République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 13 mai 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 5e session - 18e séance
M 856
Débat
M. Alain Rouiller (S). Le projet Rail 2000 -- comme nous le savons tous -- a été accepté très largement par la population suisse et encore plus largement par la population genevoise.
Ce projet -- que l'on peut résumer en deux mots -- prévoit d'améliorer le réseau des chemins de fer par opposition à une amélioration sur une seule ligne à grande vitesse. En Suisse, nous avons donc fait le choix -- c'est important pour la suite de la motion -- de développer un réseau complet, c'est-à-dire une série d'améliorations moins importantes que pour une ligne à grande vitesse, mais sur l'ensemble du réseau.
Toutefois, le coût de ce projet, accepté en votation populaire, a été mal évalué par les CFF. En effet, il a été budgété à 5,5 milliards, alors qu'aujourd'hui on avance le chiffre de 15 milliards ou plus. Le Conseil fédéral a décidé de le réduire à 8, ce qui tient compte uniquement de l'inflation. Cela veut donc dire que le projet accepté en votation populaire sera réduit fortement. En effet, les CFF n'ont pas tenu compte dans leur projet du fait que les communes feraient des demandes supplémentaires concernant la protection contre le bruit, et les premiers projets qui ont démarré -- on l'a vu -- ont subi de nombreuses oppositions. Cela vient probablement du fait que ces projets n'ont pas été assez présentés et discutés.
Pour la Romandie, plusieurs projets sont touchés. Pour Genève, les deux projets qui nous concernent tout particulièrement sont la troisième voie entre Genève et Lausanne et la boucle dite «de l'aéroport». Ces deux projets totalisent plus d'un milliard. Un milliard, sur les huit milliards prévus, représente une somme considérable, et il est à craindre que le Conseil fédéral décide de ne développer que la partie comprise dans le triangle d'or: Zurich, Bâle et Berne. Les conséquences pour notre canton seraient extrêmement importantes pour le trafic régional que nous voulons développer en direction de la rive droite -- les pendulaires de la rive droite, dans les différents plans présentés devant ce Grand Conseil, utilisent davantage le rail -- et également pour les lignes à grande vitesse lorsque la liaison Mâcon-Genève sera ouverte.
Un élément nouveau est apparu dans ce dossier: c'est l'idée étudiée actuellement par les CFF consistant à supprimer des arrêts dans certaines petites gares, notamment sur le territoire vaudois, pour les remplacer par des correspondances de bus. Ce projet est-il intéressant ou dangereux? Il est difficile de le dire sans plus d'informations. C'est pourquoi les motionnaires -- la quasi-totalité de ce parlement -- demandent au Conseil d'Etat d'intervenir auprès du Conseil fédéral et des CFF pour demander soit le maintien de la troisième voie entre Genève et Lausanne, soit un système qui permette d'atteindre le même but. Finalement, si un autre moyen nous est proposé, tout aussi bon et moins onéreux, nous sommes bien sûr prêts à l'accepter. Malheureusement, en l'état, nous ne connaissons pas ces dossiers.
C'est la raison pour laquelle, d'entente avec le chef du département, je suggère que cette motion soit renvoyée au Conseil d'Etat pour qu'il puisse intervenir, ou plutôt continuer de le faire, puisqu'il a déjà commencé. M. Maitre m'a d'ailleurs indiqué qu'il était prêt à venir à la commission des transports pour nous informer des études en cours, en compagnie d'un représentant des CFF. Je crois qu'il est important que nous puissions connaître ces études. En effet, sans cela il est à craindre -- pour ma part, cette crainte est très vive -- que ce projet soit rejeté si ce projet des CFF était rendu public sans information préalable. Du reste, beaucoup de projets des CFF ont été rejetés dans le pays pour cette raison. Je répète donc qu'il est vraiment important que les femmes et les hommes politiques de ce canton, ainsi que les associations concernées, soient informés. C'est le but de cette motion.
J'aimerais profiter de l'occasion pour rajouter un point à cette motion, qui pourrait constituer un amendement que j'ai du reste présenté au chef du département.
Vous avez pu lire dans la presse que le Conseil fédéral, ou plus exactement un conseiller fédéral, ministre des finances, à propos du projet des transversales alpines -- les finances fédérales ne permettant pas de réaliser le tunnel du Gothard et le tunnel du Lötschberg -- explique qu'il faut renoncer au tunnel qui touche la Romandie et la partie ouest du pays, je veux parler du tunnel du Lötschberg. Là, c'est trop! Si on nous dit qu'il faut renoncer au projet de Rail 2000 qui touche la Romandie, ainsi qu'au tunnel du Lötschberg, nous devons intervenir vu que ce sont les Romands qui ont fait pencher la balance dans certains de ces votes. Le Conseil d'Etat a commencé à intervenir et nous l'encourageons à persévérer dans ce sens.
Je propose donc l'amendement suivant: «Considérant les risques de voir abandonner le projet du tunnel du Lötschberg, demande au Conseil d'Etat d'intervenir, de concert avec les canton concernés, pour demander fermement le maintien du tunnel de base du Lötschberg dans le projet des transversales alpines». Nous savons du reste que les cantons de Berne et du Valais ont déjà réagi. Cette proposition est faite d'entente avec le chef du département pour éviter de revenir avec une autre motion et afin de combiner ces deux demandes dans cette motion, c'est-à-dire Rail 2000 et les transversales alpines.
M. Jean Spielmann (T). Ce dossier est important et même brûlant puisqu'il concerne le transport en général, et les CFF en particulier, et qu'il arrive dans une situation financière difficile.
Des débats ont eu lieu concernant la remise en cause d'une partie des projets de Rail 2000, après la publication du livre vert des CFF qui prévoient l'abandon de toute une série de lignes régionales et, même, la suppression du raccordement ferroviaire à des villes de l'importance de La Chaux-de-Fonds. Cela a forcément conduit à une importante levée de boucliers contre cette décision. Nous savons bien, en effet, que les lignes principales -- rentables pour employer les mêmes termes que ceux du groupe de réflexion -- sont vitales pour l'économie, mais celles-ci ne peuvent fonctionner que si elles puisent leurs racines dans un trafic régional tout aussi important pour les alimenter.
Il est bon de savoir, à propos de ce projet, que sur l'axe lémanique, entre Lausanne et Genève, d'importants travaux de reconstruction sont d'ores et déjà en cours à la gare de Morges, notamment en liaison avec le BAM -- Bienne-Apples-Morges -- et une voie supplémentaire réalisée de ce secteur jusqu'à Lausanne. Les travaux ayant déjà démarré, c'est donc le moment opportun de soulever le problème de la troisième voie du raccordement de Genève, qui doit s'insérer dans le trafic international, aux grandes voies de communication de notre pays, pour répondre également aux besoins du transport régional. Là, bien sûr, il y a danger de voir le projet de réalisation de la troisième voie sur la partie entre Morges et Nyon et entre Nyon et Genève être abandonné.
Je crois qu'un signe de ce parlement et une décision clairement affirmée de notre volonté de développer ce transport permettront à ce dossier de suivre un cheminement plus favorable. Il serait, me semble-t-il, intéressant que la commission, au cas où cette motion serait renvoyée en commission, ou que les personnes devant traiter ce problème soient informées dans le détail des différents projets, des plans et même des différents éléments d'explication visuelle préparés par les CFF pour justifier le développement de cette troisième voie et de la boucle de l'aéroport.
Vous comprendrez ainsi mieux l'ensemble des enjeux et des possibilités de réalisation. Vous apprécierez également mieux les coûts et les investissements nécessaires pour réaliser l'ensemble de ces projets. Cette motion a le mérite de venir à point, au moment où les décisions doivent se prendre.
Par conséquent, il est important que Genève soit intégrée dans ces projets de trafic régional. Il suffit d'aller à la gare le matin et le soir pour se rendre compte de l'importance du trafic qui y règne. Il est donc nécessaire de répondre à la demande. En effet, on sait qu'une double voie ne suffit pas à absorber les exigences du trafic intervilles et régional. Il faut donc absolument développer ces secteurs et -- je le précise -- les harmoniser avec le réseau de transports que ce Grand Conseil vient de voter, avec les équipements prévus pour drainer la circulation et le transport public jusqu'aux différentes haltes prévues dans le projet initial de Rail 2000.
Il faut faire aujourd'hui le point pour insérer l'ensemble de ces projets dans notre réseau de circulation, dans notre réseau de transports, tel qu'il a été défini la dernière fois par ce Grand Conseil, afin de pouvoir agir concrètement et rapidement. Il en va des conditions-cadres de notre économie. En effet, une mobilité et un déplacement favorisés sont des conditions sine qua non du développement économique. C'est un levier économique important: on le voit dans de nombreuses grandes villes européennes.
M. Gérard Ramseyer (R). Je précise simplement que je m'associe à l'amendement présenté par M. Rouiller.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat partage les préoccupations et les intentions exprimées par cette motion. C'est la raison pour laquelle je puis vous dire d'emblée, si tel est votre souhait, que nous pouvons la recevoir pour faire un rapport. Ceci ne nous empêchera pas, dès que les informations seront disponibles, de venir effectivement devant la commission des transports du Grand Conseil, plus précisément d'inviter la direction du premier arrondissement des CFF à participer à la commission des transports du Grand Conseil pour donner une série d'informations auxquelles vous avez droit, de toute évidence, parce qu'il s'agit d'un projet particulièrement important.
Les CFF et la Confédération se sont trouvés confrontés à un problème à la suite d'une véritable explosion des coûts de Rail 2000. Le président de la Confédération, Adolf Ogi, a donné un certain nombre de directives pour réduire les enveloppes financières à des dimensions supportables.
S'agissant de ces directives, ce dernier a insisté sur quatre points.
1) Le «redimensionnement» des enveloppes Rail 2000 ne doit pas prétériter la Suisse romande qui demeure prioritaire à ses yeux du point de vue de ce type d'équipements.
2) Rail 2000 doit assurer sa fonction de ligne d'apport aux lignes de transit alpin. Sur ce plan, l'amendement qui vient de vous être soumis par M. Rouiller peut être tout à fait accepté. Il se trouve que j'ai été désigné président de la communauté d'intérêt, qui s'occupe du problème du Simplon--Lötschberg, par les cantons romands et le canton de Berne. C'est avec une très vive inquiétude que nous avons pris connaissance des propos de M. Stich.
Dans le cadre de la Conférence ferroviaire romande, nous avons déjà réagi de manière extrêmement ferme. Nous entendons rencontrer prochainement aussi bien M. Ogi que M. Stich pour leur faire part de notre détermination la plus claire: s'il devait y avoir un choix, que celui-ci ne prétérite en rien la construction du Lötschberg, ce qui serait véritablement une très grave erreur dans la mesure où le Lötschberg peut être prêt beaucoup plus rapidement que le Gothard. Le «phasage» de l'opération du Lötschberg, d'une part, et son enveloppe financière, d'autre part, sont beaucoup plus favorables que pour le Gothard. Pour notre part, nous n'entendons pas remettre en cause le Gothard; nous voulons continuer à jouer la solidarité dans ce pays qui appelle la réalisation des deux axes de transversales ferroviaires alpines, ceci pour des motifs de transports et pas seulement de solidarité confédérale. Voilà pour le deuxième motif. Rail 2000: ligne d'apport au transit alpin.
3) Le troisième objectif fixé par M. Ogi dans la réalisation de Rail 2000 pour la Suisse romande est que Rail 2000 est un élément fondamental de connexion du réseau ferroviaire helvétique pour la Suisse occidentale au réseau TGV. Cela est évidemment particulièrement important.
4) Le quatrième objectif -- c'est là que ça peut commencer à «coincer», si vous me permettez l'expression -- fixé par M. Ogi est que les investissements doivent trouver une rentabilité suffisante.
C'est à partir de ces objectifs que la direction du premier arrondissement des CFF a reçu mandat de réexaminer l'offre de transports, non seulement en intercity, en direct, mais aussi en transports régionaux, sur le tronçon Lausanne--Genève. Nous avons plutôt de bons espoirs, en ce qui concerne le territoire genevois, de pouvoir démarrer la réalisation des infrastructures et la mise en place de l'offre de transports que je viens de décrire dans un délai plus rapide que prévu.
Des problèmes se posent sur le territoire vaudois puisque certaines dessertes régionales, faute d'atteindre une fréquentation probable suffisante, pourraient être remplacées par des dessertes bus moins coûteuses. Il appartient aux Vaudois d'examiner plus particulièrement cet aspect de la question, et je peux vous indiquer que j'ai pris contact avec mon collègue Daniel Schmutz afin de concerter nos points de vue de manière à apporter à la direction du premier arrondissement des CFF une approche commune. Il est tout à fait décisif, dans cette affaire comme dans d'autres d'ailleurs, mais dans celle-ci en particulier, que Vaud et Genève parlent le même langage.
Voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat accepte très volontiers cette motion. Indépendamment du rapport qui vous sera présenté, nous viendrons dans l'intervalle avec la direction du 1er arrondissement des CFF devant la commission des transports de façon que vous puissiez avoir un certain nombre d'informations complémentaires et que vous puissiez surtout poser les questions qui vous semblent pertinentes sur l'offre nouvelle proposée par la direction des CFF.
Le dossier évolue d'une manière satisfaisante à première vue, dans ce sens que nous pourrions démarrer plus rapidement que prévu dans les premiers projets Rail 2000 la mise en place de cette offre nouvelle concernant le tronçon Genève-Lausanne. A l'origine, les dimensions de ce projet étaient extrêmement ambitieuses, mais à l'heure actuelle, les enveloppes financières ne permettent pas de l'assumer.
La présidente. Je mets aux voix, l'amendement proposé par M. Rouiller qui consiste à ajouter le considérant suivant:
«les risques de voir abandonner le projet du tunnel du Lötschberg», et l'invite supplémentaire suivante: «d'intervenir de concert avec les cantons concernés pour demander formellement le maintien du tunnel de base du Lötschberg dans le projet des transversales alpines».
Mis aux voix, l'amendement de M. Rouiller est adopté.
Mise aux voix, la motion ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue: