République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 1 avril 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 3e session - 14e séance
PL 6877-A
Premier débat
M. Armand Lombard (L). Le projet de loi qui nous est soumis, nous le considérons, bien sûr, comme très positif. Nous l'accepterons, car nous pensons qu'il apporte plus de souplesse dans la gestion des communes. Il va dans le sens d'une plus grande autonomie, qui est recherchée par ce Grand Conseil, vis-à-vis des communes. Il tempère également le système rigide du nouveau modèle de comptes, entré en vigueur il y a un certain nombre d'années, et il dit enfin qu'il précisera les taux d'amortissement prévus par les communes.
Toutefois, face aux points positifs de cette loi, on doit relever également des côtés qui le sont moins. Dieu merci, ils sont moins nombreux que les positifs, mais je tiens quand même à les mentionner.
Tout d'abord, ce projet de loi assouplit des règles d'orthodoxie établies en 1987, et cela peut paraître dangereux ou risqué, car même dans un jeu comptable, il faut des règles et de solides garde-fous. Crainte donc en ce qui concerne l'assouplissement de ces règles d'orthodoxie.
Deuxièmement, il nous paraît «particulier», alors que nous remarquons que la gestion financière du canton appelle à plus de rectitude, que la commission des finances a fait des efforts énormes au cours de ces dernières années pour parvenir à des critères plus stricts dans la gestion comptable du canton, que pour quarante-cinq communes l'on diminue ces règles et l'on allège les principes de comptabilité.
C'est la raison pour laquelle, bien que n'ayant aucune opposition formelle à ce projet de loi, nous aimerions souligner la demande présentée par le rapporteur et acceptée par les commissaires, à savoir, demander au Conseil d'Etat d'inclure dans le règlement trois mesures, trois conditions qui figurent dans le rapport.
Premièrement, l'exigence de l'équilibre à moyen terme, par l'absorption d'un éventuel découvert du bilan. Deuxièmement, la fixation des taux d'amortissement minimum des investissements, ce qui garantit la transparence et la comparabilité des résultats dans le temps et l'espace. Troisièmement, l'établissement d'un plan financier portant sur une période de quatre ans au maximum et démontrant un retour à l'équilibre budgétaire, donc ne laissant pas une commune s'engager dans un déséquilibre budgétaire, mais demandant qu'elle fournisse un plan quadriennal, afin qu'elle puisse rétablir l'équilibre de ses finances et ne glisse pas sur une pente qu'elle ne pourra plus jamais quitter.
De plus, une couverture de ce déficit a été prévue par la fortune nette des biens de la commune. Cela nous paraît insuffisant, puisque, dans la fortune nette, il existe le patrimoine administratif et il est difficile de considérer comme une couverture la mairie, les écoles, les égouts qui, à l'évidence, ne pourraient pas être réalisés en cas de grave déficit. Je souhaite donc que le règlement puisse tenir compte de cet élément-là.
C'est à ces conditions que, bien sûr, nous soutiendrons ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Charles Bosson (R). Je précise tout de suite que je parle en mon nom personnel et que mon avis ne représente pas celui de l'Association des communes genevoises.
En effet, en tant que magistrat communal ayant, depuis plusieurs années, un certain nombre de responsabilités au niveau du budget de ma commune, je pense que ce qui nous est soumis ce soir est un danger et que la modification qui nous est proposée risque, à terme, de devenir un élément gênant et perturbateur dans la vie de nos communes.
En définitive, ce qui nous régissait jusqu'à ce jour était sage et permettait un certain nombre de choix indispensables au maintien de l'équilibre de notre budget.
Si la loi qui nous régissait avait été appliquée au niveau de l'Etat jusqu'à ce jour, les réflexions que nous devons avoir aujourd'hui concernant les économies budgétaires et les priorités que nous devons avoir au niveau de l'Etat auraient eu lieu il y a déjà un certain nombre d'années, et nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui.
L'autre danger que je vois dans ce projet de loi est celui qui autorise le déficit budgétaire. Dans la conjoncture actuelle, et pour arriver à assainir ses finances, l'Etat de Genève négocie avec les communes un certain nombre de transferts de charges au niveau de l'Etat et des communes, sans que jamais nous ne discutions des transferts de moyens. Lorsque ces transferts de charges auront été établis, il sera difficile pour les communes de les assumer et les possibilités d'établir un déficit budgétaire seront invoquées par l'Etat pour mieux dire à ces quarante-cinq communes: «Ecoutez, si vous ne voulez pas augmenter votre fiscalité pour assumer ces charges supplémentaires, vous avez la possibilité d'avoir des budgets déficitaires». Cela pourrait être un danger assez important.
Certains évoqueront la plus grande autonomie qui pourrait être ainsi attribuée aux communes, mais je crois que l'article 73 de cette loi est tout à fait clair à ce sujet, quand il dit que «Le Conseil d'Etat statue par voie de règlement sur la tenue et le contrôle de la comptabilité des communes, sur les normes d'amortissement et l'introduction de nouvelles prescriptions comptables».
Tous les éléments qui seront édictés par voie réglementaire échapperont à la discussion des communes et l'autonomie, à ce moment-là, quelle sera-t-elle? J'ai une totale confiance en M. Claude Haegi, conseiller d'Etat, mais
qui sait ce qui se passera dans dix ou quinze ans, et quelle sera l'interprétation qui en sera faite? Vous voyez que je vous prête beaucoup d'avenir, M. le conseiller d'Etat.
Un autre élément n'est pas suffisamment clair. C'est, comme l'a évoqué tout à l'heure M. Lombard, l'évaluation de la fortune nette. Qu'est-ce que la fortune nette d'une commune? S'agit-il des réalisations qu'elle a effectuées au niveau des écoles? S'agit-il de celles qu'elle a effectuées au niveau des routes et des égouts? On sait qu'au niveau des communes, la majeure partie des actifs sont faits de ce type d'investissements et que la majorité des communes, à part la Ville de Genève, n'ont aucun bien vraiment réalisable. L'actif net, à cet égard, n'est absolument pas précis, pas clair, et peut entraîner un certain nombre d'excès qui pourraient être tout à fait néfastes pour l'avenir.
Effectivement, certaines communes peuvent se trouver momentanément en difficulté. Des dispositions d'exception devraient être possibles, mais établir un règlement général permettant à tout le monde, quelle que soit la situation, d'arriver à un budget déficitaire, par manque de rigueur dans la gestion des communes, est un élément dangereux sous la forme proposée. Je voudrais vous rappeler une prise de position du professeur d'économie, M. Beat Kappeler, à la Radio suisse romande, concernant les finances cantonales. Il citait en exemple le canton de Saint-Gall qui n'a pas le droit d'avoir un budget, ni des comptes déficitaires et qui, actuellement, est le seul canton suisse à avoir un compte budgétaire équilibré. Et de se poser la question: «Est-ce que le canton de Saint-Gall soigne moins bien ses habitants? A-t-il une moins bonne police? A-t-il de moins bons équipements». Non, parce que l'Etat de Saint-Gall a fait un certain nombre de choix, en fonction des possibilités économiques dont il disposait. C'est ce qui se fait actuellement au niveau des communes.
Personnellement, je suis persuadé que vous allez tout à l'heure voter une loi qui, dans quelques années, sera critiquée et que les dispositions actuellement en vigueur seront rappelées et unanimement regrettées.
C'est pour cette raison qu'à titre tout à fait personnel je vous invite à renvoyer ce projet de loi en commission pour qu'il soit réadapté à la réalité, et à ne pas le voter tel qu'il vous est proposé ce soir.
Mme Hélène Braun-Roth (PDC). Je crois qu'il faut tout de même rappeler ici que l'Association des communes unanime, à deux abstentions près...
Une voix. Plus une abstention et une opposition!
Mme Hélène Braun-Roth. Je suis désolée, on ne nous les a pas signalées. Je ne sais pas si vous comptez «pour beurre»! Toujours est-il qu'on n'est pas au courant! Je veux rappeler que les magistrats attendent ce projet de loi avec impatience. Comme vous le savez, les communes sont soumises à la surveillance du Conseil d'Etat, elles n'ont pas la latitude de faire n'importe quoi, comme on pourrait l'imaginer en entendant M. Bosson. Je vous recommande donc très vivement de ne pas suivre la proposition de retour en commission, mais de voter sur-le-champ ce projet de loi.
Je voudrais vous dire encore que la commission des affaires régionales est devenue également commission des affaires communales. Nous sommes très attentifs à l'évolution du dossier concernant le transfert des charges entre le canton et les communes. Je vous rappelle qu'il y a plus de dix ans j'avais déposé une motion et que le dossier est toujours aussi chaud qu'à l'époque, voire encore plus chaud! Je souhaite que des solutions puissent enfin être trouvées. Lorsque les communes et le Conseil d'Etat auront pu tomber d'accord, nous souhaitons que la commission des affaires communales rencontre l'Association des communes genevoises afin de faire le tour des problèmes concernant les compétences du canton et des communes.
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Je ne vous cache pas que je suis un peu surpris par l'intervention de M. le député-maire Bosson qui, en somme, proclame devant ce parlement: «Protégez-moi, protégez-moi de mes faiblesses» et les définit ensuite d'une manière si précise, et je l'en remercie, que je vous garantis que mes services seront attentifs à l'utilisation qui pourrait être faite des textes dans le sens que vous avez défini.
Ce n'est pas la révolution, ce n'est vraiment pas la révolution! Le canton de Genève est celui qui a donné à ses communes l'autonomie la plus limitée, la plus restrictive que nous connaissons. Unanimement ou presque, à une exception près, les communes demandent de disposer d'un peu plus de possibilités d'interventions. Elles entendent être considérées comme des majeures et prendre leurs responsabilités.
Par le vote de ce soir, après vous être déjà exprimés sur des problèmes d'aménagement du territoire, vous compléterez ce qui est entrepris de manière à mieux respecter les communes de ce canton. Cela ne signifie pas que nous ne continuerons pas à vérifier chaque délibération communale, comme nous le faisons dans nos services, et de vérifier tout ce qui doit l'être.
Le déficit est une mesure exceptionnelle qui ne pourra être envisagée que lorsque nous aurons, précisément, un plan qui nous montrera que nous sortirons rapidement de la situation. C'est une mesure momentanée. Il est bien préférable d'avoir momentanément un déficit -- c'est une politique de transparence -- dès lors qu'une commune engage une dépense particulière une année et qui ne justifierait pas une augmentation, par exemple, des impôts, comme la loi vous l'impose si vous avez une dépense exceptionnelle.
C'est dans ce sens-là qu'il faut aller, et je ne crois vraiment pas, Monsieur Bosson, que les communes, et ce Grand Conseil, regretteront la décision prise.
Enfin, et j'insiste sur ce point, c'est le respect d'une autorité élue démocratiquement qui prend ses responsabilités. Une autorité communale vaut une autorité cantonale, et je ne saurais imaginer une hiérarchie dans ce domaine-là. Il s'agit de confirmer ce qui a souvent été dit sur les bancs du Grand Conseil au cours de ces dernières années.
Je vous remercie d'ores et déjà de l'appui que vous donnerez à ce projet de loi et j'espère, Monsieur Bosson, que vous vous retrouverez ce soir dans une situation proche de celle que vous avez connue devant l'Association des communes genevoises, c'est-à-dire seul. Etre seul ne vous privera pas de grandeur et de persister ainsi.
M. Bosson a dit autre chose. Il a parlé du transfert des charges et, tout à l'heure, Mme Braun a dit sa préoccupation au sujet du transfert des charges de l'Etat vers les communes. C'est un réflexe classique, lorsqu'on n'est plus fortuné comme on l'a été, d'avoir recours à ce système-là. Pour avoir une vision globale, nous avons des contacts permanents avec l'Association des communes. Tous mes collègues, pratiquement, sont venus devant une délégation de l'Association des communes pour parler de ces transferts de charges. Nous avons une séance dans quelques semaines avec cette association, qui sera consacrée à ce seul sujet, de façon à faire le meilleur usage des deniers publics, qu'ils soient communaux ou qu'ils soient cantonaux. Nous devons pratiquer le principe de susbsidiarité et confier à l'autorité qui est la plus efficace dans la prestation qu'elle fournit -- celle qui réussit à fournir cette prestation au moindre coût -- la compétence dans tel ou tel domaine. C'est dire que le sujet relevé par Mme Braun est extrêmement important et que nous aurons l'occasion d'en reparler.
Pour l'heure, ce soir, merci d'accepter ce projet de loi et de faire confiance aux communes et aux services chargés de les contrôler.
Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue: