République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 6957
6. Projet de loi de Mme et MM. Fabienne Bugnon, Jacques-André Schneider et Robert Cramer modifiant le code de procédure pénale (E 3 5). ( )PL6957

Préconsultation

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Si nous avions déposé une motion plutôt qu'un projet de loi, celle-ci aurait pu s'intituler: «Mieux vaut prévenir que guérir». Le dépôt de ce projet de loi est motivé par plusieurs raisons qui seront développées successivement par ses auteurs. Quant à moi, je m'attacherai à la protection de l'individu et au droit de chaque homme à être défendu.

Mon intérêt pour les droits de l'homme n'est pas nouveau. Depuis ma lointaine appartenance au milieu des droits de l'homme, j'ai été confrontée à plusieurs reprises à des faits choquants et, à plusieurs reprises aussi, je les ai dénoncés. A cet effet, j'ai relu ma première intervention du 11 mai 1989 dans ce Grand Conseil. Elle concernait l'arrestation d'une mère et de son enfant par sept policiers. Avec mon ex-collègue Guy Loutan, nous avons ensuite déposé,

le 1er décembre 1989, une motion demandant que l'on forme les policiers aux méthodes non violentes, car c'est bien là que réside le noeud du problème. Il est plus facile d'apprendre à réagir face à un comportement excessif que d'essayer de corriger, par la suite, une réaction excessive elle aussi.

Je tiens à dire ici que je suis convaincue que l'ensemble des personnes qui effectuent un travail au service de la police le font au plus proche de leur conscience et de manière irréprochable. Il n'empêche qu'il existe des débordements, parce que l'être humain a ses limites et ses faiblesses. Ce projet de loi n'a donc pour but que d'essayer de combattre ce type de débordements.

J'espère que nous le traiterons dans un esprit serein et non partisan, avec l'unique prétention que tout ce qui peut être amélioré doit l'être. Nous n'avons, quant à nous, aucune espèce d'animosité envers la police et nous l'avons déjà dit à M. Ziegler. Nous pensons également que lui-même et ses cadres supérieurs ne peuvent être au courant de tout, et nous ne souhaitons pas mettre d'entraves au fonctionnement de la police. Nous ne sommes pas là pour mettre en cause des personnes, mais bien pour améliorer un système dans le sens du respect des droits de chacun à être assisté, quel que soit son parcours de vie.

Je vous remercie d'accepter le renvoi de ce projet de loi à la commission judiciaire.

M. Robert Cramer (Ve). En m'efforçant d'être aussi succinct que l'a été Mme Bugnon, je vous dirai quelques mots quant aux sources de ce projet de loi. Il y en a deux.

La première est un rapport fait à l'intention du Conseil fédéral par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Vous savez que ce comité a pour mission de surveiller la mise en oeuvre de la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, convention à laquelle Genève a beaucoup contribué. C'est l'idée d'un banquier genevois, M. Gautier, mort trop tôt pour voir la convention ratifiée et mise en oeuvre. Cette convention, qui trouve son origine tout d'abord dans notre ville, puis dans notre pays, est une idée très généreuse, très forte, mais également très exigeante. Elle est très exigeante parce que les rares pays qui ont accepté de la ratifier doivent se soumettre à des conditions extrêmement strictes, notamment en matière de contrôle et de visite des établissements de détention.

Le but de la convention, et je rejoins là les propos de Mme Bugnon, vise à prévenir plutôt qu'à guérir. Il ne s'agit pas de dénoncer un certain nombre de comportements, mais de faire en sorte que dans les pays signataires certains faits ne puissent pas se produire.

Le hasard a voulu, parce qu'il s'agissait d'un tirage au sort, que la Suisse ait été le premier des pays à recevoir la visite d'un groupe d'experts institué par la convention. Quelles ont été les conclusions de ces experts? En substance, elles sont quatre:

Première conclusion: les experts ont préconisé que les personnes arrêtées puissent, dès leur arrestation, prévenir l'un de leurs proches.

Deuxième conclusion: les experts ont préconisé que les personnes arrêtées puissent, dès leur interrogatoire à la police, bénéficier de l'assistance d'un avocat, assistance qui devrait être gratuite.

Troisième conclusion: les experts ont également préconisé que les personnes arrêtées puissent, dès leur arrestation, bénéficier de l'assistance médicale d'un médecin de leur choix.

Enfin, dernière conclusion: les experts ont aussi demandé que l'on enregistre scrupuleusement, notamment au moyen de bandes magnétiques ou de procédés électroniques, le contenu des dépositions faites au moment de l'interrogatoire de police.

C'est en nous fondant sur ces recommandations que nous avons déposé ce projet de loi, parce qu'en Suisse, comme vous le savez, la procédure est avant tout l'affaire des cantons et que les recommandations faites à la Confédération exigent, pour passer dans les faits, des débats dans les parlements cantonaux et des modifications des codes cantonaux de procédure pénale. Genève étant à l'origine de la convention, il apparaissait tout à fait normal que notre Grand Conseil, saisi du projet de loi que nous proposons, ait l'occasion de débattre des conclusions des experts. Voilà la première source de ce projet de loi.

Il en est une deuxième que nous évoquons dans l'exposé des motifs et qui est fondée sur ce que nous pouvons observer de l'évolution de notre loi de procédure pénale. A Genève, nous avons voulu évoluer vers un système où, de plus en plus, l'on se trouve face à une institution judiciaire avec un procureur général qui est le chef de l'accusation. Récemment, nous avons renforcé les pouvoirs de ce procureur général en lui adjoignant deux procureurs. A cela s'ajoute que le procureur général collabore avec la police d'abord, et ensuite avec les juges d'instruction. De plus en plus, nous voyons se mettre en place à Genève un système judiciaire où il y a, d'un côté, une accusation avec, à sa tête, le procureur général et, de l'autre côté, une défense. C'est dire aussi que de plus en plus l'instruction d'une affaire commence déjà au niveau de l'enquête de police. Dès lors que les avocats de la défense sont présents chez le juge d'instruction, il apparaît logique qu'ils soient présents dès le début de la procédure, au niveau de la police. On y gagnerait en efficacité, parce que cela éviterait de recommencer devant le juge d'instruction tout un travail déjà fait devant la police. C'est ce qui se produit malheureusement actuellement: on accorde peu de valeur aux déclarations faites devant la police et le juge d'instruction recommence tout le travail préalablement fait. On y gagnera aussi en efficacité en accordant d'emblée à la personne accusée les droits dont elle bénéficiera vingt-quatre ou quarante-huit heures plus tard, lorsqu'elle comparaîtra devant le juge d'instruction.

Voilà les deux réflexions de base à l'origine de ce projet de loi. Nous ne prétendons pas que ce projet est parfait, il est certainement perfectible, et c'est la raison pour laquelle nous nous réjouissons de pouvoir, en commission, entendre vos propositions. Mais pour l'améliorer, allons dans le sens d'une convention pour laquelle Genève a beaucoup fait.

M. Jacques-André Schneider (Ve). Ce projet de loi se rattache, pour moi, à un souvenir d'enfance. Il y a environ trente ans, j'étais perdu au fond d'une brousse sud-africaine, et ma seule ouverture au monde, à part ma famille, était la lecture hebdomadaire d'un journal qui nous venait des Etats-Unis. Je le lisais avec voracité de la première à la dernière page. Une fois, cet hebdomadaire a publié un très long article dont le titre, énigmatique pour le jeune garçon que j'étais, disait à peu près ceci: «L'importance de Miranda». Qui était ce Miranda et pourquoi son importance? Poursuivant ma lecture, je tombai sur une autre phrase mystérieuse: «La Cour Warren bouleverse les règles de l'arrestation». Quelle était cette Cour et pourquoi s'appelait-elle Warren? C'est alors que j'appris qui était Miranda et pourquoi la Cour suprême des Etats-Unis, présidée par M. Earl Warren, un libéral dans l'acceptation nord-américaine du terme, s'était occupée de son cas. M. Miranda était un citoyen qui s'était fait arrêter et condamner. La Cour suprême des Etats-Unis cassa cette condamnation pour un motif somme toute très simple. En procédant à son arrestation, la police n'avait pas informé M. Miranda de son droit de se taire, et encore moins de celui de se faire assister d'un avocat. Depuis, et tout le monde l'a constaté, aucun film policier, qu'il soit de série A ou B, n'omet cette scène du policier qui lit ses droits à la personne arrêtée, soit d'une manière directive par l'inspecteur Harry, soit d'une manière plus douce par l'inspecteur Colombo. Pourtant, à l'époque et dans cet hebdomadaire, que ne lisait-on de réserves, de critiques et de reproches... «Pensez donc, avec Miranda les criminels seront enfin des rois!». Le temps a fait son oeuvre et Miranda est devenu aussi naturel que le képi, mais parfois il y a des dérapages qui provoquent, toujours aux Etats-Unis, des remue-ménage et des remous souvent catastrophiques. Récemment, nous en avons eu des exemples.

L'Europe a suivi cette voie, mais avec pas mal de retard. L'Espagne postfranquiste, dans sa nouvelle constitution démocratique, a décrété le droit à l'assistance d'un avocat au stade de l'enquête de police. Deux ans plus tard, la loi d'application fixait des règles plus précises: la police ne pouvait interroger une personne arrêtée durant les huit premières heures sans la présence d'un avocat, faute de quoi le procès-verbal d'interrogatoire serait nul. Après, le prévenu ayant eu le temps de contacter son mandataire, il pouvait affronter seul les questions de la police. La France a également suivi le train tout récemment.

La mutation est inévitable, irréductible, et je dirais même qu'elle est postmoderne. Ce n'est pas un débat pour ou contre la police qui est ouvert par ce projet de loi. Il s'agit de savoir si nous allons passer, au stade de l'enquête de police, à un système plus accusatoire qu'inquisitoire. Le procureur chargé de l'action publique, l'individu désireux et surtout contraint de par son rôle d'accusé de se défendre, les juges et les tribunaux tenus d'instruire et de juger avec impartialité, les policiers chargés de l'enquête préliminaire, chacun doit pouvoir assumer et tenir son rôle pour que justice se fasse, mais dans une procédure qui devienne plus accusatoire qu'inquisitoire.

Un dernier point mérite d'être souligné. L'Ordre des avocats propose et accepte d'assumer gratuitement et bénévolement la fonction de mandataire. Cet engagement doit quand même vous faire réfléchir, car c'est ce détail très européen qui distingue ou distinguera notre Miranda genevois du Miranda des Etats-Unis. Le moins d'Etat et le bénévolat, également pour les avocats, sont probablement des choses auxquelles le juge Warren n'avait pas pensé, mais il faut dire que la corporation des lawyers, aux Etats-Unis, a d'autres conceptions que celles existant à Genève.

Mme Christine Sayegh (S). Le but de ce projet de loi est tout à fait adéquat. C'est effectivement un excellent moyen de parer les excès que nous pouvons parfois rencontrer dans le système inquisitoire actuel. Toutefois, je suis étonnée de l'alinéa 5, en fait l'alinéa 2 du projet, qui institue une permanence organisée dans les locaux de la police par le bâtonnier de l'Ordre des avocats. Je ne suivrai donc pas mon collègue Schneider dans cette idée de privatisation. J'estime que tous les avocats, à Genève, ont le droit de pratique indépendamment de leur affiliation à l'Ordre des avocats et je souhaiterais que dans les discussions, les auteurs de la loi réfléchissent à un amendement, ou qu'ils essaient de consulter tous les avocats pour savoir si l'affiliation à l'Ordre des avocats aurait dû être obligatoire pour la pratique du barreau.

Nous soutiendrons ce projet de loi dans son principe, et nous ne nous opposerons évidemment pas à son renvoi en commission.

M. Hermann Jenni (MPG). Permettez-moi d'être un peu sceptique quand on annonce que les avocats vont faire un travail gratuitement. Rien n'est gratuit, rien ne peut être imposé gratuitement, et s'il s'agit d'une permanence assurée jour et nuit, trois cent soixante-cinq jours par an, elle ne fonctionnera pas sur la base du bénévolat. Aussi je me pose la question de savoir combien cela va coûter. Fort probablement assez cher! Dans ces conditions, ce projet de loi me paraît singulièrement oublier l'article 96 de la constitution qui prévoit que lorsqu'un député dépose un projet de loi comportant une dépense nouvelle, ce projet doit prévoir la couverture financière de cette dépense par une recette correspondante. Ne serait-ce que pour l'utilisation d'un local qui, finalement, n'est pas donné gratuitement par la collectivité. Ne serait-ce que pour cela, il y aura très certainement une dépense nouvelle, quels que soient la bonne volonté et le bénévolat de l'Ordre des avocats. Je suis extrêmement sceptique quant au coût zéro d'une telle proposition.

J'aurais tout de même aimé que l'on regarde cela sous l'angle de l'alinéa 1 de l'article 96 de la constitution.

M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. Nous examinerons ce projet en commission. A ce stade de la discussion, permettez-moi de faire quatre remarques.

La première remarque a trait au problème soulevé par les auteurs du projet de loi. Il s'agit d'un problème important qui est discuté actuellement dans plusieurs pays européens. Je crois donc que le projet de loi vient à son heure et qu'il est important d'en discuter. Je tiens à remercier les auteurs du projet de loi d'avoir soulevé ce problème.

Deuxième remarque: le problème soulevé est loin d'être simple. Il est vrai que le projet de loi se présente sous une forme très attrayante. En un seul article, on nous dit que tout est facile, qu'il n'y a qu'à organiser une permanence juridique gratuite dans les locaux de la police. En réalité, le problème n'est pas aussi simple que l'affirme l'exposé des motifs. Il ne l'est pas non plus en comparaison intercantonale. On discute à Genève d'inviter les mandataires dans les locaux de la police, alors que dans de nombreux autres cantons suisses ils ne sont même pas admis aux audiences du juge d'instruction. Certes, c'est un décalage qui nous est familier, le vent soufflant souvent à partir de l'ouest dans notre pays; mais je vous rends attentifs au fait que les procédures inquisitoires existent encore au stade de l'enquête judiciaire dans d'autres cantons suisses, et pas seulement au stade policier.

En ce qui concerne l'effet préventif évoqué par les auteurs du projet de loi, j'attire l'attention de ceux-ci sur le fait que le problème de l'usage de la force se pose généralement au moment de l'arrestation, et qu'en tout état, il n'y aura jamais d'avocat pour assister à une arrestation en flagrant délit ou à l'exécution d'un mandat d'amener. Je ne crois donc pas que la prévention soit l'argument principal qu'il faille avancer à l'appui de ce projet de loi.

Troisième remarque, plus importante: la police judiciaire est l'instrument de la politique criminelle des autorités judiciaires. Je crois, Madame et Messieurs les auteurs du projet de loi, qu'il ne faut pas se cacher que la réforme ici proposée pourra contrecarrer cette politique criminelle des autorités judiciaires, en particulier lorsqu'il s'agit de la lutte contre le crime organisé. Il est évident que dès que l'on introduit un mandataire dans l'enquête, il y a un risque de communication et de collusion avec les autres accusés. C'est un problème qui peut certes être maîtrisé, mais en tout cas pas de la manière simpliste présentée dans le projet. Le crime organisé prend une telle extension dans notre pays qu'il n'est pas possible, alors que le juge d'instruction peut mettre les accusés au secret pour éviter tout risque de collusion, de ne pas prévoir, au stade policier de l'enquête, des mesures adéquates contre ce même risque. C'est une remarque particulièrement importante, parce que c'est la politique criminelle, telle que la définissent les autorités judiciaires, qui est ici en jeu.

Enfin, une quatrième remarque s'impose à ce stade de la discussion. Elle concerne le problème institutionnel posé par le projet de loi. Exception faite des cas de flagrant délit, il ne faut pas se cacher que la réforme ici proposée aboutira dans les autres cas à la suppression de l'enquête préliminaire confiée par le Parquet à la police. De fait, on va transférer l'enquête pénale au juge d'instruction, ce qui, ipso facto, nous obligera à augmenter de manière importante le nombre des juges d'instruction. Il y a là un problème institutionnel qu'il ne faudra pas oublier quand nous débattrons de ce projet de loi en commission. Hormis les cas de flagrant délit, il est manifeste que l'enquête policière préliminaire disparaîtra au profit de l'enquête judiciaire. Toute réforme est possible, mais il faut, avant de la voter, en mesurer les conséquences institutionnelles sur l'organisation des autorités judiciaires.

Je voulais vous faire ces quatre remarques pour amorcer votre réflexion sur ce projet de loi qui, je le répète, pose un problème important. Ce problème méritait d'être posé et nous l'examinerons en commission.

Le projet est renvoyé à la commission judiciaire.