République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 11 mars 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 3e session - 10e séance
M 850
Débat
M. Hermann Jenni (MPG). J'aimerais poser une question aux motionnaires, parce que je crois savoir qu'un arbre pousse lentement et qu'il faut un certain temps pour estimer son développement. Alors, je ne trouve pas que la deuxième invite qui consiste à rendre compte des premiers résultats de cette étude avant la fin de la première législature soit très sérieuse.
On devra mesurer en dixièmes de millimètre la pousse des arbres entre le moment de leur plantation et la fin de cette législature.
M. Hervé Burdet (L). La réponse à la question que vient de formuler M. Jenni est fort simple. Il ne s'agit pas de faire pousser des arbres, mais de faire une étude des arbres qui poussent déjà.
Des voix. Aahh!
M. Hervé Burdet. En effet, la motion que je vous présente consiste à demander au Conseil d'Etat de faire une étude. L'exposé des motifs étant relativement détaillé, je serai bref.
L'étude demande que la forêt, dans sa vraie dimension biologique, soit étudiée. Cette vraie dimension est celle du bassin genevois et non pas du canton de Genève dans ses dimensions politiques. Cela semble évident, mais il ne semble pas que, jusqu'ici, nous ayons beaucoup suivi cette démarche.
Par rapport à la forêt, à sa densité et à son étendue, l'étude que nous demandons devrait porter sur l'urbanisation de notre région; là aussi, dans sa vraie dimension régionale. C'est-à-dire que, pour une fois, on parlerait aussi bien de Versoix que de Ferney, de Gex, de Meyrin, aussi bien d'Onex que de Saint-Julien et on évoquerait Annemasse en même temps que Chêne-Bourg. On traiterait donc l'ensemble de l'urbanisation du bassin genevois.
L'angle sous lequel il s'agit d'évaluer la forêt et l'urbanisation, c'est celui du rapport entre l'arbre et l'homme ou inversément, tant il est vrai qu'un homme ou une femme, un habitant et les activités qui sont les siennes entraînent toute une série de nuisances, que toutes ces nuisances reviennent, d'une manière ou d'une autre, à une certaine consommation d'oxygène.
A l'inverse, la forêt, ses arbres et les espaces verts qui lui sont associés sont les seuls systèmes à même de dégager, de libérer ou de régénérer de l'oxygène. On demande que l'on fasse une appréciation de la quantité de forêts, de la quantité de nuisances liées aux activités humaines, et que l'étude débouche sur un équilibre quantitatif à trouver entre les hommes et les forêts. En calcul élémentaire, une appréciation de situation, même instinctive, montre qu'il y aura nécessité d'accroître les surfaces forestières, et c'est ce que nous voulons suggérer.
Nous sommes pleinement conscients qu'il en découle toute une série de problèmes pour l'agriculture, pour les exploitants agricoles, que cela pose tout le problème de la zone agricole, de sa fonction, de son sens, de son maintien. C'est pour examiner tous ces problèmes, à l'évidence délicats et en pleine mutation, que nous vous demandons de renvoyer cette proposition de motion en commission.
Mme Martine Roset (PDC). J'aimerais parler du problème de fond que soulève cette motion. On ne sait plus très bien comment traiter la zone agricole dans notre pays, dans notre canton. Je voudrais seulement vous demander si la zone agricole doit être considérée comme une surface économiquement viable de par sa production, ou si elle doit être considérée comme une surface de détente pour les personnes qui désirent profiter des espaces verts.
Je pense que ni les agriculteurs, ni les politiciens, ni la population ne veulent s'atteler à ce problème et déterminer ce qu'on veut faire de la zone agricole. Personnellement, j'aimerais bien savoir si je conseillerai un jour à mes futurs enfants de faire une école d'agriculture ou de faire une école de «GO» du Club Léman. Je me réjouis de discuter de tout ça en commission.
M. Charles Bosson (R). J'ai pris connaissance de cette motion avec une surprise presque plus grande que celle que j'ai eue lorsque j'ai pris connaissance de la motion sur la protection de la Seymaz.
On nous propose à nouveau des emprises sur la zone agricole, cette fois-ci sous prétexte de la production d'oxygène. Je pense que les motionnaires ont évidemment prévu cela pendant la période de végétation car, comme toute autre plante dans ce pays, notre forêt genevoise ne connaît pas de végétation de novembre à mars. Cette extension de la forêt n'amènera donc rien de plus que la zone agricole existante et les cultures qui y sont faites actuellement. Une fois de plus, ces emprises de cinq cents ou mille hectares sont faites et proposées sans tenir compte des familles qui essaient de tirer un revenu de la terre.
Cette espèce de mépris vis-à-vis d'une corporation devient inadmissible et choquante dans ce parlement. Lorsque l'on voit le nombre de motions déposées pour venir en aide à ceux qui sont en difficulté, il devient absolument intolérable de voir l'atteinte portée à une corporation et à une profession.
Je ne veux pas reprendre ici l'ensemble des arguments que j'avais déjà développés lors de la motion sur la Seymaz, car ils sont à peu près de même nature.
Je voudrais néanmoins relever certaines contradictions existant dans les invites et les considérants. Lorsque l'on nous dit que le rôle de conservation de la forêt dans la nature permet de préserver l'écosystème local et régional et que, d'un autre côté, on nous propose d'ouvrir cette forêt aux citadins, d'offrir cette forêt à tous les habitants de ce canton, c'est une contradiction! Du reste, vous le relevez dans votre exposé des motifs lorsque vous dites à la page 3, sous le point 3, que des marques de tassement du sol dus au piétinement touchent 22% des places examinées et 68% des abords des agglomérations urbaines, comme par exemple le bois de la Bâtie.
La démonstration est faite qu'il ne faut pas ouvrir la forêt et les espaces naturels à l'ensemble de la population si on veut réellement protéger la nature. Des contradictions de ce genre, nous en trouvons tout au long de votre motion. Cela est inadmissible et montre une totale méconnaissance des problèmes.
De la même manière, vous proposez que ces forêts pourraient être étendues au niveau de la zone agricole dans les surfaces d'assolement. Vous savez très bien que toutes les zones prises dans les surfaces d'assolement sont constituées de terrains cultivables et cultivés et qu'aucune parcelle non cultivable n'a été prise dans une surface d'assolement. Vous proposez de prendre ces terres à ces endroits-là. Vraiment, ça montre une méconnaissance totale de sujets que vous voulez nous entraîner à étudier, et nous ne pouvons pas y adhérer.
Vous évoquez aussi le problème du bassin genevois. Cela doit se faire en concertation avec les instances en place comme pour la motion précédente. Je crois qu'il ne faut pas mélanger les compétences et savoir raison garder au niveau de notre canton.
Je voudrais soulever un dernier élément. C'est le point 6 de votre exposé des motifs. Vous estimez que cela pourrait être une activité nouvelle pour les agriculteurs, à condition que l'on ne recherche pas un rendement élevé dans l'immédiat. Vous savez très bien que la forêt genevoise est d'un rendement nul. Alors, de nouveau, c'est une insulte! Vous êtes d'accord que l'agriculture puisse arriver à entretenir les forêts et à les cultiver pour le bien de la collectivité, sans pouvoir en retirer un rendement quelconque.
Monsieur Burdet, tout à l'heure, vous demandiez de faire une étude. Premièrement, avons-nous encore les moyens de faire des études de ce type? Dans votre exposé des motifs, vous citez une première étude faite par le conseiller d'Etat précédent, M. Wellhauser, qui a fait un examen exhaustif de cette forêt.
Donc, en la reprenant simplement, nous avons toutes les études que nous voulons. Il s'agit de maintenir cette forêt dans son état. Vous le savez aussi bien que moi: la forêt genevoise n'a pas régressé depuis 1920, au contraire. Donc, maintenons la situation telle que nous la connaissons, étant donné que l'aménagement du territoire que nous avons vécu nous permet de la gérer au mieux et d'offrir des conditions de vie tout à fait agréables au niveau de notre population.
Nous ne nous opposerons pas à son renvoi en commission, mais nous trouvons que cette motion est agressive vis-à-vis des gens qui vivent de la terre, et aussi vis-à-vis de tous ceux qui, au cours des septante dernières années, ont géré l'aménagement de notre territoire. De ce fait, elle est pratiquement inutile. Mais nous ne nous opposerons pas à son renvoi à la commission de l'agriculture et de l'environnement.
Mme Vesca Olsommer (Ve). Je comprends bien l'indignation de M. Bosson. J'y suis sensible, c'est vrai. Mais j'aimerais aussi évoquer quelques conclusions du rapport «SOL», que vous connaissez, Monsieur le conseiller d'Etat, ce fameux programme de recherche «SOL» qui a été commandé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Ce sont quand même des travaux qui ont exigé six ans de recherche et ont réuni plus de cent cinquante chercheurs qui ont une vision assez globale de nos rapports avec le sol, y compris dans le canton de Genève.
Depuis 1950, la surface bâtie a plus que doublé dans notre pays, 18% des terres utilisables actuellement le sont pour les transports, pour la surface bâtie, pour l'industrialisation.
Si nous n'intervenons pas, environ deux à trois mille hectares de terre seront encore pris dans les années à venir. Les surfaces de transition disparaissent, telles que les jardins potagers, les jardins familiaux et les boqueteaux. Je voudrais citer une phrase de ce rapport que je trouve très évocatrice: «Le désert urbain se heurte au désert de maïs». (Protestations.) Ce n'est pas une injure, c'est simplement une inquiétude face à la diminution de la biodiversité.
Qu'est-ce qui est commun à la loche des rivières, au vairon, au crapaud sonneur à ventre jaune ou à la linaire des Alpes? Ce sont toutes des espèces en voie de disparition. Ce sont des espèces indigènes qui bientôt n'existeront plus. La nature est dans les chiffres rouges comme le dit la Ligue pour la protection de la nature. Il faut présenter les biotopes et les niches écologiques si nous voulons maintenir la diversité des espèces tant animales que végétales.
C'est une inquiétude profonde des écologistes et, au fond, je ne la trouve pas du tout méprisante à l'égard du monde agricole. Trouvons ensemble des solutions pour ménager cette biodiversité. Dans le canton de Genève, nous avons inventorié à peu près mille quatre cent septante espèces de fleurs depuis le début du siècle. Trois cents espèces ont complètement disparu et quelque trois cents sont en voie de disparition. Alors, que pouvons-nous faire? Au moins, réfléchissons ensemble sans proférer d'anathèmes.
M. André November (Ve). Je suis un peu étonné par la réaction de M. Bosson et j'aimerais l'assurer qu'il n'y avait aucune intention malicieuse ou agressive dans notre proposition. Lorsque M. Bosson dit que nous n'y connaissons rien, il faudrait tout de même dire que cette idée est suggérée et développée par le professeur Grepin qui connaît bien les problèmes agricoles et l'écosystème genevois.
J'aimerais rappeler ici deux faits. Tout d'abord, Genève importe son oxygène de la région et, deuxièmement, la forêt environnante est très sollicitée et utilisée par les habitants de Genève. Il suffit d'aller un week-end dans la forêt de Chancy. On y trouve les pique-niqueurs, les chiens, les chevals...
Des voix. Chevaux!...
M. André November. Enfin, on trouve un peu de tout! Il faut donner la possibilité aux habitants de la ville de pouvoir se détendre. Si les habitants de la ville vont dans la forêt existante, ils vont complètement la détruire. J'aimerais dire à M. Jenni que ce qui caractérise les écologistes d'une manière générale, c'est de penser à long terme. Donc, nous essayons de prévoir un peu dans le temps.
Mme Roset est intervenue tout à l'heure. Je regrette de lui dire, puisqu'elle pense que la zone agricole devrait être économiquement viable, que, malheureusement, dans le système économique dans lequel nous vivons, la zone agricole n'est pas viable économiquement. C'est-à-dire... ( Contestation.) ...non, malheureusement, c'est le cas. C'est le système économique dans lequel nous vivons qui veut...
Des voix. On n'accepte pas ce système.
M. André November. Je n'accepte pas ce système. J'aimerais bien payer les gens pour leur travail et non pas les subventionner et vendre à l'encan leur production. Il faut tout de même savoir que c'est le système économique dans lequel nous vivons qui veut que vous ne pouvez pas vivre du travail que vous fournissez.
J'aimerais dire aussi qu'il n'y a aucun mépris vis-à-vis des agriculteurs dans cette motion qui propose une série d'idées. Naturellement, il y a une certaine réserve vis-à-vis du corporatisme, mais ce sont deux choses différentes. Aussi, sur le plan économique, nous essayons de présenter une alternative, une activité économique nouvelle qui est «l'écoforesterie».
M. Hervé Burdet (L). Je suis extrêmement peiné des discours que tient, mois après mois, M. Bosson lorsque l'on évoque l'agriculture, la zone agricole. Je sais que M. Bosson est président de la Chambre d'agriculture. Je voudrais lui dire que la motion dont on débat en ce moment est tout de même signée par deux présidents sortant de la Classe d'agriculture de la Société des arts... (Brouhaha.) ...c'est-à-dire des gens qui pensent avoir une compétence minimale sur le sujet... (Agitation dans les bancs.)
Une voix. Laissez-le parler!
M. Hervé Burdet .. qui s'appuient en outre sur une étude, comme ça vient d'être dit, de l'université de Genève et du département de biologie végétale, dont le professeur Grepin, qui la dirige, est un expert fédéral en matière d'agriculture.
Alors, ce que je comprends mal, c'est pourquoi, quand dans ce parlement on parle de la zone agricole, M. Bosson monte sur ses grands chevaux. Si on parle d'un marais, il y a insulte pour le monde agricole. Si on parle de forêt, on méprise les agriculteurs.
Une voix. Exactement!
M. Hervé Burdet. J'aime beaucoup mieux, je dois dire, le discours d'une jeune agricultrice, Mme Martine Roset, qui nous dit que le problème est réel, qu'il se pose. Il s'agit de savoir ce que doit devenir la zone agricole et quel est l'avenir des gens qui sont engagés dans les activités agricoles. S'ils ont un avenir? Si leurs enfants ont un avenir? Nous tous voulons aussi savoir ce que deviennent nos biotopes et ce que notre environnement naturel doit devenir, et si nous devons, à la limite, le laisser entre vos mains, Monsieur Bosson? (Commentaires.)
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Les interventions de Mme Roset et de M. Bosson, qualifiées d'excessives par quelques-uns d'entre vous, expriment, à n'en pas douter, la situation et, notamment, les inquiétudes du monde agricole genevois. Il faut le savoir, les exploitations agricoles genevoises sont aujourd'hui confrontées à des difficultés telles que leur avenir est compromis.
Hier, nous avions les assemblées générales du Cercle d'agriculture et de la Chambre genevoise d'agriculture. Nous avons ressenti très fortement ces préoccupations et nous ne saurions les banaliser. C'est une réalité. On ne peut pas demander un paysage genevois charmant sans prendre en compte la nécessité de produire, de vendre et de dégager quelques bénéfices qui permettent aux agriculteurs d'exercer leur métier d'une manière conforme à ce qu'ils peuvent raisonnablement accepter.
Je pense m'être montré assez ouvert aux différentes propositions de motions exprimant des sensibilités comme celles que l'on vient d'entendre pour me permettre d'émettre quelques propos introduisant une meilleure objectivité que celle de l'exposé des motifs.
Lorsque, dans ce dernier, vous parlez d'un taux de boisement du canton de 10% et que vous signalez que la moyenne suisse est de 26%, vous ne pouvez pas comparer ce qui n'est pas comparable. Il est évident que le taux de boisement du canton des Grisons est plus élevé que celui de Genève. Alors, Monsieur November, si, tout à l'heure, je vous rejoignais volontiers sur le problème de l'eau et de l'approche transfrontalière, je vous invite à avoir la même vision sur ce point, mais d'une façon complète. Vous ne pouvez pas parler d'une population de huit cent mille habitants et vous référer à deux mille sept cents hectares de forêt en vous arrêtant à la frontière. Il vous faut prendre la même surface que le bassin de population auquel vous vous référez.
C'est pourquoi je vous suggère d'avoir cette vision transfrontalière. Il faut aller jusqu'au Jura et au Salève pour pouvoir apprécier la situation. En réalité, j'ai même le sentiment que l'échelle géographique dont on parle est encore trop étroite pour pouvoir faire une bonne politique environnementale.
C'est la raison pour laquelle j'avais proposé, il y a trois ans déjà, de créer un observatoire du bassin lémanique de façon à pouvoir gérer ce problème raisonnablement. Plusieurs d'entre vous ont signalé qu'en effet les pollutions ne s'arrêtaient pas à la frontière.
Voyez-vous, M. Bosson accepte tout de même, d'après ce qu'il a dit, d'en parler en commission et d'exprimer ses différentes préoccupations, légitimes à plus d'un titre comme je l'ai relevé tout à l'heure. Depuis quelques séances du Grand Conseil, lorsque l'on aborde ces problèmes, il y a des tensions entre ceux qui expriment un souci de préserver l'environnement et ceux dont c'est le métier de travailler la terre. Cela nous montre qu'un dialogue différent est indispensable.
De grâce, j'en appelle à la sagesse des uns et des autres pour que nous puissions travailler ensemble dans la bonne direction. Il n'y a pas forcément d'incompatibilité, mais on ne réussit que si on est capable de prendre en compte le problème de l'autre, faute de quoi la réussite n'est pas possible et il y a des blocages.
C'est dans cet esprit, Mesdames et Messieurs, dès lors que vous voulez aller en commission, que nous pourrons nous y rendre et en parler. Toutefois, dans votre exposé des motifs, vous dites vouloir une réponse avant la fin de la législature. Je ne vous cache pas que j'ai contacté mes services à ce sujet. Cela demande un certain nombre de contacts qui font que je ne peux en aucun cas m'engager ce soir à vous donner des réponses complètes d'ici la fin de cette législature.
Mise aux voix, cette motion est renvoyée à la commission de l'agriculture et de l'environnement.