République et canton de Genève

Grand Conseil

I 1851
10. Interpellation de M. Max Schneider : Transchablaisienne : un bétonnage encouragé par le Conseil d'Etat ? ( )I1851

M. Max Schneider (Ve). Pendant des années, la desserte du Chablais a été insuffisante du point de vue routier et ferroviaire. Les autorités responsables proposent actuellement des équipements routiers faisant double emploi. D'une part, l'aménagement des routes nationales 206 reliant Annemasse à Douvaine, et 5 reliant Genève à Thonon, routes qui seront équipées de quatre voies, avec de nombreux ouvrages d'art et des évitements de localités. D'autre part, un deuxième autre grand projet est à l'étude, à savoir la construction d'une autoroute en parallèle avec ces routes à quatre voies, ce qui formerait donc huit voies en direction d'Evian.

Face à ces grands projets de bétonnage, des associations d'habitants de la région et de protection de l'environnement, notamment le Conseil lémanique pour l'environnement (CLE), ont dit non à une autoroute cul-de-sac puisque l'on sait qu'entre Evian et Saint-Gingolph il y aura de grandes difficultés de réalisation. Du côté suisse, tant genevois que valaisan, aucune connexion n'est prévue et l'on sait qu'il est exclu de prévoir des ouvrages de raccordement à cette autoroute.

Des comités, qui se sont prononcés pour un «Non à l'Europe des camions», pour un «Non à la destruction des biotopes», ont dit également non à un projet de nocivité publique. Il y aura donc des atteintes et une mise en danger de la richesse économique du Chablais, des eaux d'Evian et de Thonon. Cette autoroute toucherait plusieurs marais comme celui de la Versoix, des Blaves, du plateau de Gavaux, du coteau d'Amphion à Evian où se trouvent les fameuses sources d'Evian et des eaux de Thonon. C'est la raison pour laquelle il y a une véritable levée de boucliers de la part des habitants contre cette autoroute.

Les partisans de l'autoroute Transchablaisienne ont réussi à l'inscrire au schéma directeur français sous prétexte qu'elle pourrait devenir une autoroute internationale. Nous savons que du côté suisse cela n'est pas possible. En cherchant un peu, on remarque que cette autoroute n'est pas inscrite au schéma directeur européen et n'a pas le label d'intérêt agréé par le parlement ou la commission européenne. Il n'y aura donc pas de financement européen pour cette autoroute.

Des débats sur cette autoroute ont eu lieu. Les chambres de commerce se sont réunies à Monthey pour encourager sa construction. Des députés suisses y étaient d'ailleurs présents, tout comme certains «barbouzes» qui venaient écouter les conférences des associations écologistes à Thonon, ce qui provoqua une polémique. Une conférence de presse -- au cours de laquelle la consule de France serait intervenue auprès du Conseil d'Etat à cause de l'intervention de députés du Grand Conseil -- a eu lieu. Il faut savoir que nous, Genevois, sommes aussi un élément-clé des décisions qui seront prises pour l'étude de cette voie routière.

Certains conseillers régionaux de Rhône-Alpes sont inquiets des décisions pouvant être prises à Genève, notamment suite à des déclarations faites lors d'une réunion du Conseil du Léman qui s'est tenue à Sion, l'année dernière, en présence de quelques députés. Au cours de la séance officielle

qui a suivi, un membre du Conseil du Léman a souligné la volonté de soutenir et de réaliser au plus vite l'autoroute du sud Léman. Voilà des informations relativement graves.

Le 15 mai 1993, à Thonon, se tiendra un rassemblement européen au cours duquel les acteurs de la vie politique suisse seront amenés à clarifier la situation. Avant cette échéance, le Conseil d'Etat, qui fait d'ailleurs partie du Conseil du Léman, se prononcera-t-il pour un soutien ou non, qu'il soit politique ou financier, à la construction de l'autoroute Transchablaisienne?

Les opposants à cette autoroute proposent quelques solutions, notamment le développement des transports publics par l'amélioration réelle des liaisons Genève-Evian, la réouverture de la ligne du Tonkin et la revitalisation du rail dans le Chablais franco-suisse. Leur deuxième proposition est l'achèvement de la route nationale 5 et de la 206 dont les deux tiers sont déjà construits et qui, je le rappelle, possèdent quatre voies. Notre Conseil d'Etat va-t-il vraiment encourager ces liaisons de transports publics dans cette région? Voilà les questions auxquelles j'aimerais que le Conseil d'Etat réponde.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. J'entends d'abord préciser que ce projet est français et que ce n'est ni Genève, Vaud ou le Valais qui ont interpellé les autorités françaises pour leur demander de construire une autoroute au sud du Léman. J'ajoute qu'en matière d'équipements, de moyens de transports, il y a différents projets dont une autoroute et un projet ferroviaire.

Le Conseil du Léman a dit son intérêt pour la réalisation de ces équipements et, sur le plan ferroviaire, il a même admis le fait de participer financièrement à la location à la SNCF de l'espace occupé actuellement par la ligne du Tonkin, faute de quoi cette ligne disparaîtrait. Je vous dis cela parce que nous sommes quelques-uns à être intéressés aussi par le rail. Il s'agit de compléter ces équipements. Quelle est la procédure? Vous parliez du financement... C'est très aimable à vous de vous inquiéter pour ceux qui auraient à le supporter.

En effet, les sociétés d'autoroutes réinvestissent les moyens dont elles disposent -- généralement, elles en ont quelques-uns -- dans des constructions nouvelles. La société du Tunnel du Mont-Blanc pourrait être concessionnaire de la construction de ce nouvel ouvrage. Il est vrai que ce type de financement peut conduire, dans certaines circonstances, les autorités à opter plutôt pour une autoroute que pour une route rapide dès lors que le financement est assuré par les utilisateurs. Je le dis par souci d'objectivité.

Lorsque les études sur la section Annemasse-Thonon seront achevées, deux phases de concertation auront lieu. Une phase de consultation officielle des élus et des services techniques et administratifs, au terme de laquelle sera réalisée la synthèse des avis des uns et des autres. Puis, une phase de concertation plus formelle avec les populations résidant dans les zones urbanisées du projet d'autoroute. Autrement dit, si les populations éprouvent les sentiments que vous avez exprimés, Monsieur Schneider, elles auront l'occasion de le dire. Mais c'est une affaire franco-française, et prenons garde de garder la distance qui s'impose, en tout cas dans cette phase.

Pourra alors intervenir la décision officielle d'approbation de l'avant-projet sommaire, préalable à la mise au point du dossier d'enquête d'utilité publique qui devrait avoir lieu en principe à l'automne de cette année. Le lancement de l'enquête d'utilité publique qui s'effectuera sur la totalité du tracé Annemasse-Saint-Gingolph ne pourra intervenir qu'après l'approbation de l'avant-projet sommaire de la section Thonon-Saint-Gingolph prévu à l'automne 94. Sur ces bases, et compte tenu des délais habituels d'une telle procédure, le lancement de l'enquête d'utilité publique pourra avoir lieu au printemps 95 et la déclaration d'utilité publique suivra un an plus tard. Voilà pour les informations concernant la procédure.

En ce qui nous concerne, j'avais demandé au Conseil du Léman, lorsque l'on s'est exprimé sur les équipements, que l'on ajoute bien que le Conseil du Léman demandait qu'une attention particulière soit portée à l'insertion de cet important ouvrage -- si tant est qu'il soit réalisé -- dans l'environnement et le paysage sur l'ensemble de l'itinéraire.

D'autre part, j'ai eu l'occasion de correspondre à la fin de l'année 1991 avec le préfet de région pour évoquer quelques préoccupations concernant notamment la région genevoise. En effet, il ne fait pas l'ombre d'un doute que le projet aurait, au minimum, une influence sur la région de Jussy. En plus, ce sont des problèmes de circulation qui se posent, et nous ne saurions imaginer que les choses puissent évoluer sans que nous soyons consultés, sans que nous puissions parler ensemble des conséquences de l'éventuelle réalisation de ce projet.

C'est dire, Monsieur le député, que le canton de Genève, dès lors qu'il prend acte du fait d'une intention d'un Etat étranger et qu'il intervient dans le cadre du Conseil du Léman, dit: «oui» au niveau de l'équipement. Cela est intéressant, cela mérite d'être étudié, mais cela met aussi l'accent sur des précautions qui devraient êtres prises si le projet devait aboutir. J'aimerais saisir cette occasion pour relever le fait que la question, l'interpellation de votre collègue, met en exergue la nécessité d'avoir une vision du territoire différente de celle que nous avons trop souvent. Monsieur Schneider, c'est bien de s'intéresser au sud du Léman, mais vous ne pouvez pas le faire sans regarder le nord. Faute de le perdre!

Il est indispensable d'avoir cette vision globale du territoire. Nous avons au nord du lac des charges autoroutières considérables, et nous savons que nous allons vers une saturation. Nous avons une surcharge ferroviaire, on parle très sérieusement d'une troisième voie, nous avons le couloir aérien, des lignes à haute tension, une charge totale vraiment très importante. Comment songer à l'évolution de ces équipements sans avoir cette vision d'ensemble? On ne devrait pas, si l'on veut faire du bon travail, conduire des études d'impact seulement sur un ouvrage. On devrait les mener sur les équipements de cette zone lémanique en les prenant dans leur globalité.

Si nous payons en ce moment une certaine somme pour préserver la ligne du Tonkin, ce n'est pas simplement pour que l'on puisse faire circuler un train sympathique et folklorique une fois par semaine durant la bonne saison; non, c'est parce que nous nous sommes dit qu'il était peut-être intéressant de préserver cet espace pour y faire circuler un jour des trains qui peuvent prendre la direction du Valais, puis de l'Italie. C'est cette vision globale de l'espace que nous devons absolument avoir et ne pas faire une fixation sur un seul ouvrage.

Je vous confirme, Monsieur le député, que nous sommes particulièrement attentifs à la réalisation de ce projet dans la mesure de nos compétences et que notre comportement consiste à inviter les partenaires du Léman à avoir une vision plus large des choses et à réaliser les meilleurs ouvrages possibles sur ce territoire. C'est très volontiers que je vous tiendrai au courant de l'évolution de ce dossier pour lequel nous avons déjà échangé une correspondance assez importante avec nos voisins français.

M. Max Schneider (Ve). Ce que nous venons d'entendre est très, très inquiétant... Je vous félicite de votre encouragement et de votre soutien, Monsieur le conseiller d'Etat, à cette liaison ferroviaire; à cette vision très large entre Genève, Evian, Sion et le Simplon. Bien sûr, il ne faut pas se fixer uniquement sur un seul ouvrage! Mais avec ce projet d'autoroute franco-français comme vous aimez à le souligner -- et je connais votre sensibilité écologique et sais que notre canton aimerait abriter la capitale de l'environnement -- nous sommes en train d'intervenir dans un pays voisin, et, nous qui sommes pour l'Europe des peuples et des régions, nous devons travailler avec les gens de la région.

Les habitants de la région, Monsieur le conseiller d'Etat, sont très inquiets de l'attitude de Genève notamment au sein de la société du Tunnel du Mont-Blanc et du Conseil du Léman, sociétés au travers desquelles Genève a un droit de parole, donc un certain poids. En ce qui concerne la Haute-Savoie, nous versons des sommes considérables gérées pratiquement par un seul homme, le président du Conseil général, M. Pellarin, «bétonneur» bien connu dans sa région. Les conseillers régionaux n'ont aucune possibilité d'intervention, et cela je le tiens du président de la commission de l'aménagement du territoire du Conseil régional de Rhône-Alpes.

Vous venez de confirmer que le Conseil du Léman fait cette étude, ce qui signifie qu'il veut réaliser cette autoroute à laquelle vous avez porté un certain intérêt. Pardonnez-moi si je vous ai mal compris! Si c'est bien cela, Monsieur le conseiller d'Etat, je vous pose d'autres questions. Avez-vous eu un soutien de ce Grand Conseil pour aller de l'avant dans ce projet d'autoroute, dans ce projet de bétonnage, alors que des bureaux déjà mandatés démontrent qu'il y a un danger pour l'environnement dans le Chablais? Comment pouvons-nous nous intéresser à la réalisation d'équipements qui mettent en danger l'environnement d'une région voisine?

Le financement suisse s'assimile à une véritable ingérence. Les populations de la région voisine sont hostiles au projet et vous savez très bien, Monsieur le conseiller d'Etat, que les questions posées en France ne le sont pas comme en Suisse. Quand un projet d'étude est fini, il est très difficile de s'y opposer car la concertation entre les élus et la population n'existe pas. Voilà pourquoi j'aimerais que vous me confirmiez ce que vous m'avez dit, car j'ai peut-être mal interprété votre réponse.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. J'ai l'impression que c'est un dialogue de sourds! Je vous donne volontiers quelques précisions. Premièrement, le Conseil du Léman ne participe à aucune étude sur l'autoroute du sud Léman. Il n'est pas partie prenante pour cette autoroute. Le Conseil du Léman est partie prenante au sujet de la préservation de la ligne ferroviaire du Tonkin.

En ce qui concerne la Société du Tunnel du Mont-Blanc, elle serait concessionnaire. Ce n'est pas parce que nous avons une toute petite part du capital que nous allons pouvoir influencer la décision et dire que nous ne voulons pas être concessionnaires. Ce ne serait pas forcément la chose la plus intelligente que l'on pourrait faire.

Pour le reste, je vous ai dit que nous avions adressé des lettres au préfet. Pour ne pas retenir l'attention de vos collègues pendant trop longtemps, je vous les ferai lire tout à l'heure. Vous vous rendrez compte que nous émettons des craintes, notamment en ce qui concerne le territoire genevois. Pour ce qui est de la région lémanique, je vous ai dit comment l'on voyait les choses. Je désire avoir des études d'impact pour tous les grands équipements dans la région lémanique, de façon à conduire une véritable politique de l'aménagement du territoire et des transports. Je crois que cela va dans le sens que vous souhaitez.

En ce qui concerne Genève, nous avions des points plus précis que nous voulions évoquer avec les autorités françaises. Monsieur le député, quand vous parlez de l'argent que l'on enverrait comme ça... Ecoutez, je suis au regret de vous dire à voix basse que l'accord conclu concernant la fiscalité -- puisque vous faites allusion à cela -- favorise particulièrement Genève dès lors que le canton lève l'impôt sur le lieu de domicile professionnel, ce qui généralement n'est pas le cas, et rétrocède à la France le 3,5% de cette manne fiscale. C'est une affaire «en or» si je la compare à la situation vaudoise. Lorsqu'un frontalier d'Evian travaille dans le canton de Vaud, il rentre chez lui le soir avec la totalité de son salaire sans que l'on ait levé le moindre impôt sur le territoire vaudois. Arrivant sur France, il paie ses impôts à l'Etat français et celui-ci rétrocède 4,5% de cette manne salariale au canton de Vaud. C'est donc dire à quel point la différence nous est favorable.

J'ouvre une parenthèse. Si les Vaudois acceptent ces quelques deniers venant de France, ils pourraient peut-être pratiquer la même politique avec les Genevois, ce qui ne serait pas mal. Je referme la parenthèse.

Concernant les fonds français, nous disposons de certains informations, mais ce n'est pas notre affaire. Quand vous dites qu'il y a un homme tout-puissant qui en dispose, vous vous en prenez aux institutions d'un autre Etat et je ne saurais m'y immiscer. Les Français ont nommé démocratiquement leurs élus; s'ils veulent en changer, c'est leur affaire!

Je crois, Monsieur le député, avoir répondu aux questions que vous posiez. Il n'y a pas d'intervention du canton de Genève pour favoriser la réalisation de cette ouvrage. Je ne résiste pas au désir de vous préciser -- puisque vous avez parlé de la Société du Tunnel du Mont-Blanc -- que c'est grâce à cette société, grâce à la France qui a réalisé l'autoroute du pied du Salève, que nous avons évité la construction qui avait été envisagée en son temps sur le territoire du canton de Genève. Certains d'entre vous se rappelleront ce projet autoroutier catastrophique qui traversait la zone de Veyrier, Troinex, etc. et qui condamnait toutes les cultures maraîchères de cette région.

Pendant quelque temps, nous avons vu des cartes représentant deux autoroutes, distantes de deux ou trois cents mètres. Nous avons vécu pendant un certain temps avec cette image. C'est lorsque nous avons eu confirmation de la réalisation, sur le territoire français, de l'autoroute que vous connaissez que nous avons pu renoncer à construire celle que nous avions envisagée. C'est dire qu'il s'agissait déjà d'une bonne politique d'aménagement du territoire, car nous avons pu sauver des espaces dans des conditions que l'on peut qualifier de satisfaisantes.

J'ajoute encore que pour faire le meilleur usage de cette autoroute, le président du Conseil général, que vous citiez tout à l'heure, a racheté le péage entre Annemasse et Saint-Julien pour qu'un grand nombre d'automobilistes utilisent ce tronçon d'autoroute, afin de ne pas charger le réseau routier genevois. C'est dire que leur politique n'est pas égoïste, que nous vivons déjà dans une large concertation et dans un esprit de solidarité. Celui-ci doit être développé, c'est ce à quoi nous travaillons. J'ose espérer, cette fois, que ma réponse vous aura totalement rassuré.

L'interpellation est close.