République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 11 février 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 2e session - 6e séance
M 650-A et objet(s) lié(s)
16. Rapport de la commission législative chargée d'étudier les objets suivants:
Débat
M. Armand Lombard (L). A l'évidence, nous sommes dans une société en métamorphose. De macho et antiféministe, comme au temps de nos aïeux, elle devient mixte et adopte, petit à petit, la femme comme un membre à part entière.
La présidente. Ça, c'est gentil!
M. Armand Lombard. Cette heureuse évolution est le résultat de la croisade menée par les femmes, par leur idéalisme combattant et par leur ténacité, éduquées à se faire une place au soleil. Cette évolution est due aussi, vous me le concéderez, Mesdames, au désir d'utiliser votre formidable potentiel créatif et ce réservoir de travail de qualité que vous lui offrez. Nous reconnaissons comme hautement souhaitable que la femme ait un statut de partenaire à part entière dans la société, qu'elle soit un membre actif et reconnu de la communauté, sans distinction négative due à une spécificité féminine mal cotée.
Mais, à la différence des motionnaires, je plaide pour la différence et pour la spécificité de chacun, et mon envie est nulle d'être en égalité, signe pour signe, idée pour idée, projet pour projet, métier pour métier, avec quiconque homme ou femme.
Pour en venir aux projets qui nous sont soumis, ajoutons que la reconnaissance de la femme doit se faire dans le cadre des institutions existantes et n'a, en aucun cas, préséance sur les règles du fonctionnement démocratique et sur ses pratiques établies, tant que le respect total de la personne est assuré. Obnubilées par le dogme de l'égalité absolue, vous nous emmenez, avec les deux projets proposés, dans des procédures complètement biaisées. Vous oubliez vos forces propres, vos capacités d'initiatives personnelles, votre compétence à vous faire entendre, votre don de persuader, votre poids politique, votre capacité à vous associer, et vous venez nous présenter un programme de combines et techniques impropres au fonctionnement de nos institutions.
Il y a un dérapage complet dans votre demande face à la réalité de la cité, face au système que la communauté a mis en place, à la séparation des pouvoirs qu'elle propose. Mme Berenstein a déclaré à la commission que ce
que les femmes voulaient ce n'était pas un règlement ou des directives, mais du pouvoir. Piano, Mesdames! Pianissimo! Ne tentez pas, stimulées par votre vision de rêve, d'instaurer un régime désarticulé, discutable légalement et sexiste à l'envers! (Protestations.)
Une voix. Ringard!
M. Armand Lombard. Premièrement, participer aux commissions parlementaires pour le bureau de l'égalité, c'est hors de question, surtout quand ce Grand Conseil est en train de remettre en question la présence du Conseil d'Etat à ces réunions. Pourquoi donc ne pas aussi inclure ces autres personnages qui pourraient nous être de quelque utilité: un religieux, un frontalier, pourquoi pas un banquier ou un psychanalyste? (Rires.) Une commission est un lieu de travail avec sa structure légale; les femmes y siègent déjà et nous sommes totalement opposés à l'introduction du bureau de l'égalité en leur sein.
M. Claude Blanc. Quel sein? (Rires.)
M. Armand Lombard. Deuxièmement: accès aux dossiers du Conseil d'Etat par le bureau de l'égalité comme le demande la motion. Mais qui donc est chargé de gouverner la République? Le bureau de Mme Frischknecht en nouveau despote éclairé égalitaire ou l'exécutif élu par le peuple? Cette ingérence de membres de la fonction publique dans la direction d'un département...
Des voix féminines. Menteur!
M. Armand Lombard. ...est simplement irréaliste, impraticable et inconstitutionnelle. Nous y sommes également totalement opposés.
Une voix. Fallait laisser parler votre mannequin, ça aurait été plus drôle!
M. Armand Lombard. Silence l'ami, gardez votre calme! Troisième invite: notre démocratie est malade de ces recours qui pour des intérêts individuels divers s'expriment, bloquent, contreproposent et atermoient. Une démocratie qui donne à chaque individu un droit de recours n'est plus une
démocratie, mais une somme d'individus qui ne reconnaît plus ni un contrat social, ni la règle de la majorité, ni la supériorité du projet commun sur l'envie et l'opinion individuelle. Un droit de recours général accordé à quelque idéologie, idée ou projet est exclu pour nous.
C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de rejeter les projets qui vous sont soumis, sans que cela n'entache en rien notre respect pour le combat égalitaire des femmes, ni notre volonté à aménager le partenariat total auquel a droit la femme dans la société.
M. Philippe Joye (PDC), rapporteur. Je crois qu'il faut remettre l'église au milieu du village! (Brouhaha.)
Des voix. Quelle église?
M. Philippe Joye. La mienne! Cela étant dit, je voudrais quand même rappeler à M. Lombard que toutes les questions relatives à la condition féminine relèvent d'une ordonnance datant du 24 février, instituant des bureaux d'égalité entre homme et femme au niveau de la Confédération. Monsieur Lombard, si vous vous donnez la peine de lire dans mon rapport le rôle dévolu à cette ordonnance, vous comprendrez pourquoi, au niveau cantonal, nous avons un dispositif sensiblement égal.
La fameuse notion du droit de recours est extrêmement importante. A la page 3, je vous fais part d'un droit de plainte de l'autorité cantonale traité par l'Office fédéral de la justice en fonction de l'application de l'article 4, alinéa 2, de la Constitution fédérale. Il est dit que les problèmes de recours sont reconnus être de la compétence des cantons respectifs. La question de savoir si l'on veut instaurer un droit de recours relève bien des cantons, et je crois qu'il est tout à fait juste et logique.
Ma troisième remarque a trait à la notion de pouvoir. Mme Berenstein a dit: «Nous voulons du pouvoir». Je pense quant à moi qu'il est vraiment gênant que le 50% de l'humanité doive demander à avoir le pouvoir auquel il a droit. Lorsque M. Lombard dit que les procédures sont biaisées, que l'on veut des égalités à tout prix et que l'on parle de combines et de techniques en dérapage complet, je crois devoir lui répondre que ce qui se fait au niveau genevois est encore très en retrait par rapport à ce qui a été adopté dans d'autres cantons.
Si vous lisez la page 3 de mon rapport, vous constaterez que les articles contenus à ce sujet dans la constitution de la République et canton du Jura sont très en retrait par rapport à Genève. Je pense que l'on travaille de façon extrêmement raisonnable et pas du tout machiste.
Je terminerai en disant qu'il en va des questions de droit à une certaine égalité, à la consultation de certains dossiers pour les femmes comme de la question des quotas. Je suis contre les quotas femme, en principe, mais j'approuve tout à fait l'idée que, tant que l'on n'est pas arrivé à des pourcentages décents pour les femmes, de participation aux diverses activités de la collectivité, eh bien, l'on devra instaurer des quotas. Pour ce qui est du bureau de l'égalité, tant que l'on n'aura pas atteint une certaine qualité des droits de la femme, je pense que l'on aura besoin d'un bureau de l'égalité et je me réjouis du jour où il disparaîtra, parce que l'on aura atteint un but que nous sommes nombreux à partager. (Applaudissements de la gauche, Brouhaha.)
La présidente. Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît! Mon marteau est cassé, je ne peux plus taper sur la cloche! Je vous en prie, restez tranquilles!
Mme Claire Torracinta-Pache (S). M. Lombard avait bien commencé son intervention, il l'a bien mal terminée. Pour la première fois dans ce parlement, M. Lombard a émis des propos indignes de sa personne, je le regrette et il m'a profondément déçue. (Contestations.) Mon propos n'étant pas de reprendre le débat au niveau où il l'a laissé, je lui dirai simplement que l'égalité des droits n'a rien à voir avec la négation des spécificités.
Je remercie M. Joye d'avoir relevé le niveau de la discussion. En tant que coautrice de la motion, je voudrais vous expliquer ceci: l'application du principe de l'égalité des droits se déroule toujours en trois phases. D'abord, il faut avoir connaissance de l'inégalité. Ensuite, il faut prendre les mesures qui s'imposent pour tenter de supprimer cette inégalité. Si ces mesures ne sont pas respectées, il faut pouvoir intervenir et, le cas échéant, sanctionner.
La motion que nous vous avions proposée à l'époque s'inscrit dans la même logique. Tout d'abord, l'accès de la déléguée aux travaux de commission ou aux objet traités par le Conseil d'Etat favorise le constat d'inégalités. Ensuite, cela nous permet éventuellement de rectifier le tir dans nos lois et dans nos règlements et de prendre les fameuses mesures qui s'imposent. Si ces dernières ne sont pas respectées, le bureau qui est intervenu au départ doit pouvoir intervenir à nouveau.
Il semble que la commission législative ait bien compris notre démarche puisqu'elle propose de renvoyer au Conseil d'Etat notre motion, amendée certes, mais sans en dénaturer l'esprit. Nous en sommes d'autant plus satisfaits, et nous en remercions la commission, que cette motion avait reçu un triste accueil à sa présentation, et j'emploie à dessein le mot de «triste» puisque c'est ainsi que Mme Brunschwig Graf avait qualifié à l'époque nos invites, Dieu sait pourquoi! On peut être d'accord ou pas, mais elles n'avaient vraiment rien de tristes.
Je constate avec satisfaction qu'à part M. Lombard et certains de ses collègues libéraux les mentalités évoluent peu à peu, puisque l'on admet à la commission législative le bien-fondé de la présence de la déléguée dans les commissions qui traitent de sujets comme l'égalité des droits ou l'égalité des chances, alors que ce Grand Conseil avait fait preuve d'un véritable ostracisme à l'égard de la déléguée au début de son entrée en fonctions. On lui refusait quasiment l'accès à toutes les commissions, ce qui est assez paradoxal dans le sens que l'on n'a jamais remis en cause la présence de fonctionnaires spécialisés sur le sujet traité dans une commission.
Reste ce fameux droit de recours, et là, j'aimerais vous dire que nous étions conscientes de la complexité du problème lorsque nous avons déposé la motion et rédigé cette invite. Nous aimerions, par cette troisième invite, et une fois la compétence des cantons en matière de recours reconnue -- M. Joye vient de le rappeler tout à l'heure -- que l'on mette sur pied un petit groupe de travail auquel pourraient participer des juristes -- je sais que des professeurs de droit sont intéressés par cette question -- quelques hauts fonctionnaires ainsi que la déléguée à l'égalité et qu'ils tentent de faire preuve d'imagination, d'innover, de trouver par quel biais l'on pourrait mettre en place la dernière phase de réalisation de l'égalité des droits, que ce soit un droit de recours ou une possibilité d'intervention ultérieure.
C'est pourquoi je vous recommande vivement de renvoyer cette motion telle qu'elle a été amendée au Conseil d'Etat.
M. Robert Cramer (Ve), rapporteur. Le rapporteur de notre commission l'a dit tout à l'heure, nous parlons d'une question sérieuse. Il est extrêmement regrettable que ce débat ait été introduit par une intervention aussi peu sérieuse que celle qu'a faite M. Lombard. Elle manque singulièrement de rigueur intellectuelle. Monsieur Lombard, pour mieux critiquer ce que vous n'aimez pas, vous caricaturez les termes de la motion; cela est regrettable car nous en avons le texte sous les yeux et vos procédés rhétoriques tombent à plat!
Vous interprétez chacun des termes de la motion comme des obligations, comme des contraintes alors qu'il s'agit uniquement, et la motion est claire à ce sujet, de garantir -- Mme Torracinta-Pache l'a rappelé tout à l'heure -- des droits assez élémentaires et extrêmement modestes.
Nous demandons qu'il puisse y avoir la présence en commission d'une personne compétente sur les objets que nous débattons. Cela se fait sur tous les objets que traite le Grand Conseil, et nous ne comprenons pas pourquoi il n'en serait pas de même en matière d'égalité.
Deuxièmement, nous demandons dans cette motion -- je dis nous, puisque je m'y associe dans la mesure où la commission législative en a quelque peu remanié les invites -- que l'information circule bien au sein de l'administration. Le conseiller d'Etat présent lors de nos débats nous a assuré que cela était normal, que cela allait se faire et qu'une réponse à cette proposition ne présentait pas de problèmes particuliers.
Enfin, cette motion traite du droit de recours. Le droit de recours, réservé à certaines associations, est une institution connue, qui s'applique assez usuellement lorsqu'il y a des droits collectifs à défendre. ll s'applique notamment en matière de logement. Notre Grand Conseil voulut le renforcer tout récemment, puisque lorsque nous avons revu la loi sur les prud'hommes en 1990, nous désirions que les organisations professionnelles puissent également plaider devant cette juridiction.
Monsieur Lombard, lorsque vous lisez égalité, vous entendez guerre des sexes! Une revendication de suprématie d'un sexe par égard à l'autre! (Protestations.) Je vous dis, Monsieur Lombard, que pour ma part je lis uniquement égalité et j'entends bénéficier d'un bureau qui défendra aussi les quelques droits que je pourrais faire valoir en tant qu'homme.
M 650-A
La motion est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
La motion est rejetée par 33 non contre 32 oui.
P 941-A
Mises aux voix, les conclusions de la commission (renvoi au Conseil d'Etat) sont rejetées.
Mise aux voix, cette pétition sera déposée sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.
La séance est levée à 23 h.