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PL 13608-A
Rapport de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport chargée d'étudier le projet de loi de Caroline Marti, Leonard Ferati, Thomas Wenger, Grégoire Carasso, Jean-Pierre Tombola, Diego Esteban, Pierre Eckert, Léo Peterschmitt, Caroline Renold, Laura Mach, Sophie Bobillier, Dilara Bayrak, Nicole Valiquer Grecuccio, Angèle-Marie Habiyakare, Thomas Bruchez, Marjorie de Chastonay, Oriana Brücker, Céline Bartolomucci, Jean-Charles Rielle, Cyril Mizrahi modifiant la loi sur l'instruction publique (LIP) (C 1 10) (Non à la ségrégation scolaire des enfants requérants d'asile)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 28 et 29 août 2025.
Rapport de majorité de M. Pierre Nicollier (PLR)
Rapport de première minorité de M. Cyril Mizrahi (S)
Rapport de deuxième minorité de Mme Laura Mach (Ve)

Premier débat

La présidente. L'ordre du jour appelle le PL 13608-A, classé en catégorie II, trente minutes. Je cède le micro à M. Nicollier.

M. Pierre Nicollier (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le PL 13608-A a été traité par la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport lors de trois séances au début de l'été. Nous avons entendu, bien sûr, son auteure, Mme Marti, mais également le département de l'instruction publique, la Ligue suisse des droits humains Genève, l'association Solidarité Tattes, les syndicats SIT et SSP-VPOD et enfin M. Christophe Blanchet, coordinateur Unité migration accueil (UMA) et délégué région CRENOL secondaire et Lausanne. Cette dernière intervention était particulièrement intéressante et doit nous pousser à regarder plus souvent hors de Genève.

Ce texte a fait suite à l'annonce par le Conseil d'Etat de la scolarisation des élèves hébergés au CFA du Grand-Saconnex dans ces mêmes locaux - nous en avons déjà parlé ici. Le projet de loi modifie donc la loi sur l'instruction publique en interdisant toute scolarisation dans un centre d'asile.

Or, le département de l'instruction publique a mis en place un dispositif d'accueil scolaire structuré autour de plusieurs objectifs: rencontrer les familles, expliquer le système éducatif suisse, évaluer les besoins spécifiques et orienter les enfants vers des parcours adaptés selon l'âge et le niveau scolaire. Les enfants de 4 à 15 ans bénéficient d'un projet pédagogique conforme au plan d'études romand, qui est associé à des activités favorisant leur intégration et leur bien-être. Une équipe pluridisciplinaire est prévue, composée d'enseignants, d'éducateurs, d'assistants sociaux et de traducteurs pour assurer la prise en charge des enfants allophones et la souplesse nécessaire face aux variations d'effectifs et de profils.

La question centrale est celle du lieu de scolarisation: au sein du CFA (intra muros) ou dans une école publique (extra muros). Le dispositif genevois se veut hybride et évolutif, permettant la scolarisation en CFA pour une période transitoire, puis l'intégration en classe d'accueil dans les écoles ordinaires aussitôt que la famille le souhaite et dès que l'organisation le permet. Ce choix est justifié par la nécessité d'offrir un accueil stable et sûr aux enfants, souvent traumatisés, tout en garantissant que l'inclusion en milieu scolaire ordinaire reste possible si elle est désirée.

Dans le canton de Vaud, les enfants sont accueillis dans des classes situées au sein même du centre fédéral, même si c'est dans un bâtiment adjacent, principalement pour des raisons pratiques: coordination simplifiée, accès aux informations confidentielles, flexibilité face aux effectifs très fluctuants et continuité pédagogique le temps de la procédure d'asile. Le défi pédagogique est d'assurer, même pour des séjours très courts (ils peuvent durer quelques jours), une scolarisation qui a du sens et répond vraiment aux besoins des enfants. L'enseignement proposé est donc très souple et adapté à la durée effective du séjour.

Le coordinateur de l'UMA du canton de Vaud estime que l'organisation genevoise, plus rapide s'agissant de l'intégration des enfants migrants ordinaires dans ses écoles, est la plus cohérente et efficace à ce jour pour assurer encadrement, souplesse et respect des contraintes légales et logistiques du SEM.

Ce projet de loi part d'une intention louable: garantir l'inclusion scolaire des enfants requérants d'asile. Cependant, sous couvert de bonne conscience, il introduit une contrainte rigide et contreproductive. Le dispositif mis en place par le DIP n'est pas ségrégatif: les enfants peuvent être scolarisés dans les écoles ordinaires dès que la famille le souhaite. Il s'agit d'un modèle hybride, transitoire et évolutif, conçu par des professionnels expérimentés, qui répond aux besoins spécifiques d'enfants vulnérables, parfois traumatisés, qui ont besoin de stabilité et de proximité parentale à leur arrivée.

Ce texte impose une solution unique, rigide et idéologique, là où la souplesse, la bienveillance et l'expertise doivent primer. Refuser ce texte, c'est faire confiance aux professionnels, réserver un accueil digne et permettre à chaque enfant d'être accompagné selon ses besoins et non selon une injonction politique déconnectée du terrain. Pour ces raisons, la majorité de la commission vous invite à le refuser. Merci.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Mizrahi, est-ce que vous voulez prendre la parole ? (Remarque.) Non. (Remarque.) C'est dans l'ordre des choses, Monsieur Mizrahi.

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de première minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, suite à la remise au Grand Conseil de la pétition contre l'école-prison et à l'introduction de la possibilité d'une scolarisation dans une école régulière, ce projet se voit quelque peu modifié. Cependant, le fait que ce soit présenté comme une possibilité n'est selon nous pas du tout correct pour des familles qui arrivent là et qui ne connaissent pas véritablement leurs droits. A nos yeux, ça doit être une règle claire.

Nous voyons un problème supplémentaire: au cours des travaux, nous avons compris que les élèves qui seraient scolarisés au sein de l'école régulière le seraient quand même dans des classes séparées des autres élèves, en classe d'accueil. Cette situation ne nous convient pas, car nous estimons que les modifications apportées sont insuffisantes et que les élèves du CFA doivent être scolarisés comme les autres élèves, avec les autres élèves, et non séparément.

Le projet de loi n'empêche d'ailleurs nullement un premier accueil au sein du CFA, mais il s'agit d'un premier accueil et cela doit rester comme tel et en aucun cas constituer une scolarisation séparée des autres enfants. Je vous remercie de votre attention et vous remercie surtout d'approuver cet objet.

Mme Laura Mach (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Par ce rapport, la deuxième minorité aimerait vous sensibiliser à l'importance de voter ce projet de loi et de ne céder ni à une vision utilitariste ni à des arguments sans fondement qui viennent bafouer les droits des plus vulnérables, à savoir les enfants.

Rappelons d'abord l'origine de ce problème: la votation, en 2016, d'une loi sur l'accélération des procédures d'asile qui vise notamment la facilitation des renvois par la construction de centres spécifiques, les CFA. Jusqu'alors, toute personne déposant une demande d'asile en Suisse ne résidait que pour une courte période dans un de ces centres d'enregistrement, puis était attribuée à un canton où la scolarisation était automatiquement mise en place. Le problème ne se posait pas. Les CFA découlent donc d'une volonté de facilitation administrative.

Or, quand la bureaucratie prend le dessus sur l'humain, on ne peut que s'inquiéter des conditions de vie dans ces lieux semi-carcéraux, comme l'a bien décrit dans son audition M. Blanchet, chargé de mettre en place la scolarisation des enfants au CFA de Vallorbe. M. Blanchet a notamment montré comment les enfants sont de manière répétée témoins de violences au sein de ces centres, saturés de tensions autour de la peur du renvoi, et les professionnels du terrain sont unanimes sur la nécessité pour les enfants de sortir le plus souvent possible de cet univers malsain et d'avoir accès à un cadre scolaire bien défini.

Aussi, nous saluons l'annonce faite par le Conseil d'Etat durant le traitement de cet objet en commission: en raison d'une baisse d'effectif des réfugiés séjournant à Palexpo, le gouvernement a trouvé des classes dans des écoles du Grand-Saconnex.

Cependant, la position de la majorité, qui tient à laisser la possibilité d'une scolarisation dans les murs, nous paraît refléter une vision utilitariste et de nouveau administrative de la situation. La scolarisation en extérieur pourrait être à tout moment empêchée pour des questions d'effectif ou en raison d'autres aspects pratiques, ce qui bafoue le droit fondamental de ces enfants à un univers stable et sécurisant.

Ce projet de loi vient précisément protéger ce droit fondamental et clarifie une situation qui risque, sinon, de souffrir d'une vision bureaucratique et déshumanisante, infligeant de nouvelles maltraitances à une population déjà terriblement fragilisée. Pour la Genève humaniste, la deuxième minorité vous prie d'accepter ce texte.

M. Thierry Arn (LC). Ce projet de loi touche un sujet très sensible et émotionnel: la scolarisation d'enfants en grande fragilité, marqués par des parcours migratoires souvent très douloureux. Il est tout à fait normal que ces enfants et leurs familles puissent bénéficier d'un cadre digne et respectueux pour une scolarisation, même dans un CFA.

Ce que demande cet objet, c'est tout simplement que la scolarisation dans ces centres d'asile soit exclue. Il faut néanmoins regarder la réalité en face: les enfants séjournent temporairement dans les CFA, leur passage est généralement court, quelques semaines, parfois même quelques jours. Les classes changent sans cesse, et les intégrer immédiatement dans le système régulier créerait pour eux, comme pour les enseignants, des ruptures et des difficultés supplémentaires.

Afin d'illustrer mon propos et d'expliciter les contraintes auxquelles font face les équipes pédagogiques du DIP, je précise que tous les vendredis, le SEM annonce l'effectif du lundi suivant: il est difficilement concevable que ça se déroule dans l'enseignement régulier.

Au mois d'avril, notre groupe avait soutenu la R 1061, car a priori, l'intention de cette résolution était pleine de bon sens. Or, au cours de l'étude de ce projet de loi en commission, le dispositif du DIP nous a été présenté. Comme le rapporteur de majorité l'a dit, il laisse notamment les familles choisir de scolariser leur enfant dans une école ordinaire lorsqu'elles le souhaitent. Interdire toute scolarisation dans le CFA, ainsi que le prévoit ce texte, c'est aller trop loin et, paradoxalement, priver les familles d'une option qui peut parfois correspondre aux besoins immédiats de l'enfant.

Le DIP a mis en place un dispositif transitoire, construit par des professionnels de l'éducation, pensé pour le bien des enfants et qui évolue en fonction des situations. Dans un cadre fédéral contraignant, cela représente la solution la plus équilibrée et la plus réaliste.

Pour le groupe du Centre, il s'agit d'une question capitale. Nous voulons que chaque décision prise ici garde une seule boussole: le bien-être de l'enfant, et c'est précisément parce que nous sommes convaincus que le dispositif actuel le garantit mieux que ce projet de loi que le groupe du Centre vous invite à refuser ce texte.

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, il faut quand même un petit peu se souvenir de ce que sont, de ce que seront les conditions de vie pour toutes les personnes, adultes, mais aussi enfants, qui vivent dans un centre CFA, a fortiori dans celui du Grand-Saconnex, qui se situe à proximité immédiate - quand je dis «à proximité immédiate», c'est voisin de quelques mètres - de la piste de l'aéroport, avec des nuisances évidemment gigantesques, dans un univers semi-carcéral et avec l'impossibilité d'aller à l'extérieur. Tout ça pour une durée qui peut être limitée dans certains cas, mais qui peut s'étendre jusqu'à 140 jours, soit quasiment cinq mois dans ces conditions.

Les travaux de commission ont également relevé que dans ces centres peut se mettre en place un climat de tensions, avec parfois des situations de violences. Il est dès lors nécessaire - ça a aussi été souligné - de sortir les enfants de ce lieu, de ce climat-là le plus abondamment possible, en particulier en journée, et, en l'occurrence, de pouvoir les scolariser hors de cet univers qui est, vous en conviendrez, fort peu propice non seulement à leur apprentissage, mais également à un développement équilibré.

Suite à la mobilisation importante de très nombreuses associations, le DIP est en partie revenu en arrière en ménageant une sorte de porte de sortie qui permettrait une scolarisation dans les écoles régulières du Grand-Saconnex à la demande des parents. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, après avoir passé des jours, parfois des semaines ou des mois, sur les routes migratoires, ces personnes arrivent en Suisse en ne connaissant absolument rien à notre système scolaire ! Le choix supposément laissé aux parents est donc, dans ce contexte-là, un choix de façade, et il est fort probable qu'il ne soit tout simplement pas compris par les personnes concernées.

Et puis, on l'a également relevé, cette solution a pu être trouvée parce que des places se sont libérées dans les écoles du quartier en raison de la fermeture du centre d'accueil de Palexpo. Or que va-t-il se produire si, un jour, on a une nouvelle crise migratoire et que l'on doit rouvrir par exemple des places à Palexpo ? Qu'arrivera-t-il si, simplement, la démographie scolaire du Grand-Saconnex augmente et que le nombre de places dans les écoles du quartier diminue ? Va-t-on renvoyer dans le centre CFA ces enfants qui auront pu être scolarisés au Grand-Saconnex dans les écoles régulières ?

La seule manière de se prémunir contre cette situation est de voter ce projet de loi. Celui-ci ancre dans la loi le principe que la scolarisation, en dehors effectivement du premier accueil, se déroule dans les écoles régulières, en mixité avec les autres enfants du canton. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à l'accepter. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Anne Hiltpold, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je constate que finalement, tout le monde dans cette enceinte ne souhaite que le bien des enfants, et j'en suis ravie. Cela étant, la question est de déterminer ce qui est mieux pour eux: est-ce que c'est une obligation de scolarisation hors du CFA ou un dispositif souple, comme celui que nous avons pensé ?

Nous ne sommes pas d'accord, nous l'avons expliqué depuis le début: nous avons alloué des ressources pour prendre soin de ces enfants, nous nous sommes renseignés auprès d'autres centres fédéraux d'accueil et de professionnels pour savoir quelle était la meilleure proposition pour ces enfants si l'on veut les scolariser. Il vous a été indiqué que nous avions dès le départ prévu un dispositif au sein du CFA avec, ensuite, une sortie possible dans les écoles; c'est ce qui, du reste, est fait aujourd'hui.

J'aimerais spécifier, pour ceux qui ne l'auraient pas encore compris, qu'on parle des enfants de ce centre fédéral d'accueil qui a ouvert au mois de juin, centre que nous ne gérons pas, je le précise aussi. Actuellement, une trentaine d'enfants sont accueillis et sont de passage dans ce CFA. On ne parle pas des plus de 3100 enfants issus de la migration, qui vont dans nos écoles dès le premier jour, dès qu'ils sont attribués au canton de Genève, et qui sont pris en charge dans nos classes d'accueil, que ce soit au primaire, au cycle, au secondaire II. On parle des enfants arrivant dans le centre fédéral qui vient d'ouvrir.

Nous nous sommes renseignés et nous avons constaté, d'après l'expérience de professionnels d'autres centres fédéraux, qu'un dispositif devait être souple, faciliter l'accueil de ces enfants et leur permettre de se familiariser progressivement avec le système scolaire suisse, le nouveau cadre d'accueil.

Comme il a été indiqué, le vendredi, nous recevons une liste d'enfants - vous le savez, ils viennent, ils repartent malheureusement, la durée de leur présence n'est pas connue à l'avance. Tous les lundis, une réunion a lieu dans les locaux scolaires du CFA avec l'équipe pédagogique, l'équipe éducative, munie d'une liste transmise le vendredi, et avec les enfants présents. Ça permet de rencontrer les enfants et les parents, de donner des explications sur le dispositif et sur le système scolaire suisse et de connaître le parcours scolaire antérieur des enfants et leurs éventuels besoins spécifiques. Ça se déroule avec des accompagnatrices, des accompagnateurs familiaux et scolaires parlant la langue d'origine qui peuvent faire office de traducteurs envers les parents pour favoriser la compréhension mutuelle et construire un lien de confiance entre les familles et l'équipe pédago-éducative.

Nous voulons le bien de ces enfants, nous tenons à ce qu'ils puissent être scolarisés, bien évidemment, le plus vite possible dans les écoles proches de ce centre. Nous voulons néanmoins qu'un dispositif les prenne en charge et les accompagne s'ils ne souhaitent pas sortir immédiatement.

On l'a dit, on l'a redit: ces enfants arrivent, ils ont vécu, pour la plupart, des parcours très, très, très difficiles, avec des traumatismes qu'on imagine bien. Leur dire, le lendemain de leur arrivée, qu'ils partent à l'école et qu'ils sortent du centre... C'est une bonne chose de les sortir, mais il faut aussi qu'ils y adhèrent. C'est pour cette raison, et pour répondre au mieux aux besoins et à la situation de chaque enfant et des parents qui les accompagnent, qu'on a voulu ce dispositif souple et agile.

Voilà pourquoi le Conseil d'Etat s'oppose à ce projet de loi qui est beaucoup trop rigide et qui empêcherait de maintenir le dispositif mis aujourd'hui en place pour accompagner et accueillir ces enfants dès les premiers jours, dès leur arrivée dans le CFA. Merci beaucoup de votre attention, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés.

La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous votons sur l'entrée en matière. 

Mis aux voix, le projet de loi 13608 est rejeté en premier débat par 49 non contre 28 oui.