République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 15 janvier 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 1re session - 4e séance
I 1849
Mme Erica Deuber-Pauli (T). La faculté des sciences économiques et sociales de l'université a créé, cette année, un programme particulier d'études postgrades qui a lieu dans les locaux de l'université et qui est assuré par des professeurs qui doivent leur plein temps à l'université. (Brouhaha. Discussions.)
La présidente. Mesdames et Messieurs, allez à la buvette si vous souhaitez parler. On ne s'entend plus ici.
Mme Erica Deuber-Pauli. Ce programme dure une année académique. Il s'appelle «Master in business and administration» et s'abrège
par MBA. Tout étudiant ou toute étudiante qui désire s'y inscrire doit payer entre 10 600 et 12 600 F par année. Cette privatisation de l'enseignement supérieur, apparemment silencieuse, jusqu'aux récents articles de presse parus à l'annonce de mon interpellation, est à mes yeux un véritable scandale. Elle crée à l'intérieur de l'université deux classes d'étudiants: ceux qui ont les moyens financiers nécessaires pour accéder à ce programme de pointe et ceux, d'origine plus modeste et ne disposant pas de fortune, qui n'auront droit qu'à un enseignement de moindre qualité.
L'on me rétorquera, comme l'ont fait le recteur Weber ou le doyen Urio, que ce «master» s'inscrit au niveau de la formation continue, qu'il s'adresse aux cadres supérieurs des entreprises et que ces dernières le financent elles-mêmes. J'entends bien, mais quid des étudiants ne disposant pas du parrainage des entreprises, obligés de payer des émoluments exorbitants? Sélection obligée par l'argent? On m'a rétorqué que l'on était disposé à négocier des rabais allant jusqu'à 50%, mais, néanmoins, une année académique à 5 600 F reste une année académique extrêmement chère par rapport au principe qui règle l'accès démocratique à l'université.
Qu'on m'entende bien, je ne suis pas opposée à la création de ce «master». Je ne suis pas davantage opposée au fait que cette formation soit demandée par les entreprises parce qu'elle leur est utile, bien au contraire. Mais pourquoi faire payer des émoluments pareils aux étudiants, puisque les autorités universitaires ne peuvent les justifier que parce que les entreprises les paient elles-mêmes dans un certain nombre de cas? Alors, il faut changer le système, faire sponsoriser notre université par les entreprises et éviter de faire payer les étudiants.
Je pose la question: qui touche ces montants? Doit-on partager les soupçons qui se sont fait jour au sujet de cette université privée dans l'université publique? Des habitudes confortables s'installeraient, des professeurs feraient passer au second plan les cours et séminaires de l'université publique pour privilégier les cours payants, engager les meilleurs assistants, s'offrir des voyages, des colloques, etc.? Subsidiairement enfin: si ces professeurs d'université ont du temps à consacrer à des programmes privés et payants, ils laissent entendre qu'ils disposent de temps libre en abondance et qu'il serait donc possible d'augmenter leurs heures obligatoires. Cette indication fait naturellement hurler d'autres collègues, notamment les enseignants et chercheurs qui se consacrent entièrement à leur mandat public.
Au nom de l'égalité de traitement de tous les étudiants et afin de garder à l'université publique sa vocation originelle, sans lui laisser courir le risque d'une dérive vers une formation à deux vitesses, le Conseil d'Etat ne pense-t-il pas qu'il conviendrait de supprimer d'urgence ce programme MBA tel qu'il est actuellement organisé en SES?
Je voudrais encore ajouter un commentaire pour bien faire comprendre le sens de cette interpellation. Notre pays a eu une politique de formation universitaire ouverte depuis une trentaine d'années, refusant le numerus clausus, considérant le droit à une formation supérieure comme un outil majeur de notre développement économique, social et culturel. Aujourd'hui, la Conférence suisse des recteurs d'universités parle de numerus clausus. A Genève, l'on parle de réintroduire des taxes d'inscription. M. Weber, recteur, parle d'une taxe de 1 000 F par année. Dans le même temps, des postes d'assistants sont supprimés. Mais les professeurs de SES s'inventent un «Master in business and administration» à 12 000 F par année et le recteur Weber me dit qu'il pourrait être porté à un montant de 20 000 F.
De grâce, gardons à l'université sa vocation d'ouverture démocratique dont les générations Chavanne ont profité et dont nous pouvons être très fiers, à juste titre. N'oublions pas à Genève l'oeuvre d'André Chavanne !
M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. Autant je partageais tout à l'heure l'analyse de Mme Deuber-Pauli, autant je ne la suis plus dans son intervention qui, en réalité, ne demande qu'une chose: la suppression de la formation de «Master of business and administration» mise en oeuvre, il y a quelques mois, après de nombreuses pérégrinations et de longues études, et ce à la demande, effectivement, de certains milieux économiques. Le besoin s'est fait sentir, dans notre collectivité, d'accéder à ce haut niveau de formation dans le contexte actuel difficile sur le plan économique.
Notre université se doit de répondre aux demandes de certains milieux et former des Genevois à la direction de nos entreprises, de nos banques, etc., pour que celles-ci n'aient pas à faire appel à de grands spécialistes étrangers. L'université, je vous le rappelle, a plusieurs missions précisées dans la loi sur l'université: ce sont la formation de base, la formation continue, la recherche et les services. L'article 5 prévoit que
l'université organise des enseignements de formation continue. Il y a quelques mois, j'étais venu présenter un nouvel article de loi permettant précisément de percevoir des émoluments pour certaines formations de pointe plus professionnelles. En effet, votre Conseil m'avait laissé entendre qu'il n'était pas normal que l'ensemble des contribuables paie la formation pointue exigée par certaines entreprises à Genève, et ce d'autant plus que ces entreprises étaient prêtes à participer financièrement.
J'ai donc présenté ce nouvel article de la loi sur l'université, ainsi qu'un règlement qui dit ceci: «Les émoluments tiennent compte des coûts induits par ces enseignements qui sont fixés par le rectorat sur proposition des facultés et des écoles». Indépendamment de cela, le rectorat m'avait posé la question quant aux coûts et j'avais agréé un montant de 10 000 à 12 000 F pour cette formation qui se situe au-delà de la formation des diplômes d'enseignement supérieur. Ce nouveau projet de MBA correspond exactement à ce type de formation continue qui permet le prélèvement de ces émoluments, j'en conviens, élevés.
Quand l'IMI était à Genève, personne n'a discuté le fait que cet institut de management privé demandait 25 000 F d'émoluments. Je me rappelle que le Grand Conseil était intervenu, rappelant combien nous perdions un réseau important avec le départ de l'IMI à Lausanne et sa fusion avec l'IMD, devenu l'Institut de management à Lausanne. Connaissez-vous le montant des émoluments demandés aujourd'hui? Il est de 30 000 F. Je trouve que c'est beaucoup, même pour cette formation, mais les étudiants sont là.
Ce n'est pas le cas pour nos seize à vingt étudiants, d'une moyenne d'âge de trente-trois ans, qui suivent une formation à temps partiel et dont les émoluments sont, pour la plupart, payés par les entreprises. Ces dernières sont, en effet, d'accord d'acquitter ces émoluments, voire de payer plus encore, comme les milieux patronaux nous l'ont assuré. C'est pourquoi nous allons probablement augmenter encore ces émoluments. Si les entreprises sont prêtes à payer cette formation pointue, spécifique, dont elles ont besoin, je ne vois pas pourquoi nous ne leur demanderions pas de la financer. Il s'agit de seize à vingt étudiants sur un effectif de douze mille, on est loin, chère Madame, de la privatisation de la formation supérieure à Genève, reconnaissez-le.
Sur seize étudiants, deux n'avaient pas les possibilités financières nécessaires. Alors des propositions ont été faites car nous ne voulions pas faire jouer la loi d'allocation d'études en raison même du coût élevé des émoluments, ce qui aurait été parfaitement disproportionné. Nous avons trouvé un arrangement pour ces deux étudiants, les entreprises payant pour les autres.
Dans le contexte économique actuel, voulez-vous, chère Madame, que je fasse un cadeau à ces entreprises en leur disant: «Merci, la collectivité publique, les contribuables paieront à votre place»? Non, il n'y a pas de risque que les autres diplômes supérieurs s'inscrivent dans ce contexte, car là est votre inquiétude, Madame. Il y a des niveaux, des degrés, une formation de base avec licence, une formation supérieure avec diplôme, tout cela sans émoluments. Puis il y a une formation pointue comme le MBA avec son réseau international où nous sommes les moins chers: la liste que j'ai demandée le prouve.
Si vous voulez qu'il ait une qualité reconnue, il est évident que le cours doit jouir de considération et le fait qu'il soit donné, à raison de deux heures par semaine, par des membres du corps professoral constitue un apport qui rejaillit sur toutes les autres formations. Vous qui êtes universitaire et avez enseigné à l'université vous savez fort bien que la recherche promeut la qualité de l'enseignement et qu'une recherche pointue profite aux diplômés supérieurs et aux licenciés. Je n'aimerais donc pas que vous comptabilisiez le fait que les professeurs ont, en l'occurrence, deux heures hebdomadaires à donner pour le MBA et qu'ils feraient mieux de les consacrer, sous une autre forme, aux licenciés.
N'a-t-on pas dit, maintes et maintes fois, que la formation continue était un apport à la formation de base! Là, nous en avons une belle démonstration. Alors, je ne puis recevoir votre demande de supprimer au plus vite le MBA, à moins que le Grand Conseil ne l'exige. Je suis absolument convaincu de la valeur de ce diplôme supérieur à laquelle les entreprises participent, et je les en remercie.
Mme Erica Deuber-Pauli (T). Je demandais de supprimer le programme MBA tel qu'il est actuellement organisé en SES, c'est-à-dire avec ses émoluments payants.
Vous m'avez mal entendue. Les entreprises ont besoin d'une formation et je trouve que l'université est également là pour répondre aux besoins de l'économie. Toutefois, on peut trouver des solutions autres que celle de faire payer ces émoluments aux étudiants individuellement. On pourrait faire sponsoriser cette formation par les entreprises au nom d'un principe de solidarité qui ferait que les étudiants, qu'ils soient ou non envoyés par elles, puissent en bénéficier. Ce serait une solution parfaitement acceptable à mes yeux.
J'aimerais vous suivre et vous croire quand vous me dites que cette opération restera limitée à quelques étudiants sur les douze mille de l'université de Genève. Lorsque nous avons voté le principe de la perception d'émoluments pour la formation continue, nous étions encore dans la perspective d'une certaine aisance facilitant l'attribution de bourses d'études à cet effet. Nous nous sommes aperçus que cette pratique allait subir le contrecoup des restrictions budgétaires et qu'il nous faudrait raisonner autrement. Je répète que je voudrais vous suivre, mais je ne le puis tout à fait, car si vous acceptez le principe d'émoluments de cette importance -- actuellement il s'agit de 12 600 F, mais M. Weber parle maintenant de 20 000 F -- vous devriez offrir des garanties très sérieuses pour que ce qui s'est passé à la rentrée de septembre en SES ne se reproduise pas à l'avenir, c'est-à-dire des suppressions de postes d'assistants et de membres du corps intermédiaire, ainsi que des réductions des prestations d'enseignement offertes à l'ensemble des étudiants du premier cycle. Si vous nous offrez ces garanties, soit!
S'il ne s'agissait que de professeurs disposant de deux heures pour donner de la formation continue, je protesterais avec moins de véhémence, mais ce qui s'est produit à la rentrée s'est bel et bien produit, et c'est pourquoi mon attention a été mise en alerte. J'en ai parlé avec les responsables universitaires que j'ai pu rencontrer. Ils m'ont dit qu'ils essaieraient de ne pas reproduire cette situation, qu'il s'agissait d'un malheureux concours de circonstances. Il faut avouer que ce n'est pas de nature à nous rassurer et c'est bel et bien là que j'aimerais que les émoluments susceptibles d'être perçus trouvent une forme différente, plus propre à garantir la solidarité entre étudiants cadres supérieurs subventionnés par leurs entreprises et les autres qui, pour des raisons tout aussi honorables, recherchent ces programmes de pointe parce qu'ils existent. J'aimerais aussi que vous nous donniez des garanties pour que l'on ne supprime pas, dans le même temps, l'encadrement pédagogique auquel la formation de base a légitimement droit.
L'interpellation est close.