origines, mais pas nécessairement celle de la sécurité sociale de l'avenir.

M. Maurice Giromini (R). M. Schneider nous fait le compliment de parler de façon très juridique à l'instar des avocats. Moi, je suis absolument étonné qu'il n'ait pas compris ce que nous avions dit. En effet, nous n'avons rien dit sur la base du système HMO.

M. Jacques-André Schneider. Je suis nul!

M. Maurice Giromini. Excusez-moi, mais mon intervention, comme celle de Mme Dami, ne parle absolument pas du fond du problème HMO.

M. Jacques-André Schneider. C'est bien ce que je reproche, justement!

M. Maurice Giromini. Mais, Monsieur, nous parlons d'une motion qui demande simplement que l'expérience HMO se fasse de façon correcte et scientifique afin de pouvoir l'évaluer convenablement. C'est ce que nous avons demandé et obtenu, puisque le Conseil d'Etat a accepté de contrôler

cette expérience de façon scientifique. Ensuite, beaucoup plus tard, nous discuterons du bien-fondé des HMO. En ce qui concerne les Etats-Unis, je crois que nous ne lisons pas les mêmes journaux, car je crois savoir que, justement, ils sont en train de revenir en arrière sur les expériences HMO qui sont un véritable fiasco!

M. Philippe Fontaine (R). Je voudrais justement m'attarder sur «le fond des HMO».

Moi, Monsieur Schneider, comme la plupart des médecins de notre pays, je suis fondamentalement contre ces HMO. J'y suis totalement opposé, je n'y crois pas et je suis sûr que nous n'en parlerons plus dans peu de temps. En effet, il s'agit d'un système d'organisation de la santé totalement pervers, car il vous empêche, Monsieur, de pouvoir choisir librement votre médecin. Et cela n'est pas seulement une «pierre philosophale», c'est plus encore. C'est le fondement de notre pratique. Ceci peut se comparer au libre choix de son avocat. Il est indispensable de pouvoir choisir son médecin. Ce libre choix est une valeur à défendre avec la plus grande énergie. C'est pour cela que nous sommes fondamentalement opposés à ce HMO.

Je ne reprendrai pas l'exemple des USA, je crois qu'il est très mauvais car ce pays a véritablement une médecine à deux vitesses. Sur les côtes ouest et est, la médecine est comparable à la nôtre. Dans le centre, il y a un grand désert, une brousse lamentable au point de vue médical! Pour le fond du problème, soit le contrôle des prix, il me semble que d'autres solutions existent qui sont plus simples, plus efficaces, mais évidemment ce sont des solutions que l'on n'aborde pas dans les hautes sphères politiques.

Elles concernent d'abord, encore et toujours, l'amélioration de la formation des médecins. On peut apprendre à un médecin à travailler meilleur marché. Il y a énormément à faire de ce côté. Savez-vous que l'on commence à parler prix à l'hôpital. J'ai constaté que, maintenant, lorsque des médecins demandent des examens au laboratoire, ils en reçoivent le résultat avec le prix de ce qui a été demandé. C'est un bon point, mais il reste énormément à faire, en particulier au niveau des professeurs qui n'ont malheureusement pas connu, pour la plupart, la médecine ambulatoire. Ils fonctionnent sur un mode de pensée professionnelle qui ne correspond pas à un mode de pensée économique en matière de santé. Là, Monsieur Segond, il y aura beaucoup de travail à faire, ce sera pour votre prochaine législature! (Rires et quolibets fusent.)

Pour améliorer le contrôle des prix, le second problème est de donner aux patients la possibilité d'oser vérifier leur facture. Il y a, là encore, un gros travail. Enfin, c'est aussi aux assurances de contrôler les factures des médecins par le biais des médecins-conseils. Là aussi, les assurances ne se donnent pas vraiment les moyens -- on se demande d'ailleurs pourquoi -- de faire des vérifications qui engendreraient certainement des économies.

Alors, pourquoi chercher des solutions qui viennent d'outre-Atlantique et qui n'ont pas fait leurs preuves, au lieu de s'attaquer au véritable problème, à la base, à l'intérieur de nos institutions. Voilà les possibilités qui nous sont offertes pour améliorer les coûts de la santé. Je crois que certains se fatiguent beaucoup sur ce gadget HMO, mais vous verrez, ce sera un fiasco complet!

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.